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NOTES
PETITS TRAITÉS
PARIS. — IMP. SIMON UaÇON ET COMP., BUE u'EnFOnTII, I.
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NOTES
PETITS TRAITÉS
CONTENANT
ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE
OPUSCULES DIVERS
FAISANT SUITE
AUX TRAITÉS D'ËCONOilE POUTIQUE ET K
M. JOSEPH GAUNIO
.que,
4ï)n des
pourra re-
iiûjis A\\ haute
^\\& V
is
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PRÉFACE
Les nombreux opuscules (Petits Traités, Notices, Notes),
qui composent ce recueil, servent, ainsi que notre volume sur
la Population, de développement à nos deux Traités consa-
crés, Tun àTexposition de la Science économique, l'autre aux
Finances, et auxquels nous avons voulu laisser le caractère
d'ouvrages didactiques, en évitant les digressions.
Ils sont classés, groupés et liés dans un ordre méthodique,
selon l'esprit d'ensemble qui a présidé à la rédaction des
traités qui viennent d'être rappelés, et le lecteur' pourra re-
connaître que la plupart sont relatifs à des questions de haute
importance.
Par les additions et Jes reti'anchemenls qvn oxvl ëV^ ^^\Và ^
H PREFACE.
nette seconde édition, c est un ouvrage nouveau, à beaucoup
d'égards, qui est offert au public.
Le premier recueil * contenait des Éléments de Finances
dont une deuxième édition a été publiée à part, sous le titre
de Traité de Finances. Malgré cette disjonction et celle de
quelques autres morceaux qui retrouveront place ailleurs, ce
nouveau volume contient plus de matières que le précèdent,
soit parce que les écrits qui se trouvaient dans la pre-
mière édition ont été revus et augmentés , soit à cause des
opuscules (quelques-uns inédits) qui y sont nouvellement in-
troduits.
Ces derniers ont été marqués d'une astérisque à la table
des matières, où une note rappelle les articles que Ton a jugé
à propos de retrancher.
On a indiqué, dans le courant du volume, la provenance
de ces divers écrits choisis parmi un grandnombre d'articles
insérés dans diverses publications, et qui, nous le répétons,
quoique d'origine différente, ont été conçus selon un plan
général d'études méthodiques.
Chaque morceau formant un tout séparé, on a cru pouvoir
laisser subsister quelques répétitions qui ont à plusieurs égards
leur utilité.
' iS58, in-iS.
PREFACE. 11 J
Voici la division générale du volume détaillée dans la table
générale des matières :
Éléments de Statistique, 3« édition.
II
Notice sur I'Éconoiiie politique, son but, ses limites, ses rapports avec
les autres sciences morales et politiques, etc.
III
Questions relatives à la Valeur. — à la Moicnaie, — aux Métaux prégeux,
— au NuMÉRAmE.
IV
Questions relatives à la Liberté du travail :
Réponses à vingt questions de M. Jobard sur la Concurrence ; — Notes re-
latives aux Cqrporations-ofïices, — à la Réglementation, — à l'Inter-
vention de l'État.
Questions relatives aux différentes branches de I'Industrie commerciale •
Notices sur le Commerce, — sur l'Approvisionnement, — sur l'Accapa-
rement, — sur le Change, — sur les Opérations de Bourse et l'Agio-
tage.
VI
Noiice sur les Crises commerciales. — Analyses de leurs causes et des re-
mèdes qu'on peut y apporter.
VII
Questions relatives à la Liberté do commerce :
>;otices et notes sur les Procédés de la douane, — les Traités de commerce,
— le Régime colonial, — la Contrebande, — le Tarif français avant la
réforme de 1860, — la Réforme douanière en Anglelerve eV exv'ÇTWvvL^ ,
— le Libre échange.
ÏW PRéFACE.
VIII
Notice sur I'Assocutioîi, — considérée au point de vue Politique
Social, — Religieux, — Economique.
IX
Notes et indications sur le Socialisme et les diverses Écoles se
listes.
X
Questions diverses :
Analyse de la Production immatérielle, tableaux de la productivité
diverses catégories de travailleurs ;
Note sur quelques termes de la Nomenclature économique;
Note sur les discussions récentes relatives à la Rente fbndère;
Notice sur les Expositions nationales et universelles des produits
rindustrie.
Notes compléiiemtaires
ËLËMËNTS
DE STATISTIQUE
CHAPITRES CONTENUS DANS LES ÉLÉMENTS DE STATiSTIQUE
CHAP. I. — Déiînition, Limites et Divisions de la statistique.
CHAP. II. — Méthodes de la statistique : — Cadastre, — Recensements,—
Mouvement de la population, — Tables de mortalité, —
Statistique agricole, industrielle, commerciale, etc.
CHAP. m. — Opérations de la statistique.
CHAP. IV. — De la nature des chiffres, et des moyens administratifs de
les recueillir. — Institutions de statistique.
CHAP. V. — Utilité et progrès de la statistique. — Les Congrès de statisti-
que. — Publications et documents de la statistique.
ÉLÉMENTS
DE STATISTIQUE
(3« ÉDITION*)
CHAPITRE PREMIER.
DÉFINITION, LIMITES ET DIVISIONS DE LA STATISTIQUE.
I. Nom et limites de la Statistique. --11. Des rapports de la Statistique
avec rÉconomie politique. — III. Des divisions de la Statistique. —
Qualités nécessaires aux statisticiens.
§ !• Hom et limites de la StatîMtiqae.
C'est Achenwall, professeur de droit public à Funiversité
de Gottingue, qui a donné à la Statistique son nom vers le
milieu du dernier siècle, dans les cahiers d*un ensemble de
notions nouvelles qu'il professait et qu'il dénommait scientia
statistica^ comme on disait scientia politicaj dont on a fait la
Statistique (en allemand, Statistik), comme on a fait la Poli*
tique. A peu près à la même époque, le père de la philosophie
écossaise, le précurseur d'Adam Smith, Uutcheson,* appelait
l'Économie poUtique Œconomice^ dont il est bien regrettable
que l'on n'ait pas fait l'Économique, mot qui aurait évité bien
des confusions et plusieurs des obstacles que la science a ren-
contrés dans sa marche.
Achenwall définissait la statistique : « La connaissance appro-
fondie de la situation [status) respective et comparative de
chaque État. »
* 1~ édition dans le Dictionnaire d'Économie politique ; — *!" èôÀNJvow
dans la 1" de Ni^es et petits Traités.
4 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
Schlœzer, qui lui succéda à l'université, écrivait que « la
statistique a pour bul de faire connaître tous les objets dont
se compose la puissance d'un État, n Et poiir la distinguer de
l'histoire, il ajoutait : « L'histoire est la statistique en mouve-
ment, et la statistique est Thistoire en repos. »
Plus tard, John Sinclair dans son histoire du revenu public
de l'empire Britannique* (1785), élargissait indéfininfient le
champ de la science en disant qu'elle « a pour but de consta-
ter la somme de bonheur dont jouit une population et des
moyens de l'augmenter. »
Au commencement du siècle (1801), William Playfair, dans
un manuel de statistique *, disait que « cette science consiste
en des recherches sur la matière pohtique des États, et que
la géographie n'est qu'une partie de la statistique. »
Melchior Gioja veut, dans sa Philosophie de la statistique*^
que cette science « comprenne tous les faits quelconques qui
appartiennent au pays, k
M. Schubert, dans une introduction à sa statistique de l'Eu-
rope, après avoir reconnu la difficulté d'arriver à une bonne
définition de la statistique, dit que « cette science a pour ob-
jet de présenter la situation actuelle des peuples civilisés sous
le rapport de leur vie intérieure et extérieure, et de leurs rela-
tions respectives *. »
Balbi ' donnait le même champ à la géographie politique
et à la statistique, avec celte différence que « la première se
contente des résultats généraux, tandis que la seconde entre
* The hislory of the public revenue, i'^ édil., 1785, in-4.
^ Traduit de l'anglais par Donnant, sous le titre de Traité élémentaire
de staiistique, etc. Paris, 1802, 1806, in-8.
^ Filosofia délia statistica. Nilan, 1826, in-8.
* Hatulbuch der allgemeinen Staatskunde von Europa ^Manuel de la
Slalistique générale de l'Europe), 1835-1846, 6 vol. T. I, p. 1.
« Aùrégéde géographie. Paris, 1830, iu-8; iutroduction, ç. 4.
DÉFINITIOKS, LIMITES ET DIVISIONS. — CH. I. 5
dans les détails. » C'est à peu près Topinion inverse de celle
de Playfair.
M. Guerry, dans son beau travail sur la statistique crimi-
nelle ^ a dit de son côté : « La statistique générale, que Ton a
longtemps confondue avec la géographie, exclut les descrip-
tions, et consiste essentiellemeat dans Ténumération métho-
dique d'éléments variables dont elle détermine la moyenne. »
M. Dufau, auteur d'un Traité de statistique fuhMè en 1840',
définit Fensemble des connaissances qui font l'objet de son
livre : « La science qui enseigne à déduire des termes numé-
riques analogues les lois de la succession des faits sociaux. »
M. Quételet, dans un ouvrage publié en 1846 et consacré
en partie à la statistique, détermine les limites de cette science
en disant qu'elle « ne s'occupe d'un État que pour une époque
déterminée; qu'elle ne réunit que les éléments qui se ratta-
chent à la vie de cet État; qu'elle s'applique à rendre com-
parables et combine de la manière la plus avantageuse tous les
faits qu'ils peuvent nous révéler^. »
M. Quételet cite aussi* une définition donnée par M. Vil-
lermé en ouvrant un cours de statistique à l'Athénée de Paris :
« La statistique est l'exposé de l'état, de la situation, ou,
comme l'a dit Achenwall, de tout ce qu'on trouve d'effectif
dans une société politique, dans un pays, dans un lieu quel-
conque. — Mais cet exposé, dégagé d'exphcations, de vues
théoriques, de tout système, et consistant, pour ainsi dire, en
un simple inventaire, doit être rédigé de telle façon, que l'on
compare aisément tous les résultats, et que les efiets généraux
des institutions, le bonheur ou le malheur des habitants, leur
prospérité ou leur misère, la force ou la faiblesse du peuple,
puisse s'en déduire. »
* Page 64.
* Traité de statistique. Paris, Delloye, 1840, i vol. in-8.
^ Lettres sur la théorie des probabilités, p. '269.
*/^i(/.. p.452.
6 NOTES ET PETITS -TRAITÉS. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
Enfin, M. Moreau de Jonnès, qui a publié plus récemment
encore (1847), des Éléments de statistique^^ commence son
ouvrage par cette formule : « La statistique est la science des
faits sociaux exprimés par des termes numériques, i
11 nous paraît que, sans entrer dans aucune discussion, nous
pouvons légitimement établir notre préférence pour celte der-
nière définition, qui dit la même chose que celle de M. Dufau,
en termes plus heureux ; qui exprime bien plus la véritable
nature de la statistique que toutes celles que nous avons
reproduites, et d'autres encore que nous aurions pu repro-
duire. Mais il faut avoir bien soin de ne pas séparer les deux
idées qu'elle renferme : l'idée des faits sociaux, et celle des
faits sociaux exprimés par des termes numériques. En effet,
si l'on disait seulement : science des faits sociaux, on embras-
serait un champ trop vaste, qui comprendrait celui de l'éco-
nomie sociale tout entière et de la plupart des sciences qui
s'y rapportent. Mais en indiquant qu'il ne peut s'agir pour elle
que des faits sociaux susceptibles d'être formulés en nombres,
on la circonscrit dans le domaine qui lui est propre.
Au surplus, le mot « sociaux » est encore trop exclusif. Tout
relevé numérique, de quelque ordre de faits que ce soit, est du
domaine de la statistique. C'est l'idée qu'exprimait (en termes
inexacts) Napoléon V en définissant la statistique « le budget
des choses. »
En considérant ainsi la statistique, on n'a aucune peine à la
distinguer de l'histoire, de la géographie et de l'économie
politique, dont elle est l'utile auxiliaire, et qui lui fournissent
également leurs secours.
g II. De« rapports de la Slalistique avec l'Éeonomie
politique*.
L'économie politique étudie les lois naturelles des sociétés
au point de vue des travaux auxquels elles se livrent ; elle
* Paris, Guillaumin, 1847, 1 vol. in-i8, 2- édition, 1856.
^ V. plus loin dans l'écrit But et Imites de VÉcanomie politique, % VII,
un autre rapprochement entre les deux sciences.
DEFINITIONS, LIMITES ET DIVISIONS. — CH. I. /
constate, en d'autres termes, comment se forme, se distribue
et se consomme la Richesse résultant de ce Travail. Pour arri-
ver à ses fins, elle a souvent besoin de la statistique, soit pour
vérifier, par le relevé des faits accomplis, la justesse de ses
déductions spéculatives et synthétiques, soit pour obtenir une
certaine masse de faits bien observés d'après lesquels elle
établit, en suivant la voie analytique, des lois générales, ex-
pression des faits constants et universels. Remarquons toute-
fois que la science économique n'a recours à la statistique
que pour les faits numériquement exprimés, et que l'observa-
tion des autres phénomènes sociaux rentre dans son propre
domaine ou fait partie du domaine de l'histoire, de la morale,
de la philosophie ou des autres branches des connaissances
humaines.
Il résulte de ceci que l'économiste fait souvent de la statis-
tique, et qu'il y a beaucoup de cas où il lui serait impossible
de ne pas en faire; il en résulte encore que le statisticien, pour
procéder à ses recherches, a besoin d'être guidé par des no-
tions bien précises et bien claires sur l'économie de la société,
sur les causes et sur les résultats des faits sociaux dont il re-
cherche les relevés numériques.
Comment se fait-il cependant qu'il existe entre les écono-
mistes et les statisticiens proprement dits une certaine oppo-
sition qui s'est quelquefois traduite par de l'acrimonie et des
quolibets? — Cela tient à ce que ni les économistes, qui ont
un superbe dédain pour la statistique, ni les statisticiens, qui
font û de l'économie politique, n'ont pris la peine de se.
rendre compte des attributions bien définies des deux sciences,
de l'appui qu'elles se prêtent et du besoin indispensable
qu'elles ont l'une de l'autre. Il n'est pas rare, en effet, de
voir le même économiste qui a décoché quelques traits sati-
riques contre la statistique prodiguer dans ses raisonne-
ments, et même jusqu'à l'abus, les faits et les chiffres qu'il
invoque à l'appui de ses opinions; semblable en cela à ces
philosophes moralistes qui font profession de dédaigner l'^iî.ç>-
' nomie politique comme une science ba&ëe swt WwVfeefeV ^\
8 NOTKS ET PETITS TRAITÉS. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
l'utile, et qui ne savent pas faire un pas sans s'appuyer sur
ces deux mobiles non uniques, mais fondamentaux cependant,
des actions humaines. Il n'est pas rare aussi de voir des sta-
tisticiens très-dédaigneux des études économiques, et qui,
soit pour se guider dans leurs recherches, soit pour en faire
ressortir la signification et l'importance, se livrent à des élucu-
brations économiques, avec cette différence qu'ils se pronon-
cent la plupart du temps en faveur du préjugé, qu'ils appellent
\sijn'atique, contre la vérité, qu'ils voudraient flétrir du nom
de théorie.
Ce sont là deux travers assez communs de notre temps,
même parmi les hommes d'un certain mérite. Il faut dire, à
la décharge des uns, qu'il y a de prétendus économistes à qui
la science a de terribles comptes à demander ; et, à la décharge
des autres, qu'il y a eu des statisticiens parfois bien ridicules.
Si l'enseignement de l'économie politique était plus répandu,
ces charlatans de l'une et de l'autre science n'auraient pas eu
le crédit qu'ils ont usurpé quelquefois.
Nous ne pouvons pas cependant nous dissimuler que ce
travers est encore fondé sur la manière inexacte dont plusieurs
esprits honnêtes et sérieux envisagent la statistique. Ils pen-
sent que, par cela seul qu'ils se livrent avec conscience et pré-
dilection à la recherche et à la discussion des faits numéri-
ques, l'expression des résultats qu'ils en tirent et des déduc*
tions auxquelles ils sont conduits sont toujours de la statistique,
bien que souvent ils se trouvent lancés dans les théories les
plus vastes, soit de l'économie politique, soit de la morale,
soit de l'économie sociale tout entière. Partant de là, ils
s'estiment, eux hommes de chiffres et de faits, moins sujets à
errer que les économistes, qui ne se donnent pas la même
peine pour les recueillir, et ils oublient qu'ils ne peuvent avoir
raison qu'à la double condition d'avoir l'intelligence des lois
économiques et de savoir tirer la philosophie des faits qu'ils
ont recueillis, cas auxquels ils joignent à la qualité de statisti-
ciens celle d'économistes.
ISous )e répétons, il est bon que celui qui s'occupe de sta-*
DÉFINITIONS, LIMITES ET DIVISIONS. — CH. 1. 9
tistique ne méconnaisse pas les notions de Téconomie politi-
que, et que celui qui occupe son esprit dans ce dernier ordre
d*idées sache lire et comprendre les fails statistiques ; mais
ce sont là deux ordres de travaux tout à faits distincts. Au
reste, il ne faut pas oublier, en lisant les reproches adressés
par les économistes à la statistique et par les statisticiens à
l'économie pohtique, que ce n*est pas aux deux sciences que
tout cela s'adresse, mais à quelques-unes des personnes qui
s'e^i occupent, et dès lors l'antagonisme n'a plus aucune por-
tée. Quand M. Dufau dil, par exemple : « C'est pour avoir
trop dédaigné le secours de la statistique que l'économie po-
htique, science un peu fiére de sa nature, s'est souvent égarée
dans le labyrinthe des vaines et creuses abstractions*, » il a
en vue le passage de J. B. Say,.qui le choque et qu'il critique
plus loin. Or c'est là une mauvaise manière de parler, propre
à jeter de la confusion et inexacte au fond; car, enfin, une
science ne peut être fiére ou avenante de sa nature ; elle est ce
qu'est la nature des choses qu'elle étudie. Ajoutons qu'outre
les faits numériquement exprimés, il y a des faits généraux
de la nature humaine et des vérités de l'ordre économique et
moral sur lesquels l'économiste peut et doit s'appuyer, et que
M. Dufau aurait tort de l'accuser, dans ces divers cas, de s'é-
garer « dans de creuses et vaines abstractions. » La vérité, pour
être la vérité, n'a pas toujours besoin d'apparaître en formules
numériques. A ce sujet, nous rapporterons encore un passage
de M. Quételet, auquel nous tenons à répondre. « Regarder,
dit ce savant*, les statisticiens comme des manœuvres char-
gés d'apporter des pierres brutes et de les entasser pêle-mêle
sur les lieux où doit s'élever l'édifice, en les abandonnant à
des architectes qui n'en connaîtront pas la valeur et qui la
plupart du temps ne sauront pas les mettre en œuvre, c'est
s'exposer à de fâcheux mécomptes. 11 faut en tout de l'unité.
Que larchitecte, quand il construit, sache recueillir ses maté-
* Traité de statistique, p. 41 .
* fjettres sur la théorie des probabilités^ p. 269
10 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLéVElITS DE STATISTIQUE.
rianx ; laissez aussi au peintre le soin de réunir et de coor-
donner tout ce qui lui est nécessaire pour faire son tableau/i
Nous sommes d*accord avec M. Quételet sur la liberté et le
droit du statisticien : qu'il recherche les faits, qu'il les coor-
donne, et qu'il en tire des conclusions, s'il le trouve bon. Hais
qu'il n'oublie pas, en raisonnant sur les conséquences de ses
chiffres, qu'il fait acte d'économiste, de moraliste et de philo-
sophe, etc., et qu'il consente à être jugé comme tel, même
par des hommes qui n'ont pas trituré les chiffres comme lui,
mais à qui cependant il est donné de les comprendre et d*ai
raisonner. On ne dit pas au statisticien d'apporter uniquement
des pierres et de les entasser pêle-mêle ; on ne lui défend pas
de faire œuvre d'architecte; mais on lui dit : pour recueillir
les matériaux, pour les choisir, ou les bien disposer, les inter-
préter, il vous faut être homme de sens et de savoir, et, avant
tout, économiste.
M. Dufau et M. Quételet se sont élevés contre ropinion que
J. B. Say émettait dans le discours préliminaire de son Traité
d'Économie politique, J. 6. Say, comparant l'économi^ poli-
tique et la statistique, établissait que la première est une
science expérimentale^ tandis que la seconde est une science
descriptive; puis il ajoutait : « La statistique ne nous fait con-
naître que les faits arrivés; elle expose l'état des produc-
tions et des consommations d'un lieu particulier à une époque
désignée, de même que l'état de sa population, de ses forces,
de ses richesses, des actes ordinaires qui s'y passent et qui
sont susceptibles d'énumération. C'est une description très-
détaillée ; elle peut plaire à la curiosité, mais elle ne la salis-
fait pas utilement quand elle n'indique pas l'origine et les
conséquences des faits qu'elle consigne, et, lorsqu'elle en
montre l'origine et les conséquences, elle devient Téconomie
politique. C'est sans doute la raison pouf laquelle on les a
confondues jusqiTà ce moment... Nos connaissances en éco-
nomie politique peuvent être complètes, c'est-à-dire que nous
pouvons parvenir à découvrir toutes les lois qui régissent les
Dll^PINITIOKS, LIMITES ET DIVISTONS. — Gif. I. H
richesses; il n'en saurait être de même dans nos connaissances
en statistique. Les faits qu'elle rapporte, comme ceux que
rapporte Fhistoire, sont plus ou moins incertains et nécessai-
rement incomplets. On ne peut donner que des essais déta-
chés et très-imparfaits sur la statistique des temps qui nous
ont précédés et sur celle des pays éloignés. Quant au temps
présent, il est bien peu d'hommes cfui réunissent les quahtés
d'un bon observateur à une position favorable pour observer.
On n'a jamais eu un état de population véritable. L'inexacti-
tude des rapports auxquels on est obligé d'avoir recours, la
défiance inquiète de certains gouvernements et même des
particuliers, la mauvaise volonté, l'insouciance opposent des
obstacles souvent insurmontables aux soins qu'on prend pour
recueillir des particularités exactes ; et, parvînt-on à les avoir,
elles ne seraient vraies qu'un instant; aussi Smith avoue-t-il
qu'il n'ajoute pas grande foi à l'arithmétique politique S qui
n'est autre chose que le rapprochement de plusieurs données
de statistique. »
Nous trouvons, nous aussi, quelque chose à redire à ce pas-
sage un peu pessimiste, quoique vrai à beaucoup d'égards
comme le prouvent les détails dans lesquels nous sommes en-
très plus loin en parlant des recensements et d'autres opéra-
tions de la statistique. D'abord il n'est pas très-exact de dire
que l'économie politique est une science expérimentale et la
statistique une science descriptive. Elles sont expérimentales
toutes deux et toutes deux descriptives à leur façon. 11 n'est
pas exact de dire non plus que la statistique est une descrip-
tion détaillée, car elle ne décrit que par voie de relevés nu-
mériques. Nous croyons qu'elle peut faire autre chose que
plaire à la curiosité, lors même qu'elle ne recherche pas l'ori-
gine et les conséquences des faits. Nous croyons encore que
J. B. Say a un peu grossi la nature des obstacles que la sta-
tistique a à vaincre, bien que ces obstacles soient réels. Mais
■ il ne faut pas oublier que J. B. Say écrivait pour la première
*V. plus loin, cil. II, §2, p. 47.
13 NOTES ET PkTITS TRAITES. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
fois son Discours préliminaire, d'où ce passage est extrait, an
commencement du siècle, et que ce n*est que depuis sa mort,
pour ainsi dire (1852), qu'ont été publiés les plus remarqua-
bles travaux de la statistique moderne, tant officiels que par-
ticuliers, notamment en France, en Belgique, en Prusse, en
Angleterre, etc. Quant à l'opinion de Smith, citée dans ce
passage, elle n'a trait qu'à l'arithmétique politique, au rap-
prochement des données statistiques, c'est-à-dire plutôt à la
statistique conjecturale (dont nous parlons au chapitre ii),
qu'à la statistique positive.
Au reste, ce n'est pas dans ce passage critiqué par les sta-
tisticiens qu'il faut chercher l'opinion entière de J. B. Say ; il
l'a donnée plus complète et plus détaillée dans la ix** partie de
son Cours complet ; là elle lui a fourni la matière de trois cha-
pitres, où sont honsignées de sages réflexions ^
§ III. Des divisions de la Staliatiqae. — Qualités néeesaaires
aux Slatisticiens.
Au point où en sont arrivées de nos jours les recherches
statistiques, la science, considérée dans son ensemble, pré-
sente deux parties très-distinctes, susceptibles de se diviser
elles-mêmes. Ces deux parties sont :
1** La Statistique proprement dite ;
2*» La partie plus essentiellement mathématique, qui com-
prend : d'une part, ce qu'on a appelé la théorie et le caUid
des probabilités, branche qui rappelle les noms de Laplace,
Lacroix, Poisson, etc.; puis d'autre part, cette branche que
M. Quételet a appelée la Statistique morale, dans ses Lettres
sur la théorie des probabilités ^y' et dans son Système social^.
Ce qu'on a appelé, surtout à la fin du dernier siècle, ÏAnth-
métique politique, dénomination qui n'est plus guère d'usage
* J. B. Say a aussi écrit dans la Revue encyclopédique ^ sept. 1827, un
article sur l'objet et l'ulilité des statistiques.
* Bruxelles, Hayez, 1846, 1 vol. grand in-8.
* Paris, (iuillaumin, 1848, 1 voL in-8.
r%
DÉFINITIONS, UNITES ET DIVISIONS. — CH. I. 15
aujourd'hui, n est encore qu'une des subdivisions ou plutôt
une des méthodes et des manières d'opérer de la statistique
proprement dite (voir ch. ii).
La Statistique proprement dite a pour but de recueillir et
de grouper méthodiquement les faits sociaux susceptibles
d'être exprimés numériquement. — V Arithmétique 'politique
est, nous le répétons, un des moyens de conjecturer, à l'aide
des faits connus et des artifices du calcul, ceux de ces faits
qui sont inconnus.
La théorie et le calcul des Prohabilités se proposent de dé-
terminer le nombre de chances qui peuvent amener une éven-
tualité donnée, ou, en d'autres termes, de formuler les chances
calculables des événements humains.
Enfin la Statistique morale est une application de ces cal-
culs et des autres moyens arithmétiques à la détermination
des phénomènes moraux de l'espèce humaine.
La définition que nous avons adoptée plus haut se rapporte
parfaitement à l'ensemble de toutes ces parties, à la statistique
proprement dite.
Il faut à ceux qui se livrent aux recherches de probabilités
ainsi qu'aux recherches de statistique morale comme l'a en-
tendue M. Quételet, outre les connaissaoces économiques et
sociales dont nous avons parlé, des connaissances mathéma-
tiques d'un ordre assez élevé. Jusqu'à présent ceux qui s'y sont
livrés (sauf peut-être M. Quételet) sont des savants de Tordre
exclusivement mathématique, qui, faute d'études économi-
ques suffisantes, n'ont pas donné à leurs travaux toute la portée
sociale qu'ils auraient pu avoir.
Pour la statistique proprement dite, les notions et les pro-
cédés de l'arithmétique élémentaire suffisent. ,
Mais ce qiii, avant tout, est nécessaire au statisticien vrai-
ment digne de ce nom, c'est la fîiculté de Tobservation, c'est
14 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE,
un art et un tact tout particulier pour discerner ce qui est
vrai et ce qui est faux dans les chiffres qui s'offrent à lui;
c'est une probité scientifique invincible, qui lui fasse rejeter
'l'erreur et le sopldsme numériques ; c'est une grande indé-
pendance, qui lui fasse rechercher la vérité et rien que la
vérité, c'est-à-dire ce qui a été ou ce qui est, sans qu*ilse
laisse influencer par aucune opinion économiqufe, politique
ou religieuse, par aucun système préconçu, par aucun désir
de vouloir prouver quoi que cé soit, par aucune influence su-
périeure. Il faut qu'il ne veuille rien prouver et qu'il puisse
dire à la fin du travail, comme J. 6. Say : <( Je me suis tracé
un plan ; mais j'ai écarté tout système : que voulais-je prou-
ver? Rien^ » Or ce sont là des qualités très-difficiles à ren-l
contrer réunies dans le même homme, et c'est pour celajfj
que, si les faiseurs de statistiques sont innombrables depuis
un siècle, le nombre de ceux qui inspirent toute confiance par c
l'intelligence et le caractère est vraiment très-circonscrit. ft
* Préface du Traité d'économie politique.
\
•a-
CHAPITRE II
MÉTHODES DE LA STATISTIQUE.
I. 1** méthode; mélhode statistique proprement dite ou naturelle, ou
d'exposition. ~ II. 2« méthode; méthode d'fiiduction. — Arithmétique
politique. — III. Du calcul des moyennes.
§ ■• 1" métfMNle; méthode stalistiqae propremeiil dite
ou nalurelle, ou d-expoaitioii«
Il y a deux manières d'obtenir ]*expression numérique des
» faits sociaux : une qui consiste à recueillir, à inventorier un
K: à un tous les faits numériques qui constituent les éléments de '
p. 'ordre des faits que Ton se propose de connaître, à les grou-
per ensemble, à les coordonner, et au besoin à les réduire
pour en avoir la mesure sous une formule plus commode, le
tout sans les altérer ; — l'autre, qui consiste à obtenir les ré-
sultats à l'aide des ressources qu'offre le calcul.
La première est la méthode statistique proprement dite; la
seconde est la méthode d'induction.
« La méthode naturelle, qu'on pourrait nommer méthode
d* exposition^ dit M. Moreau de Jonnès *, est la seule qui soit
digne de l'avenir promis à la statistique. Elle est très-simple,
et c'est pourquoi elle n'a prévalu qu'après les autres. On a
fait de la botanique pendant deux mille ans avant d'arriver à
la méthode que nous devons à Jussieu. Cette méthode consiste,
pour la statistique, à enregistrer dans un ordre régulier tous
les faits numériques qui constituent les éléments d'un sujet
quelconque. Ainsi, lorsqu'il s'agit des établissements de bien-
faisance ou de ceux de répression, on prend pour unité les
malades ou les détenus de chaque hôpital ou de chaque pri-
* Éléments de statistique, p. 50, !'• édit. 1847.
16 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
son, et Ton fait l'histoire de leur destinée, en suivant de mois
en mois, d'année en année, la situation et les mouvements de
chacun de ces établissements. Faut-il entreprendre la tâche
épineuse d'une statistique de l'industrie : chaque manufac-
ture, chaque exploitation devient une unité absolue. Les ma-
tières premières, les produits fabriqués, les quantités, leur
valeur, le nombre des ouvriers, leurs salaires, les machines,
et toutes les parties du mobilier de l'établissement sont ènn-
mérés d'abord en détail, et ce n'est que postérieurement
qu'en groupant les chiffres ainsi posés, on en forme des ta-
bleaux collectifs pour les localités, et suivant la nature des
produits. I
({ Sans doute, cette méthode d'exposition exige de longs .
développements, qui peuvent paraître oiseux à beaucoup de
personnes; mais elle a cet avantage immense que chacun
peut apprécier la rectitude des éléments, procéder à la vérifi-
cation, refaire les calculs d'ensemble, et s'assurer de lexacti^
tu de de toutes les opérations. La statistique exécutée de cette
façon est vérilablement expérimentale; elle met sous les
yeux du public les témoignages complets de ses assertions, i
Toutefois, lorsque l'abondance des éléments de calcul est si
grande qu'elle met obstacle à leur pubhcation, on les resserre
en changeant l'échelle, en condensant les éléments. C'est
ainsi, par exemple, que, dans la statistique agricole de Fratice,
les chiffres de 57 mille communes, dont l'expression aurait
formé, au dire de M. Moreau de Jonnès, 250 volumes in-4*,
de 300 pages chacun, ont été réduits de manière à représen-
ter ceux de 363 arrondissements, et que les 13,542,000 nom-
bres primitifs qu'ils contenaient, ont été transformés en i 3,176.
Cette méthode nécessite sur chaque sujet une exploration
approfondie qui exige beaucoup de temps, de persévérance
et de travail, et aussi des dépenses que les simples particu-
liers ne peuvent point faire lorsqu'il s'agit d'informations
d'une certaine étendue. Elle exige, déplus, au moment même
où les documents sont recueillis, une grande tranquillité d'es
l
a METHODES DE L\ STATISTIQUE. — CH. II. 17
î* prit dans }a population, et une disposition pleine de confiance
^' et de sécurité comme nous l'exposons dans le chapitre sui-
^ vant, en parlant des Opérations de la statistique.
§ II. s* méthode; méthode d'induetion. — Arithmétique
^ politique.
^ La seconde méthode consiste à obtenir les expressions nu-
* mériques des faits sociaux à Faide des procédés arithmétiques
- ou algébriques appliqués à un petit nombre d'observations, et
' à admettre, par voie d'analogie, de proportionnalité et de
probabilité, des résultats qui ne sont pas directement con-
' slatés, qui ne sont pas pris sur la réalité des choses.
,, C'est cette méthode que M. Moreau de Jonnès désigne sous
le nom de méthode d'induction, et à laquelle J. B. Say*
donnait le nom d* arithmétique politique, employé aussi au
dernier siècle avec deux autres significations*.
La méthode d'induction ne présente pas les difficultés de
la méthode naturelle, mais aussi elle offre infiniment moins
de garanties ; et c'est tout au plus si les résultats auxquels
elle conduit doivent être considérés comme des informations
sommaires. Dans cette méthode, on fait un fréquent emploi
du procédé de la régie de trois ou des calculs analogues, pour
arriver, d'un petit nombre de faits connus, à des totaux et à
des résultats que l'on cherche ; mais on conçoit qu'il est rare
* Cours ix« partie, cliap. m.
* Pour les uns, c'est là un terme assez vague, s'appliquant à des consi-
dérations sur l'économie sociale en général, ou plus particulièrement aux
recherches sur la population, l'agriculture, etc. C'est dans ce sens que l'a
employé Arthur Young, célèbre agronome voyageur anglais qui a publié
sous le titre d'Arithmétique politique (Political arithmetic, etc. Londres,
1774, 1 vol. in-8) un ouvrage dans lequel il n'y a presque pas de cliiffres,
et qui traite des causes qui de son temps avaient fait fleurir l'agriculture
dans la Grande-Bretagne et des causes qui faisaient obstacle chez les autres
nations aux progrès de cette grande industrie. — Pour les autres, le mot
arithmétique politique est un synonyme de statistique plus ou moins rai-
sonnée, appelant à son aide l'économie politique pour expliquer la cause et
la portée des faits numériquement constatés. — L'arithmétique était yro-
fessée à l'École polytechnique dans les premières aixwèes .
18 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
que ce petit nombre de faifs, en les supposant bien obsërv
soit l'expression fidèle et exacte de Tensemble des faits qui
produisent sur une certaine échelle de population, de pa
de temps ou de produits.
Lorsque Vauban, au commencement du dix-huitième siè<
calculait la production agricole et le revenu de la France
les investigatipns qu'il avait recueillies dans un petit nom
de localités; lorsque Lavoisier, en 1790, déduisait du nom
des charrues l'étendue des terres en culture, la productioi
la consommation de la France; lorsque Lagrange calculail
consommation nutritive de toute la population sur celle
soldat, en admettant que le cinquième des habitants n*a
. dix ans d'âge, et que deux enfants et une femme consc
ment autant qu'un homme fait; lorsque Necker, n'osant
treprendr^ un recensement général en 1784, déduisait
nombre des habitants de celui des naissances, en adoptan
rapport d'une naissance pour 25 habitants 3/4; lorsque Ch
tal, en 4818, donnait l'étendue des terres arables, des vigr
des prés et des bois de tout le royaume, d'après le septiè
du territoire cadastré, et en partant, par conséquent de a
hypothèse que les six autres septièmes étaient identiq
avec les premiers, tant dans la nature que dans la desti
tion des propriétés, Vauban, Lavoisier, Lagrange, Necl
et Chaptal faisaient de l'arithmétique politique ou de l'indi
tion. Lorsque Arthur Young imagina de découper la carte
France, d'en peser les fragments, et d'en déduire des conc
sions d'après des annotations qu'il avait pu faire sur certaii
localités, il poussait aussi loin que possible cette méthoi
Les exemples de cette fausse manière d'opérer sont no
breux dans les documents historiques relatifs au passé; m
nous n'en citerons plus qu'un exemple ici.
En 1595, Sully procédait de même en faisant l'évaluât
suivante des dépenses des sujets du roi : Frais de proc
présents aux juges, voyages et chômages, salaires d'avocf
procureurs, sergents, 40 millions; pour pertes de journ»
de marchands-artisans, laboureurs, manœuvres, et dépen
MÉTHODES DE LA STATISTIQUE. — CH. II. 19
d'iceux en tavernes, 12 millions; pour étrennes, gâteaux de
roi, chandeleurs, festins, banquets, ivrogneries et crapules,
amourettes, chasses, meubles, habits, équipages, bâtiments,
jardinages, comédies, mascarades, ballets, jeux, brelans et
autres bombances, somptuosités, luxes et dissolutions super-
flues, au moins 40 millions, etc., total 254 millions. » Sully
n*avait évidemment pas de base bien certaine pour asseoir la
plupart de ces dépenses; aussi n* entendait-il faire sans doute
qu'un état approximatif; et Ton se tromperait beaucoup si
l'on s*appuyait sur lui pour établir qu'à la fin du seizième
siècle la somme totale des dépenses privées et publiques était
positivement, en France, de 254 millions.
« Lorsqu'on étudie, dit M. Moreau de Jonnès*, les résul-
tats auxquels Yauban et Lavoisier sont parvenus, à Taide de
ces procédés étranges, on est fort étonné de leur trouver
tous les caractères de la vérité, et Ton est tenté de croire
qu'il y a des hommes de génie qui sont doués delà prescience
des nombres, et dont l'esprit pénétrant arrive à son but,
même en suivant une mauvaise route. On ne peut refuser ce
privilège à M. Necker, qui fut guidé par l'exemple de deux
statisticiens distingués, Messance et Montyon, et qui s'envi-
ronna de toutes les données qui pouvaient écarter l'erreur. »
Le même auteur ajoute, en parlant de Chaptal, faisant cette
supposition hardie et fausse que les six septièmes des dépar-
tements français étaient identiques avec les autres, tant par
la nature des propriétés que par leurs cultures et leurs pro-
ductions : « Cet exemple de la méthode d'induction montre
comment des hommes recommandables se laissent entraîner
sur la pente qui conduit du connu à l'inconnu, et comment,
pour la satisfaction de compléter quelques chiffres vrais par
des chiffres déduits, spécieux et trompeurs, ils s'exposent à
la dure alternative de faire douter de leur sincérité ou de la
rectitude de leur jugement*. »
* Éléments de statistique, Tp. 55, 1" édition.
* Éléments de statistique, p. 58, \^ édition.
20 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
On voit facilement à quels écueils peuvent conduire les caV
culs de rarilhmétique appliqués aux faits constatés parla
statistique, et l'on s'explique, par les abus qui en ont quelque-
fois été faits, le discrédit dans lequel sont tombés les tra?am
de quelques statisticiens bien peu dignes de ce nom, avec
lesquels on aurait grand tort de confondre ceux qui recueil-
lent les faits avec intelligence, persévérance et probité ; qoi
contrôlent les deux méthodes l'une par l'autre; qui n'em-
ploient les procédés d'induction et la règle de trois qu'avec
la plus grande circonspection ; qui ne raisonnent que sur dei
faits ou des chiffres puisés à bonne source ; qui ne concluenl
pas du particulier au général, en prenant des faits locaux o«
même accidentels, pour les appliquer à tout un pays oui
tout une époque.
Un écrivain qui se respecte ne doit faire de l'arithmétique
politique ou de la statistique par calcul, ou déduire des faiti
numériques par induction, que lorsqu'il n'a pas d'autn
moyen d'appréciation, et dans ce cas même il est de soi
devoir de s'assurer de la solidité et de l'exactitude des bases
sur lesquelles il appuie ses calculs et ses raisonnements. C'est
ce qu'ont souvent oublié de faire de nos jours plusieurs
écrivains ou publicistes qui ont disserté sur les faits relatifs i
la misère ou sur d'autres questions délicates d'économie
sociale.
lly a donc ici une distinction à faire. Tout n'est pas à re-
pousser dans cette méthode, et il est parfaitement rationnel
et juste d'obtenir des résultats numériques par induction
lorsqueJ'on prend pour point de départ des bases suffisaO'
ment exactes et suffisamment abondantes. Dans ce cas, oi
fait un emploi très-légitime des procédés du calcul, et Toi
rentre, si nous pouvons ainsi parler, dans la méthode po-
sitive.
La critique que nous venons de faire s'adresse surtout auï
opérations dans lesquelles Id statisticien conclut du particulier
au général, comme Chaptal, par exemple, établissant des faits
relatifs à toute la France, à l'aide de faits relatifs au septième
MÉTHODES DE LA STATISTIQUE. — Cil. II. 21
de Ja France, comme A. Young tirant des conclusions à l'aide
de son découpage de la carte de la France.
§ III. CTalcul deii Moyennes.
Une des combinaisons les plus fréquentes des éléments nu-
mériques des faits sociaux que les statisticiens aient le plus
souvent à faire est celle du calcul des moyennes.
L'usage des moyennes est fréquent dans toutes les sciences
d'observation : il est simple et d'un très-grand secours; mais
il est très-fécond en illusions, quand on tire les moyennes d'é-
léments disparates, c'est- à dire quand on fait'entrer dans le
calcul des extrêmes, des limites soit minimes, soit maximes, qui
ne font pas partie de la nature réelle des choses que l'on con-
sidère. C'est en ne prenant pas les précautions nécessaires
dans ce calcul que des statisticiens ont quelquefois présenté
des moyennes tout à fait étranges et ont déconsidéré les tra-
vaux de la statistique.
Mais dans quelles limites faut-il chercher les moyennes?
C'est une question à laquelle M. Quételet a consacré la se-
conde partie de ses Lettres sur lu théorie des probabilités K
Cet auteur s'est efforcé de montrer aux observateurs le secours
que la théorie des probabilités pouvait leur apporter. Il dis-
tingue d'abord deux sens qu'il faut attacher à cette expression
de moyenne; et voici comment il fait comprendre sa pensée.
On mesure un monument dix fois, et dix fois on obtient un
nombre différent ; ou bien on mesure dix monuments. Dans
les deux cas, on calcule une moyenne par le même procédé;
mais la première moyenne n'est pas de même nature que la
seconde. C'est à la moyenne de la première espèce que
M. Quételet réserve le nom de moyenne, 11 donne le nom de
moyenne arithmétique à la moyenne du second cas, qui ne
représente pas une chose existant, réellement, et qui donne,
sous forme de nombre abstrait, une idée de plusieurs choses
essentiellement différentes, quoique homogènes. — Quelque-
» Bruxelles, 1846, 1 vol. iD-8.
î22 NOTES ET PETITS TRAITES. — ÉLÉMENTS D£ STATISTIQUE.
fois ia moyeQne se calcule d'après des éléments encore plus di-
vers, sans qu'on puisse en conclure que l'idée générale qu'elle
doit représenter soit sans utilité ou sans importance. M. Qué-
lelet cite pour exemple la vie moyenne^ dans laquelle on fait
entrer l'âge d'individus qui sont dans des conditions diffé-
rentes, Tâge de l'homme muret productif, et Tâge de Tenfant
qui est à la charge de sa famille. « Qu'on enlève, dit M. Quéte-
let, dix ans de la vie des pères pour les ajouter à la vie des en-
fants : la moyenne arithmétique restera la même, mais elle
exprimera des choses bien différentes. » Ainsi donc le chiffine
de la vie moyenne ne donne qu'un aperçu général de la morta-
lité, et ne peut être employé qu'avec circonspection.
On acquiert la même conviction, avec M. Quételet, pour
d'autres moyennes, en Hsant les observations qu'il fait au sujet
de l'application des moyennes; au prix des grains, comme
exemple pris dans les sciences morales et politiques; au degré
de la température, comme exemple pris dans les sciences na-
turelles. Après des recherches mathématiques dans le détail
desquelles il ne nous e,st pas possible d'entrer ici, M. Quételet
a dressé une table de possibilité, qui est la représentation de la
manière dont tous les résultats se groupent autour de la
moyenne, quand ils sont suffisamment nombreux. De cette
table il en a déduit une autre qu'il appelle la table de précision.
Il dopne ces deux tables comme pouvant servir, si elles sont
convenablement maniées, à fixer les limites de l'erreur pro-
bable, et à reconnaître si une moyenne arithmétique est véri-
tablement moyenne. Nous ne sachons pas qu'on ait tiré jus-
qu'à présent profit des tables de M. Quételet dans la pratique,
mais nous devons les signaler ici aux esprits supérieurs qui
pourraient suivre M. Quételet dans ses savantes et délicates
recherches.
Au reste, sans entrer dans la théorie dès probabilités, et en
s'en tenant aU sentiment sommaire qu'on peut avoir sur ces
matières^ il est facile de concevoir que la moyenne est une
quantité fictive donnant de la réalité une idée d'autant plus
MÉTHODES DE LA STATISTIQUE. — CH. II. 23
sxacte (ou moins erronée) que les éléments dont elle se com-
pose sont plus rapprochés entre eux ; que les séries sur les-
quelles on la calcule sont plus courtes que les conditions de
temps, de climat, etc., dans lesquelles les faits se sont pro-
duits, sont plus analogues.
Ce que nous disons des moyennes s*applique aux comparai-
sons auxquelles on est conduit en statistique, aux rapporis
jni résultent de ces comparaisons, et en général à tous les
résultats possibles K (V. ce qui est dit au chapitre suivant sur
€s tables de mortalité et la vie moyenne. )
* Voyez aussi de sages réflexions sur l'emploi et l'abus des moyennes
laos les Éléments de statistique, de Moreau de Jonnès, page 101, 1^« édi-
ion, et: dans le Traité de statistique de M. Dufau, page 50.
C I
CHAPITRE III
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE,
I. Énoncé des Opérations de la Statistique. — Classification des F:
II. De quelques opérations de la Statistique. — Le Cadastre. — ]
Recensement. — IV. Leimouveraent de la population. — V. Les
de Mortalité. — VI. La Statistique agricole, industrielle et cor
ciale, etc.
§ I. Énoncé des opérations de la illatistique.
Classification des Faits.
La première catégorie des faits qui se présente natu
ment aux statisticiens est celle des Faits relatifs au Térr
et à la Population.
En ce qui concerne la statistique territoriale, l'opéi
fondamentale est le Cadastre, c'est- à-dire la Jevée géoi
que des plans de la surface des pays avec la déterminati
rétendue des terres, de leur nature, de leur destination
produits qui en sont tirés. Cette opération nécessite dej
vailleurs d'un ordre spécial, avec des connaissances de
métrie et d'arpentage. Les^ statisticiens proprement dits
tent en œuvre les résultats auxquels ces derniers parvienj
mais on conçoit que la direction de pareilles entreprises
sutfisamment éclairée que si, aux connaissances spéciales
nous venons d'indiquer, ceux qui en sont chargés ajo
des idées saines en économie politique et l'habitude de;
vaux statistiques. (Voyez plus loin, p. 26.)
La statistique territoriale comprend encore ce qui conc
les mines, les forêts, les cours d'eau, les étangs, la pêche,
Relativement à la population, la première chose à sa
c'est le nombre des habitants d'un pays, classés en quel
;randes catégories, dont les plus indispensables sont c
diquant Je sexe, l'âge et l'état civil, et ensuite celles i
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — GH. 111. 25
[uant les professions, le culte, la capacité politique, le de-
;ré d'instruction, les infirmités. On arrive à ces résultais au
noyen du Recensement (voyez plus loin, p. 35), opération
l'ordre spécialement statistique, que les administrations exé-
cutent sous la direction des statisticiens, ou en suivant leurs
►rescriptions.
En comparant les résultats relatifs à la surface du terri-
oire et ceux relatifs à la population, on obtient la densité de
% population ou la population spécifique.
Une autre série de faits également constatés par l'admini-
tration, avec les lumières de la statistique, c'est le Mouvement
le la populationt c'est-à-dire le relevé des mutations inces-
antes qui renouvellent les populations, les maintiennent ou
es accroissent. Sous cette formule on comprend plus particu-
ièrement les naissances, les mariages et les morts, constatés
lar les registres des actes civils, ou â leur défaut, par les re-
^stres de l'autorité religieuse. Mais il est évident qu'outre
'entrée dans la vie et la sortie de la vie, il faut encore tenir
^mpte, pour avoir tous les éléments du mouvement des po-
stulations, de l'entrée dans le territoire et de la sortie du terri-
toire que l'on considère, c'est-à-dire des Émigrations et des
Immigrations,
La population donne lieu à une autre opération de statisti-
que d'une haute importance, d'une exécution fort difficile et
fort délicate : nous voulons parler des Tables de mortalité ou
ée survie. Ces tables, servant de base à des discussions d'éco-
nomie sociale de la plus haute gravité touchant la condition
l'es populations, ont acquis une importance encore plus
?i*ande depuis l'extension donnée aur sociétés d'assurance sur
a vie et aux sociétés de secours mutuels ; elles sont dressées
^t les statisticiens, selon divers procédés, et sur des docu-
ments plus ou moins satisfaisants. (Voyez plus loin, p. 46.)
Les autres opérations de la statistique sont toutes les in-
^stigations administratives ou privées relatives — aux di-
verses classes de l'industrie humaine, — aux diverses bran-
les de l'adrainislration, — à la condition des çop\x\aM\ow^*
[26 KOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
Voici la série des opérations de la statistique, et des caté-
gories de faits qu'elle se propose de recueillir.
A. Territoire :
Cadastre des terres: Nature; — culture; — production,
— mines et caractères; — houilles et tourbes; — amende-
ments ; — engrais, etc.
B. Faits relatifs a la Population :
a. Recensement ou dénombrement des habitants, classés
par catégories (sexe, âge, état civil, professions, etc.).
b. Densité de la population.
c. Mouvement de la population : Naissances (enfants lé-
gitimes, naturels, trouvés, mort-nés) ; — Mariages; — Morts.
d. Mouvement de la population : Immigrations, émigra-
tions des campagnes aux villes, et réciproquement ; — hors le
territoire national ; — accroissement ou diminution ; — période
de doublement.
e. Tables de mortalité : Constatation de la mortalité ; du
nombre des survivants; — calcul de vie moyenne et de vie
probable selon les sexes, les lieux, les professions.
f. Condition des populations dans les villes et les campa-
gnes; — selon les professions, les épargnes, les législation»
économiques ou sociales.
g. Charité ou bienfaisance publique : Hôpitaux, hospices,
maisons ou colonies de travail ; autres modes de secours ; —
monts-de-piété ou autres établissements de prêts de charité;
— aveugles; — sourds-muets; — fous; — enfants trouvés.
h. Justice; — Répression : Tribunaux criminels, civils, con*
merciaux, justices de paix, prud'hommes, arbitres; — pri-
sons, bagnes, transportations ; — poUce; — prostitution.
i. Instruction publique et privée.
;. Institutions préventives delà misère : Caisses d'épargne;
— Sociétés de secours mutuels^ etc.
C. Faits relatifs a La Prodaetlon et la CJonsoniiMa*
tlon et aux diverses branches d'mdustrie;
a. Industrie extractiVe : Mines et carrières; — Forêts ; —
Pêches.
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. CH. III. 27
b. Agriculture : Productions diverses ; — conditions de la
population, etc.
c. Industrie, arts et métiers: Importance de la production ;
— mise en œuvre des produits; — conditions de la population.
d. Commerce : Commerce extérieur (Importations, expor-
tations, résultats des tarifs douaniers). — Commerce inté-
• rieur.
e. Voiturage; — Circulation : Circulation terrestre ; — Na-
vigation, cabotage.
f. Professions diverses : Libérales, artistiques et autres com-
posant Tensemble des arls agissant sur Thomme.
D. Faits relatifs a L'Administration et aux services
PUBLICS :
Administration générale; — police ; — administrations di-
verses et spéciales (Postes, Télégraphes); — Faits relatifs à la
population, V. ci-dessus g kj ; — Faits relatifs aux divers Mi-
nistèreSy — aux Provinces ou Départements, — aux Commu-
nes, — aux Colonies ou Possessions lointaines.
Force publique : — Armée de terre et de mer ; places for-
tes, arsenaux maritimes, établissements, divers ; — Faits re-
latifs aux contingents annuels, etc.
E. Faits relatifs aux Trai^aax puMics t
Voies de communication : Routes et chemins; — Chemins
de fer; — Canaux ; — Amélioration des fleuves et rivières.
Travaux divers — pour prévenir les Inondations;— Travaux
à la Mer; — Plantations de Dunes, etc.; — Dessèchements, —
Reboisements, etc. — Ports; — Monuments; — Travaux dans
les Villes ; — Égouts, etc.
F. Faits relatifs aux Finances publiques :
Statistique des Dépenses annuelles et par périodes ; — Sta-
tistique des Recettes; — Faits relatifs aux Ventes de pro-
priétés publiques, aux Impôts, aux Emprunts, etc.
6. Faits relatifs a des Entreprises diverses :
Individuelles ou par Associations ;
Pour la construction des Voies de communication ou leuv ex-
ploitation; •
28 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — éLÉMEIfTS DE STATISTIQUE.
Pour reiploitation de Houillères, de Mines;
Pour toutes autres exploitations agricoles, manufacturières
ou commerciales ;
Pour les Assurances;
Pour les Banques et autres institutions de Crédit, etc.
§ II. Du Cadastre.
Le cadastre, avons-nous dit, est la constatation de la sur-
face, de la nature, de la production et de la valeur des di-
verses parties du Territoire d'un pays, au moyen du lever des
plans géométriques de chaque parcelle constituant une pro-
priété*.
Hifitorique. — On trouve dans les historiens des témoi-
gnages qui donnent à penser que cette constatation était faite,
plus ou moins exactement, dans Fancîenne Egypte, chez les
Babyloniens, les Phéniciens, les Perses, les Juifs. Alexandre
se fit suivre, dans son expédition de Flnde, de deux géomètres
arpenteurs; Jules César en emmena trois, pendant ses cam-
pagnes dans les Gaules.
On trouve le cadastre étabh dans les derniers temps de
r.empire romain. Il existait à cette époque des registres pu-
blics où se trouvaient consignées en détail l'étendue, la nature
et la qualité des biens-fonds de chaque province. Ces regis-
tres, qui servaient chaque année à la répartition de la contri-
bution foncière, étaient dressés d'après les déclarations des
propriétaires et d'agents spéciaux chargés de parcourir les
provinces pour prendre des renseignements sur les biens-
fonds, le nombre des esclaves et le revenu des propriétaires.
Ils devaient être renouvelés tous les quinze ans.
Après l'invasion, ces relevés servirent aux premiers rois
barbares pour imposer des tributs. Mais peu à peu ils furent
abandonnés par suite du désordre qui s'introduisit dans tous
* Cadastre se dit aussi de l'opération et des registres sur lesquels sont
consignés les pians et les résultats des relevés.
OPÉRATIONS DE LA STATlSTfQDE. — CH. III. 29
les pays, et aussi par suite de la multiplicité des terres don-
nées aux églises, avec exemption d'impôt, et des usurpations
des grands officiers. Une fois la féodalité constituée, les sei-
gneurs eurent intérêt à se renseigner pour percevoir les rede-
vances des vassaux, et il fut fait un assez grand nombre de
cadastres particuliers ou terriers (terrearia).Le plus grand et
le plus curieux travail de ce genre est le domesday-book^, qui
fut exécuté sous Guillaume le Conquérant pour une grande
partie de l'Angleterre, entre les années 1031 et 1036. Il pa-
y raîtrait même que les Normands trouvèrent en partie tout
; fait le cadastre des terres, qui était probablement un vestige
; de la civilisation romaine. Il parait aussi que les Arabes fi-
rent cadastrer l'Espagne, quand ils la subjuguèrent. Le ca-
dastre qui a existé dans les deux Castiiles remonte à une épo-
que très-ancienne. Il y en avait un en Belgique en 1317;
^ Charles-Quint en fit faire un nouveau en 1 51 7 .
e
»ç En France, le besoin d'un cadastre se fit sentir au quinzième
i. siècle, lorsque l'impôt de la taille devint permranent ; et il fut
dressé divers cadastres plus ou moins exacts dans les provin-
ce ces, sous la double surveillance des états et de l'autorité royale.
.; C'est ainsi qu'il y avait en Dauphiné, de temps immémorial,
e| un cadastre nommé péréquaire, que Charles Y fit réviser
} en 1359. Il existait quelque chose d'analogue dans le Langue-
doc, sous le nom de compoix; dans la Provence, sous le
; nom d'affouagements; dans la Bretagne, sous le nom de/ovu-
5 ges (feux). Plusieurs rois, entre autres Charles VU, avaient
. songé à faire un cadastre général; mais une pareille entre-
prise fut toujours impossible, soit à cause des difficultés ma-
térielles d'exécution, soit à cause de l'opposition des divers
î intérêts menacés par cette mesure. Colbert avait aussi formé
il- le projet de faire arpenter tout le royaume ; mais il n'eut le
s temps de réaliser son idée que dans la généralité de Mon-
tauban.
'' * Les dictionnaires traduisent par Cadasirei V. p. 44.
30 NOTES ET PETITS TRAITES. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
Plus tard, les économistes ayant appelé Tattention publique
sur la nécessité de réformer le système des impôts et de faire
contribuer les propriétaires du sol d'une manière plus uni-
forme, l'établissement d'un cadastre général fut la préoccu-
pation des hommes éclairés, et Tabbé de Saint-Pierre fut l'un
des plus ardents promoteurs de cette idée. Le contrôleur
général Berthier prescrivit Texécution d'un cadastre général
des propriétaires (1765), y compris les biens-fonds du do-
maine royal, des princes, de la noblesse et du clergé. Les
puissants intérêts que cette mesure menaçait en empêchèrent
rexèculion. Elle fut abandonnée en 1782, par suite de l'oppo-
sition des Parlements qui la considéraient comme attentatoire
au droit qu'ils s'arrogeaient de juger de la nature et de la
qualité des taxes, et d'empêcher que l'impôt ne fût étendu
aux biens des deux ordres privilégiés. Cependant l'opération
avait pu être faite dans l'élection d'Angoulême (1771), et
montrait les bons effets qu'on obtiendrait d'un cadastre géné-
ral. Turgot y avait aussi mis tous ses soins, dans 4'intendance
de Limoges.
Lorsqu'en 1789 Louis XVI convoqua les états généraux,
un grand nombre d'assemblées électorales (73 de la noblesse
et 58 du tiers) exprimèrent le voeu d'un arpentage de tous les
biens fonciers, et deux ans après l'Assemblée constituante con-
sacra le principe de la création d'un cadastre (décret du 16
septembre 1791). La Convention organisa le service et fit
commencer les travaux (loi du 21 mai 1793); mais ce ne fut
toutefois qu'en 1803 que le gouvernement consulaire fit acti-
ver Tarpentage des communes et l'évaluation des cultures.
L'opération fut d'abord faite en masse et non par parcelles,
seule méthode exacte et utile; mais en 1808 on abandonna
cette marche (en vertu de la loi du 15 septembre 1807), etoa
procéda au lever des plans par propriétés. A la chute de TEin-
pire, le cadastre parcellaire avait été fait pour 6,521 com-
munes ou 16 par cent; et l'opération avait coulé 56 millions.
— La Restauration n'avait pas été d'abord favorable à cette
opération; mais M. Louis, ministre des finanr.es, parvint à la
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. , — CH. III. 51
faire continuer, en en montrant Tutiiité sous le rapport finan-
cier (loi du 21 juillet 1821). En 1850, la moitié du royaume
et plus était cadastrée. La révolution de Juillet activa les tra-
vaux. En 1847, sur 37,095 communes, il n'y en avait plus
que ^S^ dont les opérations n'étaient pas terminées, phis les
358 communes de Corse, où le travail n'avait commencé qu'en
1843. Enfin le cadastre général et parcellaire de la France a
été achevé en 1852, sur une surface de 53,049,517 hectares
ou 26,856 lieues carrées anciennes. M. Moreau de Jonnès, à qui
nous empruntons, en les abrégeant, ces détails*, dit avec rai-
son que, malgré quelques défectuosités, c'est là un des plus
beaux monuments de la civilisation française au dix-neuvième
siècle. — Aucun autre pays ne possède un cadastre aussi vaste
et aussi complet. Il n'y a pas de cadastre en Angleterre. Il
reste maintenant à continuer, à suivre les mutations et chan-
gements que subit la propriété foncière.
Difficultés de V opération, — Disons, pour faire apprécier les
difficultés de ce gigantesque travail, qu'il a fallu : mesurer
plus de cent millions de parcelles ou propriétés séparées ;
confectionner, pour chaque commune, un atlas de feuilles de
plans où sont rapportées ses parcelles territoriales; les classer
d'après le degré de fertilité du sol ; évaluer le produit impo-
sable de chacune d'elles; réunir soiis le noni de chaque pro-
priétaire les parcelles qui lui appartiennent, pour déterminer
son revenu ou allivrement cadastral et faire la base de son
imposition.
Mais, pour mieux faire comprendre la nature et la portée
de ce grand inventaire du, sol, nous indiquerons la série des
opérations auxquelles on s'est livré et on continue à se livrer
en France pour obtenir le cadastre des terres et pour asseoir
les contributions foncières, en nous servant d'un résumé que
nous trouvons dans un remarquable recueil'.
* Éléments de statistique, p. ^6, 2o édition.
* Dict. français illustré et Encyclopédie universetle, sous la direction de
M. B. Dupiney de Worepierre, art. Cadastre.
52 «OTES BT PETITS TRAITÉS ÉLÉME^TS DE STATISTIQUE.
« Ce grand travail du cadastre se partage naturellement en
trois séries d'opérations. — l°La première consiste unique-
ment en travaux d*art, qui sont exécutés par des géomètres.
On commence par délimiter le territoire communal, puis on
le divise par sections^ et Ton procède à la triangulation des
terrains compris dans les limites de la commune. Enfin Ton
termine par Y arpentage et le lever du plan de chaque parcelle^
c*est^à-dire de toute portion de terre distincte des terres voi-
sines, par la différence des propriétaires ou des cultures. Aus-
sitôt que le plan d'une commune a été vérifié et arrêté, le géo-
mètre en chef en fait faire une copie qui est déposée au
secrétariat de la mairie, la minute restant à la direction. —
2° Lorsqu'on a ainsi établi la configuration et la contenance de
toutes les parcelles comprises dans une commune, il s'agit
d'arriver à V évaluation du revenu net de chacune d'elles. On
désigne sous le nom A' expertise l'ensemble des opérations
exécutées à cet effet, et qui sont la classijicMion des terres,
leur évaluation et la répartition individuelle. Les deux pre-
mières sont confiées aux membres du conseil municipal,
auquel la loi adjoint un certain nombre de propriétaires pris
parmi les plus imposés de la commune. La classifi,cation con-
siste à déterminer en combien de c/a55é^ chaque nature de
propriété doit être divisée, en raison de divers degrés de fer-
tiUté du sol. Le nombre des classes ne doit jamais excéder
celui de 5 pour les cultures.
« Les maisons, dans les communes rurales, peuvent être
divisée^ en 10 classes. Dans les villes, bourgs et communes
très-peuplés, chaque maison est évaluée individuellement : la
division par classes n'est pas non plus appUcable aux usines,
fabriques et manufactures.
« Quand on a établi ces classes ou types, le conseil munici-
pal s'occupe du tarif des évaluations des différentes classes.
Ce tarif arrêté, on fait le classement^ c'est-à-dire on distribue
chaque parcelle de propriété dans l'ilne des classes établies:
par le conseil. Cette opération est exécutée par des proprié-
taires-classificateurs, assistés du contrôleur des contributions
OPERATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 35
directes. La dernière opération, celle de la répartition indivi-
duelle^ est faite parle directeur des contributions directes. 11
dresse ses états ou tableaux qui servent à former la matrice
des rôles et le rôle cadastral. Le rôle cadastral contient le
montant de la contribution foncière, en principal et en cen-
times additionnels, auquel la commune est imposée, la
somme de son revenu cadastral, et la proportion dans laquelle
chaque propriétaire doit acquitter la contribution.
« La matrice des rôles^ ainsi appelée parce que les rôles
n'en sont qu'une copie, réunit, sous le nom de chaque pro-
priétaire, toutes les parcelles qu'il possède dans la commune,
et par conséquent fournit les éléments de la répartition indivi-
duelle. On n'a plus en effet qu'à distribuer le contingent assi-
gné à la commune au marc le franc des évaluations faites et
portées sur la matrice. Cette opération, qui n'est qu'une
simple affaire de calcul, est réservée à l'administration. Le
directeur transmet ensuite les noms des contribuables portés
sur la matrice, la somme du revenu cadastral, et la somme
que chaque propriétaire doit payer pour sa quote-part de con-
tribution : c'est ce qu'on nomme V expédition des rôles. Quand
le rôle d'une commune est terminé, il est transmis au préfet,
qui le rend exécutoire par un arrêté pris en conseil de pré-
fecture.
« Les propriétaires ont le droit d'assister au travail de répar-
tition pour faire valoir leurs intérêts et leurs droits. Ils ont, en
outre, six mois pour réclamer contre le premier rôle, à partir
de la mise çn recouvrement.
« Mais tous les travaux accomplis pour la confection du ca-
dastre deviendraient inutiles au bout d'un petit nombre d*an-
nées, si l'on n'avait soin de le maintenir sans cesse au courant
des mutations dans la propriété des parcelles, des change-
ments de culture, et des diverses modifications qu'éprouvent
les objets imposables, lorsqu'elles sont de nature à motiver
Une réduction permanente ou temporaire dans le chiffre assi-
gné pour base à la répartition. En conséquence, des contrô-
leurs se rendent chaque année dans les comrtvwues,^ V^ ç>ww
54 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
missaires répartiteurs sont convoqués, et tous les contri-
buables sont avertis et invités à se présenter pour indiquer lés
changements à opérer dans les article^ de la matrice qui les
concernent. Le contrôleur rédige, pour chaque mutation, une
déclaration qu'il fait signer par le déclarant ou, à son défaut,
par le maire; l'indication de la mutation sur la copie delà
matrice appartenant à la commune» se fait ensuite dans les
bureaux de la direction. Lorsqu'il s'agit de changements à
opérer par suite d'une augmentation ou d'une diminution de
revenu, produite par un événement postérieur à la confection
du cadastre, et indépendant de la volonté du propriétaire, le
maire et cinq au moins des commissaires répartiteurs doivent
donner leur avis. La direction dresse, chaque année, le rôle
des contributions d'après la matrice rectifiée : le préfet le rend
exécutoire par un arrêté, et il est alors procédé à Vémissitm
des rôles. Les contribuables ont, pour former leurs réclamer
tions, un délai de trois mois, à partir de l'émission des rôl«
annuels, c'est-à-dire à dater de l'arrêté préfectoral qui les
rend exécutoires. »
Utilité du cadastre. — La statistique puise dans le cadastre
les bases fondamentales de ses opérations ; la surface territo-
riale des divisions physiques, géographiques et politiques; la
topographie agricole, forestière, minière, etc.; la distribution
des terrains de diverses natures ; la distribution de la popula-
tion. Le législateur y trouve des indications pour rétablisse-
ment ou le remaniement de l'impôt foncier. Mais ici surgit II
difficulté que nous avons signalée dans notre Traité dm
finances * sur les inconvénients du remaniement des taxes foir
cières et la presque impossibililé d'une péréquation réelle Kll
positive entre les localités, entre les contribuables. Il faii|
remarquer, en outre, que les évaluations cadastrales laissent
infiniment à désirer. Les terres ne rapportent pas seulemâjt
en raison de leur fécondité naturelle çt de leurs éléments coif
*5^dî/.,p. 1j2et suiv.
OPERATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. 111. O'O
slitutifs, mais d'après les capitaux qu'on y consacre et Tinleili-
gencc qu'on y applique. Il n'est pas facile de constater la
valeur locative. Les agents qui sont chargés de ces évaluations
ont des points de départ variables, des renseignements insuf-
fisants. Ils agissent d'ailleurs administrativement, c'est-à-dire
légèrement, et enfin la monnaie elle-même qui sert d'élément
pour ces évaluations change de cours presque dans chaque
localité. C'est pour cela que le cadastre n'a pu et ne pouvait
pas justifier, sous le rapport financier, la confiance qu'il inspi-
rait à l'origine et qu'il ne dispense pas d'avoir recours aux
autres modes. d'informations et aux renseignements que peu-
vent fournir, par exemple, les actes de vente, de partage ou
de louage pour lesquels le revenu est toujours pris en consi-
dération.
En résumé, le cadastre est une opération dispendieuse, qui
ne répond pas à tous les besoins, qui ne donne pas complète-
ment la solution de l'assiette de l'impôt, mais qui fournit des
constatations précieuses pour la connaissance des ressources
d'un pays. C'est, comme l'a dit Rossi% la pierre angulaire de
la statistique générale.
g ni. Da Reeeiuienenl»
Ce qu*il comprend. — Obstacles quHl rencontre. — Le He--
censément ou le Dénombrement a pour but de déterminer la
Population d'un pays par paroisses ou commune^, districts ou
arrondissements, provinces ou départements, et de fournir le
plus de renseignements' possibles sur cette population.
C'est la plus importante et la plus nécessaire des opérations
statistiques, pour guider l'administration, l'économiste et le
législateur, et aussi l'industrie et le commerce.
On recensement est assez complet quand il comprend : i" le
sexe; 2** l'âge; 3*» l'état civil; 4° la profession; 5** la capacité
politique; 6** le culte; 7^ la nationalité; 8^ certains degpes
d'instruction; 9°^ertaines infirmités apparentes.
« Fragments sur V Impôt y 3« vol. du cours, p. 219.
56 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMEM^ DE STATISTIQUE,
On pourrait croire, au premier abord, que rien n'est piuî
facile que d'obtenir ces renseignements, et l'on est porté î
augmenter la liste des catégories à constater pour avoir du
même coup une statistique complète. Mais c'est là une grande
illusion; car il est fort difficile el souvent impossible en fait
d'obtenir les renseignements que nous venons d'indiquer soit
par suite du mensonge ou de l'ignorance des populations, soit
par suite de l'erreur, de l'inadvertance, de la négligence ou
de l'ignorance des agents, fonctionnaires ou magistrats char-
gés de recueillir les renseignements.
Voici comment s'expliquent ces obstacles.
Premièrement, — Les populations sont, en général, frappées
de la crainte que les recensements ne soient des moyens d'é-
tablir de nouveaux impôts ou une nouvelle levée d'hommes,
et elles ont une tendance à cacher la vérité. Elles y sont quel-
quefois aidées par les chefs des municipalités agissant dans
l'intérêt de leur ville, dissimulant un certain nombre d'habi-
tants, pour que le fisc ne range pas leur cité dans une caté-
gorie dont les taxes sont plus élevées. Au fond, cette crainte
ne manque pas de fondement; la population est une des bases
de la levée des charges publiques.
En fait, le chiffre de la population sert de base en France à
la contribution des portes et fenêtres *, à la contribution mo-
bilière', à la patente fixe', au droit d'entrée sur les boissons*.
C'est par voie de recensements annuels que s'opère le recru-
tement en Russie; et on comprend bien que ces recensements
n'y soient pas vus de bon œil dans les familles.
Dans d'autres circonstances, les villes ont intérêt à grossir
le chiffre de leurs habitants quand il s'agit d'obtenir certains
avantages (des garnisons par exemple), ou de se donner plus
d'importance. En 1791, un grand nombre de villes exagérè-
re X les populations pour avoir le droit d'élire un plus grand
* Loi du 21 avril 1832.
* ma.
5Loidu23avriH844.
* Loi du 12 décembre 1830
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — Cil. III. 57
nombre de représentants ou pour obtenir un plus grand nom-
bre de fonctionnaires.
Les craintes des populations sont souvent surexcitées par
les circonstances ou par les mesures de radministration.
En 1841, le ministre des finances de France, M. Humann, vou-
lant éviter cette dissimulation des municipalités et faire pro-
duire à l'impôt, comme c'était son devoir, tout ce qu'il de-
vait produire, eut la maladresse de vouloir adjoindra des
agents du fisc aux agents communaux. 11 en résulta une assez
vive agitation, des émeutes sur quelques points, et, finale-
ment, uiie opération plus longue et probablement moins
exacte.
Deuxièmement. — Divers motifs. particuliers portent les
familles à ne pas mentionner toutes les personnes qui les
composent ou à ne pas donner exactement sur leur âge, leur
profession, leur état civil, leur religion, etc., les explications
qui les concernent. Ce serait encore pis, si l'on cherchait à
connaître des détails plus intimes, comme le degré d'instruc-
tion, la fortune, les infirmités cachées, etc. L'âge est déjà un
élément fort difficile à connaître : hommes et femmes, les
femmes surtout*, n'aiment pas à le déclarer exactement. 11 y
a même une foule d'individus, dans les masses, qui l'ignorent
Gt qui ne peuvent répondre qu'approximativement en indi-
quant de préférence le nombre rond le plus voisin, de sorte
que les âges de 50, 40, 50, etc., années sont plus surchargés
que les autres. Il est également fort difficile de connaître
l'état civil des femmes, qui, dans les grands centres, se décla-
rent presque toujours mariées ou veuves.
^ Troisièmement. — Le mouvement des populations des cam-
pagnes vers les villes, et, réciproquement, les arrivées, les dé-
parts, les immigrations, les émigrations, sont également la
source de nombreuses erreurs, surtout dans les grands cen-
* M. Rickmann, qui a exécuté les recensements de l'Angletsrre pen-
dant quarante ans, disait qu'il n'avait jamais pu réussir à savoijfij)ar voie
ollicielle, dans sa propre maison, l'âge exact de madame Rickmann et
Celui de sa servante!
58 NOTES ET PETITS TRAITÉS. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
très, où les recenseurs n'ont pas les mêmes moyens de con-
trôle que dans les petites localités.
Voilà les obstacles généraux contre lesquels on a à luUer
pour avoir un bon recensement, et contre lesquels on n*a pas
toujours lutté avec succès. Mais il est souvent arrivé que l'o-
pèration a été viciée par de fausses mesures ou par une fausse
direction. C'est ainsi qu'en France, en 1856, on voulut faire
constater, au lieu du domicile de fait, le domicile de droit, et
qu'il en résulta une confusion inextricable pour les enfants en
nourrice, pour les militaires, les étudiants, les malades aux
hôpitaux, les voyageurs, les gens à la campagne, etc.
Modes d'opérer le recensement. — Le recensement se fait
par la méthode naturelle pour recueilHr les faits, par là col-
lection des indications une à une, par maisons, par familles
et par individus.
Mais quelquefois des statisticiens et les gouvernements eux-
mêmes ont procédé par induction. — Necker a calculé la po-
pulation de France en \ 784, en multipliant le nombre des
naissances pour 25,75 (V. p. 18). — En 1811, le gouverne-
ment de Napoléon 1" n'osant faire un dénombrement, par
suite de mécontentement occasionné surtout par les fréquentes
levées de conscrits; — en 1826, le gouvernement de la Res-
tauration, sous le ministère de M. Corbière, impopulaire par
d'autres motifs, procédèrent à la détermination de la popula-
tion par voie de calcul.
Pour taire le recensement par la voie naturelle, par la voie
d'enquête, il y a deux systèmes en pratique : le système suivi
en Angleterre et en Belgique, et le système direct de recense-
ment par les agents municipaux employé en France et dans
d'autres pays.
En Angleterre et en Belgique, des agents spéciaux du gou-
vernement déposent à l'avance, dans les maisons, des bulle-
tins imprimés que les propriétaires ou locataires sont tenus de
remplir exactement, la loi punissant d'une amende soit le re-
fus de répondre au questions qu'ils contiennent, soit toutex
OPÉRATIONS DB LA STATISTIQOE. — Cil. III. 39
fausse déclaration. Au jour fixé, les recenseurs recueillent ces
bulletins, pour les dépouiller ensuite et en transmettre le ré-
sultat à des agents supérieurs. Les agents de l'autorité ne sont
pas mis en contact avec les habitants, et le recensement n*a pas
au même degré ce caractère inquisitorial que redoutent les
populations. Le recensement se faisant le même jour dans
tout le pays, on évite davantage les omissions et les doubles
emplois, et de plus il est possible d*en connaître le résultat en
trés-peu de temps.
Le recensement direct par les agents municipaux a l'incon-
vénient de faire pénétrer ces agents chez les citoyens, et de
ne pas être fait à jour fixe. En France l'opération se prolonge
près d'une année.
Le système anglais parait donc tout à fait supérieur.
Les autres conditions pour obtenir les meilleurs résultats
possibles, c'est que la remise et la formation des bulletins
soient faits, autant que possible, par des temps calmes, en
dehors de tout projet gouvernemental ou de toute appréhen-
sion du public.
Renseignerhentê recueillis dans les divers pays. — Les ren-
seignements recueiUis par la voie du recensement sont plus
eu moins nombreux et variés selon les pays; ils deviennent de
plus en plus nombreux et variés à mesure que ces opérations
sont mieux dirigées et mieux organisées.
En Angleterre, le recensement de 1801 fit connaître : le
nombre des habitants des deux sexes, les professions, le
nombre des familles, de§ militaires, des marins, des maison»
habitées et non habitées. Ge n'est qu'en 1821 qu'on constata
les âges. En 1841, le dénombrement, opéré jusque-là par les
autorités paroissiales, fut confié à une administration spéciale
et laïque de l'état civil (gênerai register).
En France, les recensements n'ont constaté, de 1801 à 1846,
que le sexe et l'état civil; mais, à partir de 1851 , ils constatent
positivement : Fâge, le culte, la nationalité, la profession,
l'habitation à là ville ou à la campagne et les infirmités exté-
40 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
rieures et visibles (aveugles, borgnes, sourds-muets, goutteux,
bossus, pertes de bras, perles de jambes, aliénés).
En Belgique, le premier recensement a eu lieu en 1846,
d'après la méthode anglaise. On a constaté le sexe, l'état civil,
l'âge, le lieu d'origine, la langue, le culte, la profession, le
nombre des familles, en distinguant les indigents, le degré
d'instruction des enfants, les maisons assurées, le nombre des
jardins attenant aux maisons. En Belgique, comme en Angle-
terre^ une pénalité atteint le refus de répondre aux recenseurs
et les fausses déclarations.
Dans les États sardes, les recensements ont été nominatifs
comme en France; ils comprennent: le sexe, l'état civil, Tâge,
le lieu d'origine, la profession ou condition, le culte, l'instruc-
tion, le nombre des familles et des maisons, la population fixe
et flottante, les indigents, le mouvement des émigrations. Ils
ont été exécutés sous la direction d'une commission centrale
et de commissions provinciales, imitées de la Belgique.
En Hollande, les recensements font connaître : le sexe. Té-
tât civil, le lieu d'origine, le culte, le nombre des familles,
celui des habitants domiciliés ou de passage, ou absents, le
nombre des baraques ou des navires servant à l'habitation.
Le recensement de 1849 a fait connaître, en outre, la surface
des propriétés bâties et rurales, des lacs et étangs, et des
terres incultes.
En Suisse, les renseignements sont nominatifs et font con-
naître : le sexe, l'âge, l'état civil, la profession, le lieu d'ori-
gine, le culte, les familles, les maisons, les absents, les étran-
gers de passage. Le premier recensement général a eu lieu
en 1850.
En Prusse, le recensement comprend le sexe, l'âge, le
culte, les familles, les sourds-muets et aveugles, les construc-
tions privées ou publiques, et une statistique assez détaillée
des animaux domestiques (chevaux, bœufs, moutons, porcs).
En Saxe, les recensements font connaître : le sexe, l'état
civil, l'âge, le culte, les familles, les sourds-muets, les aliénés
et crétins, les maisons.
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 41
En Bavière, les recensements ne font connaître que le sexe,
l'âge, les familles, et l'âge en deux catégories au-dessus et
au-dessous de 14 ans.
En Autriche, il n'y a pas eu de recensement général avant
1857.
En Danemark, les recensements comprennent : le sexe,
l'âge, la profession et les familles.
En Suède, les recensements constatent : le sexe, l'âge, l'état
civil, le rang (nobles, bourgeois, paysans), la profession, le
lieu d'origine, les familles classées par le nombre de leurs
membres et par leurs ressources, et ayant le nécessaire, plus
ou moins que le nécessaire. Cette enquête date de 1749; elle
a été souvent fort inquisiloriale. Un bureau central dépouille
les données recueillies par le clergé.
En Norwége, les recensements constatent : le sexe, Tâge,
l'état civil, le rang, la profession, la statistique du bétail et la
production céréale. L'opération du recensement est confiée
au clergé dans les campagnes et aux magistrats municipaux
dans les villes.
En Espagne, le recensement de 1857, le premier depuis
1803, a contasté : l'âge, l'état civil, la profession, les étran-
gers, les gens de passage, par le même procédé qu'en Belgique
et avec une commission organisée comme celle de Belgique
En, Portugal on ne constate que le nombre des habitants ot
des maisons.
Aux États-Unis, les recensements comprennent : le sexe,
l'âge, la profession de la population libre et des esclaves, le
nombre des propriétaires fonciers, celui des pauvres secourus
par la charité publique, et une statistique de l'agriculture, de
l'industrie et du commerce. Comme en Angleterre, les habi-
tants sont tenus, sous peine d'amende, de donner les rensei-
gnements demandés; le premier recensement général a été
fait en 1790. On affiche dans chaque localité les résultats,
avec invitation de signaler les erreurs et les omissions.
Les recensements ont lieu, dans les divers pays, à des epo-
qttes ' séparées par 'des intervalles réguliers plus ou «\qv£\&
42 NOTES ET l'ETlTS TUAllÉS. ÉLKMENTS DE STATISTIQUE.
longs : de dix ans en Angleterre, en Belgique, dans les États
sardes, en Hollande, aux États-Unis; — de cinq ans en France;
— de trois ans dans les États d'Allemagne, la Prusse, les
États de Zollverein et quelques parties de TAutriche, etc.; —
de un an dans diverses parties de TAutriche (Hongrie, Servie,
Croatie, etc), pour les besoins du service militaire. En Portu-
gal, les recensements se font à des époques irrégulières.
La plupart des gouvernements publient les résultats obte-
nus ; plusieurs cependant en ont fait un mystère : la Russie,
les États romains, Naples, la Toscane, le Portugal jusqu'en
4835.— Quelques-uns n'ont rien eu à publier, faute de recen-
sement : la Turquie qui n*a pas fait de recensement depuis
1805 et l'Espagne qui n'en a pas fait de 1803 à 1857.
Il est à désirer qu'il s'établisse dans tous les pays une uni-
formité d'informations et de publications, de manière à ce
qu'on puisse avoir les renseignements les plus précis et à en
tirer le meilleur parti possible dans l'intérêt de la science, de
l'industrie et des services publics, c'est ce à quoi tendent les
congrès de statistique. (V. plus loin au chapitre v.)
Historique. — La statistique de la population est si néces-
saire, qu'on a fait, dès la plus haute antiquité, des efforts pour
obtenir le plus de renseignements possibles à cet égard; mais
ce n'est que de nos jours qu'on est parvenu à des informations
qui, tout en laissant beaucoup à désirer, méritent une cer-
taine confiance.
L'histoire parle du dénombrement opéré en Egypte, chez
les Hébreux et les autres peuples de l'antiquité reculée. A Rome,
l'institution du census remonte à Servius Tullius, 555 avant J. C.
Les Tabulai censuales comprenaient : le nom, le sexe, l'état,
civil, l'âge, la profession, le Heu d'origine, le rang ou ordre
politique, le revenu, les esclaves, leurs emplois ou professions
et le produit de leur travail. Chaque habitant était recensé au
lieu de sa naissance, La loi punissait les fausses déclarations
de la confiscation et de la,perte de la liberté. Un recensement
général par des agents spéciaux, partis de Rome, eut lien
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — Cil. III. 43
dans un but financier, sous Auguste, qui en fit, dit-on, un ré-
sumé de sa main*.
Les Missi dominici de Charlemagne avaient pour mission
de recueillir des données sur les cultures et les revenus des
populations laïques et ecclésiastiques. Il paraît que des ren-
seignements furent aussi recueillis sous ses successeurs. On
cite une ordonnance de Charles le Chauve (864) enjoignant
aux comtes des provinces de tenir un état exact des habi-
tants, de « leurs différentes conditions, biens, facultés, ta-
lents, etc. »
Plus lard, la connaissance du chiffre de la population el
des renseignements qui la concernent n*a cessé d'être un be-
soin de plus en plus senti.
Un intendant de la généralité de Paris, de Phelipeaux, men-
tionne dans un mémoire manuscrit sur cette généralité un dé-
nombrement fait sous Charles IX (mort en 1574) qui donnait
à la France 20 miUions d'habitants. Au dix-septième siècle, on
se préoccupa vivement de cette question. Mazarin avait adopté
le plan d'un dénombrement général qui ne reçut pas d'exécu-
tion, mais, en 1697, Louis XIV (suivant probablement les in-
spirations de Colbert, mort en 1 683) demanda aux intendants
des renseignements sur la population, sur « les industries,
les commerces, les institutions établies, l'humeur et l'esprit
des peuples de chaque province, de chaque pays, de chaque
ville. )) On voit, par le texte de la pubhcation de ces relevés,
qu'ils avaient dû être précédés d'autres relevés*.
Vauban, qui écrivait à la même époque, el dont la Dîme
royale a été pubhée en 1707, donne dans cet ouvrage un plan
plus étendu et plus méthodique que celui de 1697. « On pour-
rait même, dit-il, pousser ces recensements jusqu'aux bes-
tiaux; cela n'en vaudrait que mieux. »
» D'après ce qu'on sait de ce recensemenf , M. Huschke a évalué la po-
pulation de l'empire alors compris entre l'Océan et l'Euphrate à 104 rail-
lions.
* Nouveau dénombrement par généralités, élections, paroisses et feux,
1720.
44 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ll^LÉVEKTS DE STATISTIQUE.
Le premier volume de la Statistique générale de France
donne, sans autres explications, les résultats d'un dénombre-
ment exécuté en 1762. De cette époque à 1800, on ne compte
que quelques recensements partiels dans les pays dits d'élec-
tion, soit pour lassiette de nouveaux impôts, soit pourk
besoin des milices. Le premier recensement général est celai .
de iSOO, qui fut renouvelé en 1805, 1820 et 1831; à partir de
ce moment les recensements ont été quinquennaux.
En Angleterre, le premier recensement remonte au onaème
siècle, à 1086. 11 fut exécuté sous Guillaume le Conquénot
par des agents spéciaux qui furent chargés de faire A h fois
une espèce de cadastre (V. p. 29) et une statistique delà po-
pulation, et de recueillir : le nom de la terre, le nom du pro-
priétaire, le nombre des hommes libres, des hommes liges,
des vilains, des cotarii^ des serfs, et des tenants de toute es-
pèce ; — la superficie des terres, bois, prairies, pâturages,
étangs, viviers ; — le produit brut, le nombre des animaux.
Les résultats de cette enquête faite avec le plus grand $oin
sont consignés dans le Domesday-book^. Dans le dernier siècle,
on n'avait que des évaluations, par indication, de la popali-
tion anglaise. Un acte du Parlement prescrivit pour 1801 le
premier recensement général, qui depuis a été renouvelé tons
les dix ans.
Nous venons de voir que Finstitution des recensements re-
monte en Suède à Tannée 1749. Le premier recensement dei
États-Unis date de 1790. Dans les autres pays ils sont d'insti-
tution plus ou moins récente. Dans quelques-uns, on n'en
opère pas encore ou Ton n'en opère plus. Hais le momoit
n*est pas loin où la pratique des recensements sera gëni-
rale.
* Ou Doomday-baok. — Doomsday, jour du jugement dernier; iem,
jugement; day, jour; book, livre; — livre du jugement dernier. — Imprimé
\H)uv la première fois en 1783 et auquel deux volumes onl été ^jooléi
en 1816, par les soins des commissaires des archives publiques.
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. HI. 45
§ IV. MoiiTemeiit de la popnlation.
Une partie des États de l'Europe est encore privée de la
connaissance esseiilielle du mouvement de la population.
En France, la première Assemblée constituante chargea les
maires de l'importante fonction de tenir les registres civils,
laissée jusque-là aux soins de l'autorité religieuse, agissant
sans contrôle et sans garantie suffisante.
En Angleterre, l'Église anglicane a conservé jusqu'en 1856
cette prérogative; mais, comme les partisans des églises dis-
sidentes n'avaient jamais voulu se servir du ministère de
1 Église établie^ on a résolu d'instituer (1 836) une administration
spéciale, laquelle publie tous les ans un rapport, qui est un
des meilleurs documents statistiques du Royaume-Uni. (p. 59).
La constatation des naissances, des mariages et des morts
est également en Allemagne une des attributions de Tautorité
municipale, et il esta désirer que cette pratique se généralise
dans tous les autres pays. Il était naturel qu'au moyen âge
les ecclésiastiques, dépositaires de toute science, fussent char-
gés de constater les mouvements de la population. Il est
plus naturel aujourd'hui que ce soin incombe aux chefs de la
commune.
Il y a vingt-quatre à vingt-cinq siècles que déjà on em-
ployait divers moyens pour ne pas demeurer dans l'ignorance
du mouvement de la population. Un usage rehgieux, qui re-
montait au temps de leurs rois, permettait aux Athéniens de
savoir positivement le nombre des naissances et celui des dé-
cès qui avaient heu dans l'année. Chaque fois qu'un enfant
naissait, on était tenu de donner à la prêtresse de Minerve une
mesure de froment, et on lui en donnait une d'orge quand
quelqu'un mourait ^ A Home, une loi de Servius Tullius pres-
crivait qu'on portât une pièce de monnaie, à chaque naissance,
dans le temple de Junon Lucine; une, à chaque décès, dans le
lemple de la déesse Libitine, et une dans le temple de la
* Aristote, Politique, ï, ii.
46 NOTES ET PETITS TRAITES. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
déesse JuventaS pour cliaque jeune homme qui prenait la
robe virile. Ces coutumes devaient être bien anciennes, puis-
qu'elles avaient probablement devancé l'usage de l'écriture
chez les Grecs et les Romains'.
Les naissances, les mariages et les morts sont constatés par
les registres civils ; «mais il y a ensuite lieu pour les statisti-
ciens à faire une série de catégories.
Pour les naissances, il faut qu'on y distingue : le nombre
des enfants légitimes ; — celui des enfants illégitimes ; — celui
des enfants trouvés ou abandonnés ; — et enfin le nombre des
enfants mort-nés par suite de divers accidents, etc.
Pour les mariages, il y a lieu de constater leur nombre et
leur proportion avec la population, leur fécondité, leur durée
et leur cessation soit par mort, divorce ou abandon. Page au-
quel il est contracté, etc.
Pour les décès, il y a lieu de constater le nombre et les
causes selon les âges, les sexes, les localités, les professions,
les classes de la société, etc.
Pour avoir le mouvement de la population au complet, il y
aurait encore lieu de tenir compte des émigrations et des im-
migrations. Mais cette constatation devient de plus en * plus
difficile avec la facilité de déplacement que les populations
trouvent dans les voies de communication.
§ V. Tables de Mortalilé on de i^urvie.
Construction des tables de mortalité. — Une table de mor-
talité'est un tableau disposé de manière à faire connaître com-
bien, sur un nombre donné de naissances, il reste d'individus
qui survivent à la fin de chaque année.
Ces tables sont utiles non-seulement au point de vue Sb-
tistique, de Thistoire naturelle de l'homme, et pouf apprécier
la condition physique des populations, mais encore pour pou-
* Denys d'Halicarnasse, liv. IV, 1.
' É/éfnents de statistique, par M. Moreau de Jonnès, i" édit., p. 78.
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 47
voir baser les opéralions financières des sociétés d'assurances
sur la vie, des caisses de pensions et de retraites, etc.
Pour dresser ces tables, on se sert des listes mortuaires
à l'aide de diverses méthodes.
Par la première méthode, on prend les listes mortuaires
d'une ville ou d'un pays, et on relève les individus qui, pen-
dant l'espace de quelques années, sont morts entre 0 et 1 an,
1 et 2 ans, 2 et 5 ans, 5 et 4 ans, et ainsi de suite jusqu'au
temps le plus reculé de la vie. On forme la somme de tous ces
décès et on en retranche le nombre des enfants morts entre
0 et 1 an ; le reste indique le nombre des survivants après la
première année. De ce nombre on retranche le nombre des
enfants morts entre 1 et 2 ans, et le reste indique le nombre
des survivants après la deuxième année, et ainsi de suite.
C'est la méthode à l'aide de laquelle l'astronome Halley con-
struisit, avec les listes mortuaires de la ville de Breslau, en
Silésie, la plus ancienne table de mortalité, qui se trouve
dans les Transactions philosophiques de Londres pour i693.
Halley prit la ville de Breslau pour type de ses calculs, parce
qu'il avait reconnu que la population y étajt à peu près sta-
tionnaire, c'est-à-dire que les décès y étaient à peu près com-
pensés par les naissances, et qu'il n'y avait que des mutations
insignifiantes par voie d'immigration ou d'émigration. Il fit le
calcul sur les quatre années 1687 et 169i , et ne fit commen-
cer sa table qu'après la première année, sans doute à cause des
variations de mortalité auxquelles sont sujets les enfants pen-
dant celte première période de la vie.
*C'est d'après cette méthode que furent plus tard calculées :
la table de Londres, par Smart, corrigée et publiée par Simp-
son, en i742 ; — celle de Paris, par Dupré de Saint-Maur,
d'après les registres de trois paroisses de Paris et de douze de
la banlieue, publiée en 1767 par Buffon, et rectifiée plus tard
par de Sàint-Cyran, etc. •
Cette méthode a été modifiée par quelques statisticiens, en
ce qu'au heu de prendre les registres mortuaires d'une ville
ou d'un pays, ils se sont servis des registres de certaines ca-
48 NOTES ET PETITS TRAITÉS. ÉLÉME^TS DE STATISTIQUE.
tégories d'individus, dans lesquels ils ont pu suivre les indivi-
dus un à un, depuis leur naissance jusqu'à leur décès. C'est
ainsi qu'ont été calculées : la table de mortalité pour la Hol-
lande de Kersseboom, d'après les rentiers viagers de la Hol-
lande ; — la table de mortalité pour la France, par Depar-
cieux, en 1746, d'après les rentiers viagers de France; — la
table de mortalité pour l'Angleterre, par Finlaison, formée en
1826, d'après les registres de diverses tontines instituées en
Angleterre de 1693 à 1789. — On remarquera que le défaut
de ces tables, c'est d'être basées sur des têtes choisies sur
lesquelles la mortalité a dû être moindre que pour la masse de
la population.
Cette méthode admet la condition d'une population station-
naire pendant un siècle, qui se réalise rarement ; elle admet
encore que la mortalité ne se déplace pas.
M. Quételet a fait ressortir ces inconvénients et d'autres
que présente cette méthode, et lui préfère une autre méthode
qu'il désigne sous le nom de méthode directe, et qui consiste
à séparer la population sur laquelle on opère par âges et à
calculer directement la mortalité de chaque groupe. Ainsi^on
compte combien d'individus sont âgés de moins d'un an ;
combien de 1 à 2 ans, de 2 à 3 ans, etc.; puis combien cha-
cun de ces groupes a de décès annuels. Les rapports entre
les premiers nombres et les derniers feront connaître la mor-
talité de chaque âge. On part d'un nombre rond (10,000 m
100,000) qui représente le nombre -des naissances et qui,
après la première année, doit être réduit proportionnellement
à la mortalité de cet âge. La différence doit être réduite fle
même après la deuxième année, et ainsi de suite. — Trois
éléments concourent aux calculs : les naissances, les décès par
Ages et la population par âges^
Cette méthode est moins expéditive que celle de Halley.
* Voir la marche du calcul dans la Théorie des probabilités, par M. Qué-
telet, un des volumes de la petite Encyclopédie populaire, publiée à
Bruxelles par M. Jamar, p. 78, el Dict. de l'Êcon. polit., art. Tables de
Mortalité, par M. Quételet. —Voir aussi Éclaircissement sur les tables dites
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. CH. IIÎ. 49
Indépendamment du mode d'opérer, il y a un moyen d'ob-
tenir des tables de mortalité qui traduisent mieux les faits; il
consiste à en dresser de spéciales pour les deux sexes, pour
les villes et pour les campagnes, pour les diverses profes-
sions, pour les diverses conditions. De cette façon, les moyen-
nes qui les composent sont composées d'éléments plus rap-
prochés (V. p. 21). La mortalité varie avec Taisance ou la
pauvreté des familles, avec la nature des travaux et des préoc-
cupations.
Quoi qu'il en soit, quand on se sert des registres mortuaires
ou des tableaux de recensements, plusieurs nombres ont be-
soin d'être corrigés, ceux des âges en nombres ronds, comme
50, 40 et 50 ans, par exemple, qui sont surchargés aux dé-
pens des chiffres voisins, parce que les gens du peuple ne
déclarent presque jamais exactement les âges qu'ils ne con-
naissent pas bien. Les âges des femmes sont aussi approxima-
tifs (p. 37). Ces corrections sont fort difficiles à faire, mais
l'exactitude des tables en dépend.
M. Quételet avait calculé, en 1825, une table de mortalité
des deux sexes pour la ville de Bruxelles, et en 1832 des ta-
bles pour la Belgique donnant, pour la première fois, la dis-
tinction entre le séjour des villes et celui des campagnes, d'a-
près les trois années antérieures à 1830. En 1838, M. de
Montferrand a pubhé de nouvelles tables de mortalité pour la
France, étabUssant une distinction pour les sexes et pour di-
verses classes. D'autres tables ont été calculées dans les mêmes
conditions, celles de M. W. Farr pour l'Angleterre et plusieurs
des principales villes, celles de M. Casper pour Berlin, et de
M. Hûlsse pour Leipzig, etc.
Historique et énumération des tables de mortalité. — ■ Un
auteur du dernier siècle, de Sainl-Cyran, donne des détails
sur une « table des probabilités de la vie humaine » très-
de mortalité, par M. Guillard, dans V Annuaire de VÉconomte politique
pour i854, et, du même, Eléments de statistique humaine ou Démographie
comparée i in-8.
50 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS. DE STATISTIQUE.
fautive, dont on se servait à Rome, et qui est rapportée par
le jurisconsulte Ulpien*, préfet du prétoire sous Alexandre Sé-
vère à la fin du deuxième siècle. — Il faut ensuite arriver à la fin
du dix-septième siècle pour trouver la trace de nouvelles étu-
des. A cette époque, William Petty tenta d utiliser les registres
mortuaires de Londres et de Dublin, mais sans aboutir. L'as-
tronome Halley obtint avec les registres de Breslau des ré-
sultats plus satisfaisants qu'il publia dans les Transactions
philosophiques de 1695. (Y. ci-dessus, p. 47, sa méthode.)
Ensuite, Sûssmilch (1740) publia sa table pour le Brande-
bourg, Simpson (1742) publia la table de Smart qu'il avait
corrigée; Kersseboom (1743) et Deparcieux (1746) publièrent
les leurs. Vinrent ensuite celles de Muret, de Dupré de Saint-
Maur, publiées par Buffon; de Sûssmilch, corrigée par Bau-
mann; de Wargentin; de Price; puis, dans ce siècle, celles de
Duvillard, Milne, Finlaison, de Montferrand, W. Farr et Qué-
telet, etc.
En France, la table de Duvillard a été et est encore d'un
usage général dans les diverses sociétés, bien que sa con-
struction remonte à 1806 et qu'elle ait été calculée d'après des
cas de mortalité (100,000) antérieurs à la Bévolution dans
diverses localités. La loi du 18 juin 1850 a désigné la table de
Deparcieux pour baser les tarifs à la Caisse générale des re-
traites soùs la (direction et la garantie de l'État.
Voici la liste des tables les plus accréditées qui ont servi,
servent encore, ou peuvent servir à des opérations financières
dans les divers pays de l'Europe. Nous les classons selon Tor-
dre des années de leur publication, qui ne correspond pas tou-
jours à celui des époques auxquelles elles ont été calculées,
ni à celui des années sur lesquelles les calculs ont été faits'.
* En 1814 le gouvernement toscan voulut se servir de celle table, et
provoqua le mécontentement de la population.
^ Voir à ce sujet ime notice de M. Vuhrer sur les bases et élémeuts des
tables de mortalité dans le Journal des Écon., avril 1850, t. %VI\.
M. Vuhrer a donné un tableau de toutes ces tables avec de nombreux dé-
tails. M. Quételet a également reproduit ces tables, mais avec moins de dé-
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 51
Tables de Halley Breslau 1693
— Sûssmilcb Brandebourg. ... 1740
— Smart Londres 1742
— Kersseboora Hollande.. .... 1743
— Deparcieux . France 1746
— Muret canton de Vaud. . . 1760
— Dupré de Saint-Maur. . . Paris. . ..... 1767
— Sûssinilch-Baumann . . . . Allemagne. .... 1775
— Wargentin Suède 1776
— Priée Northampton . . . . 1783
— Duvillard Fraijce 1806
— Morgan Ibid 1821*
— Finlaison Angleterre 1826
— Hûlsse Leipzig
— "Galloway Angleterre 1834'
— De Montferrand France 1838
— W. Farr Angleterre 1843
— Gasper. Berlin
— ^Jenkin-Jones. . .... Angleterre. . . 1843*
— Quételet Belgique 1833
— *Legoyt France. ...... 1843
— "Houschling France 1851
— *GuiUard. France 1854
La plupart de ces tables sont calculées d'après 1000 nais-
sances, au point de départ à 0 âge. Quelques-unes partent
d'autres nombres: celle de Smart, de 1,200; — celle de
Dupré de Saint-Maur, de 2,599; — celle de Kersseboom,
de 4,4'00; — celle de Casper, de 3,690; — celle de Hûlsse,
de 2,274; — celle de Price, de 1,165. Toutes commencent à
0 âge, excepté celle de Halley, commençant à 1 an, et celle
de Deparcieux ,.à 5 ans.
veloppements, dans son article Tables de Mortalité, du Dictionnaire de
VÉCùnomie politique^ 1853. Les tables marquées d'une * ne se trouvent
pas dans les collections que nous venons d'indiquer. — Voir, pour celle de
M. Legoyt, sa publication, la France statistique^ in-4, 1843; pour celle de
M. Heuschling, Annuaire de V Économie politique pour 1852.— Voir, encore
sur ce sujet, des Éclaircissements sur les Tables de mortalité, dans l'^l»-
nuaire de V Économie politique ^omt 1854, par M. Guillard, qui a repro-
duit les tables de MM. Legoyt et Heuschling.
*■ Adoptée par la compagnie de VEquitaMe society.
* Déduite des faits recueillis par V Amiable society.
^ Déduite de plus de 62,000 assurances, réalisées par 17 compagnies dif-
férentes. ^^_
52 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
On s'égarerait beaucoup si Ton voulait tirer des conclusions
des rapports indiqués par ces tables, sur la mortalité géné-
rale, aux différentes époques qu'elles indiquent. En s'en ser-
vant, il faut tenir compte des bases sur lesquelles elles entêté
calculées.
Nous donnons comme exemple, dans le tableau ci-après
celle de Duvillard *, calculées sur des documents remontant à
la fin du dix-huitième siècle, et une de celles de de Montfer-
rand (hommes), caloulée sur des registres mortuaires du
commencement de ce siècle.
* V Annuaire du bureau des longitudes publie annuellement : la table de
mortalité en France par Deparcieux, et la même complétée pour les pre-
mières années ; — la population de chaque âge en France ; — la table de
mortalité en France par Duvillard ; — celle de Northampton, extraite de
The principles.. ofassuranceSy by W. Morgan, 1821, et celle de Carliste,
extraite de y4 Treatiseonthevaluationofannuities, by J. Milne, 1815.
OPf^RATIONS DE U STATISTIQUE. — CH. III.
53
TADLR
TABLE
TABLE
DE
TABLE
DE
AGE.
DE
HE MO:<rEnRAND.
AGE.
DE
DE MONFERRAnD.
DUVILLARD.
(Iiomirtes).
DEVILLARD.
(hommes).
0
1,000
1.000
52
281
435
1
767
824
55
274
427
2
672
771
54
265
419 •
3
625
741
55
257
410
A
599
722
56
249
401
5
583
707
57
*240
393
6
573
696
58
231
r^84
7
566
687
59
223
374
8
560
680
60
214
365
> 9
555
673
61
204
. 355
10
551
668
62
195
341
11
547
662
63
186
327
12
543
658
64
176
314
13
538
654
65
166
300
li
.534
651
66
157
286
15
529
647
67
147
272
16
524
644
68
137
258
17
519
639
69
127
244
18
513
635
70
118
229
19
508
630
71
108
214
20
502
624
72
99
198
21
496
619
75
89
181
22
400
609
74
84
166
23
484
601
75
72
148
24
478
594
76
63
130
25
471
587
77
55
115
26
465
580
78
48
lOl
27
458
574
79
41
88
28
452
569
80
35
76
29
445
565
81
29
65
30
438
560
82
24
55
31
431
555
85
19
45
52
425
550
84
15
36
35
418
545
85
12
28
34
411
511
.86
9
22
35
404
536
87
7
18 .
36
397
529
88
6
14
37
390
324
89
5
11
38
383
i)l9
90
4
8
39
376
515
91
3
6
40
269
510
92
2
5
41
362
^I
Vu
2
4
42
335
500
94
1
3
43
348
49*
95
. 1
2
44
341
48»
96
0,8
1
45
354
482
97
0,6
0,8
46
327
476
98
0.4
0,4
47
319
46i^
99
0,3
o;i
48
312
4(i5
m
0,2
0,1
49
305
456
^^
0.1
50
297
449
102
»
51
28^
443
i05
»
•
54 NOTES ET PETITS TRAITES. ÉLÉMEiNTS DE STATISTIQUE.
Il n*entre pas dans noire cadre de discuter la valeur des do-
cuments et des procédés à Taide desquels ces diverses labiés
ont été dressées, et le degré de valeur qu'elles peuvent avoir.
C'est un travail qui n a pas été fait à notre connaissance, et qui
serait fort intéressant et fort utile.
Nous nous bornons à renvoyer le lecteur aux écrits des
hommes compétents que nous avons cités, et à la bibliogra-
phie faisant suite à Tarticlc Table de Mortalité, dans le Dic-
tionnaire de VÉconomie politique.
Usage des tables. — Vie moyenne, vie probable. — lÂ
fables de mortalité montrent dans quel ordre successif les
générations disparaissent. Ainsi, d'après les tables de M. de
Monferrand et de M. W. Farr, il y a eu, en France et en Angle-
terre, dans le premier tiers de ce siècle, sur i ,000 enfanis :
ANGLETERRE. FBAXCE.
(W. Farr.) (De Montferrand.)
85i 824 survivants à la fin de la 1** année.
801 771 — 2« —
646 668 — 10« —
660 624 — 20* —
538 510 — 40- —
380 365 — 60* —
94 125 — 80« —
11 8 _ 90« —
On peut représenter la marche des nombres au moyen d'une
courbe. Voici, d'après la table de M. de Monferrand, quelle
serait cette courbe de mortalité, en comptant les âges dans le
sens horizontal et les survivants dans le sens vertical. Elle
montre que la mortalité est très-rapide dans les cinq pre-
mières années. Après cette période, la mortalité décroit régu-
lièrement jusqu'à treize ou quatorze ans, puis encore jusqu'à
soixante ans. Dans cette longue période de la vie, les dispari-
tions annuelles sont à peu près uniformes. La mortalité prend
ensuite une marche plus rapide.
OPERATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III.
55
Courbe de mortalité en France,. selon la table de Montferrand.
Aces :
100 U
A B, courbe, de mortalité. — Les âges se comptent dans le sens horizontal, et le
nombre des survivants s'estime par les écarts plus ou moins grands de la
courbe dans le sens des verticales.
L'un des usages les plus fréquents qu'on puisse faire d'une
table de mortalité, c'est d'en déduire les probabilités de vie et
de mort propres à chaque individu ou à chaque groupe d'indi-
vidus du même âge.
Il y a deux moyens de calculer cette probabilité : en déter-
minant ce qu'on appelle la vie probable, ou bien la quantité
représentant la vie moyenne, — Ce sont là deux indications,
quelquefois confondues, mais différentes en elles-mêmes.^ et
56 NOTES ET PETITS TRAITES. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUB.
qui, exprimées en chiffres, offrent souvent, d'après les tables,
un écart considérable.
La vie probable j c'est la période durant laquelle un individu,
étant donné son âge, a une chance égale de vivre ou de mou-
rir. — La vie moyenne est la moyenne des années vécues par
un groupe d'individus d'un âge égal.
On obtient la Vie moyenne, en additionnant Tâgé d*un grand
nombre de décédés, et en divisant la somme des années par
la somme des individus.
La Vie probable d'une personne, à un âge donné, est indi-
quée par la vie moyenne d'un grand nombre de personnes
prises au même âge.
Dans un état de société donné, la vie moyenne est une
quantité fixe ; la probabilité de vie change à tous les âges.
Les tables de mortalité indiquent la vie probable, c'est-à-
dire le nombre d'années après lequel les individus d'un même
âge se trouvent réduits de moitié, et que la probabilité de vivre
ou de mourir est la môme.
Ainsi, d'après la table de de Montferrand, il reste 668 su^
vivants (sur 1,000) à 40 ans, et 341 survivants (sur 668) à
62 ans; comme 541 est environ la moitié de 668, on dit que la
vie probable à 10 ans est de 52 ans environ (62 moins 10).
Quelques tables donnent à cet égard des résultats très-dif-
férents, surtout pour l'enfance ; mais la plupart indiquent des
chiffres de vie probable plus rapprochés.
D'après un tableau, faisant suite aux tables rapportées par
M. Quételet, nous avons pu dresser le suivant, qui le résume en
nombres ronds :
VIE PROBABLE DATES
AQKS VARIANT TABLES DBS TABUB.
Naissance I ^® *^ Allemagne, Baum-Sussmilch 1775
l à 56 Angleterre, Finlaison 1825
5 ans I ^® ^^ ^^"^' ^V^^ Saint-Maur, ...... 1767
( à 57 Carlisle, Milne 1787
10 -ïTKî ( de 33 Londres, Smart 1742
I à 53 Carlisle, Milne 1787
90 ans J ^® ^^ Londres^ Smart 1742
I à 45 Carlisle, Milne 1787
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 57
ACES VâBUMT ' TAPLËS DES TABLES
VIE PROBABLE DATEiS
^ |de1'< londrcs. Smnrt 1642
^ ^ 1. à 29 Angleterre, Eçwf/fl'Wa M«>/y. . . . x!\« siècle.
fiOan« j de 10 Leipzig, Hûlsse Id.
uu ans j .^^^ kngleierre, Equitable sociel y Id.
# de 4 Leipzig, Hulsse Id.
ans j à g Angleterre, Equitable society Id.
A la naissance, la vie probable n'est que de 4, —7,9 — et
8, 1 d'après les tables de Smart, de Price pour Northanipton
et de Casper pour Berlin.
Une table de mortalité sert à déterminer la probabilité de
vivre encore un nombre d'années iSxéàun âge donné. — Suppo-
sons qu'il s'agisse de déterminer la probabilité qu'a un indi-
vidu de 44 ans de vivre encore iO ans. On cherche dans la
table de deMontferrand, par exemple, combien il reste de sur-
vivants de 44 à 54 ans, et l'on trouve les nombres 488 et 419,
qui indiquent que l'individu a 419 chances sur 488 (soit IfJ),
de vivre encore 40 ans.
La même probabilité de vivre pour deux personnes se cal-
cule en obtenant séparément la fraction exprimaift la probabi-
lité pour chacune, et en multipliant ces deux fractions.
C'est ainsi, d'après les données des tables de mortalité et les
formules relatives à l'intérêt composé et à l'amortissement
qu'enseigne l'arithmétique % que les compagnies d'assurances
sur la vie, les tontines, les caisses de retraite et les sociétés de
secours mutuels, font les calculs qui leur permettent de se
rendre compte des résultats de leurs opérations et des com-
binaisons qu'elles offrent au public.
La VIE MOYEMNE, disous-nous plus haut, est la moyenne des
années vécues par un groupe d'individus d'un âge égal, les
vies les plus longues compensent les plus ccuirtes. 11 peut
donc y avoir des expressions de vie moyenne pour tous les
âges ou pour les groupes de l'enfance, de la jeunesse, etc. ,
d'autant plus exactes que l'on y fait entrer des données plus
' V. notre Traité complet d'arithmétique théorique et appliquée au Com-
merce, à la Banque, aux Finances, etc., 2« édit., chap. xlvu et «x\n .
I
d8 notes et petits traites. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
homogènes. Quand on n'a à sa disposition que des tables mor-
tuaires peu exactes ou peu générales ; les hommes naissant,
les enfants et les adultes sont confondus, et la moyenne est
moins exacte. (V. page 2i.)
« Quand on veut avoir la vie moyenne afférente à chaque
âge, on la calcule aisément sur une table de survie complète-
ment détaillée ou par an, ainsi que l'a fait de Montferrand dans
le Journal de V École polytechnique^. En effet, on peut se
représenter les individus de chaque gi*oupe d'âge comme ayant
chacun un an à vivre, puisque ceux qui en ont plus figurent
dans le groupe suivant, et ainsi de suite. La somme des ans à
vivre ferait donc, par chaque groupe, le total de ce -groupe,
additionné avec tous les suivants. D'après cette considération,
on forme, à côté de la colonne des survivants (très-commodé-
ment en commençant par le dernier âge, et en remontant), cette
autre colonne que Deparcieux et M. Mathieu intitulent êomm
des vivants j et que l'on pourrait aussi appeler somme desam
à vivre. Pour avoir donc la vie moyenne d'un individu de
chaque âge, on divise chaque nombre de survivants parla
somme d'ans à vivre qui lui correspond. Seulement on dimi-
nue le quotient de 0,50, parce qu'on a supposé, pour la fed-
lité du calcul, que chaque individu meurt au bout de l'année,
tandis que l'individu moyen meurt au milieu.
« Cette méthode, employée par Deparcieux, et clairèmeflt
expliquée dans son Essai, est rapportée d'une manière assez
obscure dans V Annuaire du Bureau des longitudes *. »
L'auteur, auquel nous empruntons cette règle générale pour
le calcul de la vie moyenne, a dressé un tableau dans leqoel
il a calculé et rapproché la vie probable et la vie moyenne (te-
puis la naissance, pour 89 États, provinces, départements
français ou villes classés par le chiffre de la vie probable» eu
indiquant des périodes auxquelles remontent les faits observés
« 26« cahier, 1838.
* Éclairdssementt sur les tablés de mortalité, par M. Guillard, dans Tis-
nuaire de VÉcdnomie politique pour 1854, p. 465.
/
\
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CM. III. 59
et consignés dans les tables et documents dont il s* est servi.
Nous allons en reproduire quelques chiffres, en nombres ronds,
de la vie moyenne, auxquels il est arrivé à l'aide de son calcul.
lie lecteur trouvera également dans le travail de M. Wulirer
un tabieau-indiquant les différentes vies moyennes selon trente
tables de mortalité aux différents âges de la vie de 0 à 5 ans,
année par année, et de 5 à iOO ans, par périodes quinquen-
nales.
Les résultats indiqués par ces tableaux montrent souvent,
d'un pays à l'autre, d'une époque à l'autre, d'un âge à l'autre,
de très-grands écarts qui peuvent tenir à un vice des tables,
comme aux causes nombreuses qui ont agi sur la condition des
hommes.
C'est par le rapprochement de ces résultats sur la vie
moyenne qu'on peut comparer ensemble les diverses tables
de mortalité.
Voici, d'après le calcul de M. Guillard, quelle est la 'vie pro-
bable, et la vie moyenne, à partir de la naissance, selon quel-
ques-unes des tables que nous avons énumérées plus haut.
PATS TABLES ET DOGDMEflTS PÉRIODES
France (renliers). Deparcieux,— Mathieu, av. 1746 "
Paris (5 paroisses). Dupré, — Buflbn, . . av. 1749
France rurale. . . d« d"
France . ... Duvillard fin xviii* s.
Id De Montferrand 1817-31
Paris Anu. des longit 1841-45
France Heuschling 1840-49
Londres Siissmilch 1728-57
Angleterre. . . . Register gênerai 1842
Berlin. ..... Sûssrailch 1752-5
Prusse. ..... Tab. offic 1849
Suède.' Wargenlin 1754-6
Id Register gênerai 1796-1805
Id d» 1831-5
Belgique Quételet 1827-29
/d.. . . . . . d» 1841-50
Les tables de mortalité servent encore à déterminer com-
bien il y a, d'individus des deux sexes d'un âge déterminé sur
VIE
VIE
PROBABLE
MOYENNE
35,5
38,2
8,3
26,7
6,3
20,5
13,1
27,8
26
32,6
23,4
28,5
29,7
34,2
15,1
24,5
14,7
27,5
6,6
23,5
12,7
26,6
7
26,5
5 21,5
30,7
30
32,5
20,6
30,2
22,7
31
60 NOTES ET PETITS TRAITÉS. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
une population, et à former ainsi ce qu*on appelle des taJble&de
population ^ Pour cela, on fait la soiTiine de tous les ifoiiibres
que contient une table de mortalité, que l'on considère comme
représentant la population ; les nombres particuliers de la
table représentent le nombre des individus des divers âges
composant la population. £n appliquant le calcul à une po-
pulation donnée, on détermine, d'après ces chiffres, le nom-
bre des individus d'un âge donné. Ce calcul, celte espèce
de recensement théorique, n'est pas exact, puisque la po-
pulation n'est pas stationnaire, et que la mortalité n'est pas
annuellement la même pour les différentes catégories d'âges.
On arrive plus sûrement à un renseignement exact au moyen
de l'opération naturelle du Recensement. (V. plus haut, g 3^
p. 35.)
Il est à remarquer, ainsi que M. Guillard en a fait l'observa-
tion, que, sous ce nom de tables de mortalité, se trouvent com-
prises trois espèces de tables : les tables mortuaires ^ ou relevés
des décès classés par âges ; — les tables de survie, indiquant
combien, sur un nombre donné d'individus d'un âge donné,
il en survit après un temps déterminé; — les tables de popu-
lation y faisant connaître l'état moyen de la population, sa quan-
tité et ses répartitions quant aux sexes et aux âges. *
Gomme dernière réflexion, nous dirons que probablement
le besoin de tables exactes, variées selon les sexes, les locali- .
tés, les professions, et basées sur les faits les plus récents, ne
pourra être satisfait que par quelque corps savant officielle-
ment chargé de cette œuvre.
§ Tl. Statistique de TAgrieulture, de Flndustrie, du ConuiMMe.
Autres investigations administratives ou particulièrfNi*
Nous avons vu qu'à propos du recensement de la popula-
tion, l'administration prussienne profite de l'occasion pour
* Quelques statisticiens appellent celte série d'individus par âges, la/«i
de population. C'est une des lois qu'il faudrait dire, car il y en a beaucoup
d'autres et de plus fondamentales. Voir noire écrit intitulé Du
de population, \ vol. in-18.
OPERATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. 111. 61
aire recueillir, ainsi que le désirait déjà Vauban, des rensei-
gnements sur la population animale, et que le board of census
ies États-Unis fait recueillir des renseignements sur les di-
verses branches de la production. Il est douteux qu en multi-
3liant les données, on se les procure plus facilement et surtout
3lus exactement. Le recensement de la population a besoin de
soins spéciaux et d'une rapidité qui exclut toute autre en-
quête. D* autre part, les statistiques de Tagriculture, de Tin-
îustrie et du commerce sont assez importantes pour qu'on
3n fasse des entreprises à part, qui ont besoin d'être divisées
3t suivies avec méthode et persévérance, pour être menées à
t>onne fin.
On s'occupe beaucoup en Europe, depuis vingt-cinq an-
nées, des moyens de donner de l'impulsion à Tagricullure
ît en même temps de statistiques agricoles, pour arriver à
Jionstaler les faits de production et de consommation qui peu-
brent donner une idée exacte des diverses branches de la cul-
.ure et éclairer les cultivateurs, les économistes et les hom-
nes d'État. Dans divers pays, on travaille à constituer un corps
ie statistique agricole; mais c'est en France seulement qu'on
3^ terminé cette gjrande opération commencée en 1854, sous
es auspices de M. Passy, alors ministre du commerce, achevée
iiïi 1840, et dont les renseignements ont été recueillis et éla-
borés sous la direction de M. Moreau de Jonnés, chef du bu-
reau de la statistique générale de France*, a Sans doute, dit
M. Passy, en parlant de cette œuvre importante *, ces chiffres,
en général un peu faibles, ne doivent être considérés que
eoinme de simples approximations ; sans âoute, ils sont in-
complets à bien des égards, puisqu'il a été impossible de con-
stater beaucoup de faits relatifs aux menues cultures, et qu'il
€1 fallu passer sous silence ceux qui se rapportent aux produits
€le basse-cour, si considérables dans plusieurs parties de la
ïrance; mais enfin ces chiffres ont une signification réelle, et
les termes de comparaison qu'ils offrent, surtout entre les di-
* Elle comprend quatre forts volumes in-4, 1442-1844.
* Dictionnaire de V Économie politique^ art. âgiiigi]li\ik&.
6^ HOTES ET PETITS TRAITES. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
verses régions de la France, méritent, par leur utilité, une
attention fort sérieuse. »
M. Horeau de Jonnés expose, dans ses Éléments de statis-
tique ^, sur quels principes dirigeants il fut conduit à baser ce
grand travail :
1° L'extension des recherches jusqu'aux premiers éléments
des nombres ;
2° L'uniformité des tableaux à remplir par des chiffres,
dans chaque localité, et certifiés par les fonctionnaires char-
gés de leur exécution ;
5* La limitation et la nomenclature des objets à trente-six;
4" La multiplication des moyens de révision, de contrôle et
de correction, appliqués à tous les résultats des opérations
successives dont se composait l'investigation.
L'opération a été suivie, dans chacune des 57,000 com-
munes, en exécutant le relevé de son domaine agricole, l'in-
ventaire de ses produits ruraux, le recensement de ses ani-
maux domestiques, et un tableau par articles de ses consom-
mations. Les demandes de renseignements étaient faites par
l'intermédiaire des préfets et sous-préfets aux maires des com-
munes ', auxquels le préfet pouvait adjoindre d'autres agents
de l'administration, percepteur, agent forestier, instituteur oo
tout autre fonctionnaire public. En outre, les préfets furent in-
vités à réclamer l'aide et le concours de tous les hommes
(juges de paix, médecins, ecclésiastiques, membres de socié-
tés agricoles ou savantes, etc.) capables de contribuer au8D^
ces et à l'exactitude de l'enquête. C'est ainsi que cent mille
collaborateurs ont concoi^ru à la collection de dix-huit mil-
lions et demi de termes numériques. Des commissions de ri*
vision formées par ïe préfet eurent pour mission d'examiner
les tableaux des communes et de contrôler les erreurs et ks
omissions.
* Chap. IV, p. 75 de la 2« édit.
* En 1810, on avait adressé à ces agents un bien plus grand nombre de
questions (onze fois plus, dit M. Moreau de Jounès, p. 77, 2« édit.); aussi se
Iramërent-ils pour la plupart à ne pas répondre.
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 63
M. Moreau de Jonnêp énumère les difficullés qiie cette en-
treprise a rencontrées :
« Une si vaste entreprise, exécutée pour la première fois, et
lorsque les connaissances statistiques sont encore si peu ré-
pandues, dut rencontrer nécessairement de grands et nom-
breux obstacles. Dans quelques endroits, les enquêtes furent
accueillies avec défiance, comme devant servir à quelque
projet fiscal; mais ces fausses idées ne s'accréditèrent point.
En général, les difficultés surgirent dans les communes ru-
rales, par la tendance à répondre plutôt par des mots que
par des chiffres, par le défaut de notions des mesures métri-
ques, par Tusage commun de caractères presque illisibles, et
surtout par la nouveauté du travail, qui faisait exagérer la
puissance du moindre empêchement. Ailleurs, les difficultés
eurent pour causes : Topinion qu'une pareille entreprise ne
pouvait être exécutée, comme le cadastre, que par des agents
spéciaux et salariés; la prévention sans fondement, qui fai-
sait regarder les maires des campagnes comme incapables de
faire un travail de chiffres; une disposition opiniâtre à modi-
fier le plan général d'après le point de vue particulier de
chaque collaborateur; le défaut d'achèvement complet du
cadastre, et jusqu'à la nomenclature des différentes sortes
de surfaces, cultures, pâtis ou bois, qui, dans un pays aussi
vaste, ne peut être exempte de variations, d'incertitude et de
confusion *. »
Les opérations d'une statistique de Vindustrie ont beaucoup
d'analogie avec celles d'une statistique agricole. Ce sont tou-
jours des exploitations à recenser. C'est le même but à attein-
dre; ce sont des difficultés analogues que l'on rencontre; ce
sont des procédés semblables à employer, soit pour recueillir
les faits, soit pour les constater, soit pour les élaborer.
Les classifications diffèrent, mais elles sont fournies par
la nature des choses et les plus simples connaissances des
* Voir, plus loin, ce qui est dit au sujet de l'organisation de la statis-
tique, chap. IV. jl
64 ROTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMESTS DE STATISTIQUE.
sciences naturelles et de la teclinologie. Toutefois, c'est là un
point de la plus haute importance pour la bonne direction de
l'entreprise, et pour l'intelligence et l'utilité des documents ^
Les indtistries extractives ont pris, dans plusieurs pays, une
importance de premier ordre ', et leur statistique se trouve à
plusieurs égards assez avancée. C'est ainsi qu'en France les
ingénieurs des mines sont chargés de recueillir annuellement
des faits C[ui sont publiés en un compte rendu d'abord annuel,
puis triennal, puis à époques indéterminées (le dernier en
1861), et qui renferme les éléments d'une statistique sinon
complète, au moins déjà trés-riche en renseignements. Il en
est de même en Belgique.
Le cndastre et les cartes topographiques fournissent aussi
de précieux éléments à la statistique de l'industrie extractive.
Pour la statistique commerciale, il y a des ordres de faits
distincts à constater : d'une part, les faits relatifs aux trans-
ports et aux voies de communication, au voiturage en un
mot ; — et ceux relatifs au mouvement et à l'importance du
commerce intérieur; — d'autre part, les faits relatifs an
commerce extérieur.
Pour le commerce extérieur, l'administration des douanes
fournit dans beaucoup de pays, et depuis plusieurs années
(en France depuis 1850), des relevés statistiques très-com-
plets et fort bien élaborés sur l'exportation et l'importation des
produits naturels et fabriqués, et aussi sur le transit, la navi-
gation commerciale lointaine, le cabotage et le mouvement des
ports, — tous documents que la statistique centrale n*a plus
qu'à condenser.
Les documents de l'administration publique et des entre-
prises de transport pourront aussi fournir des éléments d'une
statistique de voiturage; mais il paraît difficile de pouvoir a^
river à une constatation suffisante de faits relatifs au mouve-
\ Quatre volumes, élaborés et publiés (i 840-42) sous la direction de
M. Morcau de Jonnës, contiennent les résultats de la Statistique de rin-
dustrie en France.
* Voir ce qui est dit au Traité d'Économie politique, chap. ii, g 9.
OPÉRATIONS DE LA STATISTIQUE. — CH. III. 65
ment et à l'importance du commerce intérieur, si activement
développé de nos jours pour le perfectionnement des voies de
communication.
De nombreuses indications ont été données, depuis vingl-
cinq ans, à Toccasion du développement des voies de commu-
nication; mais, outre que ces indications ne présentent aucun
caractère d'ensemble, elles ne sauraient avoir une grande va-
leur scientifique ; car elles se sont généralement produites
pour la défense ou l'attaque des intérêts privés des localités
ou des divers systèmes des voies de transports qui les traver-
sent. Déjà cependant la statistique peut tirer parti des comptes
et des relevés que sont obligées de dresser, pour éclairer leur
administration, les grandes compagnies qui exploitent les voies
de communication.
Il paraît également difficile de dresser une statistique de
toutes les industries et professions dites libérales, artistiques
ou savantes, qui ne sont pas comprises dans les trois grandes
catégories ci-dessus, et qui embrassent néanmoins une somme
très-importante d*a(itivités sociales ^
Tous les sujets que nous avons indiqués (p. 26) peuvent
faire l'objet de recherches statistiques, et, en fait, il y a dans
ces diverses branches de l'administration des investigations
organisées pour recueillir certains faits spéciaux et les grou-
per numériquement. Ces opérations ne présentent pas les
mêmes difficultés que celles que nous venons* d'énumérer.
Gomme elles sont continuelles et plus restreintes, l'organisa-
tion et le contrôle sont plus faciles, les agents plus habiles.
11 y a plusieurs de ces investigations, dans les divers pays,
dont la nature et le but varient selon la nature et les circon-
stances de ces pays. Il nous serait impossible d'en donner ici
un simple énoncé. Citons seulement comme dignes d'atten-
tion, en France, par leur importance et leur degré de periéc-
tion : les tableaux annuels du Commerce extérieur, pubhés
par la douane, que nous venons de mentionner, et remarqua-
* Voir aussi Traité d'Éctmomie politiquey chap. n, § 9.
66 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
blement perfectionnés sous l'administration de M. Gréterin,
depuis 1850^; — les tableaux de l'administration de la justice,
sous la direction successive de M. Guerry de Ghampneuf et de
M. Arondeau, publiés depuis 1825 ; — la statistique annuelle
des établissements de bienfaisance et des établissements de
répression •; — le compte rendu général des finances, annuel;
-^ le compte rendu des ingénieurs des mines (cité ci-dessus,
p. 64); — le tableau de la population et du commerce des
colonies françaises, publié par le ministre de la marine; — le
compte rendu des établissements de l'Algérie, publié parle
ministre de la guerre ; — les mouvements annuels de la popu-
lation de Paris énumérant les décès par nature de maladies, à
domicile et dans les hôpitaux, publiés par la préfecture de
police de Paris, depuis 1830, soùs la direction de M. Trébu-
chet; — la statistique de la ville de Paris, commencée en 1820,
sous l'administration de M . Chabrol de Yolvic, par le savant ma-
thématicien Fourier, et dont on publie de temps en temps un
volume (le VI« en 1860); — la statistique de l'industrie de
Paris, résultat de l'enquête faite pour les années 1847 et 1848,
parles soins de la chambre de commerce et sous la direction
de MM. Horace Say, Natalis Rondot et Léon Say, formant un
grand in-4° plein des renseignements les plus curieux, et pou-
vant servir de type aux statistiques des grands centres de
population. ^
A la suite *de ces opérations de la statistique corporative des
administrations, un grand nombre de travaux individuels, tant
d'ensemble sur les pays que spéciaux, pourraient trouver leur
place ici. Vouloir les énumérer, ce serait vouloir faire la liste
des travaux de tous les statisticiens de quelque mérite de tous
les pays.
* Un fort volume grand in-4, tous les ans. Deux volumes de résumés dé-
cennaux ont été publiés pour chaque période 1826-1836, 1837-1846,
1847-1856. — La première période a été condensée en un yolume an bu-
reau de la statistique générale (1838), sous le titre de Commerce extérieur.
• Elle a fourni les éléments de deux volumes publiés (1843-1844) sons le
titre Administration publique, par le Bureau de la statistique générale.
CHAPITRE IV
DE LA NATURE DES CHIFFRES ET DES MOYENS ADMINISTRATIFS
DE LES RECUEILUR.— INSTITUTIONS DE STATISTIQUE
r. De la nature des chiffres et des différents moyens administratifs de les
recueillir et de les élaborer. — II. De l'organisation des statistiques
officielles. — III. Des autres manières de recueillir les faits. — Commis-
sions spéciales. — Enquêtes. — Sociétés libres de statistique. — Tra-
vailleurs libres.
S ■• De 1» natiire ile« ehifTres et des difrérentes mmnières
de les reeaeillir et de le« élaborer.
Les chiffres sont de trois sortes : ou officiels ou compilés,
ou provenait de sources particulières.
Les chiffres officiels sont le résultat de grandes investiga-
tions dont rinitialive appartient à l'autorité publique, ou à
une branche de Tadministration, et qui sont obtenus à l'aide
d'un corps d'employés dont elle, accepte le travail. On donne
encore le nom de chiffres officiels à ceux qui sont recueillis
par l'initiative d'un grand corps particulier, une chambre de
commerce, par exemple, et même à ceux que publie sous sa
responsabilité une grande entreprise particulière; mais dans
ces trois cas l'expression a un sens légèrement différent. On
comprend que ces chiffres officiels sont d'autant plus exacts
et doivent inspirer d'autant plus de confiance que les rouages
administratifs à l'aide desquels on les recueille fonctionnent
mieux, et que les hommes qui président à leur élaboration
sont plus expérimentés, plus éclairés et plus consciencieux.
M. Moreau de Jonnès * ajoute : « 11 leur faut, pour échapper
à tout soupçon, être publiés avant les discussions publiques
auxquelles ils doivent servir. Rien ne les décrie dayanlage que
* Éléments de statistique, p. 130, 1" édit , 1847.
68 NOTES ET PETITS TRAITÉS. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
d*êlre préparés pour une occasion; ils perdent alors leur ca-
ractère historique, et risquent de descendre jusqu'à celui de
documents apocryphes. Dans notre temps, où la défiance du
pouvoir est poussée à l'extrême, il n'est pas superflu délimiter
la statistique officielle à des chiffres seulement, sans aucune
déduction de leurs conséquences; cette réserve est sans doute
fâcheuse, puisqu'elle prive le pays de commentaires essen-
tiels, qu'elle borne l'usage de la statistique à un petit nombre
d'adeptes, et que l'intérêt des publications, ou même leur uti-
lité pratique en est considérablement diminuée. Mais aussi
l'autorité ne s'engage-t-elle pas dans des interprétations et des
assertions qui, quoique fondées, n'en pourraient pas moins
être inopportunes ou indiscrètes? D'ailleurs les chiffres, sépa-
rés de toute explication, n'en conservent que mieux leur indé-
pendance, et gardent bien plus sûrement, à l'abri de leur
caractère mystérieux, le trésor de la vérité. Toutefois, l'esprit
du temps peut à cet égard être consulté. »
Nous sommes de l'avis de M. Moreau de Jomiès sur les
avantages des comme>itaires explicatifs, et nous pensons
qu'on en ferait disparaître tous les inconvénients si ces com-
mentaires étaient signés parleurs véritables auteurs, et publiés
uniquement sous la responsabilité de ceux qui les auraient
rédigés. Nous voudrions qu'on indiquât également la manière
dont on a procédé pour obtenir les chiffres, et qu'on les mit
sous la responsabilité morale et scientifique de ceux qui les
ont élaborés ; on verrait ainsi disparaître le mysticisme des
chiffres officiels, trop critiqués par les uns et trop prônés par
les autres. Il y a des personnes qui croient avoir produit un
argument péremptoire lorsqu'elles ont dit : C'est un chiffire
officiel!... Un chiffre officiel ne vaut ni plus ni moins, parce
qu'il est officiel; la confiance qu'il doit inspirer dépend de h
manière dont on l'a recueilli, des circonstances dans les-
quelles on l'a obtenu, et des personnes qui l'ont élaboré. —
Il y a peut-être lieu de faire remarquer ici que, parmi les
chiffres officiels que publie la Douane, il y en a une catégorie
qui est spécialement désignée par les mots de valeurs off^-
(
CHIFFRES, MOYENS DE LES REGQEILUR. — CH. IV. 69
cielles. Ce sont les résultats des évaluations et produits selon
des prix remontant à 1796 en Angleterre, à 1826 en France,
par opposition aux évaluations selon des prix vérifiés d'année
en année et qui donnent lieu à des évaluations dites valeurs
actuelles. Ajoutons qu'il serait vraiment utile que les ministres
et les chefs de service renonçassent à la fiction, en vertu de
laquelle ils signent des travaux qu'ils n'ont ni inspirés, ni diri-
gés, ni surveillés, induisant le public en erreur sur la qualité
et la nature des documents, exonérant les auteurs de la res-
ponsabilité de leurs œuvres, leur enlevant l'honneur qui de-
vrait leur en revenir, et contribuant ainsi à faire obtenir des
résultats moins contrôlés et finalement inférieurs.
Ce qui serait encore utile, c'est que chaque document fût
accompagné, sinon d'un commentaire, au moins d'une expli-
cation indiquant la nature des sources auxquelles on a puisé,
l'espèce des agents et la nature des procédés qui ont élé em-
ployés.
Au sujet des chiffres compilés, nous dirons encore avec
M. Moreau de Jonnés*: « que les chiffres compilés par des
auteurs quelconques, dans les documents officiels, exigent
deux conditions de crédibilité qui leur sont absolument néces-
saires : l'une est la citation précise des papiers d'État qui les
ont fournis, à l'effet qu'on puisse au besoin les éclaircir ou les
vérifier ; l'autre est le nom de celui qui en a fait l'emprunt,
afin d'apprécier le degré de confiance qui lui est dû. Vouloir
s'affranchir de ces trois conditions, c'est substituer à des té-
moignages décisifs une opinion isolée, et réduire des preuves
indubitables à des assertions sans valeur. On dirait volontiers,
en voyant la répugnance que quelques auteurs ont à citer les
sources de* leurs chiffres, qu'ils prétendent s'attribuer, devant
le public, les travaux qu'ils ont recueillis, constatés et éla-
borés. »
Pour les chiffres compilés comme pour ceux qui sont d'une
origine individuelle, le nom de celui qui les produit est égale-
* Éléments de ntatistique, p. 131, 1" édit.
70 NOTES ET PETITS THAITÉS. ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
ment indispensable ; car tant vaut rhomme, tant vaut le docu-
ment; et, dans ce dernier cas, il est pareillement nécessaîtede
spécifier l'origine des chiffres, la manière dont ils ont été re-
cueillis, et les causes qui les ont fait rechercher.
On comprend que les cliiffres d*une origine individuelle ne
peuvent porter que sur des sujets restreints : les particuliers
travaillant seuls ou avec des moyens plus limités que les ad-
ministrations ou rautorilé publique. "Cependant il peut y avoir
et il y a des bureaux de statistique attachés à de grandes en-
treprises, qui peuvent produire des documents d une certaine
étendue ; mais alors ces documents affectent le caractère des
documents officiels, et on peut leur appliquer les observations
que nous avons faites plus haut.
En général les efforts des statisticiens, qui travaillent libre-
ment et individuellement, portent de préférence sur les com-
mentaires et les explications des divers documents officiels et
autres dont ils rapprochent les éléments et dont ils tirent les
conséquences, faisant en cela, à certains égards, œuvre de
statisticiens, et, à d'autres égards, œuvre d'arithméticiens poli-
tiques, s'ils suppléent par des inductions aux lacunes et an
silence des documents officiels.
§ II. De l'ors»iû«atîoii des sUitisliques offfieielle«.
Nous venons de voir le rôle important des statistiques offi-
cielles. La question de leur organisation, c'est-à-dire de la
manière dont sont organisés administrativement les hommes
qui les dressent et les élaborent, est une de celles sur te-
quelles il a été beaucoup discuté depuis quelques a^nées.
Deux systèmes sont en présence : celui d'un bureau de sti-
tistique central, dépendant de l'autorité ministérielle, pou-
vant se servir des agents et des rouages de TadministratioD
pour recueillir des faits et des chiffres qu'il est chargé ensuite
d'élaborer, de contrôler et de publier au nom de rautorité; et
celui de commissions spéciales de statistique, organisées dans
le pays en corps scientifiques, indépendants, travaillant sousla
CHIFFRES, MOYENS DE LES RECUEILLIU. — CU. IV. 7j
)roteclion, mais non sous la dépendance de Taulorité minis-
érielle et administrative. Le premier système est notamment
îelui de la France et de la Prusse ; le second celui qui a été
idopté par la Belgique et, à son exemple, par le Piémont et
l'Flspagne.
Les deux organisations ont leurs avantages et leurs incon-
vénients. Assurément un bureau central peut tirer un excel-
lent parti des ressources de la hiérarchie et de la centralisa-
tion administrative pour traiismeltre ses indications et rece-
voir les résultats; mais la qualité de ces résultats n'en reste
pas moins subordonnée à la nature des agents administratifs,
dont les uns peuvent être trés-aptes à cette besogne et dont la
plupart y sont parfaitement impropres. Telle n*est pas cepen-
dant Topinion de M. Moreau de Jonnés en ce qui concerne la
France. « Il se trouve, dit-il S que presque partout les travaux
de statistique sont maintenant exécutés avec régularité, exac-
titude et précision par tous les fonctionnaires. L'expérience
des dernières années a montré que, d un bout à l'autre de
la France, on peut faire dresser, dans chaque commune, un
tableau des cultures ; dans chaque fabrique, un bulletin in-
dustriel; dans chaque ville, un état de consommation et
un relevé des salaires des ouvriers; dans chaque préfec-
ture, une multitude de tableaux sur les hôpitaux, les aliénés,
les enfants trouvés, les bureaux de bienfaisance, les pri"
sons, etc. »
Assurément l'expérience de M. Moreau de Jonnés est impo-
sante : cependant notre confiance ne saurait égaler la sienne.
Dans le système des commissions locales, reliées par une
commission centrale qui dirige les travaux, coordonne et con-
trôle les résultats, l'avantage est dans l'indépendance vis-à-vis
de l'autorité, dans l'appel fait à la collaboration d'hommes
zélés et spéciaux, qui se surveillent, se contrôlent les uns les
autres ; dans une plus grande responsabilité de tous les col-
laborateurs ; dans une émulation réciproque. L'inconvénient
« Éléments de statistique, p. 108^ 2« édit., 185G.
72 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
est dans une hiérarchie plus faible et une moindre action de
la direction divisée et peut-être neutralisée.
Les remarquables travaux publiés depuis quelques années
par la commission centrale de statistique belge, que préside
îf . Quételet et dont M. Heuschling est le secrétaire, prouval
en faveur de cette organisation, qui a déjà donné de bons ré-
sultats en Piémont et pour laquelle nous aurions une prèle-
rence, bien que nous soyons très-loin de méconnaître l'impiu^
tance des publications faites par Tautre système, celles no-
tamment dirigées en Prusse par Dieterici et M. Engel, — en
France par M. Moreau de Jonnés et M. Legoyt, etc.
Ce système a été modifié en France et rapproché du système
des commissions. Un décret du i®"" juillet 1852, inspiré par
M. Legoyt, successeur de M. Moreau de Jonnès, a créé des
commissions ou sociétés de statistique permanentes dans dia-
que chef-lieu de canton, dont les travaux sont contrôlés p»
des sociétés de chefs-lieux d'arrondissement et des départe'
ments, et centralisés au bureau de statistique de Paris ^ Des
sociétés analogues fonctionnent en Prusse. Cette nouvelle o^
ganisation a donné quelques bons résultats en certains en-
droits, mais elle laisse à désirer. 11 eût mieux valu conserver
à ces sociétés un caractère scientifique et indépendant en
dehors de l'action des préfets et des sous-préfets, trés-souveirt
tout à fait étrangers aux notions statistiques et économiqneSi
et dont le caractère politique peut écarter d'autres honunes
plus compétents et plus dévoués à la science.
Quoi qu'il en soit, l'adjonction des sociétés de statistique
est un correctif au système des bureaux trop exclusivement
administratifs, qui gagneraient encore à être rendus tout à flA
indépendants de l'autorité politique, comme est devenu k
boardof trade en Angleterre, bureau d'informations, d'investi-
gations et de pubhcations statistiques. C'est en une institution
semblable que finiront par se réduire tous les ministères et
* Les membres de ces sociétés sont nommés par les préfets et les flOU^
préfets, et présidés par eux.
CHIFFRES, MOYENS DE LES RECUËILLiR. 73
divisions ou directions de l'agriculture, des lyanufaclures et
du commerce. — En composant ces bureaux d'une manière à la
fois scientifique et administrative, c'est-à-dire en laissant la
direction des travaux à un chef responsable, pouvant être con-
seillé et centrôlé par une commission scientifique, on arrive-
rait à avoir les avantages des deux systèmes sans leurs incon-
vénients.
§ III. De* «ntres manières de reeueillir les taîim. >- Commis^
«ioiM spéeialefl.— Enquèles. — Soeiétés libres de stalislique.
L'expérience qui a été faite par la chambre de commerce
de Paris prouve que les investigations statistiques peuvent être
habilement conduites et menées à bonne fin, sans aucun appa-
reil administratif, par un ou plusieurs hommes compétents.
Les faits de la Statistique de l'industrie de Paris, que cette
chambre a publiés (1851) en un gros volume in-foUo, ont été
recueillis sous la direction de M. Horace Say, secrétaire de la
chambre, et parles soins de MM. Natalis, Rondot et Léon Say,
directeurs adjoints, qui, pouvant disposer des fonds votés par
la chambre, ont choisi des employés propres au travail, les
ont organisés, guidés, contrôlés de façon à produire les infor-
mations statistiques les plus riches en faits et les plus dignes
de confiance.
Le mode qui a si bien réussi pour Paris pourrait être em-
ployé pour d'autres villes, pour un département, pour une
province ; et c'est ainsi que peut-être on arriverait, à l'aide
d'un petit nombre d'hommes capables et dévoués à la science,
à des résultats profitables, plus facilement qu'avec l'appareil
administratif. On pourrait, en ce cas, tirer un grand parti
des hommes les plus capables des sociétés départementales
ou provinciales; et on comprend que le bureau central ou la
commission centrale aurait à opérer sur des bases bien plus
sûres que celles que présentent les documents recueillis par
des maires ou des sous-préfets ou par d'autres agents admi-
nistratifs plus ou moins insouciants.
Indépendamment des organisations statislicpL^^, \V ^^\\vw
74 AOTES ET l'ETIT» TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
mode d*investigalions duquel on a tiré, surtout en Angleterre,
un très-grand profit pour Tavanceinent des sciences écono
iniques et pour le développement de la slatistique. Nous vou-
lons parler des Enqti£te8 diies parlemejitair^es quand elles sonl
conduites par une commission nonunée par le pouvoir législa-
tif, et administratives quand elles sont provoquées et dirigées
par une administration quelconque. Ces commissions s^adres-
sent à toutes les personnes qu elles supposent devoir éclairer
la question, — provoquent, dans de nombreux interrogatoi-
res, des dépositions plus ou moins étendues; — recueillent
des masses de faits à la connaissance des particuliers, qui
resteraient inconnus sans elles ; — surexcitent les recherches
administratives, — et mettent au jour des renseignements et
des chiffres qui projettent la lumière sur les questions à
l'étude^
On peut, à de certains égards, donner le nom d'enquêtes à
des travaux de recherches individuels ayant pour but de col-
liger, mettre en ordre, grouper et élaborer soit des faits
épars dans divers établissements ou administrations, soit
des faits dont les éléments sont encore plus disséminés et
qu*on ne peut se procurer qu'avec beaucoup de peine, de sa-
gacité et de persévérance \ Quel(|uos-unes de ces productions
* En Angleterre, la comniiMion d'emiuôlc parleiricntaire est tot^jonn
Compo843e (l'un nombre égal des deux opinions. En France, il y a eu «ni
la Restanration des enquêtes sur les (]uestions des fers, d(S houillei, àa
sucres; — Sous le goiivcrneinent de juillet, des en([uôtes sur les prohibi-
tions (î 834], les tabacs, Tesclavage, etc.; — Sous la République, des ea-
quôt(>s par le conseil d'Âal sur les chemins de 1er, les théâlrcs, les monts-
de-piété, le crédit foncier; des enquêtes par la chami)re sur les boissous;
sur le matériel de la marine (a été interrompue par les événements df
décemin'c 1852);— Sous l'empire; lemiuôlesur le traité du commenB
de 1860 entre la France et rÀngieteiTc; — Tenquôte sur réchelleHi»-
bile, à l'occasion de ce traité; — l'enquéie sur la marine marchinde
(en cours d'exécution); — toutes administratives par des commissions spé-
ciales. — Parmi les enquêtes anglaises consignées dans ces volumioeD
in-folios, qu'on appelle des Blue Bookn (livres bleus), nous citerons, enUt
autres : L'enquête sur la taxe des pauvres (1853); sur l(*s lois d'usure (1841)i
publiée en 1845; sur les lois de navigation (1846); sur l'Australie (1851)^
'Nous pouYona citer dans cet ordre des documents recueillis p*
CHIFFRES, llOVËiNS DE LDS RECUEILLIR. 75
ent la puissance des efforts individuels, et sont des œu-
^es et quelquefois supérieures aux œuvres officielles,
sociétés libres de statistique peuvent aussi contribuer
ement au progrès des études et à la production des tra-
latistiques. Mais, pour atteindre ce but, elles doivent
le caractère sérieux et sévère d'associations vraiment
fiques : telle est en première ligne la Société statistique
idres, fondée en 48^4, qui a groupé dans son sein les
es de la Grande-Bretagne du premier mérite, et qui a
dans son journal des mémoires extrêmement remar-
s, faisant de ce recueil une des sources les plus riches
3 statisticien et l'économiste. La Société de Londres a
naissance à plusieurs autres sociétés, parmi lesquelles
itérons celle de Dublin, présidée par M. Whately, ar-
[ue de Dublin et savant économiste, les sociétés de Li-
1, de Manchester, de Glasgow.
iei aussi des sociétés de statistique aux États-Unis : à
3rk, à Boston et dans d'autres villes,
en a sur le continent à Brc^mc, Hambourg, Francfort. —
enons de dire que la commission centrale de Belgique
artie le caractère de société non officielle,
essais de sociétés libres de statistique ont été moins heu-
1 France ; mais on peut dire que dans ce pays une section
iadémie des sciences et une section de l'Académie des
is morales et politiques remplissent, à quelques égards,
]^i*egor, sur les tarifs des différents pays;— par M. Porter, sur plu-
ujets [Progress of the nation); —par M. Reniacl»*, sur les enfanls
— parM. de Watleville. sur les entants trouvés, lesniont^-de-piété,
issemcnts de bienfaisance; — pur M. Leplay, sur les ouvriers euro-
— par M. Dupcctiaux, sur les bud^^ets économiijues des class(»s ou-
— par M. Newmarch, sur les effels de commerce circulant en Au-
, siu* Tor et l'argent ; — I/Émigi'ation européeinie, par M. Legoyt;
vante histoire des prix de M. Tooke, continuée avec la collobora-
M. Newmarcii, etc., elc. Je cite de mémoire et je fais un grand
d'oublis. — » Les rapports des jurys au sujet des diverses expo-
locales ou nationales et surtout ceux auxquels ont donné lieu les
)ns internationales de 1851 à Londres, 1855 à Paris, 1862 à Lon-
76 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
le même rôle que la Société statistique de Londres, et que les
bulletins de ces académies et le Journal des Êtonomistes ren-
ferment de temps à autre des travaux statistiques de premier
ordre. — En 1860, M. Legoyt, chef de la statistique générale
de la France et successeur de M. Morcau de Jonnès, dans ce
poste, a été le promoteur d une société qui a pris le nom de
Société statistique de Paris, qui compte parmi ses membres
plusieurs hommes éminents, et qui publie un BîUletin *. Noos
avons mentionné (page 72) les essais des sociétés départemen-
tales semi-libres, semi-officielles, dues aussi à Tinitiative de |
M. Legoyt. 11 existe depuis longtemps à Marseville une sodété 1
de statistique, qui, par ses concours, a provoqué quelques
utiles publications. Dans quelques villes les sociétés sdenti-
fiques, agricoles, etc., ont ajouté le mot statistique dans leur
nom et leur programme.
En France et dans les autres pays, il y aurait un grand parti
à tirer par la statistique de toutes les sociétés savantes, d'i-
griculture, belles-lettres, arts, etc., qui sont constituées dans
les différents centres et groupent les hommes studieux, dé
toutes les associations, de toutes les grandes compagnie.
C'est ainsi que le gouvernement anglais demande à la sodété
d'agriculture d'Ecosse la statistique agricole de ce pays. (Test
ainsi que la société industrielle de Mulhouse, la Financialn"
form association de Liverpool, etc., la société pour rabolitioa
de l'esclavage, les compagnies des chemins de fer, celles d*»-
surances, etc., et de simples maisons de commerce, dontlenit
circulaires annuelles ont recueilli et publié d'intéressants do-
cuments.
* n existe à Paris depuis plus de trente ans et sous le nom i
française de statistique tmiversellej une société fondée par feu 1
Moreau de Marseille qui publie un Bulletin, mais qui est resté i
nexe sans gi^ande notoriété, d'une société d'arts et métiers fondée pir I
môme, vers 1835. ^i
CHAPITRE V,
UTILITË ET PROGRÉS DE LA STATISTIQUE
T. Utilité de la statistique. — II. Pro^s de la statistique. — Les Congrès
de statistique: — III. Publications et documents de la statistique.
§1. Utilité de la Statistique.
Qui dit connaissance des faits sociaux, exprimés en chiffres
précisant la vérité aux yeux et à l'esprit, dit la suprême utilité
de la science qui a cette connaissance pour but. Au point de
vue public de la politique et de l'administration des États, la
statistique est, nous l'avons dit, tantôt 1 indication de mesures
à prendre, d'abus à éviter, tantôt la pierre de touche de me-
sures prises, de progrés accomplis ou d'abus augmentés. Ré-
sumant et groupant les éléments de la comptabilité, qui est
une de ses sources, elle présente la situation industrielle, com-
merciale, financière, morale d un pays; et ses résultats sont
comme autant de salutaires maximes inscrites au chevet des
hommes chargés des intérêts généraux. « Jadis, dit M. Moreau
de Jonnés *, le cri du peuple était : Si le roi savait! Maintenant
il sait tout; il suffit de quelques chiffres pour lui faire connaî-
. Ire les abus. Il y a quinze ans, la mortalité des enfants trouvés
était, dans quelques hospices, de 25 sur 100. La statistique
dénonça ce méfait, et cette mortalité est aujourd'hui réduite
de plus de moitié. Sans elle, on eût continué d'ignorer que,
depuis cent ans peut-être, il y avait des hôpitaux où la mort
emportait le quart des malheureuses créatures confiées à la
monstrueuse charité, d
« Dans la prison de Vilvorde, dit de son côté M. Quételel*
* Éléments de statistique 1847, 1" édit., p. 5.
^ fjôttre sur la théorie des probabilités, p . 350 .•
78 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
il a régné pendant les années 1802, 1803 et 1804, une morta-
lité telle, que jamais les hommes, pendant les pestes les plus
affreuses, jamais les soldats, pendant les guerres les plus des-
tructives, n'ont été décimés d'une manière plus épouvantable.
Sur quatre prisonniers, il en mourait annuellement trois! Ce
Aéau, produit d une administration vicieuse, commença à sé-
vir avec moins d'intensité en 1805, grâce à d'utiles réformes;
et, deux ans après, tout était à peu près rentré dans l'état
normal... Une science, ajoute M. Quélelet (il s'adresse au duc
régnant de Saxe-Cobourg et Gotha), qui a pour mission de ré-
véler des faits pareils ne saurait être sans importance aux
yeux d'un prince éclairé. »
Mais on ne se ferait qu'une idée incomplète de son utilité si
on ne considérait la statistique que dans ses rapports avecla
politique ou l'administration de l'État; elle est d'un secours
non moins utile pour la direction et l'administration des inté-
rêts privés. Les faits qu'elle constate, les chiffres qu'elle met
en lumière, sont propres à guider le commerce et l'industrie
tant agricole que manufacturière, les entreprises de toute sorte
et non-seulement celles qui sont soutenues par de nombreux
capitaux associés, mais encore celles qui n'ont à leur disposition
que dos instruments de travail plus modestes. Elle a d'utiles
indications pour tous les ouvriers de la ruche sociale, et,
quand elle n'agit pas par des renseignements directs et spé-
cieux, elle exerce une influence salutaire sur l'instruction
générale, et contribue à faire entrer la notion de la nature des
choses dans tous les esprits : — c'est pour cela qu'on doit en-
seigner l'Économie politique, qui l'attire naturellement avec
elle, et sans laquelle elle n'offrirait que des sujets de leçons
trop arides.
§ II. Progrès de la statistique. — I<es Ooniprès de statlsOqpM.
En parlant du cadastre, du recensement, du mouvement de
la population et des autres opérations de la statistique, nous
sommes entrés dans quelques détails historiques relatifs aux
premiers travaux de cette science et au développement qu'ils
UTILITÉ ET PROGRÈS DE LA STATISTIQUE. — Cil. V. 79
ont reçu. D'une manière générale, •on remarque que la sta-
tistique) et la statistique ofticielle en pari icu lier, a fait de
grands progrès dans tons les pays aussitôt que la paix a pu
répandre ses bienfaits et amener des améliorations adminis-
tratives. L'impulsion a été donnée par l'Angleterre, et a été
silccessivement suivie par tous les pays, à des degrés différents,
au fur et à mesure que les avantages de la publicité ont été re-
connus. On s'est bientôt aperçu que la statistique était une
véritable nécessité des constitutions représentatives; et, d'au-
tre part, il y a cela de remarquable que les gouvernements
absolus se sont trouvés entraînés à suivre le mouvement; la
, statistique avait fait des progrès notables en Prusse avant que
ce pays n'eût une constitution qui ne date que de quelques an-
nées. La Suède, la Russie et l'Autriche elle-même ont cultivé
la statistique. Mais, à tout prendre cependant, on peut dire
que les progrès de la statistique sont proportionnels à ceux
des institutions ou à l'influence des hommes d'Étal à esprit
libéral qui se sont quelquefois rencontrés dans les pays des-
potiques. « 11 y a, dit M. Michel Chevalier ^ une liaison si in-
time entre le système représentatif et la statistique, que
ramèlioration de l'un doit provoquer nécessairement le per-
fectionnement de l'autre... Qui dit régime représentatif dit
publicité. Je ne prétends pas que la statistique soit toute la
publicité, mais l'on m'accordera qu'elle en forme le matériel.»
. Les travaux d'un grand nombre de statisticiens contempo-
rains ont beaucoup contribué aux progrès de la science sta-
tistique, dont l'utilité est de jour en jour plus reconnue par
les gouvernements et l'opinion, et dont l'autorité s'accroît
au fur et â mesure que les recherches deviennent plus com-
plètes.
Parmi les institutions, celles qui ont le plus contribué â ce
progrès, sont bien certainement la Société de Londres et la
Commission centrale de Belgique. •
* Préface au Progrès de la Grande-Bretagne ^ traduit de l'anglais do
Porter, par H. Chemin-Dupoiités, 1837, p. 11.
80 NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
La statistique aura reçu, dans ces dernières années, une
heureuse impulsion des cinq congrès de statisticiens qui se
sont successivement tenus : — €|n 1 853 à Bruxelles; — en 1855
à Paris ; — à- Vienne en 1857; — à Londres en 1860, — à
Berlin en 1865. Ces réunions, dues à rintelligenie initiatÎTe
de MM. Visschers, Quételet, et feu Joseph Fletcher *, ont poOr
effet de rapprocher les amis de la science, de les instruire
mutuellement, de faire connaître les sources et les modes d'in-
formation dans chaque pays, d'amener Tunifonnîté dans les
informations et les documents officiels, de faire circuler ces
documents, de faire progresser les méthodes d'observation et
d'investigation, et de provoquer des recherches, des études,
des mémoires utiles et profitables à la science et à la civilisation.
L'histoire des progrès de la statistique dans les différents
pays, celle de l'origine, des développements et de l'importanoe
des documents qui se publient, a un intérêt tout particulier;
mais ils nécessiteraient de nombreux détails qui dépasseraient
les bornes de notre cadre. Nous renvoyons le lecteur â un in^
téressant chapitre de M. Moreau de Jonnès, aux connptes ren-
dus des congrès de Bruxelles, de Paris, de Vienne, de Londres
et de BerHn, dans lesquels divers membres ont fait des
exposés circonstanciés sur leurs pays respectifs.
§ lll. Pnblieationfl el docmneiita de la statwiti^iie.
Le lecteur trouvera aussi, soit dans le livre de M. Moreaude
Jonnès, soit dans les comptes rendus des congrès de statistique,
soit à la suite de notre article statistique, dans le Dictionnairt'
de l* Économie politique^, soit dans deux publications de M.Hea-
schling : Bibliographie histori([ue de la statistique en ilfe*
magne^ Bruxelles, Decq, 1846; — Bibliographie historique^
la statistique en France, broch. in-8**, Bruxelles, Decq, 1851,
— l'énoncé des sources officielles et privées auxquelles peu-
vent puiser tous ceux qui s'occupent de travaux statistiques.
Nous nous bornerons ici à rappeler quelques publicaticnf
' Dont ces Éléments sont le développement.
UTILITÉ ET PROGRÈS DE LA STATISTIQUE. — CH. V, 81
en petit format où se trouvent annuellement condensés un
grand nombre de documents ; ce sont :
L'Annuaire de l'Économie politique et de la statistique^ y un
vol. in-i8, tous les ans, depuis 1844. Il contient un grand
nombre de documents relatifs à la France, à la ville de Paris,
à divers pays et à diverses questions ;
Le Companion ta the Almanac, annuaire statistique spécial
à l'empire britannique, un vol. in-8®, tous les ans, depuis 1828;
VAlmanac americany annuaire statistique spécial aux États
de la confédération américaine, un vol. in-8'' tous les ans de-
puis 1829.
Des annuaires analogues à ces deux derniers sont publiés :
Pour l'Ailemagne, par M. Otlo-Hubner, depuis 1855); — pour
la Prusse, par M. E. Engel (l"^* année, in-8°, 1863; —pour
TAutriche, par M. de Czoervisg (l'« année, 1861) ';
Pour la Hollande, par le département de Tintérieur, sous la
direction de M. Baumhauer, depuis 1 849 ;
L'Annuaire des bureaux des longitudes, contient annuelle-
ment des renseignements sur le mouvement de la population
en France, avec des tables de mortalité diverses, et divers ta-
bleaux et indications sur les poids et mesures français et
étrangers, sur les monnaies, sur les densités, etc. — Sur V Al-
gérie, V. l'Annuaire de M. Jules Duval pour 1854, qui n'a pas
été contiuué ;
Pour la Belgique : Y Annuaire de V Observatoire , depuis 1 854,
par M. Quételet, in-18, présentant les documents statistiques
relatifs à la population, aux finances, aux tribunaux, au com-
merce de la Belgique; — un annuaire de slajistique (1854)
par M. Aug. Scheler, non continué ; — un autre continué d<^-
puis 1857, et commencé par M. Romberg;
* Que nous avons publié pendant douze ans (de concert, avec M. Guillau-
min) de 1844 à 1855, et pour Télaboralion duquel M. Block, sous-clief
au bureau de la statistique générale de la France, nous a remplacé de-
puis 1856.
« M. Engel en a publié un en 1855 pour la Saxe, qui n'a eu qu'une aniiée.
82- NOTES ET PETITS TRAITÉS. — ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
Pour TEspagne, Anuariû estadistico (V^ année, 1859,
2% 1860-61);
Pour rUalie, un annuaire (1852) publié par Stefani, un se-
cond volume, 1857-58 ; — : un troisième par M. Pascal Duprat
et A. Gicca (1863). — - Annuaiio délie finanze (1862), par
l'administration des finances. \
De nombreux documents relatifs aux Finances, aux Banques,
aux chemins de fer, dans les divers pays, ont été recueillis
par H. Hom dans son Annuaire international du crédit pihlic^
dont trois années et paru, (1859,1860, 1861) «.
A la suite de ces publications annuelles, nous pourrions en-
core citer : — les recherches et compilations embrassant un
pays entier, à une époque, ou pendant une période d'années,
offrant un intérêt plus grand lorsque les résultats statistiques
y sont comparés ; — les résumés que publient de temps en
temps les bureaux officiels de statistique ; — les monographies
sur : les grands centres de population ; — les diverses indus-
tries ; — les diverses branches de l'administration ; — les
peuples de l'antiquité (Moreau de Jonnès) ; — l'Angleterre
(Porter); — les États-Unis (Goodrich); — la France (Ch. Dupin,
Schnitliger, Legoyt, Block) ; — la Russie (Tegoborski) ; — la
Prusse (Moreau de Jonnésfils); — L'Espagne (Moreau de Jonnès,
Block) ; — la Belgique, en Horn (Allem.) , — les états de l'Europe
(Block); — les divers peuples (Ch. Dupin, introduction au rap-
port sur l'exposition universelle de 1851); — l'agriculture en
France (Moreau de Jonnès , Block) ; — l'industrie en France
(Moreau de Jonnès), etc., etc.
Ces indications se trouvent complétées par les citations que
nous avons été conduits à faire dans ces Éléments de statisti-
que, ainsi que dans notre volume sur le sujet fondamental el
primordial, en statistique, de la population *.
' Gros in-18, chez Guillanmin.
* Du principe de populatioUy 1857, 1 vol. in-18, p. 278 .
FIN DBS ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE.
BUT ET LIMITES
L'ÉCONOMIE POLITIQUE'
* DÉFIWITIONS DIVERSES, OBSTACLES QD'eLLE A RENCONTRÉS,
SES RAPPORTS AVEC LA STATISTIQUE,
LA POLITIQDE, — LE SOCIALISME, — LA PHILOSOPHIE, — LA MORALE.
— ô* ÉDITION —
I. Des définitions de l'Économie politique et de la Richesse. — II. Des noms
donnés à la science économique. — III. De la nomenclature écono-
mique. — lY. Si l'économie politique esl une science ou un art, — A
quelle catégorie de sciences elle appartient. — Économie politique-purp
et appliquée. — Théorie et pratique. — V. Des causes qui ont i>rinci-
palement nui au progrrès de la science, à la vulgarisation de ses prin-
cipes et à son autorité. — Adversaires plus ou moins systématiques de
la science. — VI. L'Économie politique et la Statistique. — VU. L'É-
conomie politique et la l'olitique. — VIII. L Économie politique et le So-
cialisme. — I.X. L'Économie politique, la Philosophie et la morale. —
Nature de la science économique. — X. Du reproche de matérialisme
adressé à l'Économie politique. — XI. Utilité de l'Enseignement de l'É-
conomie politique. — Intérêt qu'olfre cette étude.
Rien n'est plus difficile que la détermination du but et des
limites d'une science quelle qu'elle soil, et à plus forte raison
d'un science morale, et d'une science morale qui n'est pas
encore très-ancienne. Quoi qu'il en soit, c'est une discussion
qu'on ne peut aborder que lorsqu'on a étudié l'ensemble des
questions qui se rattachent à son domaine. Ce sujet a été sou-
vent traité par les économistes. Celui qui nous paraît avoir
* Lu à l'Académie des sciences morales et politiques le 26 septembre 1857 .
— 1"» édition dans le Journal des économistes du 15 octobre 1857. —
2* édition dans la 1"^* édition de Notes et Pelits Irait es.
84 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
le mieux réussi dans cette tâche est Charles Coquelin, dans
un très-remarquable article du Dictionnaire de Œconomie
politique^. Plusieurs, en écrivant sur les limites de la science,
ont traité de la productivité des arts Ubéraiix et de la théorie
dite des produits immatériels. D'autres ont voulu insister sur
quelque autre théorie favorite. D'autres ont raisonné au point
de vue de l'application, dans une situation donnée.
En nous occupant à notre tour du même sujet, nous vou-
lons procéder d'une autre manière ; — par le rapprochement
des nombreuses définitions qui ont été proposées pour indi-
quer le but de la science, ainsi que des appellations qui lui ont
été données ; — par l'énumération des caractères qui distin-
guent la science économique de la Statistique, de la Politique,
de ce qu'on a appelé de nos jours le Socialisme; — et par
quelques autres considérations sur Téconomie politique envi-
sagée comme science ou comme art, comme science pure,
comme science apphquée, etc.
§ I. De* difTérentes déflnUioii» de ^Économie poliiiqae
et de la Richesse.
Il n*y a pas lieu de rechercher une définition dans Tanti-
quité. L'économie politique était inconnue des anciens; les
écrits économiques d'Aristole et de Xénophon ne parlent que
de l'économie domestique*.
Monichrétien n'a pas l'air de se douter de ce que c'est que
l'économie politique dans son Traicté de VŒconomie poli-
tique l publié en 1615, le plus ancien ouvrage dans lequel nous
trouvions le nom de la science.
Rousseau a fait une dissertation philosophico-politique dans
Tarticle de V Encyclopédie, et Voltaire pareillement dans un
article de sa Raison par alphabet, fondue dans le Dictionnaire
philosophique. Montesquieu ne dit mot de la science écono-
* Art. Économie politique.
• Nous motivons cette opinion dans noire travail sur YOrigine'et la fUiih
tiûn eu mot Économie politique. (Voir plus loin.)
BUT ET LIMITES DE L écONOMIE POLITIQUE. 85
mique dans Y Esprit des lois (écrit vers \ 744), tout en traitant,
souvent avec exactitude, divers sujets qui s'y rapportent.
L'école physiocratique étendit ses recherches, non-seulement
à 1 économie de la société proprement dite, mais au droit na-
turel, à la morale, ù la politique, et c'est l'ensemble des idées
que Quesnay se faisait sur ces sujets si vastes et si variés
que Dupont deNemours appelait en 1768 la Physiocratie\ VÈ-
conomie politique, la Science nouvelle. Il y a dans V Abrégé des
principes d'économie politique (1772), attribué en partie à Du-
pont de Nemours et signé du nom de Margrave de Bade, une
définition ainsi conçue : « La science de la vie humaine, ou la
science économique, n'est autre chose que la connaissance
des voies naturelles de la distribution de la part de tous et de
chacun. » Ce n'est pas très-explicite. La première partie de
cette définition étend la science économique à la vie humaine ;
la seconde la restreint à la distribution des produits du sol.
Adam Smith adopta le mot d'Économie politique, sans le
prononcer souvent, et il le définit ainsi :
« L'économie politique, considérée comme une branche des
connaissances du législateur et de l'homme d'Etat, se propose
deux objets distincts : le premier de procurer au peuple un
revenu et une subsistance abondante, ou pour mieux dire, de
Je mettre eh état de se procurer lui-même ce revenu ou cette
subsistance abondante; le second objet est de fournir à l'État
ou à la communauté un revenu suffisant pour le service pu-
blic : elle se propose d'enrichir à la fois le peuple et le sou-
verain '. *»
J. B. Say formula plus nettement la pensée de son maître
et la sienne, en disant : « L'économie politique est la science
qui montre comment la richesse se forme, se distribue et se
consommée » D'où on a fait : — Science de la production,
de la distribution et de la consommation de la richesse; — et
par syncope, — Science de la Richesse.
* Phusis, nature; cratein, commîinfier; science dos lois naturelles.
'-* Richesse des nations, liv. IV.
=5 1803» !•• édition du Traita.
86 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
C'est cette formule qui a été le plus généralement adoptée.
On lui a reproché cependant de s'appliquer à une science
forcément descriptive de ce qui est, et qui ne lient nul compte
de l'esprit de justice et des liens sociaux. Le reproche n'est
pas fondé pour ceux qui ont étudié l'économie politique
d'Adam Smith et de J. B. Say. Quoi qu'il en soit, nous avons
voulu les prévenir pour ce qui nous concerne, en variant dans
la définition de la science comme suit :
« L'économie politique, disons-nous, est la science de la
richesse, ou mieux, la science qui a pour but de déterminer
comment la richesse est et doit être le plus naturellement
(avantageusement, équitablement) produite, répartie dans le
corps social, et employée dans l'intérêt des individus comme
dans celui de la société tout entière ; — idée que l'on peut
encore exprimer en disant que la tâche de l'économie poli-
tique est la constatation des lois harmoniques des intérêts ^ »
La définition de J. B\ Say pourrait bien avoir été inspirée
par ce titre du petit traité de Turgot, publié en 1766 dans les
Êphéméndes du citoyen et intitulé : Réflexmis sur la fm^matim
et la distribution des richesses. — Elle a été adoptée par Fierez
Estrada, qui, à la production, ^k la distribution et à la con-
sommation de la richesse, a ajouté les échanges.
Beaucoup d'économistes, qui ont discuté les principes, n'ont
pas donné la définition de l'économie politique.
Il ne nous semble pas que Ricardo ait donné une 4éflnitioii
générale ; dans ses Principes de l'Économie politique et de
l' Impôts où il n'a d'ailleurs pas embrassé l'ensemble de k
science. Nous n'avons pas vu non plus que Malthus ait défini
l'économie politique, bien qu'il ait fait un écrit spécial sur les
définitions en économie politique.
Sismondi et Storch ont défini la science ; mais pas d'une ■
manière heureuse, selon nous. « Le bien-être physique de
â'
S'édity iSoG des Éléments d'économie politique; 4* et 5« éd. sous le
^ûe Traité, etc.
\
BUT ET LIMITES DE l'ÉCOKOMIE POLITIQUE., 87
rhommc, a dit Sismondi, autant qu'il peut être l'ouvrage do
son gouvernement, est l'objet de réconomie politique. » C'est
restreindre la science à l'action gouvernementale qui a une
grande importance sans doute, mais qui n'est qu'un des élé-
ments de la vie sociale et individuelle. — Selon Storch,
I l'économie politique est la science des lois naturelles qui
déterminent la prospérité des nations, c'est-à-dire la richesse et
la civilisation. » C'est bien plus juste; mais comme la civili-
sation comprend des éléments autres que les éléments écono-
miques, la définition de Storch embrasse un champ trop peu
limité.
H. Mac Culloch a dit : a L'économie politique est générale-
ment définie aujourd'hui : la science des lois qui règlent la
production, la distribution et la consommation des choses qui
possèdent une valeur échangeable, et qui sont en même temps
nécessaires, utiles ou agréables à Thomme. » Cette défmition
ne diffère de celle de Say qu'en ce que M. Mac Culloch a ajouté
à la définition de la Scienco celle de la Richesse, dans laquelle
il ne comprend que la Valeur, ce qui inutile la science qui
ne doit pas négliger l'UtiUlé et la Richesse naturelle.
Rossi est revenu, avec la netteté qui le caractérise, au
cadre de Smith et de Say, et il a fait à la science un pro-
gramme bien déterminé. Il veut que l'économie politique ne
s'occupe que des lois naturelles qui président à la production
de la richesse et à sa distribution équitable parmi les pro-
ducteurs, laissant aux autres sciences morales et politiques le
développement moral du genre humain. 11 ne s'oppose pas à
ce que la morale et la politique interviennent dans les ques-
tions d'économie politique; mais il ne veut pas qu'on les con-
fonde avec elles. Il ne croit pas, au surplus, que le moment
soit venu de réunir, par une puissante synthèse, toutes les
sciences morales et poHtiques en une seule, et de fonder une
haute science sociale, comme on pourrait former avec les
sciences naturelles une science générale de la nature, une
physique par excellence, u Mais, cela fût-il possible, dit-il, il
serait tout aussi irrationnel de confondre cette science sociale
88 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
avec une science particulière, la science de la richesse, qu'il
le serait de confondre la science générale de la nature avec
la minéralogie. Que si les auteurs de quelques essais préma-
turés de synthèse sociale veulent emprunter à la science de la
richesse son nom d'économie politique pour l'appliquer à
leurs élucubrations économico-politico-morales, nous le vou-
lons bien. La dénomination d'économie politique n*est pas
assez heureuse pour que les écononiistes en défendent la pos-
session unguibus et rostro. Ils s'appelleront, si l'on veut,
chii/sohgues, chrématisticiens, divitiaires, ou de tout autre
nom plus étrange encore ; mais, de cette usurpation de titre,
conclure que l'économie politique est atitre chose que la
science dé la richesse, c'est évidemment substituer à ufle
question sérieuse un jeu de mots, une querelle de termi-
nologie, t
Nous n'en finirions pas si nous voulions donner une idée
des prétentions qu'ont eues pour l'économie politique (sou-
vent pour une économie poHtique de leur façon) un asseï
grand nombre d'écrivains.
Nous citerons cependant deux définitions données par des
écrivains appartenant à deux nuances d'une école économique
soi-disant répubhcaine.
M. Godefroy Cavaignac*, dans un travail écrit il y a vingt
ans, définissait l'économie politique : « La science organique
de Tégalité dans le domaine du travail. » — S'il eût dit la Jus-
tice au lieu de l'égalité, la définition se serait assez bien i^p- f
* Dans la Revue indépendante ^ à propos du cours de M. Michel Chen-
lier, au collège de France. — M. G. Cavaignac était le IVèrc du génénl
qui a rempli en 1 848 les fonctions de chef du pouvoir exécutif. Cet ^-
vain, peu compétent en cette matière, mais accrédité dans le parti répu-
blicain, croyait que les principes de la science économique sont variaUv
comme la l'orme des gouvernements. C'est une erreur assez génénte-
ment répandue. Au nombre de quelques niaiseries à reprocher au goo-
vernement provisoire de 1848 se trouve celle d'avoir laissé supprimorli
chaire d'économie politique du collège de France sous le prétexte (déie-
' par M. Jean Rèynaud, secrétaire général du ministère de l'in^tiiK*
publique) que réconomie politique est une science monarchiquel
■1^
BDT ET LIMITES DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE. 89
portée à une des parties de réconomie politique, la distribu-
tion de la richesse ; mais avec l'égalité, comme il Fentendait,
autre que Tégalité devant la loi, il arrivait tout droit, un peu
malgré lui, au communisme.
Dans un ouvrage récent, très-étudiê, et dont la lecture est
profitable à beaucoup d'égards, M. Ott, appartenant à l'école
politico-philosophique de M. Bûchez, appelle la science éco-
nomique du nom d'économie sociale, expression qui lui paraît
avoir une valeur réformatrice qui, selon lui, manque à l'éco-
nomie poUtique, et la définit ainsi ^ : « La science qui a pour
but d'organiser le travail en vue de la conservation la plus par-
faite de la société et de l'individu, et de la réalisation de la
liberté, de l'égalité et de la fraternité. » Mais il a quelque
peine à faire accorder scientifiquement ces trois derniers prin-
cipes; en fait il conclut à un communisme mitigé, à la fixa-
tion du minimum des Salaires et du maximum de la Rente.
Hais revenons aux économistes proprement dits.
Rossi, nous venons de le voir, entendait l'économie poli-
tique comme J. B. Say. Il en est de même de M. J. S. Mill, qui
a récemment publié un remarquable traité sur l'ensemble
des questions économiques. Tous deux disent que l'objet do
la science est la richesse. C'est au fond la même définition
que celle de J. B. Say, de Turgot et de Smith lui-même, si
on considère non pas les termes de sa défînition, mais les su-
jets traités dans son livre.
Citons encore les définitions de Joseph Droz et de M. Michel
Chevalier. — J. Droz a défini Téconomie politique : « Une
science dont le but est de rendre l'aisance aussi générale qu'il
est possible. » — L'aisance, c'est la richesse; étudier les moyens
de rendre l'aisance générale, c'est étudier les moyens de bien
produire et de bien distribuer la richesse. La définition de
J. Droz rentre donc dans celle de J. B. Sav. Il en est de
* Traité d'économie sociale ou V économe politique, coordonnée au point
de vue du progrès, gros in-8 1851, p. 20.
90 NOTES ET PETITS TRAITES.
môme de celle de M. Michel Chevalier, qui a dit^ : « L'éco-
nomie politique enseigne comment les intérêts matériels se
créent, se développent et s'organisent. » (Voir le P. S.)
Toutefois, cette expression d'intérêts matériels peut laisser
croire, d'une part, que la richesse réside uniquement dans la
matière; et d'autre part, qu'elle n'a d'autre mobile que l'in-
térêt matériel, ce qui n'est pas la pensée de l'illustre écono-
miste*. L'idée d'organisation se trouve heureusement intro-
duite dans cette définition; mais il faudrait qu'elle fût plus
complète et qu'elle indiquât l'organisation naturelle, et par
conséquent qu'elle exclût l'idée d'organisation artificielle, qui
n'est autre que le point de départ du Socialisme. Quoi qu'il en
soit, cette première définition nous paraît préférable à celle
que le même économiste proposait récemment à l'Académie
des Sciences morales et politiques, et à la Société d'Économie
politique, et qui est ainsi conçue : « L'économie politique peut
être considérée comme ayant pour objet d'appliquer les prin-
cipes du droit public tel qu'il existe et tel qu'il est reconnu*.»
Cette définition en suppose une autre, celle du droit public
reconnu, et elle se rapporte plutôt aux applications de la
science qu'à la science elle-même, dont les propositions
existent, sans condition de temps et de heu, ce que M. Michel
Chevalier est bien loin de nier. Cette première définition nous
paraît encore préférable à celle que proposait plus récemment
le même économiste * en disant que « l'Économie politique a
pour objet de rechercher les conditions du développement de
la puissance productive de l'individu et de la société. » Celle
formule tient justement compte des intérêts individuels et sd-
ciaux ; mais elle omet la réputation et la consommation.
Nous ne parlons pas des définitions données par ceux qui
I
* Cours d'économie politique, 2" vol., p. 34, 1'« éd.
* Y plus loin au § 10 sur le reproche de matérialisme adressé à 4a So-
ciété d'Economie politique.
^Journal des Économistes, t. XXXV, p. 296.
^Jmtmal des Économistes, aoûl l^ô'i.
BUT ET LIMITES DE L* ÉCONOMIE POLITIQUE. 91
I
veulent faire de la science économique, la science sociale^ la
synthèse des sciences morales el politiques.
En résumé, la plupart des déiinitioiis qui précèdent vien-
nent à dire que l'économie politique est la Science de la 1\i-
GHESSE, sauf à s'entendre sur le sens de Richesse.
Cette formule, « science de la richesse, » résume celle-ci :
c Science de la formation, de la répartition et de la consomma-
tion ou emploi de la richesse » (formule de Say) ; — laquelle
résume celle-ci, que nous avons introduite dans notre traité,
qui est plus explicite et qui répond de suite à des séries d'ob-
jections qui ont compromis la science :
Science qui a pour but de déterminer comment la richesse
est et doit être le plus naturellement (avantageusement, équi-
tablement) produite, mise en circulation, répartie et employée
dans rintèrêt des individus comme dans celui de la société tout
entière. •
D'où il appert que la science économique n'est pas exclusi-
vement descriptive, qu'elle ne méconnaît pas la justice, qu'elle
tient compte de l'intérêt individuel comme de l'intérêt social,
et qu'elle constate les hai'nionics et les divergences actuelles
dans la vie économique des sociétés.
Nous venons de dire que la définition de l'Economie poli-
tique nécessite celle de la Richesse.
Malheureusement le mot de Richesse peut être entendu au
moins de quatre manières différentes, et le sens de ce mot, si
Usuel dans le langage ordinaire et si fréquent dans la langue
scientifique, peut recevoir dans les discussions économiques
plus ou moins d'extension selon qu'on lui fait signifier la Va-
leur seule ou la Valeur aussi bien que l'Utilité, et selon qu'on
admet ou non la matériahté comme condition fondamentale
de la valeur et de la richesse.
11 y a des économistes qui * se refusent à qualifier de richesse
les forces, les qualités ou agents naturels, matériels ou iin-
* Ricardo, Mac CuUoch, A. Walras, A. Clément.
92 KOTES ET Petits traités.
matériels, qui ne donnent pas lieu à une appropriation ou à
un échange. Ils mutilent, selon nous, la science en omettant
une partie des choses qui satisfont les besoins des hommes;
— mais s'ils limitent la science plus qu'elle ne nous paraît de-
voir Tètre; s'ils sont conduits à dire qu*un pays où la nature a
répandu ses dons, un climat doux, des terres fécondes, des
fleuves navigables, des côtes facilement abordables, etc., nesl
pas un pays riche, ce qui est diamétralement opposé au sens
usuel du mot richesse, il est à remarquer qu'ils peuvent être
et sont d'accord (je pfcirle des économistes), cette réserve
faite, sur toutes les données fondamentales de la science.
Il y a d'autres économistes * qui, à l'exemple des physio-
crates, n'admettent pas parmi les produits et les richesses
composant l'ensemble des attributions de l'économie politique»
les services et les résultats du travail s'appliquant aux hom-
mes. Ils méconnaissent, à tort selon nous, l'analogie de ces
résultats avec ceux du travail s'appliquant aux choses, ils mu-
tilent la science, bien plus que les précédents, en en ex-
cluant une masse énorme d'utilités et de valeurs individuelles
et sociales; mais, cette réserve faite, ils peuvent être et sont
(je parle encore des économistes), en ce qui touche l'autre
partie des attributions de l'économie politique, en parfaita
concordance d'idées.
Quelques économistes* ont pensé et raisonné comme si l'u-
tilité naturelle était toujours gratuite, et sont partis de là pour
ne voir dans le prix des produits du sol que la rémunération
du capital et du travail, exclusive de toute espèce de rente
revenant au possesseur du sol pour la propriété du sol lui-
même. C'est là une manière selon nous exacte d'appré-
cier un des éléments de la valeur des choses constituant b
richesse ; mais elle ne touche pas aux attributions et aux li-
mites de la science.
Enfin, les partisans de la théorie de la balance du commerce
* MaUhus, Sismondi. Droz, Dutens, E. Daire, Bandrillart, etc.
* Carey, Bastiat.
BUT ET UNITES DE LÉCOKOHIE POLITIQUE. 95
font consister uniquement la richesse dans le numéraire; il
en est de môme des partisans du système douanier prolectenr
qui professent aussi que le travail constitue la richesse d'un
peuple, non les résultats du travail, cas auquel ils auraient
raison, mais Vint^nsité du travail, ce qui les conduit à prôner
les obstacles administratifs qui font travailler beaucoup pour
produire peu. Toutefois la théorie de la balance du commerce
et celle de la protection sont bien positivement démontrées
fausses par la science, depuis les physiocrates et Adam Smith.
Sans compter ces derniers, qui sont évidemment hors de la
science, il y a donc Ueu de faire entre les économistes deux
groupes distincts :
1^ Ceux qui donnent au mot Richesse le sens le plus étendu
et lui font signifier les Produits et les Services, satisfaisant les
besoins matériels, intellectuels et moraux des hommes, et
étant le résultat des arts agissant sur les choses, aussi bien
que des arts agissant sur les hommes. — C'est. le groupe le
plus nombreux.
2* Ceux qui veulent exclure (sans y parvenir toutefois) de
l'économie politique, science de la richesse, Tobservation des
phénomènes économiques relatifs aux arts qui agissent sur les
hommes, et qui sont conduits à caractériser la richesse par la
matérialité, et à considérer le travail rendant des services
comme improductif de richesse (utilité et valeur), tout en le
reconnaissant très-utile et très-échangeable!
Chacun de ces deux groupes peut ensuite être partagé en
deux autres, selon que les économistes qui en font partie ap-
pellent Richesse tout ce qui sert et s'échange, tout ce qui a
Utilité et Valeur, ou bien, n'appellent Richesse que ce qui est
susceptible d'être échangé .
Coquelin, dans l'article déjà cité (p. 84), voit dans cette
définition. — l'économie politique est la science de la richesse,
— un grave danger. 11 lui attribue, dans le passé, 1-erreur
mercantile et lés mauvais règlements administratifs o^i ont
94 NOTES ET PLTITS TRAITES.
mis tant d'entraves à l'industrie des peuples; il dit qu'en don-
nant pour sujet d'étude à l'économie politique la Richesse, au
lieu de l'Industrie humaine, les gouvernements et les puhli-
cistes ont été conduits à rechercher les moyens d'enrichir les
peuples par la voie des mesures gouvernementales, erreur qui
a engendré de fausses mesures en quantité innombrable.
Je crois que Goquelin attribue à tort à une définition qui
n'existait réellement pas encore un résultat provenant : delà
fausse idée qu'on se faisait de la richesse, d'une part, des attri-
butions de l'autorité puWique, d'autre part, — et aussi de ce
qu'on ignorait qu'il existât des lois naturelles du travail, lois
^ observer pour arriver à la production la plus fructueuse, à
la plus grande richesse.
Un autre danger c'est de faire prendre la science pour Tin-
strument de la grande richesse, de la puissance, de l'aristo-
cratie, tandis qu'elle considère les droits de tous.
D'autres définitions de la science économique ont été don-
nées en formules analogues à celle de — Science de la ricliesse,
T— soit pour éviter les inconvénients du mot richesse, soit
pour mieux préciser le but et la portée de la science;
On a dit, par exemple : L'Économie politique est
La science des intérêts matériels. ... (J. B. Say^),
La science de la Valeur (Mac-Culloch*).
La science de l'Échange (Wathely'^)*
La science des Services échangés. . . (Bastiat*).
La science du Travail et de sa rémuné-
ration (Fonteyraud'),
La science des lois naturelles du Tra-
vail ou de l'industrie humaine. . . . (Joseph Gamier*).
r
* Passim.
* The prviôiples ofpoUiical economy, in-8. Edimbourg, 1825.
^ Introductory lectures on polUical economy (1832).
* Harmonies éconofhiques (1850).
' Moiice sur Ricardo, Collection des principanx économistes,
'Passim. ^
BOT ET LIMITES DE L ECONOMIE POLITIQUE. 95
La science des lois du inonde industriel (Coquelin ^), etc.
La science de Futile et du juste. . . . (J. dernier*).
La science de l'utile (de Foiitenay^).
Toutes ces définitions sont relativement bonnes, mais quel-
ques-unes nous paraissent plus justes, plus heureuses que les
autres.
Celle de J. B. Say, exacte au fond, peut faire croire que
la richesse réside uniquement dans la matière, et qu'elle n'a
d'autre mobile que l'intérêt matériel; c'est par suite de cette
considération, que J.B. Say regrettait dans son Cours qu'au
lieu d'Économie pohtique on n'eut pas pris Économie sociale.
En supprimant l'expression de matériels, on exprime plus
exactement la pensée de J. B. Say et la nature de la science.
L'expression Valeur est trop restreinte, et en disant Science
de la Valeur, on exclut l'idée des Bichesses naturelles.
On peut dire avec le même droit, ce nous semble, que l'é-
conomie politique est la science de la Bichesse, qui en est le
but, — ou la science du Travail, qui est le moyen d'obtenir la
richesse, — ou la science de l'Échange, qui est le fait universel
et nécessaire d'une société laborieuse; mais chacune de ces
formules ne comprend qu'une partie des phénomènes.
La définition de Fonteyraud, qui a dit science du travail et
de sa rémunération, est assurément plus complète; car, à côté
du travail, qui est le moyen, on voit le but et la récompense
du travail, la richesse.
Celle de Bastiat, — Science des services échangés , — nous
paraît moins heureuse; elle force le sens de Services, en y fai-
sant rentrer la notion de Produits.
Celle de Coquelin, —Science des lois du monde industriel^
— est juste, mais elle a le défaut d'employer le mot industriel
dans le sens général, quand l'usage en a rétréci le sens à l'une
des industries, à l'industrie manufacturière. On ne comprend
pas bien non plus cette expression de monde industriel. Au
* Dictionnaire d'Économie politique, art. Économie poLiTtQOE.
* Traité d'Économie politique, 4« éd., 1860, p. 631.
s Rapports du juste et de l'utile, — Joum. des Écon.y juillet ISC'i.
96 KOTES PT PETITS TRAITÉS.
fond, cependant, cette définition se rapproche le plus dexelle
que nous proposons, savoir que Téconomie politique — est la
Science des lois du travail humain ou de Tindustrie humaine.
Elle nous paraît comprendre d'une manière plus complète
toutes les notions, tous les points de vue principalement indi-
qués par les définitions et formules abrégées que nous venons
de rappeler. S'il en est ainsi, elle serait la plus digne d'être
mise à côté de celle de J. B. Say, pour définir sous un autre
aspect la science économique.
La formule « science de l'utile » est synonyme de « science
de la richesse, » puisque la .richesse désigne tout ce qui est
utile, en nommant le juste après l'utile on est plus exact et plus
expHcite; car la science économique ne méconnaît pas le juste,
elle démontre le juste par l'utile, elle est, comme l'a fort biea
dit M. de Fontenay, « la conciliation de l'utile et du juste,'
réalisée par la science de l'utile. »
 cet égard, chacune des définitions que nous avons men-
tionnées a son degré d'utihté. Rapprochées, comme nous ve-
nons de le faire, elles montrent que les économistes, tout en
différant à quelques égards, sont plus d'accord qu'on ne
pense, qu'ils ne L'ont souvent dit eux-mêmes, sur le but et les
limites de l'économie poUtique.
Au reste, autre chose, a dit CoqueUn, est sentir ou rendre,
concevoir ou définir; et il est fort difficile de resserrer dam
une formule un vaste ensemble d'idées et de faits. La même
difficulté existe pour toutes les sciences; il n'y a pas de for-
mule qui définisse d'une manière bien satisfaisante la physique
et la chimie, ou toute autre science que nous pourrions nom-
mer. Il y a d'ailleurs cela de remarquable, qu'Adam Smitb,.]
Sismondi et Storch, qui, dans leurs définitions, ont assigné i
la science un champ sans Hmites, se sont resserrés couuiie
les autres dans le cadre général de la science dont notn
Traité peut donner une idée. La même observation esl i
faire pour d'autres qui, après avoir beaucoup différé en traitant
de la question qui nous occupe, renferment leurs recherches
dans le même cadre scientifique. L'accord résulte forcément
II
1
i
BUT ET LIMITES DE L ÉCONOMIE POLITIQUE. 97
de lirnature des choses, et à Tinsu de ceux qui croient différer.
Je ne veux pas dire que des dissenlimenls n'existent pas à
l'égard du but et des limites de la science économique entre
des hommes émineiils qui la cultivent avec un égal succès, je
veux dire que ces dissentiments, inhérents à la nature des
choses, et qui^ont leur utilité, n*ont pas, au fond, Timpor-
tance qu y ont mise les auteurs, et que leur attribuent les
ignorants ou les détracteurs à divers titres de la science.
Mais néanmoins les variations qu*a subies la fixation des
limites de l'économie politique, par le fait de divers écrivains
plus ou moins compétents (j'en ai cité parmi les plus compé-
tents) surtout en France et en Allemagne, sont une des causes
du peu de crédit que la science rencontre dans une classe
nombreuse de publicistes, et partant dans l'opinion. L'ensei-
gnement de la science généralisé peut seul désormais faire dis-
paraître ce mal funeste. Alors ses propositions fondamentales
seront mieux accueillies, ses conseils mieux suivis, et une foule
d'efforts suivront une direction plus profitable.
§ II. Des noms donnés à la seienee économique.
Ce qui a encore nuit à l'autorité des fondateurs de la science
économique, c'est la grande variété des noms qui lui ont
été donnés sous des impulsions diverses.
Nous avons recherché ailleurs l'origine et la filiation du
mot économie politique et des divers autres noms qui ont été
donnés à la science économique, dans un travail d'érudition
assez détaillé ^ Nous rappellerons seulement la plupart des
noms donnés à la science qui a été successivement appelée :
Économique, 1634. mss. de la biblioth. I. voir le P. S.
Ecottomice [Mit. Idii.), i 1729-1747. Hutcheson, J^eçons de philosophie
Economies (Éd. ang.). 1 morale, à l'université de Glasgow.
Economia publica, j 1763. Verri, Memorie storiche sulla econo-
Economia politica, i mia pulflica dello stato di Milano.
* Origine et filiation du mot écon.poL, J, des écon,; \>iiV\.eV^o^\., V^^*
NOTES ET PbTlTS TRAITES.
Political econotnyt
Économie politique,
Physiocratie^
Economia pubUca,
Economia civile,
EconomiOf
Scienza economica,
Eco^otnia publica,
Economia poUtica,
Économie politique,
Political economy,
Économie politique^
Id.
Id.
Id.
Économie industrielle,
Économie sociale,
Id,
Id.
Science économique,
Science sociale
Économique,
1767. James Steuart, Hecherches sur le^priu-
cipes d'Économie politique, traduit en
français en 1789.
1768. Dupont de Nemours, 2« vol. du recueil
iniitulé Physiocratie.
1754. Genovesi, leçons professées à Naples
dès cette époque.
1769. Beccaria, discoure d'ouverture du cours
de sciences camérales à Milan.
1772. Verri, Meditazioni sulla economia po-
Utica.
1772. Principes d^ Économie politique, par le
margrave de Bade.
1775. Adam Smitli, on trouve le mot un pe-
tit nombre de fois dans son ouvrage.
1795. Germain Gamier, Abrégé élémentain
de» principes de V économie politique.
1796. Création de l'Institut de France el
d'une section d'économie politique.
1803. J. B. Say, Traité d'économie poHiir
que,
1803. Sismondi, Richesse commerciale ou
Principes d'économie politique.
1819. Création sous ce nom de la chaire du
Conservatoire des Arts-et-Métiers, occu-
pée par J . B. Say.
1773. Buat, Éléments de politique ou refiler-
ches des vrais principes de l'économie th
ciale.
1829. J. B. Say, Cours complet d^éfmmk
politique pratique^
1830. Dunoyer, Traité âiéconomie soàak*
1853. Insent par Tauleur dans le souMiU*
du Journal des Économistes; adopté pir
3L *t;iierbulicz dans son Traité de *
science économique^ 1862.
1859 H. C< Qairey,Principlesof social êdeme,
18d2* Proposé par l'auteur dans Origèmd
filiation du mat Économie poliUqtie.
Avant Verri, James Steuart et les physiocrates, le mol d'é-
'DcpAusts, nature; cnitein, commawder; gouvernement de la nature.
BDT ET LIMITES DE l'ÉCONOMIE POUTIQDE. 99
conomie politique était dans la langue politique et philo-
sopliique; car Rousseau a rédigé pour VEncijclapédie un ar-
ticle Économie politique^ roulant exclusivement sur la théorie
politique et l'administration gouvernementale qu'il appelait
aussi Économie publique. Ce dernier mot se trouve aussi sous
la plume de Voltaire dans ses premiers écrits avec le môme
sens. Un livre de Montchrétien, sieur de Wateville, publié
en 1615, est intitulé : Traicté de l'Œconomie politique; mais
le contenu ne répond nullement à ce titre. Ce sont quatre
discours au roi et à la reine mère sur l'utilité des arts méca-
niques, sur la navigation, sur l'exemple et les soins princi-
paux du prince et sur le commerce, sans aucun principe scien-
tifique et sans grande valeur. On trouve déjà la formule d'éco-
nomie sociale dans un livre publié, en 1775, par le comte de
Buat, et complètement oublié aujourd'hui. (V. ci-contre.)
La science économique a encore été désignée par divers
auteurs allemands :
Économs natiomle; Économie du peuple ;
Économie de l'État ; Économie universelle.
Science de VÉtat;
Divers écrivains ont proposé de l'appeler :
Crëmatistique, du grec chrema, richesse* ;
Chrysologie^ de chrusos, or;
Katallatique, de katallagué, échange;
Ploutonomie, de ploutos, richesse, opulence, etc.
Nous ne nous arrêterons point sur ces divers mots et d'au-
tres encore qui ont été proposés à différents points de vue *.
Parmi tous ces noms, ceux que l'usage a le plus générale-
ment acceptés sont ceux de :
Économie politique. Économie sociale,
Économie publique, Économie industrielle.
* On trouve'ce mot chrëmatistikè dans Aristote pour désigner l'industrie
du père de famille, par opposition à l'administration du ménage par la
femme, VCHkonomia.
• Voir Origine et filiation du mot Économie politique, el^i.
* et- f
iOO NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Mais ces mots ont chacun de notables inconvénients et ont
produit de nombreuses confusions, soit à cause du mot écono-
mie, soit à cause du qualificatif qui l'accompagne.
Le mot économie est synonyme d'épargne, d'ordre intérieur
et domestique. Le mot politique amène la confusion entre la
science économique et la science politique; le mot sociale
donne à penser que la science économique aspire à être une
science universelle, la science sociale, c'.est-à-dire la synthèse
de toutes les sciences morales et politiques. Cette dernière for-
mule a de plus été prise par chacune des écoles socialistes
pour désigner leurs conceptions spéciales. Elle a été mise par
M. Carey dans le titre de son dernier ouvrage où il a cherché
à faire une synthèse économique à l'aide des données des
sciences morales et des sciences naturelles*.
Économie publique s'entend plus naturellement de l'admi*
nistration générale des affaires publiques, comme économie
domestique s'entend de Tadministration intérieure de la mai-
son. Quant au mot industrielley il a le défaut contraire des
trois autres ; il n'a pas assez d'extension et tend à donner de
la science économique l'idée d'un ordre de connaissances plus
spécialement relatives au travail manufacturier.
Les confusions avec la Politique ou avec le Socialisme, les
idées vagues ou erronées que ces diverses appellations delà
science économique ont données de son but et de ses préten-
tions ont fourni des armes aux adversaires suscités à la science
par les intérêts, par les préjugés, par les systèmes qu'elle
froisse, et ont beaucoup affaibli son autorité. 11 y a donc à re-
gretter, avec J. B. Say, qu'Adam Smith ait accepté le mm
d'Économie politique, et qu'il n'ait pas eu l'idée d'en proposer
une plus neutre, que son autorité aurait imposée, et qui aurait
V * Principles of social science. Philadelphie, 3 vol. in-8; 1858>59.Tnk
m duitspar MM. A. Planche et Saint-Germain Leduc. Paris, Guillaumin, 5i^
tJ^o-S; 1S6i,
:\
BOT ET LIMITES DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. lOi
évité bien des confusions et des discussions. A l'heure qu'il
est, la science serait, par ce seul fait, bien certainement plus
avancée, plus acceptée, et plus généralement enseignée; c'est-
à-dire que les préjugés publics et les complications sociales
seraient beaucoup moindres. Nous ne disons rien de trop
pour ceux qui ont été amenés à réfléchir sur ce sujet, bien
plus grave qu'il ne peut paraître au premier abord. '
Il nous semble qu'il y aurait un immense avantage à ce que
les économistes adoptassent le mot qu'employait Hutcheson,
père scientifique d'Adam Smith, et son prédécesseur dans la
chaire de philosophie morale à l'Université de Glasgow. Dans
le peu de pages qu'il consacrait , au milieu du dernier
siècle, à la question de prix des choses et à quelques autres,
Hutcheson appelait cet ordre de connaissances VÉconomique
(p. 97), comme Achenvall disait, à la même époque, la StU'
tistiquey comme on disait déjà la Politique, Ce nom a l'avan-
tage de se rapporter parfaitement à son adjectif mis en circu-
lation par l'école physiocratique, Mirabeau le père, en tête, —
de cadrer avec le mot économiste consacré, dans son sens gé-
néral, par le Dictionnaire de V Académie dans l'édition de 1835,
— de différer suffisamment à' économie^ — d'être en un seul
mot — et d'exclure les qualificatifs de politique^ de sociale,
de pvblique, qui prêtent à tant de fausses et dangereuses inter-
prétations. Il a de plus l'avantage de venir du grec, d'être fran-
çais de très-ancienne date (voir le P. S.), et d'avoir été adopté
par un des fondateurs de l'école philosophique du bon sens,
l'école écossaise, par le père scientifique d'Adam Smith.
Que si notre proposition ne devait pas avoir de succès, nous
croyons, comme nous l'avons dit ailleurs *, qu'il serait impor-
tant que les amis de la science, que ceux surtout dont le nom
jouit de quelque autorité, s'imposassent le devoir de se servir
de préférence du mot économie politique^ le plus généralement
adopté, depuis bientôt un siècle, en France, en Angleterre, en
* Origine et filiatiûn du mot Économie politique.
102 NOTES ET PETITS TRAITES.
Italie; de n'employer les autres mots que comme des syno-
nymes, avec beaucoup de circonspection et sans prétention
de divergence; et de supprimer le plus souvent possible,
comme le faisait Genovesi, comme on le fait en Italie S et quel-
quefois en France, le mot politique, si propre à donner le
change aux ignorants et aux gens de mauvaise foi. De cette
façon, on étiterait les graves inconvénients qu'entraîne ce dan-
gereux adjectif, et on n'aurait plus à lutter que contre les
confusions qui peuvent résulter du mot économie,
§ III. De la nomenelature économique.
M. Rossi* fait à l'occasion de la nomenclature de l'écono-
mie politique les réflexions suivantes qui méritent d'être
appréciées :
(( L'économie politique a rencontré de graves difficultés :
le passage des faits communs et grossièrement observés à
l'état scientifique a été, pour l'économie politique, plus diffi-
cile que pour d'autres sciences. 11 y a des faits physiques,
chimiques, astronomiques que le vulgaire aussi avait observés
tant bien que mal, mais sans trop s'en occuper; il les vojait
passer. Quand les savants se sont plus tard emparés de ces
faits, ils n'ont pas rencontré de difBcultés sérieuses pour les
dénommer, comme ils ont cru convenable de le faire. Les
économistes, au contraire, s'emparant dé faits qui sont Toecu-
pation directe et journalière de tout le monde, ont troMvé
dans la langue commune un langage économique tout formé.
Ils ont dû accepter ce langage en se chargeant uniquement de
Tépurer, de le ramener à cette rigueur, à cette exactitude
scientifique qu'il ne pouvai avoir dans la bouche du vulgaire.
Là était l'œuvre difficile, le langage commun disait avant les
économistes : Valeur y Travail^ Capital, Salaire, RevenUj etc.,
et ces expressions sont arrivées dans la science avec ces signi-
fications multiples, mal définies, mal <îirconscrites, de la lan-
' Voir, par exemple, les Principes de l'économie sociale, par M. Sctakya.
* Cours, i/i« leçon.
BUT ET LIMITES DE L^ECOMOMIE POLITIQUE. 103
gue commune, qui ne produisent guère d'embarras dans la
vie ordinaire, parce qu'à chaque fait particulier chacun ex-
plique sa pensée, mais qui doivent en produire de très-grands
dans le développement scientifique d'une théorie. »
Empruntés au langage vulgaire où ils n'ont qu'un sens indé-
terminé, souvent variable, ces mots et la plupart des autres
ont élé quelquefois employés en économie politique comme
ils le sont dans le monde avec des acceptions diverses. D'autre
part, la nécessité de préciser leur a fait donner par certains
auteurs un sens plus net, mais sans pouvoir bannir entière-
ment la diversité des acceptions, imposées tantôt par l'usage,
tantôt par la diversité des points de vue où les écrivains se
placent, quelquefois aussi par l'insuffisance de vocabulaire
commun.
Rien de plus fâcheux que ces discussions, trop souvent re-
nouvelées sur l'emploi des mots. Elles fatiguent inutilement
les esprits qui pourraient faire de leurs facultés un meilleur
usage; elles tendent même à discréditer la science aux yeux de
ceux qui ne la suivent que de loin.
n faut dire cependant que ces discussions ont été souvent
nécessaires pour préciser le sens des mots et pour éclairer les
notions fondamentales. Elles ont tenu à la nature des choses
qu'il fallait élucider.
Elles seront de moins en moins nécessaires dans l'avenir,
précisément parce qu'elles auront eu lieu dans le passé; et
nous avons fait tous nos efforts pour contribuer à ce résultat
par la publication de notre Traité d'Économie politiqtie,
dans lesquels nous avons mis tous nos soins à indiquer le sens
des termes, et à arrêter la nomenclature autant que cela pou-
vait nous être permis. Nous nous sommes ensuite attaché à
nous servir rigoureusement des mêmes termes pour désigner
les mêmes idées. C'est ainsi seulement que l'on parviendra
désormais, en économie politique, à éviter des causes de con-
fusion nombreuses, et des discussions stériles qui .compro-
mettent Tautorité de |a science.
Il serait vraiment puéril de baser un reproche ^ \^ ^d«:^^^
104 NOTES ET PETITS TRAITES.
sur le travail de sa formation, et de motiver une critique quel-
conque contre les auteurs sérieux qui ont pris part ou peuvent
encore prendre part a celte élaboration. Mais il faut avouer
que divers économistes n*ont pas toujours eu la précaution
de se rendre compte des travaux de leurs prédécesseurs, et
que trop d'écrivains se sont posés en réformateurs de la
science et de sa langue quand ils avaient encore besoin de lire
et d'apprendre.
§ l¥. Si l'éeononiie politique est une selenee. — Si e'est une
«cienee ou un ari; — El à. quelle eatéfiporie de «eienees elle
Appartient. — Éeonomié politique pure et appliquée. — Tliéo-
rie et politique.
On entend souvent dire que l'économie politique n*est pas
une science.
C'est là un reproche sans portée. Qu'est-ce que la science
dans le sens le plus général? C'est, disent les dictionnaires,
la connaissance claire et certaine, fondée ou sur des principes
évidents par eux-mêmes, ou sur des démonstrations. — Qu'est-
ce qu'une science en particulier? C'est, disent encore les dic-
tionnaires, un système de connaissances sur un objet utile. —
Or l'économie politique ne porte-t-elle pas sur un objet utile?
N'embrasse-t-elle pas un système de connaissances? N'énonce-
t-elle pas une série des principes évidents par eux-mêmes?
N'a-t-elle pas à son service des démonstrations à l'appui de
propositions nombreuses et importantes? — Qui dit sérieuse-
ment le contraire a encore besoin d'aller à Técole.
Assurément l'économie politique n'est pas une science ma-
thématique comme l'arithmétique ou la géométrie; mais c'est
une science à la fois naturelle et morale. Elle est naturelle
parce qu'elle observe et étudie l'homme dans ses instincts et
dans la combinaison des travaux qu'il emploie pour satisfaire
ses besoins individuels et sociaux; elle est d'ordre moral et
politique parce qu'elle embrasse le côté moral et intellectuel
des aptitudes humaines, comme font à d'autres égards la mo-
rale proprement dite, la législation, l'histoire, etc., qu'on a
BUT ET LIMITES DE L'éCONOMIE POLITIQUE. 105
appelées les sciences morales^t politiques par opposition aux
sciences mathématiques et physiques ou naturelles.
J. B. Say a dit : « Elle tient le milieu entre les sciences ma-
thématiques et les sciences morales. Comme les premières,
elle se fonde en partie sur des considérations de grandeurs,
de rapports, et sur des calculs ; comme les secondes, elle dé-
pend d une connaissance profonde des facultés, des goûts et
des travers de Thomme. Les vérités qu'elle présente sont le
résultat combiné des observations que fournissent ces deux
espèces d'études ^ »
Des adversaires à divers titres (V. plus loin) des idées écono-
miques, sans nier précisément que Tobjet de l'économie poli-
tique puisse donner lieu à une science, nient que ce soit une
science faite*, et se servent à ce sujet des assertions des éco-
nomistes eux-mêmes, et entre autres de celles de Rossi et de
M. Dunoyer.
 propos des termes indiquant les principales notions
(comme Valeur, Travail, Capital, Salaire, Revenu, etc.), que
Ja science a dû empruntera la langue usuelle, Rossi s'exprime
ainsi* :
a Ces mots, la science les a adoptés; mais il n'y a pas en-
core accord parfait sur le sens et la portée de ces expressions.
C'est-à-dire, en d'autres termes, que la science, même dans
ses principes fondamentaux, n'est pas encore définitivement
arrêtée ; car le premier signe de toute science qui a atteint ce
degré de perfection, c'est une nomenclature acceptée, recon-
nue, et désormais hors de toute contestation. »
M. Dunoyer, rendant compte à l'Académie des Sciences
* Note insérée dans l'édition des Principes de Malthus, avant-propos;
dans la Collection des principaux économistes, t. VIII, p. 2.
* n est à remarquer que ceux qui disent que Véconomie politique n'est
pas une science faite sont presque toujours des avocats des abus, des
monopoles, de la prohibition douanière, des règlements, des organisations
artificielles de la société auxquels la science a opposé des arguments vio
torieux; or, sur ce point, elle est entièrement faite,
* Cours, ni" leçon.
106 MOTES ET PETITS TRAITÉS.
morales et politiques de la première édition de nos ÊlémentSy
s'exprimait ainsi* :
« En outre, ces difficultés, communesà toutesles productions
de Tordre de celles dont il s'agit en ce moment, sont plus
grandes encore dans les ouvrages élémentaires écrits sur des
sciences non encore formées, ou non suffisamment formées ;
et, pour choisir un exemple dans les ouvrages élémentaires
de la nature de celui à propos duquel je fais ces réflexions,
dans des ouvrages élémentaires sur l'économie politique, en-
core bien que, des diverses sciences dont s'occupe cette aca-
démie, celle-ci soit peut-être la plus avancée. L'économie
politique, qui a un certain nombre de principes assurés, qui
repose sur une masse considérable dé faits exacts et d'obser-
vations bien déduites, paraît loin encore néanmoins d'être
une science arrêtée. On n'est complètement d'accord ni sur
l'étendue du champ où doivent s'étendre ses. recherches, ni
sur l'objet fondamental qu'elles doivent se proposer. On ne
convient ni de l'ensemble des travaux qu'elle embrasse, ni de
celui des moyens auxquels se lie la puissance de ces travaux,
ni du sens précis qu'il faut attacher à la plupart des mots dont
est formé son vocabulaire ; et la science, riche de vérités de
détail, laisse infiniment à désirer dans son ensemble, et,
comme science, elle paraît loin encore d'être constituée. D
pourrait être donné de tout ceci bien des preuves. »
P. Rossi parlait, il y a vingt ans, dans les premières années
de son enseignement. Depuis, la science a fait un pas ma^
que ; dans toute l'Europe et en France, grâce à la publication
des premières leçons de Rossi lui-même, grâce à l'enseigne-
ment mutuel qui s'est étabU entre les économistes par le
Journal des Économistes fondé en décembre 184.1, par la
Société d'Économie politique fondée l'an d'après; et à la suite
de Ja lutte contre les protectionistes, des attaques des écoles
socialistes, et d'une série de remarquables publications dans
pus les pays.
' Voir le Journ. des Écon.t n* de iauViev \S\fi>^. 19.
BUT ET LIIIITUSDE LÉCOiNOMlli: POLITIQUE. 107
Au surplus, je crois que les paroles de Rossi dépassaient, en
ce moment-là, sa pensée. 11 n*ignorait pas que Smith, Turgot,
J. B. Say, Halthus, Ricardo, James Mill, Storch, Sismondi, etc.,
étaient, malgré leurs dissentiments, d'accord sur la plupart
des principes fondamentaux, et avaient une langue commune,
qui s'est perfectionnée depuis, qui se perfectionnera encore,
mais qui était et est le signe d'une science, sinon parachevée
(y a-t-il une pareille science ?) au moins assez avancée pour
ne plus être niée que par des esprits aveugles ou systémati-
quement négateurs.
Je dirai également, au sujet de l'opinion de M. Dunoyer,
que ses dernières paroles dépassent sa pensée et sont neutra-
lisées par ses premières assertions. Si divers économistes ont
théoriquement différé sur Tobjet fondamental de la science,
pratiquement ils se sont rencontrés sur le même terrain. Quant
à la lacune des travaux qu'elle embrasse, M. Dunoyer avait
seulement en vue ceux des arts qui agissent sur les hommes :
tout porte à croire que ses efforts, continués par ses disciples,
compléteront la science en ce point et contribueront à faire
disparaître le reproche un peu exagéré qu'il lui adresse d'être
f encore loin d'être constituée. »
Même avant les utiles analyses de M. Dunoyer, la science
était constituée, puisque, de l'avis de M. Dunoyer lui-même,
elle avait un certain nombre de principes assurés, elle reposait
sur une masse considérable de faits exacts et d'observations
bien déduites ; elle était, entre les autres sciences morales et
politiques, peut-être la plus avancée !
C'est bien la conclusion à laquelle nous sommes arrivé en
composant les Éléments de V Économie 'politique : en voulan
nous appuyer sur les meilleurs auteurs, nous les avons trouvés
phis d'accord qu'ils ne l'ont souvent cru eux-mêmes et que
ne le pensent ceux qui les critiquent, sans les avoir suffisam-
ment lus.
Telle sera l'opinion de tous ceux qui voudront étudier les
maîtres de la science avant d'exposer leurs propres idées.
Telle a été celle de M. fl. Passy, en, rendant cow\ç\.<^ Aa w^Vç^
108 NOTES ET PETITS TRA'.Tés.'
livre* à i*Académie des Sciences morales et politiques, etqu^iJ
y a lieu de reproduire ici, bien qu'on puisse la trouver peut-
être trop flatteuse pour nous.
(( C'est pour toqt Traité d'économie politique un point im-
portant que la mesure assignée au développement des matières
qu'il renferme. Entre le danger de n'offrir au lecteur qu'une
série d'axiomes ou d'aphorismes, manquant des explications
qui en prouvent l'exactitude, et celui de trop détailler, an
risque de rompre le fil des idées fondamentales, il y a un juste
milieu difficile à rencontrer : M. Joseph Garnier a réussi à ren-
contrer ce juste milieu. Son Traité est à la fois succinct, précis ;
et complet. Grâce à la bonne ordonnance des matières, à l'art
qu'il a su mettre à bien proportionner les différentes parties
du sujet, à la netteté et à la simplicité du langage, son livre,
sans rien dire de trop, n'omet rien et renferme tous les moyens
d'instruction désirables. ...
u L'économie politique est aujourd'hui une science faite.
H. Joseph Garnier aura beaucoup contribué à ce résultat,
après J. B. Say, par l'ordre, la méthode et les perfectionne-
rfients qu'iba introduits dans l'exposé des théories et dans les
démonstrations, par la justesse des analyses, par la précision
des termes et par le soin rigoureux qu'il a mis à s'en servir,
toujours dans le même sens. C'est ainsi que l'on parviendra
désormais, ainsi qu'il en est fait justement la remarque, à
éviter des causes nombreuses de confusion, et des discussions
stériles qui compromettent rautt)nté de la science.... »
On a agité la question de savoir si l'économie politique est
une science ou un art. La science a pour but d'observer et de
décrire des phénomènes réels ; l'art se propose de dicter des
préceptes et de prescrire des régies : ainsi, réconomiste,
quand il observe les phénomènes économiques, les décrit, les
interprète, il fait de la science; quand il en tire des règles ei
des conseils pour l'homme et la société, il fait de l'art.
Donc, dans l'éiat actuel de son avancement, et dans les
' Rapport de la 4* édition, 1860.
BUT ET LmiTES DE L*ÉC0N0M1E POLITIQUE. 109
écrits des maîtres et dans notre Traité, Téconomie politique
est^à la fois une science et un art. Elle a commencé par n'être
qu'un art, une branche de l'art de gouverner, la plupart du
temps, inspiré par de fausses théories ; mais les résultats et
l'examen de ces erreurs ont conduit à des observations justes
de la nature des choses, et la science s'est formée peu à peu
du rapprochement et du groupement des vérités acquises.
L'art est aussi ancien que le monde. La science, ou connais-
sance raisonnée des vérités économiques, n'a guère que cent
ans de date. C'est en confondant l'art avec la science que
K.Blanqui^ a fait remonter cette dernière au delà des travaux
des philosophes du dix-huitiéme siècle, jusqu'aux Grecs et
aux Indiens. *
Cette distinction, établie d'une manière remarquable par
Coquelin, n'est pas la même que celle que Rossi a indiquée, et
jue M. Rau a observée dans son traité, entre Téconomie poli-
tique pure et l'économie politique appliquée.
L'économie politique pure, c'est la science et l'art, profes-
sés dans les chaires, ou écrits dans les livres, abstraction
faite du degré d'application dont leurs conseils sont suscep-
tibles dans une localité, à une époque et pour une industrie
données ; c'est l'exposition, sans préoccupation, des principes
et des résultats de l'expérience, —r L'économie politique appli-
quée, c'est la mesure dans laquelle le législateur et l'admini-
trateur public ou privé ont puisé ou peuvent puiser dans les
règles et les conseils, qui découlent des vérités de la science,
selon les circonstances et la disposition des esprits. Il n'y a
pas de principes différents en économie politique appliquée.
Seulement, dans l'application des principes de la science, on
est obligé de compter avec des difficultés et des résistances
de diverse nature, et l'art du législatenr, de l'administratenr,
de l'homme d'état, consiste à faire le moins de sacrifice pos-
^ Hist, de VécoiKmie politique.
110 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
sible aux intérêts et aux préjugés opposants. Leur devoir est
d'avoir toujours la science pure pour flambeau, de proclartier
les vrais principes, et de ne pas mettre, comme cela, est
souvent arrivé, le drapeau de la science dans leur poche, et
encore moins de le fouler aux pieds, sous le fallacieux pré-
texte qu'il n'y a pas de principes absolus. L'application peut
ne pas être absolue ; mais un principe qui n'est pas absolu,
n'est pas un principe. .
Les deux distinctions que nous venons d'établir diffèrent en-
core de celle qu'on fait entre la théorie et la pratiqtie, quand
on l'objecte aux vérités économiques, en disant qu'elles sont
une théorie (une vaine théorie, ajoule-t-onj, tandis que les
préjugés que ces vérités combattent seraient l'expression delà
pratique. — Toute pratique est Iç résultat d'une règle bonne ou
mauvaise, selon qu'elle est le résultat d'une observation exacte
ou inexacte; de sorte que cette opposition de la théorie et de
la politique est purement un abus de langage, un sophisme *.
En dernière analyse, cependant, économie politique pure,
— science, — théorie, — expriment des idées corrélatives et
différentes de celles exprimées pour économie politique appli-
quée, — art, — pratique.
Ces distinctions qui sont dans la nature des choses sont
utiles dans l'enseignement et la discussion'; mais si elles sont
* « Je connais comme un aulre l'orgueil et les dangers de la théorie;
hiais il y a aussi, à vouloir absolument s'en passer, la prétention excessif
vement orgueilleuse de n'ôlre pas obligé de savoir ce qu'on dit quaod od
parle, et ce qu'on fait quand on agit. » [Roter-Gollard, Discaun iu
Sinfltl821.)
* M. Wolowski a exprimé (Joum. des économistes, numéro d'août 1857»
p. 201) un sentiment à quelques égards dilTérent ; il craint que, 8*emparant
de cette distinction, les opposants aux doctrines économiques, tout en
reconnaissant les principes, ne se présentent bardés d'arguments paisës
dans la nationalité, le temps et l'espace. Notre savant ami parle avec l'an*
toriié d'un athlète exercé, habitué à parer les coups des adversaires} mais
son objection n'est pas d'ordre scientiiique. La distinction est exacte ctt
fausse : si elle est exacte, il faut l'admettre; puis, lorsque les protection'
/listes, par exemple, ont confessé les principes, il faut entrer avec euisut*
Je terrain de l'application et rélorquev, comme le fait si bien M. Wolowsld
BOT ET tmiTES DE l'eCO:«OMIE POLITIQCE. Hl
possibles en de certaines questions, elles ne le* sont guère, au
moins d*une manière absolue, dans l'ensemble d'un traité.
Quelques auteurs de traités généraux se sont appliqués à faire,
d'une manière plus ou moins heureuse, le départ de la science
et de Tart, celui deFéconomie politique pure et de l'économie
politique appliquée ; ils ont bien groupé dans la seconde par-
tie une certaine quantité de questions d'application, de légis-
lation ou de réglementation ; mais ils ne nous ont pas paru
pouvoir séparer entièrement dans la première, la science de
fart, la théorie de l'application et de l'expérience *.
§ T. Des eaase« qui ont prineipalement nui au progrès de la
aeience) à la Tulsarisation de mem prineipes, et à son auto-
rité. ^Adversaireo plus on moins systématiques de la seienee.
Diverses causes ont principalement nui au progrès de la
science économique, et à la vulgarisation de ses principes et à
son autorité.
Parmi ces causes il faut mettre :
1® La jeunesse de la science (elle est née au milieu du der-
nier siècle) et ses incertitudes, dès le début; — défaut inévi-
table et dont elle va se corrigeant tous les jours;
2° Le nom d'économie politique ou sociale ou publique,
cause, en partie, de l'incertitude de sa définition et des nom-
breux programmes qu'on lui a faits;
5° Les difficultés de la nomenclature, et la nécessité où les
économistes ont été de se servir des termes usuels et d'en*
faire varier le sens, au fur et à mesure de la précision des no-
tions acquises ; — les inévitables discussions qui sont résultées
de ce travail de la formation de la langue qui est au fond celui
de la formation de la science elle-même;
4** L'objet lui-môme de la science portant sur des sujets que
lui-même, les arguments tirés de la nationalité, du temps et de Tespuce.
la science pure guide la science appliquée, comme une théorie saine guide
une intelUgente pratique.
« Rau, l" éd., 1826-3Si;-CourcelIe-Seneuil, i858-Q-,— Ç^\eY\»\\\ex,V^'^-
112 NOTES ET PETITS TRAITES.
tout le monde isroit connaître; d'où sont résultés des milliers
de volumes et de brochures sur les principes et les applica-
tions, sur les questions générales et spéciales, qui ont plus sou-
vent embrouillé qu*éclairé les notions;
5** Ajoutons qu'il y a peu de sciences où on n'ait annoncé
plus de nouveaux principeSy plus de nouveaux traités^ plus de
théoiies nouvelles, et où ces publications n'aient pas élé l'ex-
pression de prétentions plus inexpérimentées; — ça a été l'er-
reur de plus d'un économiste recommandable que celui de
prendre de pareils titres, de croire avoir inventé ce qui était
éclairci avant lui, de faire du neuf en changeant la nomencla-
ture ou l'ordre des notions, d'écrire des traités sans avoir suf-
fisamment professé, lu ou médité; — de fonder une économie
politique chrétienne, américaine, française, nationale, démo-
cratique, etc.;
G** Le défaut (assez habituel chez les savants comme chez tous
les hommes) des écrivains économistes qui ont travesti les
idées de leurs adversaires, grossi leurs erreurs, et cru faire
en les combattant des théories soit disant nouvelles, tandis
qu'au fond, ils étaient plus souvent d'accord avec eux qu'ils
ne pensaient ;
1^ Les discussions sur les limites de la science quelquefois
mal engagées par les amis de la science eux-mêmes, et tou-
jours mal interprétées par ses adversaires;
8° Le charlatanisme ignorant de quelques prétendus amis de
la science qui lui ont fait- un programme fantastique, promet-
tant en son nom des panacées sociales, et faisant naître des
espérances qu'il n'est pas en son pouvoir de tenir;
9** L'action des nombreux adversaires, qu'il était dans sa
nature d'avoir, et dont voici une énumération incomplète :
fl. — Les Préjugés et l'Ignorance, à peu près universels sur
les questions économiques; — préjugés nationaux, politiques,
religieux, administratifs, populaires, etc. ;
h, — îiCS Abus qui se trouvent naturellement démasqués el
combattus par la simple exposition de la science;
■ _,..-A - Les Intérêts privés vdeçYO^e^?»Wow de localité), aux
BOT ET LIMITES DE L ÉCONOMIE POLITIQUE. 115
prétentions desquels l'économie politique oppose la théorie des
intérêts généraux;
d. ^- Parmi ces intérêts privés, les intérêts des producteurs
qui sont ou se croient protégés, ou favorisés par la Prohibi-
tion, les droits élevés et les autres entraves commerciales dont
l'économie politique réclame la réforme en vue de l'agrandis-
sement des débouchés et du développeinent de l'industrie in-
térieure des peuples;
e, — Les esprits empreints de théories Socialistes en gé-
néral, idées dont l'économie politique montre les erreurs, les
illusions et le danger ;
/". — Les partisans de la Charité légale, sur une vaste échelle,
dont l'économie politique démontre les effets démoralisateurs
et le peu d'efficacité pour les classes nécessiteuses;
g. — Les honimes et les Partis politiques, dans les pro-
grammes desquels l'économie politique a plus d'une fois mon-
tré, en ce qui la concerne, Tinintelligence des véritables inté-
rêts sociaux, l'esprit de préjugé, et l'inanité des promesses;
h. — Ceux des hommes dé Gouvernement ou des Admi-
nistrateurs, qui agissent au rebours de ses conseils, et dont
les actes sont contrariés par la simple exposition de la vérité;
i. — Les Études classiques exclusives qui ont le grave in-
convénient d'inculquer à la jeunesse les erreurs et les préjugés
des sociétés anciennes, et de laisser ign.orer les véritables con-
ditions de l'ordre social moderne; de vicier par cette lacune
renseignement moral, philosophique, historique, etc., et de
répandre des éléments de discorde, de stérile agitation dans
le monde.
j. — Les attaques des adeptes des autres sciences morales
qui ont eu et ont encore quelque peine à reconnaître l'existence
et l'autonomie de la science économique, indépendante de tout
système religieux, philosophique, moral; — attaques répétées
par les littérateurs, les publicisles, les romanciers, les uni-
versitaires, etc., reproduites sous toutes les formes et formu-
lées notamment par le reproche de matéiialisme qui sera
examiné plus loin (g ix).
114 KOTES ET PRTITS TRAITÉS.
Je m'arrête sans avoir fini celte énurnéralion. Tous ces
obstacles seraient atténués par l'introduction des notions éco-
nomiques dans l'enseignement général. L'effet d'une saine in-
struction est de désarmer l'erreur ou le préjugé qui se posent
en théories légitimes, souvent avec d'autant plus d'inconvé-
nients qu'elles sont de la meilleure foi du monde.
§iri. 14'Éeonoiiiie politique et la Statistique*.
L'économie politique et la st^atistique sont, pour ainsi dire,
sœurs jumelles; elles ont un grand air de famille, elles se
prêtent un mutuel appui; mais elles ont chacune un champ
' distinct.
La statistique constate et recueille les faits sociaux qui peu-
vent s'exprimer numériquement, avec un esprit de méthode
et un degré de précision que l'histoire et la géographie n'ont
jamais eus.
L'économie politique expose les lois naturelles de la produc-
tion et de la répartition de la richesse, l'organisation de la so-
ciété laborieuse.
Il n'y a pas heu de les confondre. Mais elles procèdent
souvent de concert et s'accompagnent dans leurs investiga-
tions.
L'économie politique consulte et invoque la statistique soit
^ pour contrôler ses principes et ses doctrines, soit aussi pour
les éclairer, soit encore pour arriver à les formuler. La statis-
tique est donc d'un grand secours à l'économiste, comme au
morahste, comme à l'homme d'État ou à l'administrateur.
La statistique consulte et invoque l'économie politique
comme elle invoque la morale, la philosophie, comme elle
consulte l'histoire, soit pour se rendre un compte exact des
résultats qu'elle obtient, soit pour les contrôler, soit même
pour guider ses recherches.
* Les deux sœurs n'ont pas toujours vécu en bonne intelli-
jg
* Voir plus haut dans les Éléments de statistique, chap. 11, § 2, le même
''it traité plus longuement et à d'autres points de vue.
BUT ET LIMITES DE LECOiNOMIE POLITIQUE. H5
gence; mais c'était par la faute de leurs adeptes qui ont été
quelquefois exclusifs, prétentieux, injustes, et qui accusaient,
les uns, réconomie politique qu'ils ne savaient pas assez, —
les autres, la statistique dont ils méconnaissaient les services.
En fait, les économistes ont un grand besoin de la statistique,
et les statisticiens ne peuvent ignorer les notions générales de
l'économie politique. Néanmoins Téconomie politique et la sta-
tistique ont chacune un champ très-distinct, et elles ne peuvent
être confondues.
§ VII. li'Éeononiie politique et la Politique.
L'économie politique et la politique ont des rapports très-
intimes sans se ressembler et sans se confondre.
•
La politique est à la fois une science et un art. Soit comme
science, soit comme art, elle doit, sous peine de s* égarer gros-
sièrement, faire appel aux lumières de la science économique,
comme elle doit faire appel aux lumières de la morale, de
la science du droit, de l'histoire, de la statistique, etc.
Gomme science ou comme art, la politique a pour objet le
gouvernement des Étals et des cités, en ce qui concerne cer-
tains intérêts généraux. On a longtemps cru et on paraît en-
core croire que le gouvernement des Étals doit embrasser
tous les intérêts généraux; d'autres vont plus loin et disent
tous les intérêts. Ceux qui pensent ainsi sont, qu'ils le sachent
ou qu'ils l'ignorent, des esprits socialistes tournant le dos
au progrès et se dirigeant vers le communisme et l'asservisse-
ment.
Ceux des intérêts généraux qui constituent le domaine de la
politique rationnelle sont : 1^ la garantie de la Sécurité, dh la
Justice et de l'Ordre, fonction suprême et principale de l'auto-
rité; 2° quelques services publics que l'industrie privée ne sait
ou ne peut rendre à de meilleures conditions. De cette fonction
principale résulta la nécessité — d'une organisation des agents
du gouvernement; d'une forme de gouveruemenV, diwcv^ e.^^-
fl6 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
sliluUon déterminant les atlributions, les fonctions et Torga-
nisalion d'un pouvoir législatif, d*un pouvoir judiciaire, d'un
pouvoir exécutif, avec — une administration générale, diverses
administrations spéciales, une force publique, et le droit de
prendre une part du revenu social pour payer les services et
autres frais de gouvernement.
L'économie politique n'a dans ses attributions ni la forme
du gouvernement, ni le mécanisme des rouages administratifs,
ni le hianiement des hommes et des choses utilisés pour la
production de la sécurité, de la justice et des services publics.
Seulement, elle agit indirectement, à la manière de la morale
et des autres branches des connaissances humaines, pour don-
ner aux législateurs et aux administrateurs des idées saines
sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste. Elle a surtout voix
au chapitre quand le législateur ou l'administration touchent
à tout ce qui peut concerner la production, la répartition ou la
consommation de la richesse, la propriété, le travail, l'échange,
à ce qui peut concerner l'organisation laborieuse de la société
que le gouvernement a mission de protéger et de surveiller
pour punir les cas de nuisance, mais dont la direction est
tout à fait en dehors de ses attributions rationnelles.
Dans les questions d'ordre économique, la science signale à
la politique les abus, les privilèges, les entraves à faire dispa-
raître; elle lui montre le danger des théories erronées qui Font
inspirée dans le gouvernement des affaires intérieures et exté-
rieures, et qui ont causé la plupart des guerres qui ont en-
sanglanté le monde ; elle l'aide à comprendre l'enseignement
de l'histoire et la conduit à ne plus mal faire. Elle éclaire en-
fin les peuples sur ce qu'ils peuvent raisonnablement attendre
des gouvernements, — ceux-ci, sur leurs devoirs envers les
peuples, — les gouvernements et les peuples sur leurs rap-
ports respectifs en ce qui touche la condition et le bien-être.
L'économie politique est donc la principale clef des ques-
tions sociale's. On ne peut que mal gouverner sans elle, et tout
homme d'Étal devrait être économiste. Mais cette assertion
n'implique pas la proposition coulraite» Il n'est pas néces-
BUT ET LIMITES DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE. 117
saire que chaque économiste soit homme d'État; car par
cela seul qu'on est économiste, on n*a pas toutes les condi-
tions de Thomme public, on n'est pas apte à gouverner. Pour
gouverner, il faut d'autres qualités encore : il faut notam-
ment ê(re doué de ce savoir, de cette influence et de ce tact
particuliers qui permettent d'apprécier quand et dans quelle
mesure l'application d'un principe doit être faite. La théorie
et la science sont de leur nature absolues et radicales ; l'ap-
pHcation exige des tempéraments de plusieurs sortes, au
nombre desquels il ne faut pas comprendre le procédé peu
digne et dangereux qui consiste à renier les principes ou à
mettre son drapeau dans sa poche.
(V. ce qui est dit plus haut, p. 140, sur la théorie et la pra-
tique.)
§ VIII. li'ÉeoMOiiiie politique el le Soeialisine.
Par suite de diverses confusions, les uns ont souvent re-
proché à l'économie politique de n'être pas assez socialiste,
et d'autres, au contraire, d'avoir engendré, ce qu'on appelle
le socialisme*.
Hais les deux choses diffèrent entre elles par des caractères
bien tranchés sur des points fondamentaux tels que la pro-
priété, la liberté, l'égalité, la fraternité, la religion, la famille,
les attributions de l'État, l'organisation sociale, le progrés et
l'intérêt.
I. L'Économie politique considère le principe de propnéié^
comme fondamental, organique et inhérent à la nature hu-
maine.
Le Socialisme tend à le faire disparaître, ou ne craint pas de
lui porter de profondes atteintes.
II. L'Économie politique professe le plus grand respect
pour la liberté de l'homme, qui est un autre aspect de la pro-
priété. Elle proclame son droit de produire, et d'échanger li-
* Si l'une est la vipère, a dit un orateur espagnol religieux écoulé,
M. Donoso-Cortès, l'autre est le vipereau.
1.
H8 KOTES ET PETJTS TRAITÉS.
bremenl selon ses désirs et son intérêt, à la seule condition
de ne pas nuire à autrui. Elle considère la libre concurrence
comme principe organique, comme le régulateur du prix des
travaux et des services.
La plupart des écoles socialistes flétrissent la liberté sous le
nom d'individualisme. Elles cherchent à supprimer la libre
concurrence comme principe subversif.
111. A côté de la liberté, Téconomie politique proclame
' comme corollaire forcé la responsabilité^ contre-poids de la
liberté.
Le Socialisme supprimant la liberté, supprime également la
responsabilité.
lY. L'Économie politique admet \ égalité devant la loi, sous
le rapport des droits publics, de la justice, de la protection,
des emplois, de? charges publiques, et travaille à la suppres-
sion de tous les monopoles ou privilèges abusifs.
Le Socialisme aboutit au communisme, à l'égalité des con-
ditions sociales.
V. L'Économie politique veut que les sentiments de fraternité
se développent librement, et ne demande (\yxQ justice à la loi.
Elle a observé les funestes effets d'une charité inintelligente.
Elle admet, comme fait naturel, que le sentiment de la frater-
nité et l'esprit de charité ne sont susceptibles que d'un déve-
loppement restreint.
Le Socialisme part de l'hypothèse inverse, tend à faire exi-
ger la fraternité par la loi, et compte sur le développement
de la charité comme remède efficace aux maux de la sodèlé.
VI. L'Économie poUtique ne s'occupe pas de religion^ elle
considère seulement le travail et le service des ministres et
antres agents religieux, sous le rapport de leur rémunération.
La plupart des écoles sociahstes amalgament une théorie
religieuse avec leurs combinaisons sociétaires.
VIL L'Économie politique voit dans la famille une des ma-
nifestations naturelles de Tordre social, sans s'occuper d'en
modifier l'organisation.
Les systèmes socialistes, au contraire, tendent, les uns, sana
BDT ET LIMITES DE L*éCOKOMIE POLITIQnE. 119
le vouloir, les autres sciemment, à relâcher les liens de la
famille et à détruire la famille elle-même, telle qu*elle ré-
sulte des développements naturels de l'humanité.
VIII. L'Économie politique assigne à VEtat^ comme fonc-
tion principale» la garantie de la sécurité intérieure et exté-
rieure, la garantie de Tordre et de la justice, et comme fonc-
tions accessoires un petit nombre de services pubUcs, dont
l'industrie privée ne peut se charger.
Lé Socialisme tend au contraire à metlre toute^U^s activités
sociales sous la direction de l'État, à supprimer toute initia-
tive individuelle, à organiser la société sous une forme com-
muniste et despotique.
IX. L'Économie politique considère V intérêt individuel, qui
se manifeste par la propriété et la libre concurrence, comme
le moteur universel et principal de la société. Elle croit à la
tendance harmonique et providentielle des intérêts individuels,
même lorsqu'ils sont antagonistes. Elle ne compte que dans
une faible mesure sur la force de l'intérêt social produit par
Tesprit de dévouement et le sentiment de fraternité.
Le Socialisme part, au contraire de celte hypothèse, que
l'esprit de fraternité et de dévouement peut et doit rem*
placer l'intérêt individuel qu'il flétrit du nom d'individua-
lisme.
X. L'Économie politique s'atlache à constater les lois na-
turelles de la formation et de la répartition de la richesse. Elle
réclame ensuite la suppression des obstacles qui s'opposent à
leur application, certaine que ces lois sont conformes à la
justice, et que de leur libre action résulte Y organisation natu-
relle des sociétés et tous les avantages qu'il leur est donné de
pouvoir recueillir ; ~ certaine qu'elles sont favorables à toutes
les classes dont les intérêts sont solidaires, et qu'il est impos-
sible d'y substituer utilement et équilablement des combi-
naisons artificielles.
Le Socialisme ignorant ou niant l'existence de ces lois, ou
jien encore attribuant les maux de la société à ces lois lais-
sées à leur libre cours, pense qu'il appartient aux législateurs
120 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
de combattre la nature des choses, d'imposer une organisation
artificielle de la société et du travail, et de favoriser les classes
les plus pauvres, comme dans le passé le socialisme aristocra-
tique irsiyMlaii à concentrer aux mains du plus petit nombre
les avantages du rang et de la richesse. — Il ne prend pas
garde que, si le socialisme démocratique semble plus généreux
comme s'appliquant au plus grand nombre, il n'est pas plus
fondé en équité, et qu'au surplus il a pour effet de nuire phy-
siquement et moralement à ceux-là même qu'il veut favo-
riser*.
XI. L'Économie, politique croit donc au progrès par la ré-
forme des abus, des injustices, des monopoles et des règle-
ments erronés; elle l'attend de la découverte progressive et
de la vulgarisation des principes de la science de l'organisa-
tion naturelle des sociétés.
Le Socialisme pousse plus loin sa croyance ; il pense avoir à
sa disposition des procédés sociétaires à l'aide desquels on
peut procéder à une refonte sociale^ — procédés que l'écono-
mie politique croit contraires à la nature de l'homme.
Au fond, l'Economie poUlique et le Socialisme croient tous
deux au progrés ; ils désirent tous deux l'amélioration physi-
que,, intellectuelle et morale de l'espèce; mais ils diffèjrent
radicalement par les moyens auxquels ils ont confiance.
Ils diffèrent aussi par le langage. Le Socialisme s'adressant
au cœur, procède par voie de sentiment, émet des proposi-
tions consolantes, propres à toucher les âmes sensibles et fa-
ciles à s'illusionner; il rend la société responsable. Il affirme
positivement qu'il a par-devers lui des moyens efficaces de ré-
organisation et d'un effet immédiat contre la misère ou pour le
bien-ôlre. — La Science économique, parlant à la Raison; fai-
sant la part de la Société et de l'Individu, a naturellement un
* Voir dans le Journal des Economistes, août 1857, un rapport verbal sur
le Nouveau traité d'Économie politique, de M. Villiaumé, dans lequel
M. Passy caracliiiise heureusement le socialisme par la préoccupation ex-
clusive du g^ouverncmcnt pour une classe de la société.
BOT ET LIMITES DE L* ÉCONOMIE POLITIQUE. 12i
langage plus froid et plus sévère ; elle constate une nature des
choses qu on ne peut méconnaître, elle combat les illusions, et
montre souvent les dangers et la cause du mal, là où le so-
cialisme voyait le remède.
D'après les distinctions qui précèdent, on voit que deux
choses ne peuvent avoir des caractères plus différents que
Téconomie politique et le socialisme : lune suit la voie de la
vérité, Tautre est sur le chemin de l'illusion. Ce n'est que par
calcul ou par ignorance qu'on a pu les confondre.
Quelquefois, souvent même, on les trouve amalgamées dans
des écrits dont les auteurs se disent, selon leur tempérament,
économistes ou socialistes, et qui forment des compositions
d'un caractère bâtard dont les nuances peuvent varier à Tinfuii .
Nous prenons ici le mot socialisme dans un sens neutre et
scientifique de dénominateur commun des systèmes socié-
taires proposés par un certain nombre de réformateurs ex-
centriques de la société *.
§ IX. — li^éeonomie politique, la Philosophie et la Morale.
Heproehe de Matérialisme.— Nature de la seienee économiiiue.
Jadis la philosophie était la science de la sagesse, en vieux
français, de la sapience, c'est-à-dire du savoir, de la vérité, de
la nature des choses; c'est-à-dire encore du vrai, du beau, de
l'utile, du bien.
Depuis que les diverses parties de la science se sont déve-
loppées, et que la division du travail s'est introduite dans les
connaissances humaines, la philosophie est devenue plus spé-
cialement la science des premiers principes, des premières
causes et des rapports généraux qui lient toutes les sciences,
comme un tronc auquel se rattachent toutes les branches de
l'arbre encyclopédique, entre lesquelles l'économie politique,
science du travail et de l'industrie humaine, est une des plus
importantes, sinon, la plus importante.
Dans un sens un peu plus restreint , le mot de philosophie ex-
* Voir plus loin une note spéciale sur le Socialisme.
133 stores ET KTITS TtJOTD.
prime l'ensemble des principes géuéranx d'une science, Tap-
précîalîon des doctrines el des faits relatif à cette science
dans ce qu'ils ont de plus général et de plus synthétique.
C'est ainsi qu'on dit de nos jours : la philosophie de Thistoire
et même la philosophie chimique. C'est ainsi qu'on peut dire
que l'économie politique est la philosophie de la statistique et
de l'industrie liumaine; comme on peut dire, à un autre poinl
de Tue, quelle est la physiologie et l'anatomie de la société,
puisqu'elle en analyse le mécanisme et les fonctions et quelle
en déduit des obsenrations générales qui lui sont propres.
Dans les collèges, les programmes officiels l'ont subdivisée:
en psychologie ou étude générale des fiacultés de l'àme; — en
logique ou étude spéciale des facultés intellectuelles; — en
morale ou étude des devoirs de l'homme (envers lui-même,
envers la société, envers la ProWdence), du bien et du mal, dn
juste et de l'injuste, du mérite et du démérite; — en théo-
dicée ou étude de Dieu, dont le principal caractère est la jus-
tice; — en histoire de la philosophie ou histoire des idées des
principaux philosophes.
On voit par cette simple énumération combien l'économie
politique, en analysant les besoins de Thomme et les moyens
avec lesquels il les satisfait par le travail et l'échange, en étudiant
l'organisation et les besoins de la société laborieuse, en appro-
fondissant la notion de l'utile parallèlement avec la notion du
droit et du juste % en faisant connaître plusieurs côtés n^li-
gés de la nature des choses ou entièrement ignorés, combien,
disons-nous, l'économie politique fournit d'indispensables lu-
mières à toutes les parties de la philosophie, et combien la
morale philosophique ou religieuse trouve en elle de points
d'appui.
* Voir sur les rapports de l'utile et du jus!e, \e juste et futUe, psr
M. Dametii, vol. in-8, 1859, et un article de M. de Fontenay, Jomrnal
des économistes, juïWei 1802, suivi d'observations de M. BaudriUart, t^..
octobre 1862. — Voir sur les rapports de l'économie politique à la morale
l'ouvrage de M. Baudrillart, cité p. 128, et un rapport de V. Dunoyeri
l'Académie des sciences morales et politiques dans le Journal des écowh
>JjiiJ et 1858.
I5UT ET LIMITES DE l/ÉCONOMIE rOLITIQUE. 125
Quand on y songe, on s'explique difficilement comment il
se fait que ce complément substantiel et indispensable de la
philosophie, de l'histoire, du droit, ait été négligé et systé-
matiquement repoussé. Cette lacune de renseignement public
dans quelques pays, en France, notamment, est pour une grosse
part dans les mécomptes, les fautes, les discordes et les mal-
heurs du passé.
Nous allons revenir sur Tutilité de cet enseignement, arrê-
tons-nous avant sur le reproche de matérialisme (lisez im-
moralité!) un de ceux qui ont le plus souvent servi de prétexte
aux attaques dirigées contre la science économique.
En soumettant la notion de TUtile à l'élaboration scientifi-
que, en l'étudiant sous toutes ses faces, l'économie politique
arrive à éclairer et guider, à redresser même la notion du
droit naturel et l'idée morale (tirée du dogme religieux, des
manifestations intimes de la conscience ou de la raison);
comme c'est l'effet naturel de toute science (c'est-à-dire •de
toute vérité démontrée) sur le sentiment traditionnel, instinc-
tif ou raisonné. Son objet est à la fois matériel et moral ; et si
elle est de Tordre des sciences dites naturelles, puisqu'elle a
pour objet certains aspects de l'homme physique, elle est bien
réellement aussi science morale, — par son point de départ,
l'homme intellectuel et moral, usant de sa volonté, libre, res-
ponsable; — ^par son but, la satisfaction des besoins tant intel-
lectuels et moraux que physiques des individus et des socié-
tés, en accord avec la justice; — par ses moyens d'investiga-
tion, l'étude des lois qui régissent le monde moral en ce qui
louche à l'activité humaine.
En vérité, il y a aberration à conclure qu'une science, par
cela seul qu'elle cherche à se rendre compte comment les
hommes travaillent d'une manière plus rationnelle ou plus
productive, comment ils se répartissent le plus équitablement
les fruits de leurs efforts et de leurs peines et les emploient
plus raisonnablement, comment individus et sociétés peuvent
mieux éviter la misère, et augmenter leur bien-être, — cette
124- NOTES FT PETITS TRAITES.
science doit abaisser les esprits et les âmes, corrompre le sens
moral, pousser les hommes à se déshabituer des jouissances
intellectuelles et morales et à dégrader leur raison dansTa-
bus des jouissances physiques.
C'est ainsi que raisonnent encore, de nos jours, des hom-
mes importants par leur savoir à d'autres égards l
A cet inintelligent reproche de matérialisme, l'économie po-
litique a une réponse à chaque pas. Qu'on la suive en détail et
qu'on juge.
Pour éviter ce reproche à la science, plusieurs économistes
se sont attachés à faire ressortir les côtés élevés de cette étude,
à lui inoculer lé spiritualisme ; mais d'autres, plus ou moins
anliéconomistes, ont eu la prétention de fonder, sur celte
donnée, une économie politique plus élevée, plus philoso-
phique , plus morale , plus religieuse , plus démocratique,
plus sympathique aux classes souffrantes, une économie po-
litique spiritualiste, — chrétienne, — charitable, — socialiste,
française; d'autres, sans aller si loin, l'ont subordonnée à
la philosophie, à la morale, à la religion et même à la natio-
nalité : les uns par croyance sérieuse, les autres pour faire
accepter la science par d'influents adversaires, les autres sim-
plement pour abriter quelque théorie de leur invention.
Autant de prétentions, autant d'efforts inutiles qui ont com-
promis l'autorité de la science pour quelque succès éphémère.
L'économie politique n'a rien à voir avec la reUgion et la na-
tionalité, avec la forme ,du gouvernement S elle a un tout
autre champ que la morale, qui peut lui servir, mais quelle
aide à son tour ; elle est une branche distincte de la philoso-
phie considérée comme tronc de toutes les sciences ; elle est,
dans un autre sens du mot, la philosophie, c'est-à-dire Tètudo
des lois générales de l'industrie humaine, comme elle en est,
à d'autres points de vue, la physiologie, l'anatomie, Téconc-
mie sociale. Science, elle ne s'adresse ni au sentiment, ni â la
sympathie pour aucune classe spécialement ; mais elle signale
* Elle peut cependant contrôler les docirines el les résultats de la poK-
tique au point de vue de l'utile et du juste.
BUT ET LIMITES DE l'ÉCOINOUIE TULITIQUE. 125
l'utile et le juste pour chacun et pour tous; elle montre
Tabus, et distingue ceux qui en profitent et ceux qui en souf-
frent. N'est-ce donc pas une mission assez ample, assez flat-
teuse? Cette mission est-elle donc sans grandeur et sans
poésie ?
Elle n'a rien à voir avec les théories du spiritualisme et du
matérialisme des écrivains philosophiques, qui en sont arrivés à
ne plus guère se comprendre avec ces deux termes, tant a va-
rié la signification de chacun d'eux. En partant de l'étymolo-
gie, on peut dire que l'économie politique est à la fois spiri-
tualiste et matérialiste, parce qu'elle tient grand compte des
forces intellectuelles et morales des hommes et des résultais
moraux de leur activité, grand compte aussi de la matière à
l'aide de laquelle cette activité se produit. Si on veut faire des
deux termes, des synonymes des qualificatifs moral et immo-
ral, l'économie politique est forcément spiritualiste, nous
l'avons prouvé plus haut ; il n'y a pas à s'efforcer de faire en-
trer le spiritualisme en elle ; et c'est une objection sans fon-
dement que l'on fait quand on invoque contre elle le reproche
de matérialisme, — mot vide de sens en philosophie, qualifi-
cation inexacte et absurde dans le sens usuel d'immoralité*!
L'ignorance, les préjugés, les abus, le calcul des intérêts
privés, l'esprit de système ont produit, nous l'avons vu, un bien
grand nombre de préventions contre l'économie politique.
La prévention tirée du reproche de matérialisme ou d'im-
moralité, est une des plus répandues, bien qu'il y soit victo-
rieusement répondu par l'ensemble des études économiques ;
'arrêtons-nous encore sur ce point avec l'illustre M. Dunoyer,
dont la science déplore la perte récente.
* Voir une intéressante discussion entre M. Dameth, professeur d'écono-
mie politique à l'Académie de Genève, et M. H. Baudrillart, professeur
suppliant d'économie politique au Collège de France, sur le spiritualisme
en politique, Journal des économistes, mai, juillet, octobre 1862. — Voir
du Spiritualisme en économie politique, par M. l\ondelet, in-8, 1859, et les
écrits indiqués ci-dessus, p. 122, Note.
126 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
« On reproche aux études économiques, a dit M. Dunoyer\
détourner beaucoup trop Taclivité elles affections univer-
selles vers la recherche des biens matériels, d'abaisser à la
fois les cœurs et les intelligences. 11 faudrait, ce me semble,
pour qu'elles eussent un si triste effet, qu'on en eût pris uue
idée bien peu exacte, et qu'on leur imprimât une direction
bien mal avisée. Ne leur fût-il assigné d'autre objet que Tac-
quisition de la richesse, rien ne serait encore si aisé que de
leur imprimer une direction élevée et morale. Et, en effet, la
fortune ne sert-elle donc qu'à la satisfaction de plaisirs gros<
siers? Prenons garde qu'elle peut être recherchée, et qu'elle
doit l'être, comme un instrument de force, d'indépendance,
de dignité, plus encore que comme une source de bien-être.
Considérons aussi que les travaux qui la créent sont par eux-
mêmes un moyen très-actif de développement et de morali-
sation; que ces travaux, pour s'exécuter avec aisance et avec
succès, exigent l'acquisition de toute sorte de talents et de
qualités honorables; que leur puissance est aussi élroitement
subordonnée au progrès des mœurs qu'à celui des idées, et que,
voulût-on n'assigner à l'activité sociale d'autre objet que d'eiir
richir la société, il ne serait permis encore de négliger aucun
des arts élevés que la société pratique; qu'elle a besoin, pour
prospérer, d'imagination, de goût, de science, d'honneur, de
morahté, tout aussi bien qu'elle a besoin des matériaux, des
instruments, des forces aveugles qu'elle emploie, j»
« Et d'ailleurs, est-ce donc seulement pour s'enrichir qu'elle
s'impose des labeurs si rudes? qu'elle acquiert avec effort
tant de précieuses qualités, reconnues indispensables au pro-
grès de son opulence? Et ne serait-il pas vrai de dire qu'elle ne*
travaille avec tant d'ardeur à accroître son opulence que pour
se préparer à des acquisitions d'un ordre plus élevé? Il est
digne de remarque que notre société, qu'on croit si exclusi-
vement préoccupée de la recherche des biens terrestre, ne
dépense peut-être pas, tout compté, moins de cent millions
* Discours d'ouverture de la séance publique annuelle de rAcadëmie
des sciences morales et politiques (1846].
BPT ET LIM1TÏ:6 DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE. 127
tous les an$ pour la salisfaclion de ses besoins religieux; qu'elle
paye encore plus sans doute pour les services de toute espèce
que réclame son intelligence, infiniment plus encore pour les
soins innombrables donnés à son imagination, et qu'à vrai
dire on pourrait assigner pour fin à l'activité sociale Taccrois-
sement des richesses morales, intellectuelles, effectives, tout
aussi bien que celui des richesses purement matérielles. £i la
science économique ne s'occupe directement ni de politique,
ni de morale, ni d'esthétique, ni de technologie, ni d'aucun
art particulier quelconque, elle enseigne comment tous les
arts possibles entrent dans l'ordonnance générale de la société,
quel rôle ils y jouent, quel appui mutuel ils s'y prêtent, quel
lien fraternel les unit, à quel ensemble de causes se lie la puis-
sance des uns et des autres, et comment les classes nombreuses
qui les exercent trouvent toutes indistinctement, quoique à
des degrés divers, dans les services qu'elles rendent, les
moyens de vivre, de s'enrichir, de s'honorer, de s'élever, de
s'ennoblir, et peuvent se rendre communs, par du travail et
des échanges, les biens de toute espèce, matériels, immaté-
riels, que, dans sa fécondité inépuisable, ne cesse d'engendrer
l'universelle activité. Nulle science, à vrai dire, ne fait mieux
comprendre le mécanisme naturel de la société, n'en donne
des idées plus simples, plus lucides, plus commodes, et n'offre,
en réalité, un attrait plus puissant. »
Le reproche de tourner trop exclusivement les esprits vers
les biens matériels n'est donc pas exact, puisque l'économie
politique se préoccupe au même degré des biens immatériels.
Mais fût-il exact, qu'il ne devrait pas plus s'adresser à Técono-
mie politique qu'à chacun des divers arts qu'elle considère,
savoir : l'agriculture, l'industrie, le commerce, et tous les arts
qui ont pour but d'accroître l'aisance générale; — pas plus à
l'économie politique, qu'aux autres sciences ayant pour but et
pour effet de développer l'intelligence de l'homme, premier
instrument de production et d'aisance.
On peut dire de plus à son avantage que, si elle s'occupe des
moyens généraux de produire la richesse el de V^ S.râ^ v^w^xi.-
128 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
1er plus facilement, elle s'occupe également des moyens de la
répartir plus équitablement et de luliliser plus fructueuse-
ment) toujours en vue de Tamélioration des masses sous le triple
rapport physique, intellectuel et moral de 1 espèce humaine;
on peut dire par conséquent que l'économie politique est
une des branches de la science universelle de la justice.
De quelque^façon qu'on la considère, quand on la considère
en connaissance de cause, on arrive à conclure avec M. Droz
que Téconomie politique est le meilleur auxiliaire de la mo-
rale *.
§ s. — utilité de renseignement de réeonemie pelHiqne.
Intérêt qu'offre eette étude.
L*économie politique, on l'a vu, est l'auxiliaire et souvent
aussi l'éclaireur des autres sciences morales et politiques, du
Droit, de la Morale elle-même, soit traditionnelle, soit philo-
sophique et rationnelle; elle est spécialement le flambeau de la
Statistique et de l'Histoire, le conseil de la Politique et de l'Ad-
ministration. Science générale ou Philosophie de rAgriculture,
de l'Industrie, du Commerce, et de toutes les branches de
l'activité humaine, elle montre laccord et la divergence des
intérêts individuels et des intérêts sociaux, des intérêts des
pauvres et des riches; — Physiologie et Anatomie sociale, die
montre l'organisation rationnelle des sociétés, les conditions du
bien-être et les causes de misère des familles et des groupes
de population*. Elle signale les abus, les injustices, les mono-
poles, les vices de toute espèce qui obstruent le mécanisme
social et font obstacle aux lois naturelles de la Providence.
Elle combat la routine et les préjugés populaires de nation,
de gouvernement, de caste, d'industrie, de profession. Elle
analyse et dissipe les- illusions, les fausses théories qui sur
gissent dans le mouvement des esprits. Elle travaille à faire
disparaître les mauvais sentiments qui divisent les classes de
* M. H. Baudrillart a lait une ample démonstration de cette vérité dans
son ouvrage Des rapports de la morale et de V Économie politique. 80; 1860.
V, les écrits indiqués ci-dessous, p. Vi^ elVfô, e\\ wqV^.
nUT ET LIMITES DE L ECONOMIE POLIUQDE. 129
citoyens au sein d'un même pays, et qui divisent les pays au
sein deThumanité; elle tend à diminuer les défauts, les difficul-
tés et la responsabilité des gouvernements, en même temps
que les exigences et les travers des gouvernés; elje montre
enfin, pour tout dire en un mot, la voie du progrès conforme
à la nature des choses, — du progrès susceptible de réali-
sation.
L'économie politique évidemment n'est tout cela et ne peut
faire tout cela, à un moment donné, que dans une certaine li-
mite ; — mais le moyen d'augmenter ses services c'est de l'en-
seigner et de l'étudier. Par l'enseignement disparaîtront les
causes qui se sont opposées à ses progrès, qui ont compromis
son autorité. Par l'enseignement et l'étude, elle fera de nou-
velles étapes sur le chemin de la vérité, elle fournira de nou-
velles lumières aux autres sciences morales et celles-ci la
fortifieront à leur tour. D'où résulteront plus de saines notions
dans le inonde, plus de conditions de stabilité, d'accord entre
les classes^ de paix entre les nations, Ae progrés sans révolu-
tion^ de bien-être et de bonheur.
L'économie politique est plus ou moins enseignée dans les
écoles et les universités des divers pays ; mais cette branche
de l'instruction a partout de nombreuses lacunes. En France,
tout est à faire! Fontenelle disait ^ que sous Louis XIV, <( les
mathématiques et la physique étaient généralement inconnues
et passaient pour inutiles. » De nos jours on en peut dire au-
tant de l'économie politique.
Semble-t-il croyable que dans ce pays, chez un peuple qui a
la prétention, à divers égards justifiée, de tenir une des têles
de la civihsation, — les hommes qui sont créateurs. de la ri-
chesse dans une branche quelconque de l'activité sociale, con-
sonamateurs de cette même richesse à cent titres divers, coo-
pérateurs dans une industrie quelconque, soit à titre d'enlrc-
preneurs, soit à titre de travailleurs, soit à titre de posses-
seurs d'instruments de travail ; — puissants avec de nombreux
* Préface à V Histoire àe V académie des mence%^ p. 4.
i?jt) %fJf€i ET FETiTS TKâITÉ.
înlérétâ à sauTegarder, les utopies à combattre : panTUPsavec la
misère â éditer, Taisance à acquérir ; — qui sont les uns pré-
dicateurs de inorale, les autres gardiens de Tordre social, oa
législateurs, ou ju^es dans les complications d'intérêts, ou
con^reils des parties adverses, ou gouTemants, administrateurs
des intérêts publics, réformateurs des abus« redresseurs des
préjugés populaires ; — semble-t-il possible que, d'après la
manière dont les choses sont organisées, tous ces hommes né-
gligent d'apprendre ce qu'on peut savoir, de par la science,
sur les lois générales de la production, de la distribution
et de remploi de la richesse, sur la propriété, sur les intérêts
individuels et sociaux, nationaux ou internationaux,* sur l'or-
ganisation naturelle des sociétés, les devoirs des gouverne-
ments, etc., pour s'en tenir à l'inspiration qui leur tiendra d'un
préjugé, de la routine, de l'intérêt privé, d'une théorie d'admi-
nistration surannée.
L'utilité de l'enseignement des connaissances économiques
ressort avec une force d'axiome de toutes les considérations
que nous venons de présenter. Toutes les classes de la société,
riches et pauvres, jeunes et vieux, savants et ignorants, gouver-
nants et gouvernés, y trouveraient une force intellectuelle et
morale ; et il en résulterait pour la société à la fois plus de
calme, plus d'activité, plus de moralité, plus de bien-être, plus
de bonheur. En vérité, il est bien juste de dire que.: « l'ave-
nir appartient aux nations qui connaîtront le mieux^ et qui
sauront le mieux appliquer les principes de la science écono*
mique^ » C'est pourquoi on ne saurait trop répéter avec le
souverain qui gouverne le pays où Técononiie politique est le
moins enseignée : « C'est le devoir des bons citoyens de ré-
pandre les saines notions d'économie politique. »
Mais, dit-on, comment enseigner à la jeunesse, aux classe^
ouvrières, une science si abstraite? — Ce ne peut plus être là
une objection aujourd'hui. Par suite des nombreuses élabora^
^ A. Fi Choi'bulicz, Précis de ïo science économique, VA, iA«
BUT ET LlUITES DE L*ÉGOKOMIE POLITIQUE. 131
tions dont les principales notions ont été Tobjet, rien de plus
facile que de faire une série de programmes appropriés aux
écoles de toute nature et diversifiés selon la population qui
les fréquente. D*autre part, il est aussi facile et plus facile
môme d'intéresser de jeunes auditeurs avec des questions qui
touchent aux affaires et au bien-être de leurs familles, que de
leur faire écouter toute autre leçon d'histoire, de géographie,
de grammaire^ de calcul l il serait . infiniment plus facile
d'attirer l'attention des collégiens, avec l'exposé du méca-
nisme social, et des divers phénomènes économiques qui s'ac
complissent sous leurs yeux et dont ils entendent discuter ab
hoc et ab haCy dans leurs familles, qu'avec des thèmes, des
versions, les cours de logique et de rhétorique minutieuses
qu'on leur fait. Consultez-les, ils vous diront combien ils préfè-
rent les professeurs d'histoire qui font quelques digressions à
ce sujet.
A fortiorij s'il s'agissait des hommes faits. Au surplus, nous
répéterons ce que nous avons dit ailleurs : a L'économie po-
litique ne manque d'attrait que pour des esprits sans portée;
elle a pu répondre à l'habile orateur qui, à propos du libre
échange, l'a traitée un jour en pleine tribune de « littérature
« peu divertissante ^ : » — Je ne suis pas la littérature, je suis
une science : la vérité, l'honnêteté, la clarté de mes principes,
voilà mon genre d'attrait. Venez à moi si vous voulez vous
instruire et perdre vos préjugés ; adressez-vous (non à Smith,
Say, MacCulloch ou Dunoyer, etc.), mais à celles des muses
dont c'est la spécialité, si vous voulez avoir de Tagrément; —
allez chez Bobèche ou chez Gahmafré, si vous voulez vous di-
vertir. »
Mais où prendre des professeurs? — D'abord parmi les adep-
tes, rares il est vrai, de la science, mais encore assez nombreux
pour occuper une chaire dans chaque faculté. — Que si, pour
Une raison ou une autre les économistes, en titre ou déjà pré-
* M. Tliiers, à TAssemblée législative en 1851, en combattant le çcoietdtt
réforme douanière proposé par M. Sainte-Beuve.
152 KOTES ET PETITS TRAITES.
parés, ne conviennent point, qu*on prenne les premiers venus,
(parmi les hommes à esprit^ cultivé bien entendu), qu'on
prenne même des adversaires de la science (politiques, socia-
listes de toute école, littérateurs, publicistes, médecins, admi-
nistrateurs, moralistes, négociants, etc.), et qu'on leur donne
pour tout programme d'enseigner l'économie politique; nous
avons la conviction, basée sur l'observation, qu'au bout de deux
ou trois ans, par le seul effet de la force d'attraction de la vé-
rité étudiée, leur esprit convergera vers le giron de la science
orthodoxe, de celle qui arrive i la vérité par la méthode scien-
tifique et à l'aide de l'étude des travaux des maîtres, de celle
qui n'est en dernière analyse qu'un développement de la sphère
du bon sens apercevant le vrai et le bien.
Nous parlons sérieusement. — Mais si on trouve que nous
plaisantons,' nous n'insisterons point et nous signalerons une
autre catégorie de professeurs moins sujets à caution et qui en
peu de temps formeraient une précieuse armée de propa-
gandistes. Nous voulons parler des professeurs de philoso-
phie et d'histoire. Us savent étudier, ils savent enseigner, et
dés la seconde année ils enseigneront passablement.
Répondons à une dernière objection. Comment se fait-il, nous
dit-on, qu'un économiste, partisan né de l'enseignement libre,
demande la création de renseignement de l'économie politi-
que par rÉlat? — D'abord, on peut être économiste, très-ami
de la Uberté d'enseignement, et très-opposé à toute espèce de
monopole, et concevoir néanmoins, avec Adam Smith, l'orga-
nisation par l'État ou la commune d'un certain enseignemoit
supérieur que l'industrie privée ne pourrait point entrepren-
dre, — et concevoir encore un certain enseignement élémen-
tîiire donné, public, plus ou moins obligatoire et comme
œuvre de charité ou de sécurité sociale. Kn second lieu, il y a
à répondre à l'objection, que tant que l'État et la comnrane
croiront, à tort ou à raison, devoir posséder des * établisse-
ments d'instruction et y faire enseigner tout, excepté Técono-
mie politique, la logique et le bon sens permettent de leur
I
BUT ET LIMITES DE L^ECONOHIE POLITIQUE. 133
faire humblement observer que s'ils ont une exception à faire,
cette exception ne tombe pas sur la plus utile des études.
Ici j'entends encore une autre objection. J y réponds sans
la formuler. Les cours d'économie politique auraient joui,
s'ils avaient existé , ils jouiront, s'ils doivent exister, de la
même liberté que les cours d'histoire et de philosophie. Même
avec des Loriquet ou des prohibitionnistes au conseil de l'in-
struction publique (que les dieux nous en préservent cepen-
dant), on pourrait encore dire d'excellentes choses dans un
cours d'économie politique ou sociale ou mieux de science .
économique; car, malgré le nom de .la science, il n'y est
point traité de mécanismes constitutionnels, d'or^^anisation des
pouvoirs pubUcs, du jeu des partis, etc ; — en un mot de Poli-
tique ; et c'est pour cela qu'il y aurait tout avantage de revenir
à la dénomination à la fois neutre, simple et exacte d'ËcoNo-
MiQUE que nous avons proposée.
§ XI. 8nr diverses déflnitiens de la «cienee.
» (Addition au § 1.)
Dans le g 1 (p. 84) sont mentionnées et disculées les défini-
tions de Monlchrélien, de Rousseau, de Voltaire, de Montes-
quieu, des Physiocrates, d'Adam Smith, de J. B. Say, de l'au-
teur; de Sismondi, Sforch,Rossi,God. Gavaignac,Ott, J.S.Mill,
Turgot, Michel ChevaUer, Droz, Coquelin, Whately, Bastial,
Fonteyraud, de Fontenay.
En voici quelques autres sur lesquelles nous avons eu occa-
sion de reporter notre attention, depuis que ce qui se précède
est imprimé.
L'abbé Genovesi, une des illustrations philosophiques du
dix-huitième siècle et un des premiers promoteurs des idées
économiques en Italie, disait : « Cette partie de la politique
qui embrasse les règles pour rendre la Nation populeuse,
riche, sage, policée, peut s'appeler économie civile. » — Il di-
sait aussi Économie publique, Économie, science écouovw\a;v\^
154 ^OTES ET VETITS TRAITÉS.
p. 98), et comprenait ensemble la science économique, la lé-
gislation, Tadministration. Le départ de ces notions n*était pas
fait dans son esprit, ni dans aucun autre à celte époque.
Dans le Dictionnaire des finances de l'Encyclopédie métho-
dique (1787), « l'Économie politique » est définie : « La pru-
dence et le ménagement que l'on met dans la dépense de son
bien ou de celui des autres.» — C'est là l'économie domestique
et tout au plus l'économie publique.
James Mill (le père), une des autorités de la science, un des
émules de Ricardo, Say et Malthus, disait dans l'introduction
de ses Éléments d'économie politique (1808), traduits en 1823
par Parisot :
« L'économie politique comprend quatre recherches princi-
pales : l** quelles sont les lois qui règlent la production des
richesses ; — 2<* les lois selon lesquelles les richesses produites
par le travail de la société sont distribuées ; — 5° les lois selon
lesquelles les richesses^ sont échangées les unes contre les
autres ;'— 4** les lois qui règlent la consommation. » — C'est, à
un moindre degré de condensalion, la formule de J. B. Say.
Destutt de Tracy, autre illustration philosophique du com-
mencement de ce siècle, disait dans l'avertissement de son
Traité d'économie politique (1815) :
tf L'objet d'un traité spécial d'Éconamic politique est d'exa-
miner quelle est la meilleure manière d'employer toutes nos
facultés physiques et intellectuelles à la satisfaction de nos di-
vers besoins. »>— Employer nos facultés à la satisfaction de nos
besoins, c'est produire et échanger, puis répartir et consom-
mer la richesse. Destutt de Tracy disait autrement et moins
clairement la même chose que J. B. Say.
M. H. Dunning4Iacleod, qui a la prétentioli de faire de
grandes innovations dans la science {Eléments ofpolitical ec(h
tp, 1858)^ k commencer par la définition, dit que « Técono^
^!^i
BUT ET LIMITES DE L ÉCONOMIE POLITIQUE. 155
iTiie politique a pour objet de découvrir les lois qui régissent
les relations d'échange ou les valeurs des quantités ou des
objets; » ou, en moins de mots, que Téconomie politique est
proprement la science des lois qui régissent les valeurs. —
C'est la définition de Mac Culloch et de Whately, et aussi celle
de Condillac avant eux (V. p. 87, 94) . L'économie politique est
eela, mais elle est autre chose encore.
Nous avons rappelé (p. 88) l'opinion de M. Jean Reynaud
croyant que l'économie politique doit varier avec la forme des
gouvernements; il faut ajouter que celte erreur était la consé-
quence naturelle de la définition qu'il donnait dans son rap-
port au ministre (1848) : « La véritable économie politique,
disait-il, n'étant autre, en définitive, que la science de la poli-
tique et dé Tadministration... »— Autre erreur; car la véritable
économie politique n'est ni la politique ni l'administration ;
mais celles-ci, pour être bonnes, doivent s'inspirer de l'éco-
nomie politique/., la véritable! Jean Reynaud, esprit supérieur
cependant, ne savait pas l'économie politique, dont il voulut
supprimer l'enseignement. Dix ans auparavant, un des plus
grands écrivains de ce temps-ci, disait à l'illustre Rossi, qui
nous l'a rapporté : a II nous faut maintenant une économie
politique nouvelle ; personne n'a plus qualité que vous pour
remplir cette utile lâche. » A quoi Rossi répondit ironique-
ment : « Vous tombez bien mal ; je ne sais, moi, que la vieille. »
Ces deux épisodes justifient bien notre assertion (p. 429), que
l'économie politique est généralement inconnue et passe pour
inutile, absolument comme les mathématiques du temps de
Louis XIV, selon ce que rapporte Fontenelle.
VALEUR -MONNAIE
MÉTAUX PRÉCIEUX - NUMÉRAIRE
I. L'Offre et la demande. — H. La Monnaie idéate. — III. Évaluation des
sommes historiques. — IV. Si la baisse des Valeurs est une augmen-
tation de la* richesse. — V. De la production des Métaux précieux. —
VI. Extrême abondance et extrême disette des Métaux précieux. —
VII. Statistique du Numéraire.
I. L'OFFRE ET LA DEMANDE'
Développements sur eëtte formule ^ — et pbénoniènes qu'elle
résume. — Tentatives pour la remplacer. — Attaques ineonsi-
déré'es dont elle a été l'objet.
{Traité (F économie polUique : V. le cbap. XVI sur la Valeur et le Prix.)
La formule de V offre et de la demande désigne le concours
et la lutte qui s'établit entre les vendeurs et les acheteurs d'un
produit, ceux-ci offrant ce qu'ils veulent échanger, ceux-là
demandant ce dont ils ont besoin. Le résultat de ce concours
et de cette lutte est le prix du marché, le prix courant, le cours,
le prix.
Pour bien comprendre la portée de cette formule, il faut
donner aux mots Offre et Demande un sens bien défini. Voici
conament s'exprime Rossi à cet égard :
« La demande n'exprime pas la quantité isolément considé-
rée, mais la quantité dans ses rapports avec la nature et l'in-
tensité du désir qui l'a fait rechercher, et avec la force des
obstacles que ce désir voudrait et pourrait surmonter pour se
satisfaire. Tout le monde peut désirer une voiture, un hôtel;
à coup sûr, si Tachât et l'entretien de ces choses ne coûtaient
que quelques écus, il n'est peut-être pas un do vous qui voulût
* 3* édition. — La 1"» dans le Dicl. d'écon. poiit.; la 2- dans la l'« de
!^o(e8 et pelils traités.
138 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
se les procurer. Mais si, au lieu d'un léger sacrifice, il faut
dépenser des sommes considérables, le nombre de ceux qui
voudraient réaliser celte demande diminuera à proportion de
la grandeur de la dépense. Sans doute on désirera encore la
voiture; mais c'est là une demande qui ne figure pas sur le
marché, parce que les uns ne voudraient pas et les autres ne
pourraient pas faire le sacrifice qu'elle exige, surmonter l'obs-
tacle qui s'oppose à la réalisation de leur désir.
«1 1 en est de même pour l'offre. L'offre n'exprime pas seu-
lement la. quantité offerte, mais cette quantité combinée avec
la difficulté ou la facilité de la production. En effet, s'il existe
aujourd'hui sur le marché dix mille paires de bas ou un mil-
lion d'aiguilles; pouvez-vous affirmer que c'est là l'offre tout
entière? Mais personne n'ignore que, si la demande est pres-
sante, il arrivera assez promptement une quantité énorme de
bas et d'aiguilles; car ce sont choses dont la production est
facile. En conséquence, il ne serait pas exact de dure que le
prix est déterminé uniques^ent par la quantité de ces denrées
qui se (rouve sur le marché : il Test aussi par la facilité qu'on
a d'augmenter la mesure des choses offertes. L'acheteur sait
qu'on ne peut pas lui faire la loi pour des bas et des aiguilles.
« Changez l'hypothèse. Supposez qu'il s'agisse de blé, et
supposez que l'offre ne soit que les deux tiers, les quatre cin-
quièmes de la demande effective. 'Vous verrez immédiatement
l'aspect du marché changer d'une manière effrayante. D'un
côté la demande est de nature à justifier tous les sacrifices
possibles pour la satisfaire; de l'autre, il importe peu que
l'offre ne soit pas de beaucoup inférieure à la demande : cha-
cun craint d'être atteint par le déficit, et la terreur panique
augmente ces angoisses et ces craintes. Chacun sent que, s'il
peut renvoyer au lendemain son approvisionnement de bas et
d'aiguilles, il ne peut pas également différer l'achat de sa
nouriiture ; et comme on sait que le blé ne s'improvise pas,
que la ressource de l'importation est toujours faible et incer-
taine; comme on sait, en conséquence, qu'il faudrait attendre
la récolte de l'année prochaine, la demande devient de plus
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRES. i39
en plus vive, aveugle, pressante, et la valeur échangeable; du
blé dépasse toutes les prévisions. — Telle est l'influence que
peut exercer sur le marché la rareté de ces choses dont la
quantité ne peut augmenter à volonté. Futilité restant la même.
« Encore une fois, par les nfiots offre et demande, il ne faut
pas entendre seulement les quantités matérielles qui existent
sur le marché. Dans la demande, il faut aussi prendre en con-
sidération l'extrémité et l'étendue dé besoin, ainsi que les
moyens d'échange dont le demandeur peut disposer; et dans
l'offre la plus ou moins grande facilité que peuvent avoir les
producteurs de modifier par la concurrence la condition du
marché, et d'exciter ainsi les espérances et les craintes des
acheteurs et.des détenteurs actuels de la denrée. »
L'état de l'Offre et celui de la Demande se composent de don-
nées morales difficiles à juger et de données arithmétiques
qui elles-mêmes ne sont pas toujours soumises à l'observation.
Qn ne peut savoir au juste l'état des affaires, le nombre des
offrants et la quantité offerte, le nombre de ceux qui deman-
dent et la quantité demandée, les besoins réciproques de
vendre et d'acheter; car l'intérêt sait employer la ruse pour
cacher les marchandises et les soustraire aux calculs des ache-
teurs. L'offre comprend souvent des marchandises qui sont ou
ne sont pas encore confectionnées, dont la quantité future est
encore incertaine, soit qu'elle dépende des saisons pour la fa-
brication ou le transport, soit qu'elle dépende d'autres circon-
stances éventuelles. Quand les mnrchandiscs sont présentes,
Il s marchands, pour atténuer l'offre, supposent des demandes
ou des ventes, ils feignent des livraisons qui imposent à l'ache-
teur et n'opèrent qu'un déplacement ; ils retirent parfois du
marché une partie de ce qu'ils y avaient mis, et la gardent
pour un mojment plus opportun. — La quantité demandée est
dissimulée avec plus de facilité quand elle n'est pas en nature
sur le marché, comme cela arrive parfois de la quantité of-
ferte.
Si on en impose sur les données arithmétiques, on le fait à
140 ROTES ET PETITS TRAITÉS.
plus forte raison sur les données morales et rt'ciproquement.
On n'avance que le moins possible et avec précaution ; les de-
mandeurs attendent l'oiTre, les offrants la demande. On aie
projet d'acheter beaucoup, on demande peu, et on demande
en même temps à des personnes diverses et dans des lieux
différents; mais le prix une fois établi, on double, on décuple
les marchés au cours ou avec une légère augmentation. Il en
est de même de la vente. On offre dans des lieux différents a
des personnes qui ne se voient pas ; on parait favoriser les
acheteurs qui se décident les premiers, et on multiplie les af-
faires en vendant à tous sur le même pied. Des deux parts on
ne parle que pour démonter son antagoniste ; on ne dit que ce
qui convient à l'intérêt du moment.
Ces faits se passent sur tous les marchés, et sont facilement
observés partout où se rencontre un grand concours d'ache-
teurs et de vendeurs soit de marchandises, soit de services,
«soit de papiers représentatifs de valeurs publiques et autres,
comme dans les foires, les places où les ouvriers se réimissent,
les bourses de commerce, etc.
L'état des revenus influe encore sur les rapports de l'offre et
de la demande. Ceux qui offrent cherchent à apprécier les res-
sources des acheteurs ; ceux-ci raisonnent sur la situation des
classes auxquelles ils destinent leurs marchandises.
La nature des produits est également pour beaucoup dans
les détei'minations qui les concernent. Les uns, dont les frais
de transport sont nuls, vont sans obstacle d'un lieu à l'autre,
de foire en foire ; d'autres ne peuvent plus sortir d'un marché
une fois qu'ils y ont été portés. Les uns se conservent long-
temps, d'autres doivent être promptement vendus avant de
perdre leur fraîcheur ou leurs qualités essentielles. Du côté
de la demande il y a, par contre, des besoins avec lesquels
on .ne peut pas transiger, et d'autres, au contraire, dont la
satisfaction peut être renvoyée à des jours, des mois et des
années.
Il faut citer aussi Tinfluence des circonstances accidentelles:
la crainte de voir cesser un monopole, ou la certitude de sa
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 141
durée; la crainte d'une mauvaise récolte, ou l'espoir d'une
année abondante ; la crainte ou Tespoir d'un événement pu-
blic heufeux ou malheureux, tel que la signature d'un traité do
paix dans un temps agité, ou la déclaration de la guerre,
qui vient jeter ce pays dans des hasards redoutés. Il faut en-
core citer les faux bruits, la circulation des nouvelles con-
trouvées, les coalitions de certains groupes de \endeurs ou
d'acheteurs, etc.
Dans cette lutte, ceux qui sont expérimentés, prudents, pa-
tients, dissimulés, froids, circonspects, bien avisés et prompts
à exécuter, ceux qui possèdent un grand crédit ou des capi-
taux disponibles, ont de grands avantages sur ceux qui sont
dans des conditions opposées, et il arrive parfois que ces avan-
tages donnent la supériorité aux acheteurs sur les vendeurs,
ou aux vendeurs sur les acheteurs.
Enfin roffre et la demande réagissent l'une sur l'autre.
Lorsqu'elles sont, relativement l'une à Tautre, plus fortes ou
plus faibles, il arrive que Tune est d'autant plus grande et
plus forte que l'autre est plus petite ou plus faible. En d'autres
termes, plus on offre, plus on affaibht la demande; plus on de-
mande, plus on affaiblit l'offre.
Ces dernières observations sont en parties empruntées à un
écrivain peu connu, mais quelquefois heureux dans ses ana-
lyses et ses aperçus ^ Conformément à celles de Rossi, qu'elles
complètent, elles montrent combien la formule de l'offre et de
la demande, résume de phénomènes complexes et délicats, et
elles expliquent la difficulté qu'elle a rencontrée dans sa vul-
garisation.
Mais, comment formuler d'une manière plus heureuse les
phénomènes qu'elle exprime ? C'est un problème qui a exercé
la sagacité de ÏUcardo, lequel a indiqué, comme régulateur de
la valeur échangeable des choses, la quantité du travail né-
cessaire pour les produire, ou, mieux encore, les frais de la
production.
* Feu Robert ; J>e h richesse, ou Essais de p/outomanic. V^v\?», W^t\.
142 KOTES ET PETITS TRAITES.
Nous exposons dans le Traité d'Eœnomie politique les qua-
lités et les défauts des deux formules qui se complètent lune
par l'autre ; d'où il résulte que l'ensemble des phénomènes ne
peut être entièrement exprimé que par la réunion des deux
formules, c'est-à-dire que la valeur et le prix courant des
choses dépendent en même temps, et dans une certaine mesure,
de t offre et de la demande et des frais de production.
Un économiste anglais, M. Dunning-Macleod, croit être en
possession d*une formule supérieure en disant que « le prix
varie en sens direct de ï intensité du service rendu, — et en sens
inverse de la puissance do Tacheleur sur le vendeur *. »
La première partie est synonyme de la formule incomplète
de MM. Carey etBasliat (Fot/.le Traité). La seconde ne dit pas
autre chose et pas mieux, ce nous semble, que Foffre et la de-
mande: la demande, c'est Taction de Tacheteur; roffire, c'est
celle du vendeur.
La formule de l'offre et la demande a été l'objet des atta-
ques de quelques écrivains, les uns socialistes avoués, les
autres socialistes sans le savoir, qui la présentent comme un
principe inique, barbare, inventé par les économistes, et des-
tiné à disparaître dans une société mieux constituée.
Mais quand on se rend compte de ce que ces écrivains ont
voulu dire, on voit qu'ils n'ont pas même compris l'objet de
leur critique. L'offre et la demande, conséquences- forcées et
nécessaires des besoins de l'homme, de la nécessité où il est
d'échanger, en toute liberté, les fruits de son industrie, c'est-
à-dire ses produits, son travail ou ses services, contre lespro-
duits, le travail ou les services d'un autre homme, — l'offire et la
demande, conséquences du principe de propriété, sont des
actes tellement inhérents à la nature humaine, qu'il est im-
possible de concevoir l'homme qui ne les ferait pas. Ces actes
* Dunning-Macleod, Eléments ofpolitical economy, Londres, Umgamn,
in 8», 1858. — M. Henri Richelot a exposé les théories de cet économiste
sous ce fitre fantastique de Une révolution en économie politique, Paris,
CapeJJe, in-S^ i863.
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. i43
ne sonl pas plus iniques que i^aller et le venir, et, si on les sup-
prime, rhoinme se rapproche singulièrement de la bête. C'est
l'objection faite au principe de concurrence sous la forme la
plus naïve et la plus puérile, à laquelle, en vérité, on ne ré-
pond qu'en Texposant. L'école fouriôriste a prétendu que ses
associations communales ou phalanstères ne seraient plus sou-
mises à cette loi; mais, en admettant que rechange cessât
d'exister entre individus par suite de celte combinaison sociale,
il se retrouverait entre les associations, qui ne se suffiraient
pas à -elles-mêmes' comme les colimaçons dans leurs coquilles,
et qui seraient obligées de faire des transactions conformé-
ment à toutes les circonstances indiquées par la formule de
l'offre et de la demande. Il est vrai que les communistes ne
reculent pas devant le rêve d'une associalion universelle de la-
quelle la notion du tien et du mien serait bannie ; mais que
dire à des gens qui vous affirment qu'ils ont découvert l'échelle
avec laquelle ils ne tarderont pas à pouvoir prendre la lune
avec les dents ?
L'auteur d'un livre récent, qui a eu la prétention d'écrire
de « Nouveaux principes*, » a dit ceci : L'offre et la demande
ne servent à rien, si ce n'est à couvrir l'ignorance des écono-
mistes (p. 205) ; car on ne peut en tirer aucune conséquence
sérieuse, et on ne la jette en avant que pour ne pas rester
court (p. H7). Elle aura toujours pu tirer son homme d'af-
faires Je ne l'aperçois jamais sans me rappeler un professeur
de chimie, fort habile du reste, qui, embarrassé parfois dans
l'explication de certains phénomènes, prenait son air le plus
concentré et le plus doctoral, et nous disait : « Nous pensons
qu*ici l'électricité joue un grand rôle (p. 'il 4). t
Cette plaisanterie n'a pas le mérite de la justesse ; et ce qu'il
va de piquant, c'est que l'auteur, qui traite avec le même dé-
iain la formule des frais do production de Ricardo et celle de
utilité, en arrive à dire lui-même que la valeur — s'établit
* Nouveaux principes d'économie pot H v^tte, par M. E^mênard du Mazct}
•aris, Joubert, 1 vol. in-8% i849; — De la valeur, lettre à M. Gantier,
ar le même, biocli. in-8*», 1855.
144 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
par rexpériencc, l'iiabitudc et le caprice (p. 15);-—
qui implique au fond l'idée d'offre et de demande, el
d'autre mérite que d'être moins satisfaisante et moins
gible que les autres.
II. LA MONNAIE IDÉALE
{Traili d'Économie politique. \- V. les chap. XVIf, XVIIl, XXHI, XXV sur 1
— les Signes représentatifs, — le Papier-monnaie, — la Circulation, -
mercantile.)
Discnsnion sur la nature de la tiioniiaie.~Réponse à 1
— I/uniié de valeur ou la mesure des valeurs ne p
Idéale. — Ij» luacute de Montesquieu. — Causes de h
de l'or et de l'argent. — Si le» économistes ont bie
la théorie &e la Balance du commerce.
(On a souvent mis en avant que l'Unité de valeur ou,
très termes, que la Mesure des valeurs pouvait être d
en dehors de la monnaie réelle, positive, à valeur intri
au moyen d'ur.e valeur purement idéale. Nous la réfu
y a quelques années S dans l'article suivant, à prop(
lettre qui nous était adressée par un économiste-mai
rier, feu M. W. Lipke, de Berlin.)
I— ...M. Lipke trouve que la mesure par excellence
leurs n'est pas dans la valeur d'une quantité fixe d'or (
gent, mais dans une unité de valeur de Banque purement
L'auteur commence par établir comme axiome oi
fondamentale que la monnaie est identique avec la va
il en fait le pivot de toute son argumentation.
Il dit : Tout se mesurant par soi-même, la Valeur
se mesurer que par la Valeur ; or, la Monnaie étant la
de la Valeur, il s'ensuit que la Monnaie et la Valeur so
tiques.
Toutes les prémisses de ce syllogisme sont exactes ;
* Journal des économistes, octobre 1855.
* Cette idée, M. Lipke l'avait déjà présentée, il y a quelques ann
deux petits écrits imprimer, en aile.Tiand et en français, auxque
cru devoir donner une forme apocalypt^iuc et bizarre. Un de
est intitulé : x??; l'autre, Note explicative. Paris., 1846, Guills
Berlin, avec la permission de la censure
VALEUR, MONNAIE, HÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 145
séquence Test aussi ; mais à la condition de ne pas confondre
le sens des mots. Il est vrai que la valeur de la monnaie est
identique à la même quantité de valeuV fixée sur tout autre
objet ; mais iï n'est pas vrai que la valeur de tout autre objet
ait été jusqu'ici aussi commode à manier comme mesure, si
nous pouvons ainsi parler, que la valeur résidant dans Tor et
l'argent, à laquelle s'applique spécialement le nom de mon-
naie.
Il y-a là, on le voit, une importante distinction à faire entre
le sens du mot monnaie de la langue économique et celui que
lui donne H. Lipke. Le mot monnaie, dans le sens. usuel de la
science, emporte, nous le répétons, l'idée de valeur unie à l'or
ou à l'argent, valeur analogue d'ailleurs à la valeur unie à n'im-
porte quel autre objet ; — dans le sens que lui donne M. Lipke,
il exprime l'idée d'une certaine quantité de valeur, abstraction
faite du corps sur lequel elle réside. M. L'ipke change donc la
signification du mot monnaie, et il faut avoir présente à l'es-
prit cette modification de nomenclature, — pour bien com-
prendre son raisonnement et cette espèce d'illusion dont il
nous semble être dupe à quelques égards.
M. Lipke dit aussi que « la science est en possession de cette
première moitié de la vérité; que la valeur n'est pas contenue
d'une manière plus vraie dans l'or et dans l'argent que dans
les autres biens » (ce que Turgot traduisait ainsi, il y a prés
d'un siècle : Toute monnaie est marchandise, et toute mar-
chandise est monnaie); « mais qu'elle méconnaît encore celte
seconde moitié de la vérité, que la monnaie n'est pas contenue
d*une manière plus vraie dans l'or et dans l'argent que dans
tous les autres biens. »
C'est, sous une autre forme, la reproduction.de la première
confusion enlre les éléments idéaux formulés par les mots Va-
leur et Monnaie. Pour que l'économie politique reconnût que
la Monnaie ou Valeur-mesure n'est pas contenue d une manière
plus vraie dans l'or et dans l'argent que dans tous les autres
Wens, il faudrait qu'elle fût convaincue que Vor eV \«c%çxv\.
^'offrent ni plus ni moins de qualilés que les awVte^ ç,ot^^\
146 NOTES ET PETITS TRAITES.
que Tor et Fargent ne sont pas les corps qui joignent (et cela
à un plus fort degré que les autres corps relativement) 9 la fa-
culté primordiale et sine qua non d*être utiles, d'avoir des
usages artistiques, scientifiques et industriels^ les qualités
d'inaltérabilité et de production limitée, qui restreignent les
oscillations de la valeur; — la qualité d*être homogènes et di-
visibles, au point que chaque fragment a les mêmes (juahtés,
sans qu'il résulte de la division aucune altération dans la va-
leur ; — la qualité d'être Iransportables avec la moindre dé-
pense et le moindre danger possibles, c'est-à-dire qu'ils ont
une grande valeur sous un petit volume susceptible d'être
mis en sécurité dans un petit espace ; — la qualité enfind'être
susceptibles de recevoir une empreinte servant à constater le
poids, le degré de pureté et la valeur aux jeux de tous, et
susceptibles d'inspirer la confiance universelle.
Assurément M, Lipke n'a pas la prétention de nier ces avan-
tages et cette supériorité naturelle des métaux précieux^ mais
il les omet quand il accuse l'économie politique actuelle (c'est
son expression un peu prétentieuse) de méconnaître la moitié
de la notion de la monnaie.
Sur ce, M. Lipke nous dit que l'or et l'argent seront rempla-
cés par l'écu de banque.
Que le billet de banque et les autres instruments de crédit
se soient déjà partagé dans une certaine limite les services d^
la circulation, c'est ce que personne n'a jamais nié; que l'u-
sage des instruments et des procédés expérimentés jusqu'à ce
jour puisse s'accroître, ou que Ton puisse en imaginer de nou-
veaux, c'est ce que les économistes de l'économie politique.
âclUelle ne sauraient méconnaître. L'or et l'argent peuveot
aussi un jour perdre, par la fécondité des mines et la facilité
de l'extraction, la faculté de condenser beaucoup de valeur
sur peu de matière.
Que, dans cette double hypothèse de l'avilissement desjné-
taux précieux et du perfectionnement d un mécanisme de
banque et d'un papier de circulation, l'or et l'argent puissent
être complètement détrônés comme disait naguère M. Pron-
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 147
dhoii, c'est ce qu'il faut encore admettre au point de vue.de
Féconomie politique, toujours actuelle.
Hais, quoi qu'il en soit de ces changements et perfectionne-
ments de l'avenir et de Tavilissement de* l'or et de l'argent,
lunitè de valeur aura toujours un rapport très-direct et très-
positif avec la quantité de quelque produit jouissant à un plus
haut degré, selon les localités, des facultés que possèdent ac-
tuellement l'or et l'argent, que nous avons énnmérées plus
haut. En d'autres termes, nous concevons qu'on arrive un jour
à prendre une unité imaginaire de compte, à tenir les écri-
tures en macutes, à l'exemple des nègres cités par Montes-
quieu ; mais la macute sera bien et dûment la représentation
d'une valeur résidant en quelque chose de palpable, de net et
de défini. A cette époque. Valeur et Monnaie n'auront "pas. ce-
pendant une synonymie absolue ; la monnaie sera encore cette
valeur-mesure formulée à l'esprit des hommes à l'aide de
telle quantité de produits, de travaux et de services, parmi
lesquels les hommes auront.tendance à choisir certains de ces
produits, ayant à un degré supérieur les qualités qu'ont ac-
tuellement les métaux précieux, et qu'il est probablement
dans leur destinée de conserver toujours.
H. Lipke invoque, dans son écrit, l'autorité de Montesquieu
à titre de penseur de premier ordre, et pour qui l'idée du
maintien d'une unité de valeur idéale n'avait rien qui répugnât
à là raison, rien d'invraisemblable. Il nous a montré aussi un
passage de l'ouvrage de Storch S tout à fait conforme à ce
sentiment. D'autres économistes pourraient être invoqués, et
de ce nombre Rossi'. Mais il faut bien d'abord remarquer que
ces penseurs n'ont point pris le mot idéal dans le sens absolu,
et que pour eux Funité de valeur idéale était simplement un
rapport fixe et déterminé avec la valeur de tel ou tel produit,
absolument comme les monnaies imaginaires ou fictives usi-
tées dans le commerce du change sont des unités exprimant
* Cours é^Asanamie politique ^ 18^3, !«' \oI., p; Si.
* ïjgçons if économie politique f !♦' vol., 9« leçoiii
148 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
une certaine quantité d'unités de valeur de pièces effectives
d'or et d'argent. C'est ainsi que le marc banco de Hambourg
est une monnaie idéale, imaginaire et fictive, ayant un rapport
bien établi avec le marc courant. C'est ainsi qu'avant l'étalalis-
sèment du système métrique, la livre, monnaie de compte en
France, était une unité idéale, imaginaire ou fictive, équiva-
lant au tiers de lécu, monnaie réelle d'argent, ou à la vingt-
quatrième partie du louis, monnaie réelle d'or. Voyons, au
reste, ce que dit Montesquieu * : « Les noirs delà côte d'Afrique
ont un signe de valeur sans monnaie ; c'est un signe purement
idéal, fondé sur le degré d'eslime qu'ils mettent dans leur es-
prit â chaque marchandise, à proportion du besoin qu'ils jen
ont. Une certaine denrée ou marchandise vaut trois macules,
une autre six macules, une autre dix macules ; c'est comme
s'ils disaient simplement trois, six, dix. Le prix se forme par
la comparaison qu'ils font de toutes les marchandises entre
elles ; pour lors il n'y a point de monnaie particulière, mais
chaque portion de marchandise est monnaie de l'autre, b
Remarquons d'abord cette dernière phrase renfermant la
proposition de Turgot et représentant, selon M. Lipke, la pre-
mière moitié delà vérité touchant la notion de la monnaie.
Disons ensuite que rien ne prouve que Montesquieu ait été
complètement renseigné, et que tout porte à croire que parmi
les biens échangeables et le plus fréquemment échangés par
les noirs en question, il devait y avoir quelque métal, coquil-
lage ou verroterie, ayant des usages analogues à nos métaux
précieux, ou au moinâ quelque marchandise prise plus sou-
vent pour type de comparaison, comme est le blé dans une
foule de campagnes où la monnaie circule peu ou pas» et où
l'on évalue fréquemment les choses en mesurés de blé.
En résumé, Texèmple des macules, si souvent cité, no prouve
pas grand' chose ; et l'opinion de Montesquieu et autres sur la
possibilité d'une monnaie idéale, iréduite à son expression
réelle, ne prouve pas plus en faveur du maintien de lunité Se
* Sspril des lois, liv. XXV, cliap. ix.
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 149
banque à laquelle a songé H. Lipke, et qui ne pourra réelle-
ment être démontrée que par le fait d'une institution fonction-
nant avec avantage.
11. Nous dirons encore quelques mots de deux assertions de
H. Lipke, touchant la cause de la valeur des métaux précieux
et Topinion des économistes relativement à la balance du
commerce.
Au sujet de la cause de la valeur de l'or et de Targent,
H. Upke avance que les économistes ont pris Teffet pour la
cause, en disant que c'est par suite de la nature de ces métaux
et de la stabilité de leur valeur que cette valeur a été choisie
pour monnaie. Selon lui, c'est parce qu'on Ta choisie pour
monnaie qu'elle est efTectivement devenue plus stable, d'où il
tire une raison de stabilité en faveur de l'unité de valeur de
banque. Pour appuyer cette proposition, H. Lipke invoque le
fait du maintien de la valeur de l'or, malgré la production ex-
traprçlinairede la Californie et de l'Australie. Nous n'entrerons
pas dans cette question, nous bornant à dire que nous ne
pourrions comprendre comment, avec la continuation de la
production aurifère, la valeur de For resterait la même. Est-
elle restée la même après la découverte de l'Amérique? Est-
elle restée la même, il y a quelques années, lorsque la disette
et l'insécurité produite par les événements de 1848 firent
émigrer de notables sommes de numéraire? Que si elle restait
la même, il faudrait encore examiner si ce ne serait pas par
suite des besoins provenant de l'accroissement de la popula-
tion et des affaires; phénomène qui peut bien avoir lieu pen-
dant quelques années, mais dont il serait difficile d'admettre
Taction permanente au même degré que l'abondance continue
de la production californienne et australienne, admise comme
hypoûièse.
Le fait que' nous venons de citer étant incontestable pour
H. Lipke, il se croit autorisé à dire : a Donc la valeur de l'or
et de l'argent n'a pas seule le privilège d'être stable que parce
qu'elle a seule le privilège d'être monnaie. »
Ici encore, M. Lipke ne prend pas garde que si toutes les
150 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
valeurs sont variables, elles ne le sont pas au même degré, et
qu'il n'y a rien de contraire à la nature des choses à ce que ce
soitprécisémentl'or etTargenldontla valeur soit la plus stable.
Mais il faut bien s'entendre sur cette nature de stabilité, qu'il
y a lieu de considérer quant au temps. La valeur de Tor et de
l'argent est moins stable que celle du blé, si l'on considère
des siècles; elle est plus stable, si l'on considère de courtes
périodes d'années, des localités rapprochées et des saisons. 11
faut, en outre, considérer cette valeur relativement aux autres
qualités qui constituent la monnaie : homogénéité, divisibilité,
inaltérabilité, etc. Jusqu'à ce jour, l'or et l'argent sont les sub-
stances qui ont eu, à un degré Supérieur à loules autres, ces
qualités jointes à une certaine limitation dans la production
qui en a maintenu la valeur.
Est-ce à dire que nous voulions nier que l'emploi de ces
métaux à la fabrication des pièces monétaires n'a pas contribué
à en maintenir la valeur dans une certaine proportion? Pas le
moins du monde ; mais ici l'illusion de M. Lipke, qui reproche
aux économistes d'avoir pris l'effet pour la cause, a, ce nous
semble, consisté à prendre la partie pour le tout.
III. Au sujet de la Balance du commerce, M. Lipke avait envie
de malmener les économistes qui n'ont pas su réfuter d'une
manière complète la théorie du système mercantile, laquelle
serait vraie, à de certains égards, avec la notion que les écono-
mistes ont de la monnaie, et qui n'est, toujours selon notre
auteur, que la première moitié de la vérité.
Assurément, s'il n'y avait plus de monnaie métallique, et
si l'or et l'argent étaient transformés, comme le dit le poète,
en un plomb vil, assurément le grand argument repris par les
protectionnistes aux théoriciens du système mercantile aurait
disparu. Mais cet anéantissement de la monnaie métallique et
cet avilissement des métaux précieux restent à démontrer;
et, nonobstant, le système mercantile a très-bien pu être ré-
futé, comme il l'a été, en effet, par les physiocrates, puis par
Smith et l'école moderne, avec l'aide de ce que H. Lipke croit
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 151
être seulement la moitié de la véritable notion de monnaie,
et avec l'aide aussi des expériences faites en différents temps
et en différents lieux. Ces expériences ont établi que l'or et
l'argent prennent naturellement et forcément leur niveau,
rentrant lorsqu'ils sont sortis outre mesure, et sortant lors«
qu'ils sont rentrés en proportion supérieure aux besoins de la
circulation, besoins qui ont un rapport direct avec la nature
et l'activité des affaires de la localité que l'on considère.
M. Cîpke dit, en terminant, que tant que Tor et Fargent au-
ront le privilège d'une stabilité supérieure de valeur et celui
de servir de monnaie, il ne sera pas exact de dire qu'il est in-
différent pour les peuples de posséder telle ou telle portion
de leurs valeurs dans l'or et dans l'argent. — Nous répon-
dons que la question n'est pas exactement posée. Les écono-
mistes n'ont pas dit qu'il fût indifférent aux peuples de posséder
telle pu telle quantité d'argent : ils ont dit, au contraire, qu'il
fallait toujours une certaine quantité de ces instruments d'é-
change, et ils ont démontré que la liberté du commerce et de
l'industrie était le meilleur moyen d'avoir toujours la quantité
nécessaire, ni moins que cette quantité, ni plus que cette même
quantité, ce qu'ils ont prouvé être une cause d'appauvrisse-
ment et une illusion.
m. éyâluàtion de« sommes uistoriques<
{Traité d^économie politique. — Alinéa 42o.)
' Quand on veut se faire une idée de l'importance des sommes
et appréciations numériques relatées par les historiens, on se
trouve en présence d'une difficulté qui a fait la matière de
plusieurs écrits spéciaux.
II y a deux choses à considérer dans les sommes histori-
ques ; ce qu'elles représentent en poids d'or ou d'argent et la
valeur relative des métaux précieux à l'époque que l'on con-
sidère.
* Note comprise dans la !'• cdit. de Notes et petits traités.
152 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Au sujet des poids, l'archéologie et la numismatique ont
réuni des données assez précises au moins par rapport à cer-
tains pays et à certains temps, mais Germain Garnier est venu
proposer un moyen d'explication qui dérangerait toutes les con-
clusions qu'on a tirées du poids et du titre des médailles an-
tiques. D'après son système, presque toutes les sommes histo-
riques auraient été évaluées en monnaies de compte différentes
des monnaies réelles telles que les représentent les médailles.
D'un autre côté, la détermination de la valeur relative de
l'or et de l'argent aux^ diverses époques histeriques ne peut se
faire que par des appréciations vagues'.
D'après l'abbé Barthélémy, qui a approfondi le sujet dans
le Voyage du jeune Anaçharsù, le poids de la drachme atti-
que employée, au dire de Xénophon, dans les relations inter-
nationales de Tépoque, devait être de 79 grains ou 4 grammes
20 centièmes; comme elle contenait un 72^ ou 6 grammes
d*alliage seulement, elle contenait 4 grammes 14 centièmes
d'argent pur. Comme le franc en contient 4 grammes 50 cen-
tièmes, il s'ensuit que la drachme valait près de 92 centimes
(91,66). Bœckh a adopté ces-résultats dans ses savantes re--
cherches *.
Mais Germain Garnier^ pense que les antiquaires ont pris
pour pièce de 4 drachmes une médaille ou pièce de monnaie
qui en représentait dix. Donc les évaluations seraient 2 1/2 fois
trop fortes. — De même pour le« monnaies romaines, ils au-
ront pris Ym^genteus, valant 2 deniers et demi, pour un denier;
d'où la même erreur.
Un autre érudit, Letronne, a voulu faire ressortir combien
les raisonnements de Garnier étaient spécieux et en contra-
diction avec tous les témoignages de l'antiquité^.
*■ Économe politique des Athéniens, publiée en Allemagne en 1817, tra-
duite par M. Laligant en 1828.
^ Histoire de la Monnaie depuis les temps de la plus haute antiquité jw-
qu'au règne de Charlemagne, Paris, 1819, 2 vol. in-8<>. Cet ouvrage contient
des mémoires lus à l'Académie des inscriptions, et publiés en 1817, et une
réponse à Letronne.
s Considérations générales sur l'évaluation des monnaies grecques et
VALEUR, MON.XAIE, UÛTkUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 153
On 0st beaucoup mieux renseigné sur les poids et les titres
des monnaies du moyen âge dans les différents pays.
La question du poids et du titre étant vidée, il reste à savoir
quelle était la valeur commerciale, le pouvoir de l'or et de l'ar-
gent à une époque donnée, c'est-à-dire la valeur en autres
marchandises. Pour résoudre le problème, on a pris pour
terme de comparaison certaines choses dont on a supposé la va-
leur commerciale plus stable à travers les siècles, à cause de
Fusage ordinaire et régulier qui en a été fait. Ces choses sont
particulièrement le blé, la journée du manouvrier et la paye
du soldat.
Nous avons dit dans le Traité d'Économie politique ^
les inconvénients que présentent les prix du blé et ceux du
travail des ouvriers. Quant à la paye des soldats, que Germain
Garnier a voulu prendre pour terme de comparaison, elle a
varié comme le strict nécessaire des soldats et leurs besoins ;
et, d'ailleurs, la paye en numéraire n'a presque jamais été la
p^e effective, le soldat recevant des vêtements, le logement,
une partie de la nourriture, le chauffage, etc.
Il résulte de ces difficultés que, pour se rendre un compte
non pas exact (c'est impossible), mais approximatif de la va-
leur relative des métaux dans les temps anciens, il faut prendre
plusieurs termes de comparaison. C'est à la solution de ce pro-
blème qu'aident les recherches des érudils économistes.
Parmi ces derniers et pour la France du moyen âge, il- y a
lieu de citer : Dupré de Saint-Maur *, qui publiait, il y a plus
d'un siècle, des recherches sur ce sujet, et ouvrait la voie à
d'autres érudits qui ont donné à ces investigations plus de
précision; — de nos jours, M. Leber', qui a publié une pré-
romahies, et sur la valeur de Vor et de l'argent avant la découverte de
r Amérique 1817, Didot, in-4*.
* Chap. XVI, g V, Mesure de la valeur.
^ Essai sur les monnaies ou réflexions sur le rapport entre V argent et
les denrées. Paris, Coignard, 1746, in-4'».
' Essai 9urV appréciation delà fortune privée au moyen âge. 2« édition,
1847, un vol. in-8% Guillaumin.
9.
154 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
ciense enquête sur les usages, sur les mœurs et sur les
prix d'un grand nombre d'objets les plus usuels depuis le
treizième siècle, avec de nombreux rapprochements tendant à
faire connaître ce que M. Leber appelle assez heureusement le
(i pouvoir de Vargent; » — et pourTépoque la plus récente, les sa-
vantes recherches de M. Th. Tooke sur lesprix à la fin du dernier
siècle et les premières années de eelui-ci, formant un demi-
siècle *. La statistique des prix bien relevés et rapprochés des
causes qui ont influé sur leur taux est une des bases les plus
utiles sur lesquelles on puisse appuyer les raisonnements éco-
nomiques.
Voir, pour le problème de l'évaluation des sommes histori-
ques, outre les ouvrages cités : les reciierches de M. Cibrario*
sur le prix des choses au moyen âge comparé à la valeur du
blé ; les aperçus de M. Esménard du Mazel', trois chapitres du
Cours de M. J. B. Say *; l'article Évaluation des sommes histo-
riques de Coquelin, dans le Dictionnaire de V Économie poli-
tique, et une notice de M. P. Clément dans son Histoire ^e
Jacques Cœur ', sur la valeur relative des anciennes monnaies
françaises^ et particulièrement de celles du quinzième siècle.
IV, SI LA BAISSE DES VALEURS EST UNE AUGMENTATION
DE LA RICHESSE*.
{Traité d'économie politique. — Alinéas 67, 384.)
Je laisse parler sur ce point M. Ambroise Clément :
. « J. B. Say considérait comme l'une des principales diiB-
* A hiatory of priées and of the stateofihepaper circulation; pour 1793
à 1837, Londres. Longmann, 3 vol. in-8«, 1858; pour 1838 et 1839, 1 vol.
in-8*, 1840, et pour 1840-1856, 3 vol. in-8» avec la collaboration de M.^.
Newmarch.
* Délia economia politica del medio evo (De l'économie politique da
moyen âge), 3 vol. in-12, 1809 à 1842. Turin, Fontana.
^ Nouveaux principes d'économie politique, Paris, Joubert, 1849, iii-8*;
ouvrage déjà cité p. 355.
* Chap. xnià XVI de la III" partie.
« Jacques Coeur et Charles VU, 2 vol. in-8% 1833.
^ Note comprise dans la 1" édition de Notes et petits trottes.
VALEUR, MOMHAIE, HÉTAUI PRÉCIEUX^ KUMÉRAIRE. 155
( ctkltés de l'économie politique la solution de celte question :
« La richesse d*un pays étant composée de la \aleur des choses
« possédées, comment se peut-il qu'une nation soit d'autant
f plus riche que les choses y sont à plus bas prix ?
«La question, ce nous semble, n est pas posée ici dans ses
véritables termes, car il serait difficile d'établir que les pays
où les produits sont au plus bas prix sont toujours les plus
riches. Dans plusieurs contrées, telles, par exemple, que la
Pologne, ou certaines provinces de la Russie, de l'Amérique,
de rindoustan,-les principaiflc produits (les céréales, la viande,
le bois, la laine, le cuir, etc.) sont à des prix relativement plus
bas que partout ailleurs, et cependant ces contrées sont loin
de pouvoir être rangées parmi les plus riches. Il nous parait
évident que le problème qu'a voulu proposer l'illustre écono-
miste français est celui-ci : — La richesse étant composée de
la valeur des choses possédées, comment se peut-il qu'une na-
tion s'enrichisse à mesure qu'elle parvient à abaisser la valeur
de ses produits par la réduction des frais de production? —
J. B. Say répond que les fonds produclifs de cette nation ont
alors plus -de valeur, attendu que les services qu'ils fournissent
s'échangent contre une plus grande quantité d'objets valabfes
de toute espèce (Y. Cours complet, chap. m, § 4) ; mais cette
solution n'est pas complète ; car elle n'explique point com-
ment la richesse produite (et non pas la puissance de produire)
est plus grande dans le pays où les progrès de l'industrie ont le
plus réduit les frais de production et la valeur des diverses es-
pèces de produits.
« Pour résoudre complètement cette question, il faut se
rappeler que la valeur est une qualité essentiellement relative.
11 en résulte que la baisse de la valeur amenée par les progrès
industriels, dans l'unité d'une classe de produits, ne diminue
pas la valeur de la classe entière, parce qu elle est tout au
moins compensée par l'augmentation de la quantité produite,
tandis qu'elle augniente proportionnellement la valeur de tous
les autres produits relativement à celui où elle s'est manifes-
156 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
tée, puisqu'elle leur permet de s'échanger contre une quantité
pilus considérable d^ ce dernier ^ »
M. Ambroise Clément est de ceux qui ne croient pas de-
voir comprendre dans la Richesse que la Valeur. Si, au lieu
de restreindre le sens de Richesse à la réunion des riches-
ses produites, on y comprend celle des richesses naturelles,
la solution du problème posé par J. B. Say, et que M. Clément
a quelque peine à élucider, ne présente plus de difficulté. Il
devient évident qu'une nation s* enrichit (acquiert de quoi sa«
tisfaire ses besoins) au fur et à mesure que ses richesses natu-
relles s'accroissent, cet accroissement dût-il produire la dimi-
nution des valeurs. Le comble de l'abondance, du bien-être
des hommes, serait que tous les hommes eussent de tout à
discrétion, et que chacun pût se vêtir, se loger, etc., aussi fa-
cilement qu'il respire. Alors tous les objets nécessaires ou
agréables à l'homme seraient gratuits, et la Valeur aurait dis-
paru. En parlant comme H. Clément (et les économistes qui
prennent le mot Richesse dans le même sens restreint que lui,
de Valeur), on serait arrivé à l'anéantissement de la Richesse.
En parlant comme nous (et les économistes qui résument dans
le mot Richesse l'Utilité plus la Valeur), on serait arrivé au
comble de la Richesse. Mais au fond on aurait atteint le même
but, — l'abondance, le bien-être, — et il n'y aurait plus ni
valeur, ni prix, ni riches, ni pauvres.
En résumé, pour tous les économistes, une société, un
pays, une nation sont d' autant plus riches qu'ils ont plus de
satisfactions pour moins d'efforts, plus d'UtiUté pour moins de'
Valeur, c est-à-dire que les choses qui sont nécessaires ou
agréables à ses membres sont à plus bas prix, c'est-à-dire en
plus grande quantité.
* A. Clément, Dict. d'écon. politique^ article richesse.
YALEUR, KOUHAIE, METAUX PRÉCIEUX, MUMéRAIRE. 157
y. MOUVEMENT DES MÉTAUX PRÉCIEUX
AYANT LA PÉGOUYERTE DE L'AMÉRIQUE ET PRODUCTION
APRÈS LA DÉCOUVERTE*.
Lefi historiens ont cru pouvoir avancer que le grand mouve-
ment des espèces d'Occident en Orient, qui pendant des siècles
ne s'est jamais ralenti et qui a appelé de nouveau l'attention
publique à Tépoque de la guerre de Crimée, a commencé à
l'époque delà translatidn du siège de TempireàConstantinople.
Us en*attribuent la cause première à l'émigration des capi-
taux à la suite des grandes familles. M. Jacob a publié un
tableau de la décadence monétaire de Rome, depuis Auguste
jusque verd la fin du cinquième siècle*, duquel il résulte que
la diminution des espèces s'est opérée depuis l'ère chrétienne
jusqu'à l'année 482, dans la proportion de 9 à 4 milliards de
francs. Selon les calculs du même auteur, de Tannée 482 à la
fin du neuvième siècle, le numéraire tomba de 1 milliard à
825 millions. L'invasion des barbares, l'apparition des mabo-
métans et les croisades ont dû produire des phénomènes
particuliers; mais il n'a guère été possible de les suivre dans ce.
dédale d'événements.
La diminution des espèces continuait à se faire sentir, lors- '
que la découverte des mines d'Amérique arrêta brusquement
ce mouvement décroissant. En peu dannées, et surtout après
la découverte du Potose en 1545, le numéraire se trouva bien
plus considérable. La production moyemie des mines a été éva-
luée, par H. de Humboidt, le premier qui ait produit des calculs
basés, en grande partie, sur des données certaines, comme suit :
De 1545 à 1600, à 60 millions de francs annuellement.
1600 à 1700, à 80 Id. Id.
1750 à 1800, à 180 Id. Id.
1800 à 1810, à 270 Id, Id.
- * Note comprise dans la 1'* édit. de Notes et petite traités.
* Recherches histmques sur la production et consommation des métaux
précieux, 2 vol. in-S», en anglais (an historical inquiry, 18M).
158 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
D*après des chiffres recueillis dans le Dictionnaire du Corn-
merce et des Marchandises^ (1859), la valeur de la production
de Tor et de Targent s'élevait aanuéllement, à cette époque, à
la somme de 540 millions, dans laquelle l'Amérique entrait
pour 268 millions, c'est-à-dire pour les 11/14 de la totalité.
L'argent figurait pour 971 mille kil., valant 213 millions, et
l'or pour 57 mille kilog., valant 127 millions.
M. Michel Chevaher, qui consignait d^intéressantes recher-
ches sur ce sujet dans un écrit publié dvant la découverte des
placers de Californie ', évaluait à cette époque, dix ans^près,
la production de l'argent à 775 mille kilog. et 172 millions de
francs (dont 614 mille kilog. et 136,4 millions provenant
d'Amérique); et la production de l'or à 46,500 kilog. et
167 millions de francs (dont 14,900 kilog et 51 millions de
francs provenant d'Amérique, et 22,500 kilog. et 77,7 millions
provenant de Russie); en tout 540 millions de francs.
Ces deux évaluations rapprochées indiquaient : 1® pour l'ar-
gent une diminution notajsle sur la production de rAmèrique,
et une augmentation du double sur la production de l'Europe;
.2" pour l'or, une diminution sur la production de l'Amérique,
et une augmentation inouïe sur la production de la Russie.
* Mais il y avait cela de remarquable, c'est que les deux évalua-
tions donnaient, à dix ans de distance, la même valeur d'en-
viron 540 millions de production annuelle; l'excès de la pro-
duction en or ayant compensé la diminution de la production
en argent.
En 1847, à la veille de la découverte des dépôts aurifères
de la Californie, la production de l'or représentait une somme
égale à la production de l'argent. C'était un fait nouveau auquel
on ne se serait pas attendu trente ans auparavant.
Ces résultats étaient dus à la découverte et à l'exploitation
depuis vingt ans de riches alluvions aurifères dans la Russie
< Voir rarlicle mikes, par M. Jules Burat.
* Des Mines d*oret d^ argent ^ etc. Brochure in-8», 1847.
VALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRécillUX, NUMÉRAIRE. 159
orientale et la Sibérie. De i8i9 à la (In de 1847, il avait été
extrait de ces alluvions 260 mille kilog. d*or ou 900 millions
de francs, environ 52 millions par an.
Depuis la découverte des dépôts aurifères de la Californie
(1848) et derAustralie (1851); de 1848 à 1856, la production
de Ter a été double de celle de Fargent. (Voir ci-dessous.)
En faisant entrer dans les calculs ci-dessus la production
vaguement supposée pour la Chine, Tlnde et le Japon, M. Mi-
chel Chevalier portait à 400 millions l'extraction annuelle des
deux métaux réunis dans le monde entier en 1847.
Par suite d un nouveau calcul, inséré dans le Dictionnaire
d* Économie poliiique (1853), article métaux précieux, M. Michel
Chevalier, faisant entrer en ligne de compte quelques parties
de l'Asie jusqu*alors presque étrangères au marché général,
et au sujet desquelles il avait, disait-il, reçu de bons rensei-
gnements de M. Natalis Rondot, estimait la production de
l'argent, en 18484 ^ ^'^^ ^^^^^ kilog. ou 216,5 millions d'ar^
gent et 72 mille kilog. d'or ou 247,5 millions, en tout 464 mil-
lions de francs.
En comparant le rapport de la production de l'or à celle de
l'argent, on trouve :
1 kil. contre 42 kil. moyenne de Texploiiation depuis la découverte de
rAmérique; — jusqu'en 1847,
1 — 52 kil. moyenne de l'importalion en Europe, depuis la dé*
couverte de T Amérique ; — jusqu'en 1847.
1 — 38 moyenne de l'importalion en 1800,
1 — 43 1/2 W. . 1847.
1 — 1/2 la. 1848-1856.
M. Michel Chevalier a aussi fait le calcul de la quantité de
métaux précieux obtenus depuis la découverte du nouveau
monde jusqu'en 1848, et il est arrivé, en modifiant les don-
nées de H. de Humboldt sur quelques points accessoires, aux
résultats suivants, exprimés en millions de francs :
i60 NOTES ET PETITS TRAITES.
jLiiiériqae. argent. ob. total.
États-Unis 76 76
Mexique.. . 13,774 13,41 15,115
Nouvelle-Grenade 58 19,52 2,010
Pérou-BoUvie 13,059 1,172 14,231
Brésil 4,623 4,623
Chili 251 . . 862 . 1,093
27,122 10,026 37,148
Aotres pays.
Europe sans la Russie. . . 2,000 500 2,500
Russie 330 1,100 1,430
Afrique, îles de la Sonde. . 2,500 2.500
2.530 4,400 . 6,430
Totaux généraux. . 29,452 14,126 43,578
En tout 43 milliards et demi.
M. de Humboldt calculait que le produit des mines du nou-
veau monde s'élevait au commencement du siècle à la somme
de 50 milliards.
A ces 43 milliards et demi, total de la production des mé-
taux précieux depuis la. découverte de TÂmérique, il faut
ajouter environ 6 milliards et demi pour la production en
neuf ans (1848-1856), dont 2 milliards 70 millions d'argent et
le reste en or, provenant en grande partie de la Californie
et de TAustralie; — ce qui porte la production générale des
métaux précieux à la fin de 1856, et depuis la découverte de
l'Amérique, à 50 milliards.
Nous trouvons dans V Histoire des PriXy de 1848 à 1856, par
MM. Tooke et Newmarch (Londres, 1857, 2 vol. in-8^), que la
production aurifère, dont la majeure partie est entrée dans la
circulation européenne, s'est élevée dans le monde entier :
En 1849 à 155,500,000 fr., soit un accroissement de 1,0 0/0
1850 222,250,000 — 1,6
1851 358,000,000 — 2,4
1852 675,750,000 — 4,9
1853 702,000,000 — 4,5
1854 707,000,000 — 4,4
1855 756,000,000. — 4,5
1856 806,250,000 — 4,6 ,
ce qui fait, pour les huit années réunies, une augmentation de
4 mJDiards 342,750,000 francs, dont plus de la moitié
VALEUR, ):0N1IA1E, MÉTAUX FRÉCIEUX, IfUMÉRAIRE. 161
(2,215,500,000fr.) provenant de laCalifornie,l,494,a60,000f.
de FAustralie, et 633 millions de la Russie.
La quantité d'or s*est accrue en huit ans de plus d'un
quart ou de 27,6 pour 100.
D'après une note que M. Michel Chevalier a eu l'obligeance
de nous remettre, la production de l'argent s'est élevée dans
la même période à 230 millions par an, soit pour neuf ans à
2 roilliardis 70 millions.
Les exportations du numéraire en Orient ont été, selon les
relevés de HH. Tooke et Newmarch,tant des ports de l'Angle-
terre que de ceux de la Méditerranée, et pour les années
1853-4-5-6, de 96 millions 600,000 fr. en or, et de 804 mil-
lions 550,000 fr. en argent.
Les exportations en numéraire se sont accrues dans ces
dernières années par suite des mauvaises récoltes successives
qui ont forcé l'Angleterre, la France et une partie du reste de
l'Europe à acheter des grains en Orient, en les soldant en es-
pèces, — et encore par suite de la guerre en Grimée qui a
nécessité l'envoi de sommes considérables pour les troupes.
11 est à remarquer qu'une partie du numéraire qui va en
Orient y est enfouie, et que l'autre ne rentre que lentement
dans la circulation générale. (Écrit en 1857.)
. P. S. — Il n'a pas été fait, à notre connaissance, de relevé gé-
néral pour la production totale aurifère et argentifère dans ces
dernières années ; et nous ne donnons qu'à titre de renseigne-
ments à contrôler les chiffres incomplets qui suivent, publiés
en Angleterre*.
ProdnelioB d'or em Aiulralie t
aiik£b8. quantités. valeurs.
1855 ...... 5,753,518 onces. 14,815,432 1. st.
1856 2.857,817 H,523,856
1857 -2,742,869 10,929,939
1858 2,522,080 10,072,234
1859 2,249,361 9,001,142
1860 2,089,140 8,358,059
1861 1,875.840 7,502,575
1862. 1,647,648 6,593,171
19,756,277 78,796,408
1 Recueillis et communiqués par M. Horn,
162 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
■
Knlrée et sortie de l'or en Ansleierre,
I. IMPORTATION.
18C0. > 1861. 186S
De l'Australie 6,719,0001 st. 6,331,000 6,705,000
AmériqueduSud.. . . 1,180,000 1,600,000 1,631,000
États-Unis 3,918,000 39,000 9,732,000
Autres provenances. . . 768,000 4,194,000 1,834,000
12,585,000 -12,164,000 19,902,000
ir. EXPORTATION.
Pour la France. . . . 10,401,000 998,000 6,351,000
Reste du continent. . . 1,508,000 1,006,000 2,814,000
Hors d'Europe 3,733,000 9,254,000 6,842,000
• 15,642,000 11,238,000 16,012,000
Voyez la note de la page 164 sur la puissance des nfiines au-
rifères et argentifères de l'Amérique.
Vï. — DE L'EXTRÊME ABONDANCE ET DE L'EXTRÊME
DISETTE DES MÉTAUX PRÉCIEUX*.
{Traité d'économie politique : Alinéa 428.)
On a des raisons de croire que Timmense fécondité des
mines d'Amérique a versé dans le monde, jusqu'au commen-
cement de ce siècle, douze fois autant de métaux précieux
qu'il y en avait auparavant. Il semblerait donc que les prix
auraient dû être douze fois plus considérables ; mais on estime
que les choses qui doivent avoir le moins varié de valeur coû-
tent environ six fois autant seulement (J.-B. Say). L'explication
de ce fait se trouve dans les développements de l'industrie,-
dans l'accroissement de la population, et enfm dans l'exporta-
tion des métaux précieux en Asie *. En effet, le passage des
Indes par le c^ de Bonne-Espérance ^ayant ouvert une com-
munication avec un pays où les métaux précieux étaient pins
^ Note comprise dans la l'" édition de Notes et petits traitée. — Déve-
loppement d'un passage du chap. ix de la deuxième édition des Élémenti^
lùainienant \e Traité.
'.r* rarlicle précédent.
YALEOR, MONNAIE, UÉTAUX PRÉCIEUX, NUIIÉRAIRE. 163
rares qu'en Europe, le commerce trouva plus avantageux de
faire des envois en argent en échange des marchandises. Mais
ce flux régulier d'Occident en Orient, qui reprend de nos jours,
s'est quelquefois arrêté, et on Ta même observé en sens in-
verse.
Des révolutions contraires à «elle qui suivit Içs premiers
temps de la découverte de l'Amérique ont aussi été observées
par suite de la diminution dans la production des métaux pré-
cieux. Quand, par exemple, la guerre civile, en suspendant
au Pérou et au Mexique les travaux des mines, réduisit l'ex-
traction au tiers de ce qu'elle était auparavant, l'Europe y sup
pléa par les signes représentatifs de tout genre, qui ont pour
but de remplacei" ou de compléter le service de la monnaie.
On a quelquefois paru redouter que les bouleversements
politiques des républiques de l'Amérique du Sud n'anéan-
tissent tôt ou tard l'approvisionnement des métaux précieux.
Sans combattre cette crainte de peu de valeur (car les
États possesseurs des mines ou dépôts métalliques seront tou-
jours vivement intéressés à exploiter leurs richesses natu-
relles) , admettons la possibilité d'une production arrêtée.
Qu'arriveraîl-t-il? On consommerait moins d'or et d'argent pour
les objets de luxe; d'un autre côté, la déperdition des mon-
naies existantes serait très-lente, parce que chacun est inté-
ressé à la conservation des métaux précieux, et parce qu'on
pourrait les garder en dépôt et se servir pour les représenter
des signes en papier. 11 en résulterait seulement une augmen-
tation de valeur dans une faible progression. Mais cette crainte
est de plus en plus hypothétique, surtout depuis la découverte
des placers de la Californie et des diggings de l'Australie, qui
fournissent de l'or en grande abondance.
D'après ce qui se passe et les progrés de la fabrication qui
permettent d'attaquer les minerais de quartz jadis improduc-
tifs, il est permis de supposer que les métaux précieux ne sont
pas prés de nous manquer. D'ailleurs, il n'est pas impossible
que les montagnes du Thibet, d'où l'on exporte de la poudre
d'or et d'autres minerais, que les mines dv\ U^QW w^ ^^vïï^.
164 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
pas quelque jour aussi productives que les Cordillères , la
Californie et TAustralie. Qui sait ce que nous réserve rAfri-
que? Qui nous dit que l'application des nouveaux procédés
scientifiques à Texploitation de Fargentne produira pas en
Amérique une révolution analogue à celle que produisit, il y
a trois siècles et demi, la découverte de TAmérique elle-même,
et que semblent devoir produire les exploitations aurifères de
la Californie et de l'Australie ? •
Il y aurait moins lieu à se préoccuper d'une disette future
des métaux précieux que d'une trop grande production ^ Et si
cette production excessive arrivait, si, par suite de minée nou*
velles et de procédés d'extraction nouveaux et économiques,
l'or et l'argent devenaient communs au point de n'avoir plus
qu'une petite valeur sous un gros volume, la situation devien-
drait embarrassante.
On referait peut-être de la monnaie avec du platine ou avec
d'autres métaux que nous connaissons encore fort peu, tels
que le palladium, le titane, etc., ou enfin avec des produits
que nous ne connaissons pas, ou bien on y suppléerait par
l'emploi de signes représentatifs perfectionnés. Toujours est-il
que la découverte de la pierre philosophale jetterait une très-
< Dans le courant de 1859 on apprit en Europe qu'on avait découvert en
CaUfornie une mine d'argent de plus de 10 mètres de puissance sûr une
longueur de 60 kilomètres. Peu de temps après, on recevait en Angleterre
plusieurs tonnes de minerais très-riches. Un ingénieur des mines, M.Laur,
reçut la mission d'aller reconnaître l'importance des nouveaux gisements,
qu'il remplit dans le courant de 1860-61. Dans son rapport, M. Laurfait
la description des gisements aurirères de la Californie, des filons argenti-
fères du pays de Washae et du ierritoii*e des Indiens Pah-Ulah, ainsi que des
exploitations de cinabre ^sulfure de mercure] dans les montagnes delà
cô:e. Ses conclusions sont que ces mines offrent un champ d'exploitation
sans limites;^ que des moyens de travail extrêmement puissants et mé-
caniques permettent d'exploiter avantageusement les aUuvions les phis
pauvres; — que les gisements de mercure assurent l'avenir des mfaies
d'argent des Cordillères et des Andes; —d'où, avec la tranquillité des répu-
bliques américaines, la possibilité d'une production nouvelle et extraor-
dinaire des métaux précieux, avec ses conséquences économiques! ... (ï.
De la production des métaux précieux en Califbmie, par M. Laur, broeh.-
Jn-S", i8ô2, Dunod et Guillaumin ; —et Baisu probable de Vor, par H. ïi-
cbel CAevaiier, in-8«, Capelle,
YÂLEDR, HOIfIfAIE, METAUX PFÉCIEDX, KUMÉRAIRE. 165
grande perturbation dans les relations commerciales du monde.
II faut observer que, dans l'hypothèse d*une production
qui avilirait le prix des métaux précieux, et diminuerait la va-
leur des pièces d'or ou d'argent au point d'en rendre l'usage
frès-incommode, le jeu des banques et la circulation de leur
papier viendraient compenser, jusqu'à un certain point, les effets
de l'abondance métallique, à la condition toutefois que la dé-
préciation n'irait pas jusqu'à enlever à l'or et à l'argent la fa-
culté de servir comme lingots d'une valeur encore supérieure.
La progression dans la production des métaux amène la di-
minution de leur stabilité dans la valeur des monnaies, c'est-
à-dire de leur qualité par excellence. L'extrême abondance pro-
duirait la disparition de l'utilité des métaux précieux comme
bijoux et ornements, et aussi de la qualité d'avoir une grande
valeur sous un petit volume. Le jour où le bas prix de l'or
permettrait de dorer les grilles des jardins ou d'en faire de la
batterie de cuisine, son usage pour la parure aurait disparu ;
ensuite, comme il faudrait «n âne pour porter une petite va-
leur, son usage pour la monnaie aurait aussi disparu. '
Donc, bien que l'or et l'argent pussent être avantageusement
employés aune foule d'usages dont la cherté les éloigne aujour-
d'hui, il est à désirer que leur production continue à être rela-
tivement bornée, afin qu'ils rendent toujours les mêmes
services dans la circulation.
En résumé, Fidéal, pour un métal monétaire, c'est qu'il s'en
produise le moins possible ; c'est, du moins, que la production
soit régulière et lente et ne dépasse pas les besoins nouveaux
provenant de Faugmentation de la population, et auxquels sa-
tisferont de plus en plus les signes représentatifs.
Si cependant il était donné aux hommes de découvrir des
amas d'or et d'argent, c'est que cette abondance serait dans la
nlature des choses et finirait probablement par tourner à bien
dans l'intérêt de l'humanité; S'il peut y avoir trop d'or ou trop '
d'argent au point de vue monétaire, il ne peut y en avoir trop au
point de yvedesautres usages.Cela esl\TaÀdeVo\j\cfeaî\\^'^V>î55SSR-
16G NOTES ET PETITS TRAITÉS.
VII. — STATISTIQUE DU NUMÉRAIRE*.
{Traité d^ économie polilique: V. les chap. XVII et XXIII sur la Monnaie et la Circulation.)
Le Numéraire est métallique en or, en argent, en cuivre ou
en papier. Nous parlerons d'abord du Numéraire métallique :
NoMÉRAiRE, ESPÈCES, ARGENT COMPTANT sout autant d'exprcs-
sions analogues que Ton emploie dans le langage commercial
ou financier pour désigner les pièces de monnaie métalliques.
La première appartient plus au style économique, la- seconde
est plus commerciale, la troisième moins souvent employée.
11 faut à un pays, pour subvenir à ses échanges, une cer-
taine masse de numéraire; cependant cette quantité, quoique
bien déterminée par la nature des choses, est très-imparfaite-
ment connue. En effet, pour la connaître, il faudrait que les
gouvernements eussent tenu depuis longues années des comptes
exacts de toutes les pièces fabriquées et de toutes celles qui
ont été refondues par Tadministiirtion à cause de leur vétusté,
et par les particuliers à cause de la prime qui a quelquefois
existé en faveur des lingols, souvent plus rares que les pièces;
il faudrait que Ton eût des tableaux d'importation et d'expor-
tation bien détaillés et bien exacts ; que Ton ptHl appréder la
perte do plusieurs des sommes enfouies par les avares ou par
les habitants des pays exposés aux invasions et aux commo-
tions intestines, ainsi que celles qui sont dans les maisons qui
brûlent et les vaisseaux qui sont engloutis. Or, ces deux der-
nières appréciations ne peuvent point être faites avec exacti-
tude dans aucun pays du monde. Il est vrai que, jusqu'à un
certain point , l'on peut s'en passer pour arriver à un chiflre
approximatif; mais la statistique, qui prend depuis une dizaine
d'années un développement heureux, ne présente encore, pour
lesautres, que des documents trop vaguespour asseoir lecbiffre
de la fabrication, de la refonte, de l'importation et de Texpor-
' Sf" éditîoh, — la !'• édition dahs le Diclionnaif'e du coénmerce et dit
ifû^càandises^ publié en 1837 -S9, car Vim\Wmw el O.
VALEUR, MORIIAIB, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 167
jtation, et Ton ne peut guère arriver, pour fous les pays, à une
appréciation fort peu exacte d'ailleurs, qu'au moyen de don-
nées et de calculs détournés, dans le détail desquels nous ne
pouvons point entrer. Nous nous bornerons à dire que ce qui
rend plus difficile encore de connaître la somme des monnaies
en circulation, ce sont les nombreux suppléments à la mon-
naie dont on fait usage, les effets de commerce, les billets de
banque, etc. En France, on sait quelle quantité de pièces en
or, en argent, en billon, en cuivre (cuivre pur ou bronze pro-
venant des cloches), ont été fabriquées dans les dernières an-
nées de l'ancien régime , du temps de la République, sous
Napoléon, et pendant la Restauration ; mais on ne sait point
quelles quantités de ces pièces ont été fondues, importées par
la contrebande, exportées ou perdues. Les. tableaux de la
douane indiquent bien la somme des importations et des ex-
portations depuis ISlf) , mais cette somme comprend le nu-
méraire et les lingots. Ajoutez qu'on ne peut point savoir non
plus quelles quantités de pièces circulent encore, provenant
des anciennes fabrications. 11 y a des pièces de cuivre qui cir-
culent depuis les Romains pour 1 liard, 2 liards, 1 sou, etc.
Le nombre en est encore considérable dans certaines localités.
En outre, on est loin de connaître les monnaies qui sont dans
les collections de médailles publiques ou privées. — Fort heu-
reusement que l'évaluation exacte ou même approximative de
la somme des monnaies d'un pays n'a pas une grande utihté
pratique. Cependant, comme ce sujet excite la curiosité, nous
avons cru devoir offrir au lecteur les diverses évaluations que
quelques auteurs ont consignées dans leurs ouvrages, et qui
seront plus spécialement relatives à la France et à l'Angle-
terre*.
fitatitfliqne du numéraire en Franee.
La France est le pays du monde qui a le plus de numéraire,
ce qui ne veut pas dire, comme nous croyons l'avoir démontré
1 Cet article a été écrit en 1839.
168 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
en parlant de la Monnaie, que c'est le pays le plus riche ; le
numéraire seul ne pouvant pas être pris à beaucoup près
comme une mesure suffisante de la richesse publique.
Le Moniteur du 18 avril 1830 a publié un état des fabrications
d'espèces de cuivre, depuis 1726 jusqu'en 1810, époque delà
dernière émission de celte monnaie. Tout le monde sait que,
sous Louis XVI, la plus grande partie de cette monnaie était
représentée par le sou et les detix sous, et depuis la Révolution,
par la pièce de 5 cent, et 10 cent, (sou et gros sous nouveaux),
et par les pièces en billon de 10 cent., et enfin par la pièce
de 1 cent, pour faire les appoints des sommes fractionnaires,
D'après ce document, on a fabriqué ;
DE i7Sl A 1794, EN M ANS.
HILUONS.
En biUon 0,3
En cuivre 10,2
En métal de cloches 19,2
29,7
DE 1794 EN 1810, EN 16 ANS.
Loi du 28 thermidor an III (15 août 1795).
Pièces de 2 décimes 3,2
— 1 décime. ....... 0,4
— 5 centimes 0,6
Loi du 5 brumaire an V (24 octobre 1796).
Pièces de 1 décime. . 4,4
— 5 centimes 2,7
— 1 centime 1,0
8,S
Refrappage en vertu de ladite loi.
Pièces de 1 décime 1,5
— 5 centimes . 0,1
1,6
Loi du 29 pluviôse an VII (17 février 1799).
Pièces de 1 décime . 5,0
— 5 centimes 4,3
VALEUR, MONHAIE, MÉTAUX PRECIEUX, ^UltÉRAIRE. 169
Total du numéraire en cuivre fabriqué de 1794 à 1810. 23,6
Total du numéraire en billon, fabriqué en 1808, 1809
et 1810. {Loi du 15 septembre 1807.) 3,2
Cuivre fabriqué, en 1814 et 1815, à Strasbourg, du-
rant les deux blocus. . . .^ 0,1
Total du numéraire en cuivre, billon ou métal de
cloches, fabriqué de 1726 à 1810 29,7
Cuivre présumé actuellement (1839) en circulation. 56,8
Sans compter le numéraire en cuivre venant de l'étranger
ou provenant de la contrebande.
D'après un autre tableau publié dans le même Supplément du
Moniteur, nou^ pouvons présenter Tétat des métaux portés
aux différents hôtels des Monnaies depuis le 1 avril 1805
jusqu'au 31 décembre 1829, et des fabrications en espèces
décimales.
EN on. Elf ARGBlfT.
Anciennes espèces usées. ... 0,1 0,8
Lingots et autres matières. . . 0,8 1,1
0,9 2,0
0,9
Total des matières converties en espèces dé-
cimales de 1803 àl829 2,9
La refonte s'est opérée' dans les divers hôtels de Paris,
ie Rayonne, de Bordeaux, de La Rochelle, de Lille, de Limo-
ges, de Lyon, de Marseille, de Nantes, de Perpignan, de Rouen,
4e Strasbourg, de Toulouse, de Gènes^ de Genève, de Rome,
4e Turinj d'Utrecht. Ces cinq derniers entrent dans la somme
totale p. 11.5; Paris y entre p. 1.7;Marseille p. 0.4; Rouen
p. 0.17 ; Toulouse p. O.H; tous les autres n'approchent pas
de la centaine de mille.
Si Ton considère les pièces d*or et d'argent par rapport aux
types, on trouve :
Elf on. El» ARCEXT. •
- Type de Bokapaiite ou Napoléox. . 528,0 887,8
-r LoDis XVlll 389,3 614,8
— CiwniEs X 29,7 538,0
176 50TES ET PETITS TRAITBS.
-Total des trois types en argent 2.040,7
Total des trois Ivpes en or 017,1
M type d'Hercule. 1795 à 1803 106,2
Total 3,094,0
Ou environ . . . 3,100,0
' À cette époque, 51 décembre 1829. les an-
ciennes espèces duodécimales qui restaient
dans la circulation et qui ont été converties
en espèces nouvelles, doivent ajouter à cette
somme environ 600,0
Lés espèces décimales se sont donc élevées à. 3,700,0
Or, les fabrications faites depuis 1725 jus-
qu^en 1789 avaient, à cette dernière époque^
porté le montant des espèces duodécimales
à 751,000,000 fr. en or, et à 2,047,000,000
en argent, ensemble à . 2,800,0
Il résulte donc de celte comparaison que .le
3) décembre 1829, le numéraire en or et en
argent avait augmenté depuis 40 ans de. . 900,0 millions.
En parcourant le tableau des importations et des exporta-
tions de numéraire et des lingots depuis i787, on voit que la
balance est, à cinq années près, toujours en faveur de Fim-
portation, pour une somme qui a souvent dépassé 100 millions
de francs. Les cinq années exceptionnelles sont i8i6, 1818,
j819, 1821, 1826, pendant lesquelles les diriiint|tipns de numé-
raire ont été de 105,5, 42,1, 1,5, 59,3 1,3 millions de francs.
En sommé, en trente-huit ans, de 1787 à 183^, Vaccroisse-
ment du numéraire par Timportation a été de 2,18a,3| et la
diminution seulement de 200,8, ce qui donne une différence
de i, 982,5 millions do francs, ou une moyenne annuelle de
52, n millions de francs. Malheureusement ces chiffrç3^ quel-
que authentiques qu'ils soient, ne satisfont point ; cariisjie
comprennent pas la valeur de la contrebande en nionnaiçs de
cuivre, dont nous avons parlé, ni les sommes en or ôii ai
argent qui ne sont pas déclarées à la douane et entrent ou
sortent avec les voyageurs. "^
3i. Moreau de Jonnès a trouvé des chiffres un peti différents.
En comparant, dans sa Statistique d! A.nqleteirey la France 1
VALEUR, MORIfAIE, MÉTAUX PRÉCIEUX, NUMÉRAIRE. 171
ce royaume, il dit que les monnaies différentes frappées pen-
dant une période de 108 ans, commençant en 1726 et finis-
sant en 1854, ont été, svivant les documents officiels sur les-
quels il a fait ses relevés:
1726 à 1785.. .
OR.
. 986,6
ARGEIÏT.
1,937.6
1786 à 1803.. .
• B
109,6
1804 à 18*34.. .
. 1.039,1
2,665,6
2,025,7 4,712,9
2,025,7
Vonnaie de cuivre et de biUon. . 52,3
6,791,0
n en conclut qu'il a été frappé en France, en cent huit ans,
presque moitié plus de monnaie d*or et d'argent qu en Angle-
terre, en cent Quatre-vingt-cinq ans.
Si Ton évalue Tor et Targent en poids, on voit qu'en France
un tiers à jpëine est en or, tandis qu'en Angleterre il n'y a guère
que 1/15 des monnaies en argent.
En défalquant les espèces duodécimales fabriquées antérieur
rement à la Révolution, et qui ont été généralement refondues,
on trouve la quantité des monnaies décimales qui forment la
masçe du numéraire en circulation.
Pièces d'or. . . . 1,059,1 = 1/4 environ. -
— d'argent. . 2,775,2 = 3/4 à peu près.
5,814,3
D'après les relevés du même auteur, nos exportations, de-
puis 1787, dépassent les importalions de 1,728 millions qui,
ajoutés au chiffre du numéraire donné par Necker, en 1784,*
forment précisément 3,900 millions, nombre sensiblement
égal à celui que nous venons de trouver pour la monnaie
décimale frappée de 1803 à 1854? et à celui donné plus haut;
d'après le Moniteur^ comme total des matières converties en
espèces décimales de 1803 à 1829. Ici les chiffres parlent, et
éomme l'a très-bien fait remarquer M. Moreau de Jonnès, ils
autorisent à penser que la fabrication de la monnaie décimale
s'est faite par la refonte de l'ancienne et des monnaies étran-
gères ou des lingots importés.
172 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
Necker trouve son chiffre de 2,200 millions en embrassant
dans ses calculs la détérioration par l'usure et la destruction
du numéraire; or, J. B. Say rapporte dans son Cours que les
50 millions de pièces de 24, i2 et 6 sous, fabriquées de 1726
à 1794, s'étaient usées pour 12 millions. En faisant entrer
ces causes pour un quart en soixante ans et en adoptant la
même proportion de destruction pour les quarante années
écoulées de 1794 à 1834, H. Horeau de Jonnès, évalue à
2,860 millions seulement la masse du numéraire en France <.
J. B. Say croit que Neeker s*est tenu trop haut dans son
évaluation, et il portait, sommairement il est vrai, à 2 mil-
liards seulement le numéraire en circulation en 1828, qui
aurait été en 1836, d'après M. Moreau de Jonnès, d'environ
3 milliards (2,860,000 fr.). Sans noAs lancep ici dans une
controverse inutile, nous ferons observer que le besoin de nu-
méraire n'augmente pas dans la même proportion que la
richesse nationale ; car la même somme qui sert à 8 ou 10
échanges dans une grande ville, ne sert guère qu'à lin dans un
village, sans compter l'emploi des signes représentatifs de la
monnaie dont se servent les pays où se développe l'industrie.
En effet, comment n'en serait-il pas autrement^ dit H. Ho«
reau de Jonnès (Statistiqtie de VAngletefrey p. 557, t.* II),
puisque les impôts prélevant chaque année (dans les Des
Britanniques) au moins 1500 millions de francs, ils absorbe-
raient les 3/4 du numéraire? D'ailleurs la production jternto-
riale et industrielle formant une valeur de prés de 10 mil-
liards, et les signes qui la représentent n'en dépassant pas 3,
il est de toute nécessité que l'activité de la circulation moné-
taire corresponde au quintuple de sa valeur intrinsèque. D'après
le même auteur, en France la production étant moins considé-
rable et le numéraire étant plus abondant, il suffit d'une
1 M. Michel Chevalier, dans une note du premier vol. des Letim m
V Amérique, j^rend, pour l'évalualion du numéraire en France, le cbiÂre
de 4 milliards, dont 1/4 en or et 5/4 en .argent. M. Blanqui aîné, dan
son Cours de 1836-37 (2« leçon), adopte aussi ce chiffre; il nous aeinble
que ces deux économistes, s'ils ont analysé cette appréciation, n'ont pts
tenu œjnptedc tous les éléments deY^^voiesXm.
VALEUR, IIONRAIE, MÉTAUX PRECIEUX, NUMÉRAIRE. i75
activité qui triple les services du numéraire pour le faire
correspondre à la masse des produits.
DifTérentes évaluations antérieures avaient été faites; il n'est
pas sans intérêt de les comparer.
FoBBomiAis comptait en . . 1683 999 millions de fr.
Law 4716 1,200 . —
FoBBONNAis 1754 1,620 —
Necieb 1784 2,200 ' —
Akhould 1791 2,000 ~
DESROTOuas^ 1801 2,290 —
Pedchbt 1805 . 1,850 —
MOBEAU DE JOKXÈS 1856 2,860 —
Manier Aire en Angleterre '.
Après lâ France l'Angleterre, qui n'a d'ailleurs ni mines
d'or, ni mines d'argent, est le pays le plus riche en numéraire.
Enjoignant aux 5,594,747,000 fr. de pièces d'or fabriquées
d'après les journaux authentiques des Hôtels des monnaies
depuis le régne de Charles II, les 240,500,000 fr. de pièces
d'argent, fabriquées depuis i790, on trouve qu'en i 85 ans on
a fabriqué dans le Royaume-Uni pour 3,835,000,000 fr., que
M. Horeau de Jonnès porte à 4 miUiards, en admettant
qu'avant la Restauration la circulation était seulement de
i35 millions. Ce chiffre n'est encore qu'un minimum, puis-
qu'on ignore quelle a été pendant 150 ans l'émission des
pièces d'argent et de cuivre, quelle a été l'influence des expor-
tations et des refontes. Au reste, l'Angleterre n'a jamais eu
que fort peu de pièces d'argent, et encore moins de monnaies
de cuivre ; l'or ayant été érigé en étalon monétaire au der*
nier siècle, sans que l'on puisse facilement établir les motifs
de cette préférence. On sait aussi qu'à l'époque du blocus con-
tinental, Napoléon faisait enlever les guinées par les contre-
bandiers; enfin,' on présume qu'une grande partie des
1.600 millions de numéraire qu'on dit être aux États-Unis,
* Nous avons Uré tout ce qui est relatif au numéraire en Angleterre, de
la Statistique de la Grande-Bretagne, que M. Moreau de Jonnès vient de
publier. 2 vol., 1838.
174 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
proviennent de l'Angleterre. Dans cette incertitude les publi-
cisles qui ont cherché à déterminer la valeur du numéraire en
Angleterre, et entre autres Rose, se sont arrêtés à la moitié
delà valeur des espèces monnayées depuis Charles II. Partant
de cette base, M. Moreau de Jonnés, sachant que 4 milliards
ont été fabriqués depuis le protectorat de Cromwell, évalue à
2 milliards le numéraire des Iles Britanniques.
Voici les différentes évaluations qui ont été faites en millions
de francs :
nOYAUME-DM. AKGLBTERRE oEOLB
1820 915 mil. Tegg. 1711 300 mil. Davenant.
1802 1,100 — Rose. 1762 400 — Anderson.
1830 2,C0a — Mor. de Jomfi. 1786 500 — ' Qialmers.
En 1802, la moyenne ne dépassait guère 75 fr. par habi-
tant; en 1836, elle s'élevait à 85 fr.
Lorsqu'on étudie le tableau des monnaies frappées par le
gouvernement anglais, on voit que de 1800 à 1829, plus d'un
milliard de pièces d*or et d'argent ont été mises en circulation,
tandis que de 1 800 à 1 809 , pendant la guerre contre la France,
il n'en fut frappé que pour 88 millions ou seulement un
onzième. De 1790 ù 1815, la fabrication des monnaies d'argent
s'est maintenue entre l,525*fr., et 7,350 fr.; celle de Tor a
presque toujours été de plus de 60 millions de 1790 à 1798,
et a fluctué entre 4 et 18 milUons de 1798 à 1815. De 1816â
1826, les monnaies d'argent ont fluctué entre 7 millions et
60 millions, et celles d'or, entre 18 et 238 millions. C'est la
période déplus forte fabrication. Dans les années suivantes les
nombres sont moins élevés ; cependant on trouve encore 95
millions d'or en 1832, et 11 millions d'argent environ en
1854. Le maximum des monnaies eut lieu en 1821 et 1822;
rémission des pièces nouvelles se rapproche alors de 400
millions. De 1820 à 1829, elle fut d'environ 1 milliard, la
moitié du numéraire supposé. En somme, les nombres 4e
ce long tableau qui n'est point assez important pour que nous
le transcrivions ici , varient considérablement d'une année à
l'autre.
YALEDB, MONNAIE, METAUX PRÉCIEUX, KUMÉRAIRE; 175
L'exportation anglaise est très-considérable; mais il n'est pas
plus possible de Tévaluer que les refontes. En prenant pour
vrai le chiffre de Rose en 1 802, 1 ,100 millions fr., et en y ajou-
tant 1 ,663 millions qui ont été fabriqués depuis, on trouverait
environs 5 milliards. Mais il est juste de tenir compte de ce
qui doit avoir été absorbé par le commerce des États-Unis et
de la Chine. D'après les documents delà douane de 1825 à
\ 834, la France méine aurait reçu sur cette somme 386 mil-»
lions. Observons toutefois qu'une partie des retours ont lieu
par les Pays-Bas, et que ce sont les transactions alliibuées à
la Belgique qui rétablissent l'équilibre entre la France et
l'Angleterre,
Mninéraire dans les aulretf pays*
Voici maintenant un résumé général du capital monétaire
des principales nations européennes.
PATS. KDMÉRAinE. PAIl INDIV. AUTORITÉS. ^NNÉES.
France 2,860,000,0^0 86 M. de Jonnès. 1856
Royaume-Uni. . . . 2,000,000.000 85 Id. 1836
Pays-Bas ...... 642,000,000 107 de Clouet. 1823
Espagne. ...... 45l),000,000 50 Musquiz. 1782
Autriche.. ..... 275,000,000 16 Hassel. 1807
Italie 250,000,COO 20 Andersen, 1788
Suède )
Norwége. . . . . .| 225,000,00) 20 Id. 1800
Danemark. . . . . . ;
Prusse 218,750,000 22 Krug. 1805
Russie 181,250,000 4 Storch. 1815
Royaume de Naples. 175,000,000 50 Galiani. 1780
Portugal 150,000,000 50 Andersen. 1788
Allemagne et Suisse. 75,000,003 JS. Id, 1820
Total 7,502,000,000 Moy.'44
En admettant, comme Ta fait, M. Moreau de Jonnès, qu*at.
tendu l'époque déjà fort ancienne de quelques chiffres, et les
progrès de la richesse dans plusieurs États de FEurope, on
doive élever à 8 milliards la masse totale du numéraire en cir-
culation, c'est seulement pour environ 230 millions d'habitants
176 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
un contignent de 35 fr. par individu. Telle est donc, à l'égard
de la richesse numéraire, la supériorité des lies Britanniques
et de la France, que chaque individu des deux pays possède eu
espèces deux fois et demie autant que la moyenne possédée,
d'après les évaluations ci-dessus, par chaque habitant de l'Eu-
rope. Mais, comme Ta très-bien fait observer H. Horeau de
Jonnès, cette supériorité n'agit que bien faiblement sur la situa-
tion des masses dans une société où, comme en Angleterre,
quelques individus ont jusqu'à 3,600,000 fr. de rente.
En résumé, et en prenant toujours les chiffres que nous
avons donnés comme des approximations, nous arrivons aux
résultats suivants (1839) :
La France est le pays le plus riche en numéraire. Sur 2 mil-
liards 860 millions, ou 86 fr. par individu, environ 1/4 est en
or et 3/4 en argent, et une petit fraction (52 millions) en
cuivre, fonte ou billon. Ce capital s'est accru depuis 1 784, en
50 ans, de 660 millions, c'est-à-dire d'environ 1/4. Dans ce
capital n'est pas comprise une déperdition présumée de 65 mil-
lions ou de 1/60.
L Angleterre vient ensuite. Son capital numéraire est de
2 milliards, ou 85 fr. par individu : i/15 seulement est-en ar-
gent, tout le reste est en or ; le cuivre pouvant à peine entrer
en ligne de compte.
On a souvent et vaguement attribué aux £^^at5-I/nû, qui for-
ment avec la France et l'Angleterre ce trio brillant qui marche
à la tête des améliorations industrielles, 15 à 1 ,600'niiUions
de numéraire, dont une partie en pièces anglaises. De grandes
fluctuations se sont produites par suite de la multiplication des
Banques, et, en 1835, il n'y avait que 347 millions de francs.
Ce chiffre a été donné par le secrétaire du Trésor de Wa-
shington.
P. S. Le travail qui précède remonte à une date un peu
ancienne (1839). Nous n'en connaissons pas de plus récent;
nous le reproduisons néanmoins, à cause des renseignemeuts
ei des indications que nous y avons donnés.
TALEUR, MONNAIE, MÉTAUX PRéciEOX, NUMÉRAIRE. 177
C'est là une statistique à continuer : faute de temps, nous
nous bornerons à la faire suivre d'indications nouvelles, avec
l'espoir de les coordonner et de les compléter un jour ou avec
le désir de voir ce travail continué par quelque autre statisti-
cien.
Souslei*' Empire.. .
en 14 ans,
528
40 par an.
Sous Louis XYIII.. . .
10
590
39
Sous Charles X. . . .
6
52
9
Sous Louis-Philippe. .
18
215
12
Sous la 2* république
et le 2* empire, de
14
5,205
372
1848 à 1861. . . .
Si Ton considère les monnaies d'or et d'aVgent séparément,
on trouve :
MILLIONS. MILLIONS.
En 1847.. . . 7,7 en or, 78,2 en argent.
1848. . . 39,6 — 119,8 —
1849. . . 27,1 — 206,5 —
1850. . . 85,1 - 86,4 —
1861. . . 98,2 — 2,5 — .
Deux causes ont contribué à ce renouvellement : la sortie de
l'argent^ remplacé par l'or dans la circulation ; le changement
de types, par suite du changement dynastique.
pr«greMiive de TargeBl em Vranee.
L*or a pris la place de Targent depuis la producHon en Cali-
fornie et en Australie. Voici dans quelles proportions se se-
raient effectuées ces diminutions successives et annuelles,
d'après deux publicistes compétents, HM.Horn et Cochut*.
* Okeneslla crise monétaire, par M. Hom, J. des ÉconomisteSy juillet
1861 ; — communication à la Société d'écon. politiipie, par M. Gochut,
réunion du 3 août 1861. V. le J, des Économistes, ^m
178 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
DiMiNOTiox PROGRESSIVE DE l'argest EN FRANCE. — (ValeuFS exprimécs
en millions,)
KUMÉR. EN ARGEKT. DIUINUT. ANX DIHINUT. 0/0.
1849-52. . . 3,000 98
1853 2,608 116,9 4,48
1854 2,491 163,7 6,57
1855 2,327 197,2 8,47
1856 2,130 283,6 13,31
1857 1,846 359,8 19,48
1858 1,486 15,0 1,01
1859 1,471 171,5 11,65
1860 1,3J0 158,6 72,19
Comt.det861. 1,142 ... ...
En octobre 1861 une quantité inaccoutumée de vieilles
pièces d'argent (5 francs) ont été aperçues dans la circulation,
provenant des dépôts de la Banque de France, qui en a
longtemps possédé dans ses caves pour 3 à 400 millions. Elles
sont devenues moins abondantes depuis, sans disparaître tout
à fait.
On remarquera que les deux publicistes que nous'venons
de citer prennent pour point de départ le chiffre de 5 milliards
de numéraire, qui est à peu près celui de H. Moreau de Jonnès
en 1835. (Voyez page 172.)
Signes repréftematiffl. ^ nruméraire em papier.
La statistique du numéraire en papier, ou plutôt dés âgnes
représentatifs suppléant à la monnaie, à peu prés impossible â
faire, devrait comprendre la circulation des effets de commerce
proprement dits (Billets, Lettres de change, Mandats, Obliga-
tions) ; celle des Billets émis par les Banques ; le montant dfô
Warrants émis par les Docks, des Lettres de gage et Obligations
foncières émises par les institutions de crédit foncier, les
Chèques de diverses natures ; les Engagements à terme des
gouvernements (Bons du Trésor, etc.), les autres papiers
bientôt transformés en papier-monnaie.
Voir, pour les Assignats et Mandats territoriaux de la pre-
/iiiére/'épul)]iquefrançaise,\e Traité des |vnance5,notefinalexiT.
YALEDB, MONNAIE, MÉTAUX PRÉCIEDX, NUMÉRAIRE. 179
Les grandes Banques, les Banques monopolaires, comme
la Banque de France, la Banque d'Angleterre, indiquent dans
leurs comptes rendus les chiffres de leurs émissions, s*éle-
vant à plusieurs centaines de millions, en sus des virements
que les Banques font par dizaines de milliards, en économi-
sant le numéraire pour de pareilles sommes au moyen de
transferts et d'opérations de comptabilité, ce qui ne doit plus
être pris pour de la circulation de numéraire en papier, mais .
pour des opérations de crédit sans papier.
Deux statisticiens anglais, M. Leathan et M. Newmarch, ont
fait de curieuses recherches sur la quantité de lettres de
change de l'intérieur de l'Angleterre et de l'Ecosse, et de
celles de l'extérieur, d'après les indications tirées des timbres
fournis par l'administration et d'autres données ingénieusement
rapprochées. M. Leathan a fait ce calcul pour les années 1832
à 1839; M. Newmarch l'a fait pour les années 1828 à 1847.
Ce dernier a compté que les lettres de change tirées formaient
une somme de
LIV. STERL. FRANCS.
EniS58.. ........ 04 millions 2,573 millions.
En 1840 (année la plus forte). 157 — 3,469 —
En 1847 110 — 2,777 —
sommes analogues à celle de la quantité de numéraire mé-
tallique.
MM. Leathan et Newmarch estiment, d'après les informations
prises dans les maisons de commerce, que les lettres de change
de l'extérieur n'entrent dans ces chiffres que pour un sixième,
Au chiffre des lettres de change il faudrait pouvoir ajouter
les billets à ordre des négociants, les billets de Banque, les
obligations des compagnies, les warrants, les chèques et autres
signes dont il est fait emploi dans les diverses affaires.
(Voir, pour de plus amples détails, le mémoire de
M. NeMrmarch, traduit par M. A. Gros, et inséré dans le Journal
des Économistes^ numéros de janvier, février, mars, mai et
juin 1852.)
LIBERTÉ DU TRAVAIL
CORPOBÂTIONS, OFFICES. -RÉGLEMENTATION.
. Dialogue de la Concurrence; Réponse à vingt questions de M. Jobart. -*-
II. Sur la Réglementation moderne et les Corporations-offices. — IlL
Sur les exceptions à la Liberté du travail. — IV. Suite de questions rela-
tives à la Réglementation et à l'Intervention de l'État et à ses attribu-
tions.
1. —DIALOGUE SUR LA CONCURRENCE*.
OU RÉPONSES A VINGT QUESTIONS DE M. JOBARD.
V. le chapitre sur la liberté du travail dans le Traité d'économie politique.)
En publiant dans le Journal des Économistes * un article de
iu M. Jobard, directeur du Musée de Tindustrie belge, savant
3chnologue et publicisle spirituel, défendant son idée du
lonautopole (il appelle ainsi le droit de propriété perpétuelle
es brevets d'invention ') , en réponse à un article de M. F. Passy
ur les objections que soulève cette théorie, nous avions fait
[udques observations sur ces attaques à.la libre concurrence,
u laissez^ faire et laissez passer des économistes qu'il a sou-
ent combattu en le travestissant en ceci : Laissez faire tout à
ous ou libre déprédation ou libre parcours.
Au sujet de ces observations, M. Jobard nous adressait
'ingt questions sur la concurrence qui résument une série
* 3" édit.; la 1" dans le J. des économistes, n« de fcv. 1855; la 2« dans
«> 1'" édit. de Notes et petits traités, 1858.
- Tome IV, p. 448, 'i-^érie.
/M. Jobard a publié plusieurs écrits pour exposer et défendre sa thèse.
principalement : Organum de la propriété intellectuelle^ Paris, MaltL\vs:d\
^iuxelles, Decq, iuA ^^^
182 50TES ET PETITS TEAITES.
d'objections faites à ce grand principe économique; noos les
reproduisons avec nos réponses.
I
Première question. — t La libre concurrence n* est-elle pas
le droit laissé à chacun d'entrer en lutte avec tous, en fait de
production industrielle et de débit commercial, sans tenir
compte de la position et de la qualité des jouteurs, ni du plus
plus ou moins d'égalité dans les armes? t
Répohse. — La libre concurrence est bien le droit pour
chacun d'entrer en lutte avec tous, en fait de production in-
dustrielle et de débit commercial.
Elle ne tient pas compte de la position ou de la qualité des
jouteurs, du plus ou moins d'égalité dans les facultés et les
instruments de travail ; mais le mot armes est ici fort im^
propre.
11
Deuxième question. — « Les concurrents à pied, à cheval,
en voiture, étant admis à courir pêle-mêle vers le même but,
qui est la fortune, la libre concurrence refu8era->t«eUe le prix
de la course à celui qui ne l'aura gagné qu'en écrasant les pié-
tons sous les roues de son char, sous les pieds de son cheval^
ou à l'aide de crocs-en-jambe de mauvais aloi ? » ,
Réponse. — Tous les concurrents sont admis à pourstdvre
le môme but.
La libre concurrence n'exclut pas la garantie delà sécurité,
et de l'exercice de la justice par l'autorité supérieure. Au con*.
traire, elle ne s'exerce réellement que sous cette garantie.
Or, les gendarmes ont précisément pour mission d'observer
non^culément les crocs-en-jambe de mauvais aloi, mais toute
espèce de crocs-en-jambe, que les magistrats ont aussi mis-
sion de punir.
IJ en est de même pour l'écrasement des piétons quand, il
/i j^ fl/?fls de Ja faute de ces dermm.
LIBERTE Dl, TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 183
III
Troisième question. — « N*esl-il pas vraisemblable que les
coureurs les mieux montés sont d'autant plus amateurs de la
course pêle-mêle, qu'ils ont plus de chance d'arriver les pre-
miers? »
Réponse. — C'est très-vraisemblable.
IV
Quatrième question. — « La libre concurrence est-elle autre
chose en réalité que la loi du plus fort, s'il s'agit de ba-
taille ; le droit du plus riche, s'il s'agit d'entreprise indus-
trielle ; le droit du mieux monté, s'il s'agit de course au clo-
cher? fi
Répo.NSE.— Laissons la bataille de côté. Se battre et pro-
duire sont deux choses différentes, opposées et incompa-
rables.
S'il s'agit de course au clocher, le mieux monté n'a pas
plus de droit pour arriver le premier que le plus mal monté;
mais il a plus de pouvoir pour arriver. Toutefois, le mal monté
peut arriver avant lui, s'il sait mieux monter et mieux conduire
son cheval. — Que si son habileté ne compense pas l'infério-
rité de la monture, nous ne voyons pas de quel droit il pré-
tendrait arriver avant le mieux monté.
De mêmC) s'il s'agit d'entreprise industrielle, il ne suffit
pas d'être plus riche; quelquefois même il est nuisible qu'on
soit trop riche. Si l'entreprise x a besoin d'un capital j/,'ce qui
dépasse y est une charge inutile. Mais le capital n'est pas le
seul instrument de production ; il faut encore à l'entrepreneur
les facilités nécessaires; or^ la libre concurrence permet le jeu
de ces facultés ; elle aide l'entrepreneur pauvre à se procurer
par emprunt, commandite ou association, le capital dont il a
besoin ; elle l'aide à le bien employer, et ce$ de telle sorte,
qu'un travailleur sans fortune, mais intelligent, peut arriver à
produire mieux et à meilleur marché que le \.t«m>\ev\t ^vkv-
chi par béiit^ge ou autrement.
184 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
Cinquième question. — « La libre concurrence n'a-t-elle
pas été la première charte de rhumanité, qui jouissait du
droit de passer partout et de saccager tout sur son pas-
sage ? »
Réponse. — La libre concurrence, plus ou moins entravée
par les obstacles matériels, les préjugés ou les institutions,
est aussi ancienne que la société ; elle durera autant qu'elle.
Elle tend à devenir de plus en plus normale et à fonctionner
comme un principe d'activité sociale, d*ordre et d*orgamsa-
lion, comme régulateur juste et équitable (le seul môme pos-
sible) du prix des produits et des services.
Mais elle n*a aucun rapport avec le droit de passer partout
et de tout saccager. C'est ici la racine de votre sophisme. Con-
courir ne veut pas dire marcher sur son voisin, ou dans ses
souliers, sur son dos, son cheval ou sa terre.
VI
Sixième question. — a L'établissement des fossés et des
clôtures n'a-t-il pas été une infraction notable au droit du
libre parcours, et cette infraction, en se généralisant, ne fut
elle pas la cause première des progrès de la civilisation? b
RépoiNse. — C'est ici, je le répète, que vous êtes dupe
de votre sophisme ; vous voilà argumentant sur la libre
concurrence comme si c'était la même chose que^e libre par-
cours.
L'établissement des clôtures a clé une infraction au droit de
libre parcours et non à la libre concurrence. L'établissemeflt
des clôtures, c'est le principe de propriété formulé, traduit
en fait, principe inapplicable avec le libre parcours et 8am)t^
libre concurrence.
C'est bien la garantie de la propriété qui a été la cause pré-
fère des progrès de la cmVvsoiVvou.
IIBERTÉ DU TBAVAIL, COBPOBATtOKS, OFFICES, ETC, i85
VII
Septième question, — « L'industrie actuelle, livrée au laissez-
^aire, ne présenterait-elle pas les mêmes résultats après le
clôlurage successif des parcelles infinies qu'on peut tailler
dans ce domaine incommensurable ? »
Réponse. — Le a laissez-faire et le laissez-passer*, » c'est-
à-dire la libre concurrence, c'est-à-dire la liberté de produire
et d'échanger, ne s'opposent pas à ce clôturage ou appropria-
tion.
Reste à déterminer quelles sont les parcelles clôturables et
les points de bornage entre ces parcelles.
Mais à propos de laissez-faire et de laissez-passer, je con-
state avec peine que vous avez oublié un progrès notable que
vops aviez fait il y a huil ans. À cette époque, vous nous ac-
cordiez le laissez-passer et vous contestiez seulement le laissez-
faire. Vous nous disiez dans une lettre * : « Examinez un mo-
ment la loi économique que j'oppose à la vôtre ; ,
(( Ne laissez pas faire tout à tous,
< Mais laissez passer tout et tous! »
parce qu'il est certain que l'industrie ne peut produire tout ce
qu'elle est susceptible de produire que par le monaut&pole^
comme il est sûr que le commerce ne peut donner tout ce
qu'il est susceptible de donner que par la libe^^té. »
VllI
Huitième question, — « Ne serait-il pas plus avantageux
et plus Juste d'attribuer la propriété de ces parcelles à ceux
qui les auraient défrichées, clôturées et cultivées les premiers,
que de les laisser en friche ou de les abandonner au libre
pacage? »
Réponse. — Même question, même réponse.
* Formule des physiocraies, ou économistes français du xvni« siècle, sy-
nonyme de Liberté du travail, Liberté du commerce.
* Journal àe$ économistes, tome XIV, p. 39G, juillet 1846.
Ht 30fB ET rems imuiis.
IX
yentitme question. — « La guerre eDgagèe entre les pre-
loîers défrichears da s«>l et les andens foorrageors est-elle
une chose si utile à la production* qn'il'faille là tolérer éter-
nellement? »
R£pp5SE. — Non. — Hais dans quel pays ciTÎlisé tolère-t-on
cette guerre?
Dixième question. — < N*esl-il pas Trai que, quand les
hommes se sont multipliés au point que le plus grand nombre
des chasseurs et des pasteurs netrouTaient plus à vivre de lenr
métier, la clôture des terres appropriées a permis d'employer
et de nourrir les chasseurs et les pasteurs inoccupés? i
Répohse. — Oui. — En quoi cela fortfie-t-il votre argumen-
Cation?
XI
Onzième question. — t N*est-il pas plus que probable que le
même phénomène se passerait à la suite de l'appropriation des
inventions, et que ces néo-propriétaires donneraient du travail
et du pain à la population surabondante, qui ne trouve plus k
vivre de la déprédation ?
RépoiisE. — Cette question suppose la solution de la sep-
tième, dans le sens par vous indiqué. — Cela étant, il se pas-
serait assurément un phénomène analogue à celui énoncé
dans la question. — A quel degré? C'est ce qui serait difficile
à déterminer.
Hais vous vous feriez une singulière illusion si vous^pensiei
que, par suite de cette création de néo-propriétaires, il n'y
aurait plus lieu à se préoccuper de Timprévoyance du père
(le famille et du trop grand nombre d'hommes qui peut ai
résulter.
Xlï
Douzième question, — « N'est-ce pas vrai qu'aucune théorie
LIBERTÉ DD TRAVAIL, CORPORATIOKS, OFFICES, ETC. 187
sociale, aucune rêverie communiste, aucun plan de charité,
aucune doctrine d'économie spéculative, ne présente une so-
lution aussi nette , aussi simple du grand problème de la
misère, que le monautopole ? »
Réponse. — Même observation que ci-dessus.
Par doctrine d'économie spéculative^ j'entends bien que
vous comprenez la liberté des échanges, entre autres théories
des « économistes de la vieille école. » — C'est vous qui êtes
de la vieille école, sans vous en douter, — j'entends de l'école
de l'entrave et du monopole.
XllI
Treizième question. — « Croyez-vous que la connaissance
du secret de la production, de la répartition et de la consom-
mation de la richesse ; que les tableaux les mieux émaillés de
chiffres statistiques; que lesélucubrations les plus ingénieuses
sur révolution des salaires, les fonctions du crédit et le taux
de la rente, puissent accroître les subsistances en proportion
des naissances, aussi sûrement que rétablissement d'une pro«
priété intellectuelle latérale à la propriété matérielle ? »
Réponse. — Autre variante de la même question, avec un
coup de pied déplus à la statistique en général.
Quelle que soit la garantie de la propriété intellectuelle, il
est sûr que la connaissance des lois naturelles, et, par con-
séquent, équitables, qui président à la production, à la répar-
tition, à la consommation de la richesse, que la connaissance
exacte des faits, que des notions exactes sur le crédit, les
salaires, la rente, sont indispensables pour que l'harmonie
sociale s'établisse, pour que les populations puissent mainte-
nir les subsistances en proportion des naissances, et aussi
pour que la théorie du monahtopole^ soit bien présentée et
bien éclaircie.
XIV
QuaiorxAème question. — « N'est-ce pas un fait providen-
* MùnautopoUi propriété exclusive des œuvres de s^^^toçt^^^^'^^'^»
^88 . KOTES ET PETITS TRAITÉS.
liel que cette idée de doubler tout d'un coup le champ du
travaH et les ressources des sociétés trop encombrées, au mo-
ment même où tout le monde est aux abois et tellement à
court d'expédients, quune foule de gens, très-paciflques
d'ailleurs, en viennent à regarder la guerre comme un bien
nécessaire ? »
RÉPONsn. — Cette promesse du double produit est à Télat
d'assertion, sans démonstration.
11 serait facile et superflu de démontrer que cette « foule de
gens » n'ont pas le sens commun.
XV
Quinzième question, — « Ne pensez-vous pas que si les
quatre mille inventeurs, brevetés chaque année, possédaient
un titre réel de propriété, ils ne trouvassent plus aisément
qu'aujourd'hui les fonds nécessaires pour essayer leurs inven-
tions? Quand, pour perfectionner la veilleuse, j'ai distribué
25,000 francs aux ouvriers des mansardes de Paris et de
Bruxelles : nesuis-je pas en droit de dire qu'il en coûterait au
moins autant à tous les brevetés pour s'assurer seulement si
leur découverte est viable ou non?CeIa ne ferait-il pas i 00 mil-
lions de salaires qui n'auraient certainement pas été distribués
sans les brevets, qui contrarient si fort le système du laissei-
f aire tout à tous? »
Réponse. — Premièrement, où prenez -vous les quatre
mille?
Deuxièmement : nous avouons qu'avec un brevet on trouve
plus facilement des fonds que sans brevet ; mais cela prouve-
t-il la légitimité du brevet? — En ce qui touche la veilleuse;
si elle est bonne, la dépense des 25,000 fr. a été utile à la
société ; sinon, la société a perdu 25,000 fr. — Quatrième-
ment, si vous n'aviez pas consacré ces 25,000 fr. à la veil-
leuse, vous les auriez consacrés à une autre production, à
solder d'autres salaires.
LlbERTÉ DU TRAVAir, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 189
XVI
Seizième question. — « Ces iOO millions ne se multiplie-
raient-ils pas sur une échelle incommensurable, quand on
passerait à l'exploitation? Ne croyez- vous pas qu'il y aurait
chaque jour moins d'ouvriers sans travail et que les salaires
hausseraient au fur et à mesure de la diminution du nombre
de bras en concurrence? la Chambre de commerce de Cler-
mont Ta déclaré au ministre de Tagriculture en ces termes :
« La seule exploitation des industries brevetées permet d'éle-
ver les taux des salaires, et par conséquent de faire les rete-
nues que vous proposez ; c'est le contraire pour les industries
banales, livrées à la libre concurrence. »
Réponse. — Ces 100 millions provenant de 4,000 brevetés,
dépensant 25,000 fr. chacun, sont une pure supposition ;
l'échelle incommensurable, pareillement.
Nous ne voulons cependant pas nier, nous le répétons,
qu'une meilleure détermination de la propriété des inventions
ne suscite de nouvelles branches de travail, et ne tende à
«augmenter les salaires dans une proportion x; à la condition,
toutefois, que les classes ouvrières n'oublieront pas de s'as-
treindre aux lois de la prévoyance.
La phrase tirée des délibérations de la Chambre de com-
merce de Clermont n'est pas très-intelligible. Qu'est-ce qu'une
industrie banale.,, livrée à la libre concurrence?
XVII
Dix-septième question. — « Est-il vrai que le pays qui fa-
brique le plus et le mieux se crée le plus de moyens d'échange
avec le reste du monde, à partir des nations moins avancées,
qui produisent peu, jusqu'aux tribus barbaresques, qui pro-
duisent du grain, et aux peuples pasteurs et chasseurs, qui
produisent de la viande, de la laine, du bois? etc., etc. »
Réponse. — Je ne comprends pas bien. — Voulez-vous
dire que le pays qui fabrique le plus et le mieux échange
davantage avec tous les autres, qu'ils soient indusirieux ou
190 NOTES ET PETITS TRAITIs.
non? Nous sommes en parfait accord, sans bien saisir la
portée de votre question. — Voulez- vous dire, au contraire,
que le pays qui fabrique le mieux trouve d'autant plus à échan-
ger avec les autres, que ceux-ci sont plus arriérés? Dans ce
cas, nous nierons purement et simplement. Voyez ce qui se
passe dans le monde entier : plus le peuple avec lequel on
entre en échange est riche et prospère, et plus les échanges
internationaux sont multipliés et importants. Ouvrez lesta*
bleaux des douanes.
xvin
Dix-huitième question. — « Comprenez-vous que l'état de
pléthore, que la gêne actuelle des trayailleurs enfin, n'exis-
terait probablement pas, si Ton eût songé plus tôt à la créa-
tion de la propriété industrielle, littéraire, artistique et com-
merciale? Si enfin ceux qui disposent de nos destinées eussent
songé plus tôt à Témancipation intellectuelle dont nous pour-
suivons la réalisation?»
Réponse. — Vous dites probablement ; ce n'est donc pas
une affirmation complète.
Quant à nous, sans nier, nous le répétons , les avantages
qui fussent résultés d'une garantie plus efficace de la pro-
priété industrielle mieux déterminée, nous croyons que la
pléthore et la gène des travailleurs ont bien d'autres causes
qu'il n*est pas inutile de rechercher.
XIX
Dix-neuvième question, — « Doutez-vous encore que le
monautopole^ dopt le nom vous effraye, ne donne la meilleure
solution, cherchée vainement jusqu'ici, de ces formidables
problèmes, comme vous les appelez, de la misère croissante,
de la charité chrétienne ou légale impuissante, de l'organisa-
tion du travail rationnelle et de la nioraHsation du commerce
si désirable? »
Réponse. — Nous doutons que ce soit l'unique solution,
en admettant même que vous soyez parvenu à exprimer la
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. {9V
vérité à cet égard. — Monautopole a trop de parenté avec
monopole.
XX
Vingtième question. — « Croyez-vous que les dérangements
qui pourraient résulter pour les Nemrods du communisme
industriel , pour les contrefacteurs et les fauteurs du com-
merce anonyme, puissent entrer en ligne de compte avec les
avantages du travail organisé et du trafic avoués, et qu'on
doive hésiter plus longtemps à verser sur la société malade
tous les baumes contenus dans la maxime absolue : Chacun
doit être propriétaire et responsable de ses cmvres ?
Réponse. — Nous ne défendons pas le droit des Nemrods,
si Nemrods il y a : nous attribuons des vertus curatives à la
maxime-baume; mais il s'agit de bien constater la nature des
œuvres et les droits de Tindividu et de la société à ces
œuvres.
C'est toujours la question de fond à examiner, c'est-à-dire
la détermination de ce qui est ou n'est pas appropriable, au
point de vue du juste et de l'utile combinés.
Ailleurs*, M. Jobard admet deux concurrences : la bonne
concurrence et la concurrence anarchique. Il est partisan de
la bonne et ne veut combattre que l'autre.
Cette distinction, souvent faite, repose sur un sophisme. Il
n y a qu'une concurrence, qu'une liberté de travailler, qui a
son côté agréable ou désagréable selon qu'on la considère en
consommateur* ou en producteur; mais on ne peut scinder
ces deux aspects. Il n'y a pas de concurrence anarchique ; la
concurrence est au contraire un principe organique et d'ordre
social*. Il ne peut être ici question de' concurrence déloyale
par faux poids, falsification ou fausses manœuvres; ce sont là
des délits punissables par le code pénal.
* Dans sa lettre d'envoi d|s vingt questions, Journal des économistes,
2« séiie, tome V, p. i05.
* V. sur ce point l'excellent article concurrence, de Ch Coquelin, dans
le Dictionnaire d'économie politique. -^
192 K0TE8 ET PETITS TRAITÉS.
ObséiDation finale. — C'est pour arriver à la défense de
son idée de propriété perpétuelle des inventions que H. Jo-
bard s'était laissé aller, par inconséquence, à attaquer le libre
commerce, à ridiculiser le laissez faire et laissez passer des
physiocrates, par la formule « Laissez faire la montre ; laissez
passer le filou i» ; à attaquer les économistes avec des quo-
libets à la manière des socialistes. Cette inconséquence, ces
excentricités n'ont point servi à la, considération de sa
tliéorie.
On n'a pas contesté, au point de vue économique, qu'il fût
équitable et d'ordre social que le législateur garantisse à cha-
cun la propriété exclusive des œuvres de sa propre création,
c'est-à-dire le monautopole en général (la propriété!). On a
recherché l'authenticité de cette création, et on a contesté à
M. Jobard son monautopole^ c'est-à-dire son mode de déter-
mination des œuvres intellectuelles ou industrielles, et ses
procédés réglementaires pour arriver à faire garantir ce genre
de propriété.
Ce qu'on lui a encore contesté, et ce que nous avons spécia-
lement repoussé nous-môme à diverses reprises depuis que
M. Jobard agite sa question (nous aimons à le répéter, avec
une rare persistance, beaucoup de verve, et à l'aide d'une
connaissance remarquable du travail industriel), ce sont ses
attaques illogiques contre le principe de libre concurrence
qu'il avoue loyalement aujourd'hui avoir combattu « sans bien
savoir ce qu'il faisait * ; » ce sont ses attaques contre l'économie
politique et contre les défenseurs de la liberté- du travail; ce
* Voici SCS propres paroles : « Je viens huniblemenl confesser aujour-
d'hui une faute qui m'a fait déclarer schismatique par les Pères de Téglise
économique ; j'ai attaqué la libre concurrence depuis vingt-cinq ans, un
peu à la légère, j'en conviens. J'obéissais plutôt à un vague intérêt qu'à
un raisonnement motivé; je ne savais pas ce que je faisais. Mais aujour-
d'hui, je le sais; mes idées se sont éclaircies par l'examen.des iaits indus-
triels qui se déroulent sous mes yeux ; je puis formuler enfin mes griefs,
poser mes accusations et démontrer mathématiquement qu'il y a deux libres
concurrences, comme il y a deux principes,*le bon et le mauvais, deux
voies, celles du bien et du mal. Je n'attaque que la concurrence anar-
chique ...» (Lettre précédant les vingt questions.)
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 193
sont les confusions qu'il a introduites dans la discussion^ en
torturant les formules économiques, et en voulant défendre sa
théorie ultra-propriétaire avec des arguties communistes. .
Ceux qui seraient curieux de suivre notre polémique avec
M. Jobard la trouveront dans io Journal des Économistes^
tomes XIV, p. 80, 346, 596; XXIII, p. 209; première série;
V. numéros de janvier 1855, p. 100; février, p. 247 ; YI,
numéro d'avril 1855, p. 158. Mais nous nous empressons de
dire que la partie la plus substantielle de cette polémique se
trouve dans les vingt questions et réponses ci-dessus.
II. — SUIl LA RÉGLEMENTATION MODERNE,
LES CORPORATIONS ET LES OFFICES MINISTÉRIELS, ET
LES RÉFORMES RÉCENTES EN FRANCE'.
(V. dans le Traité d^ économie politique les cliap. sur la liberté du travail, sur les
entraves à cette liberté et le système réglementaire, !«ur l'intérêt, etc., et la noro
finale sur la réglementation sous l'ancien régime.)
Dunoyer *, répondant en 1845 aux écoles socialistea qui ac-
cusaient la liberté du travail d'amener l'élévation progressive
des classes opulentes et la décadence accélérée des classes
laborieuses, avait donc raison de dire : « Je prie de considé-
rer à quel point il doit sembler étrange de voir attribuer le
malheur des classes laborieuses à l'exagération de la con-
currence, dans l'état d'imperfection notoire où se trouvent
encore la liberté du travail et celle des transactions. On parle
de concurrence illimitée, universelle! Où en existe-t-il de pa-
reille, en bonne foi? De fait, il n'y a pour rien de concurrence
véritablement universelle. Est-il besoin de le prouver? Oublie-
t-on qu'il n'est pas de pays civilisé où la masse entière des
producteurs ne se défende par des doubles et triples lignes de
douane contre la concurrence des producteurs étrangers? Ne
* Note comprise d.nns la 1'* édiiion, augmentée.
*De la liberté du travail, 1845, 5 vol. in-S». Les économistes n'ont pas
nttendula réaction qui a suivi les événements de 1848, pour comliattre
les erreurs des écoles excentriques adversaires de la liberté.
194 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
sait-on pas à quel point, même dans Fintérieur de chaque
pays, la concurrence est encore loin d*être entière, et par
combien de causes elle est plus ou moins limitée partout? Chez
nous, par exemple, où elle est plus développée qu'en d'autres
lieux, elle rencontre encore une multitude d'obstacles : il est,
on le sait, en dehors des services véritablement publics, un
certain nombre de professions dont la puissance publique a
cru devoir se réserver plus ou moins exclusivement Texercice;
il en est un nombre plus considérable dont la législation a
attribué le monopole à un nombre restreint d'individus; celles
qui ont été abandonnées à la concurrence sont assujetties à
des formalités, à des restrictions, à des gênes sans nombre
qui en défendent l'approche 4 beaucoup de monde, et, par
conséquent, dans celle-ci même la concurrence est loin d'être
illimitée; enfin, il n'en est guère qui ne soient soumises à des
taxes variées nécessaires sans doute , mais assez onéreuses
pour que bien des gens fussent hors d'état de les payer, et par-
tant, pour que les professions qui y sont assujetties leur
soient interdites : d'où il suit que la concurrence, déjà bornée
par tant de causes, l'est encore à un haut degré par les im-
pôts. Je n'énonce ici aucun de ces faits à titre de blâme ; mais
en présence d'un tel état de choses, n'est-il pas singulier d'en-
tendre parler de concurrence illimitée ! universelle ! et de voir
attribuer à l'excès de liberté et de concurrence les maux
plus ou moins réels que souffrent les classes inférieures de la
société? »
Parmi les personnes étrangères aux études économiques
(Dieu sait si le nombre est en grand), beaucoup se figurent que
la liberté du travail existe dans toutes les branches de l'acti-
vité humaine. Pour se convaincre de leur erreur, elles n'ont
qu'à se rendre compte des conditions auxquelles la plupart
des professions sont soumises.
En France, par exemple, elles verront d'abord qu'un grand
nombre de professions libérales ne peuvent être abordées sans
des grades de bachelier, licencié, docteur, etc., qui ne sont
autres que cet apprentissage forcé dont parlait Colbert dans
LIBERTÉ DU TRAVAfli, COBFORàTION^, OFFICES^ ETC. i95
ses conseils à Louis XIV, apprentissage fort long, fort coûteux,
et pendant lequel, une commission officielle le constatait ré-
cemment *, on n'apprend pas, ou on apprend mal ce qu'on
devrait apprendre ou bien on l'apprend moins économique*
ment qu'avec le régime de la liberté.
Plusieurs professions libérales sont en outre positivement
organisées en corporations ou offices avec limitation du nom-
bre et des conditions d'admission : ce sont celles de notaire,
d'avoué, d'agréé près les tribunaux de commerce, d'huissier,
d'agent de change, de courtier en banque, de courtier
en marchandises, de commissaire -priseur, etc. Plusieurs
sont un peu moins entravées, et ne sont pas astreintes
à la limitation, du nombre, mais le sont à des conditions
d'admission : ce sont celles d'avocat, de médecin, de
pharmacien , d'herboriste, de vétérinaire, d'instituteur, etc.
D'autres sont converties en fonctions publiques : celles de
professeur, de prêtre, d'ingénieur, etc. D'autres sont sub-
ventionnées ; diverses entreprises de transport , des col-
lèges, etc.
Dans les professions industrielles, nous trouvons encore
l'imprimerie, la librairie, les journaux, les bureaux déplace-
ment, les entreprises théâtrales, les voitures publiques, etc.,
soumises au régime des brevets concédés par l'autorité pu-
blique '.
Mais ces entraves directes lîe sont peut-être pas celles qui
agissent le plus contre le principe de liberté. Il y en a d'indi-
rectes qui exercent leur influence sur toutes les branches du
travail; telles sont celles que rencontre le prêt des capitaux,
qui sont le levier de l'industrie et du commerce, dans les lois
* Rapport de M. Dumas, membre de l'Institut, au nom d'une commission
mixte chargée de préparer renseignement scientiiique des Ivcées [Moniteur
du31 juillet 1852).
* Dans notre précédente édition, nous citions encore la boulangerie et
h boucherie organisées en* corporations dans beaucoup de villes; les
entreprises théâtrales soumises au régime des concessions et de bon plai-
sir administratif. La liberté a été donnée depuis à ces industries, V. plj
loin, p. 199.
>^
i96 50TES ET PETITS TBAITÉS.
sur Tusure fixant an uiaiiinum pour le taui de rintérèt, dans
les lois s'opposant à la libre formation des institutions de
crédit. — Telles sont les entraves que présente le Code de
commerce et la législation tout entière à la formation des asso-
ciations industrielles et commerciales, des banques, des assu-
rances, des entreprises de transport, parquées dans trois types
qui ne satisfont plus au besoin du développement industriel.
Tels sont les droits de douane qui empêchent l'approvisionne-
ment d'une grande quantité d'industries et l'écoulement des
produits d'une grande quantité d'autres*.* — Tels sont les
octrois, dont l'action, à beaucoup d'égards, est analogue. —
Tels sont les régimes auxquels sont soumises et la marine mar-
chande et les colonies. — Telles sont les entraves de toute
nature apportées par des lois spéciales siu* l'exploitation des
mines, sur la durée du travail, sur les coalitions, sûr le tra-
vail des prisons et autres, soit par des usages locaux, soit par
des mesures de police, soit par des milliers de décrets et
ordonnances dits lois ou règlements d'administration publique^
dont la nomenclature occuperait plusieurs de nos pages,
mesures qui sont loin d'avoir été toutes inspirées par de saines
notions d'administration, de prévoyance et de justice.
Kt nous n'avons pas encore tout énuméré. Plusieurs indus-
tries sont gênées parce que l'autorité a cru devoir se rëser*
ver l'administration et l'exploitation de certains établissements
constitués en ateliers nationaux : tels sont ceux d'eaux ther-
males, de haras de vaches, de moutons ', l'établissement
d'indret pour les objets nécessaires à la marine, des fabriques
d'armes, la manufacture de porcelaines de Sèvres, celle de
teintures et de tapis des Gobelins, l'Imprimerie nationale, les
Moiits-de-Piété, et d'autres encore; tels sont les tabacs, le
* Dans l'édition précédente, nous citions encore les prohibitimu, au
nombre de 52, supprimées par le traité de commerce de 1860, entre la
France et l'Angleterre, et ceux qui ont suivi et suivront avec la Belgique,
ritalie, la Suède, etc. Y. plus loin une note sur les traités de Commerce.
' Dans notre précédente édition, nous citions les haras de chevaux que
y'/7^ynii]istration de la maison de l'Empereur est en train de supprimer.
LIBERTÉ LU TRAVAIL, CORPORATI'JKS, OFFICES, ETC. 197
salpêtre, la poudre, dont la production est constituée en mo-
nopole pour la perception de l'impôt. A ceux qui s'étonne-
raient de nous voir mettre ces entreprises gouvernementales,
ces régies au nombre des entraves à l'industrie , il serait
facile de montrer comment un établissement de l'état ou
simplement subventionné, l'Imprimerie nationale, par exem-
ple, produit onéreusement pour le trésor public, décourage
l'industrie privée en accaparant certains travaux, et en avilis-
sant le prix de beaucoup de produits obtenus.
Si on faisait pour tous les pays le relevé que nous venons
d'établir pour la France, on trouverait des entraves analogues
dans chacun d'eux ; beaucoup moins cependant en Angleterre,
et. surtout aux États-Unis, et très-probablement davantage
dans plusieurs autres pays, proporlionellement à leur degré
de civilisation, car les progrés accomplis sont une assez bonne
mesure delà liberté. Il y a encore beaucoup de vestiges du vieux
système des corporations en Allemagne * et dans les pays du
Nord, bien qu'à vrai dire ils disparaissent tous les jours. Ce
n'est qu'en 1846 que le gouvernement suédois a pu supprimer
les maîtrises, les jurandes et les corporations : l'ordre de la
bourgeoisie s'étant enfin joint aux trois autres et ayant cessé
d'invoquer ses privilèges avec la même ténacité. Jusque-là il
y avait un apprentissage forcé de sept ans pour certaines pro-
fessions, de onze années pour d'autres. Ce n'est qu'à partir du
1®'' juillet de cette même année que le travail domestique est
complètement émancipé, et que chacun peut, dans son domi-
cile, se livrer à une fabrication quelconque, que chaque débi-
tant patenté pourra vendre tous les produits. Mais, pour étabhr
un atelier, il faudra encore se munir d'une attestation de ca-
pacité délivrée par les prud'hommes ; Tesprit de réglemen-
tation et de privilège n'a pas voulu céder tout à la fois, il s'est
cramponné au diplôme. Ce n'est qu'en 1857 qu'a été votée
* Dans quelques-uns de ces pays, à Hambourg par exemple, les corpo-
rations ont pa^é à l'état d'offices, qui ne se maintiennent que parce c^uo
l'Éiat recule devant l'indemnité à payer. j^
198 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
en Danemark (et sanctionnée en 1858) la loi du libre exercice
des professions, deux tiers de sièclcaprés les édits de Turgot.
En Russie^ la population libre est classée en giides, division
moitié financière par la perception de l'impôt, moitié féodale
et corporative.
Dans TAmérique du Nord, qui peut être prise comme le
type opposé, le citoyen industrieux jouit, dans l'emploi de ses
facultés et dans la poursuite de la richesse, d'une liberté rela-
tivement très-considérable. Et par exemple, il n'y a pas aux
États-Unis ces charges vénales qui portent en France le nom
d'offices ministériels. Chacun est libre de se faire commissairc-
priseur, agent de change, huissier, notaire, autant du moins
que ces professions ont des analogues en Amérique, où le
mécanisme judiciaire et administratif est différent. Nous lisons
dans un écrit de M. Michel Chevalier qu'aujourd'hui dans
l'État de New-York il suffit, pour avoir le droit de plaider,
de subir un examen des plus faciles, et que dans le Hassacbu-
sets, la condition d'un examen n'est même plus nécessaire
pour la revendication des honoraires.
Revenons à la France :
L'esprit de réglementation et les préjugés populaires ont
ramené, dans diverses villes, la reconstitution, après la Révo-
lution, des professions de boulanger et de boucher en corpo-
rations fermées, la taxation du pain et de la viande et l'inter-
vention administrative dans ces deux industries. Il en est
résulté les effets naturels du monopole du maximum et des
inspections de police : les boulangers et les bouchers ont été
soumis à des prescriptions et à une surveillance qui a aitravé
et paralysé leur, initiative commerciale; les consommateurs
ont été moins bien servis et ont payé plus cher; les approvi-
sionnements ont été moins bien assurés et le public s'est for-
tifié dans les préjugés, influencé qu'il était par les pratiques
de l'administration qui, elle-même, se trouvait influencée et
maîtrisée par ces mêmes préjugés qu'elle était obligée de
Védilion précédente, nous parlions au présent.
LIBERTÉ DU TRAVAIL, COBPORATIORS, OFFICES, ETC. 199
Un de ces préjugés consiste pour le public à croire que le
gouvernement peut influer sur la hausse ou la baisse des vivres,
et à le rendre responsable de la disette et de la cherté.
Les gouvernements ont alimenté ce préjugé, en attribuant
ou en laissant attribuer l'abondance à leur habileté, en ne
faisant point enseigner les notions élémentaires d'économie
sociale ; en laissant taxer le pain par l'administration ; en le
faisant taxer, en temps de disette, au-dessous de son prix
naturel.
Il y aurait, disions-nous dans la présente édition , tout à
gagner pour les producteurs et les consommateurs , si l'on
remettait ces deux professions sous le régime libre.
Instruit par T expérience, qui a sanctionné les prévisions des
économistes, le.gouvernement français a remis ces deux pro*
fessions sous le régime de la liberté.
Le privilège de la corporation des bouchers profitant sur-
tout aux gros bouchers, dits chevillards^j assez vivement atta-
quée par les éleveurs de bestiaux parlant au nom de l'agricul-
ture ', avait été diminué avant la révolution de 1848 par les
facilités accordées à l'importation des viandes sur les marchés
des villes, ainsi que par la vente à la criée sur ces marchés, et la
Législative avait été saisie d'un projet de loi pour sa suppres-
sion. Mais, sous la pression de l'opinion publique, le monopole
avait été renforcé, quelques années après, par la réglemen-
tation des prix, quiaété pratiquée de 1855 à novembre 1858^
époque où la liberté de la boucherie a été proclamée par un dé-
cretimpérial. La taxe avait nécessité une classification artificielle
des viandes en catégories par parties de l'animal; d'où il ré-
sultait que les bouchers n'avaient plus intérêt à acheter de
belles bétes, que les producteurs n'avaient plus intérêt à les
élever; qu'il fallait abattre un plus grand nombre d'animaux
* Achetant en gros sur les marchés pour revendre aux bouchers, et
marquant anciennement sur une cheville en bois.
* Voir dans le Dict. cPécon. polit, l'arlicle boucherie, par M. Biaise, des
Vosges.
200 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
et que les existences allaient diminuant et amenant forcément
une cherté progressive pour des qualités de viande inférieure.
Le monopole de la boulangerie qui a été supprimé de la
même manier^ en 1863 S avait toujours existé concurremment
avec la taxe sympathique aux masses et en vue de la sécurité
publique.
Il y a cela de remarquable que la taxe , qui a recommencé
le système de la réglementation, a été autorisée en France par
la loi des 19-22 juillet 1791 , un mois après celle qui procla-
mait la liberté la plus entière des transactions. L'arlicle 30 de
cette loi dit : « La taxe des subsistances ne .pourra provisoire-
ment avoir lieu dans aucune ville ou commune que sur le
pain et la viande de boucherie , sans qu'il soit permis en
aucun cas de retendre sur le vin, le blé, les autres grains,
ni autres espèces de denrées, et ce, sous peine de destitution
des officiers municipaux. » La taxe p/ov/wr^ du pain a duré
jusqu'au milieu de 1863*!
Le monopole et la taxe avaient entraîné une série d'entraves
et une surveillance gênante pour l'autorité chargée de consta-
ter les approvisionnements exigés en farines, l'emploi de ces
farines et les rendements du sac de farine en pain, les qualités
du pain, etc.; d'autre part, la taxe était souvent calculée d'après
des moyennes des mercuriales des marchés étabhs sur des
données inexactes par suite de divers subterfuges des mar-
chands et des facteurs aux halles. Enfin, les boulangers se
trouvaient conduils à mal cuire les pains taxés, ou à y in-
troduire le plus d'eau possible 42 0/0', et à vendre les pains
non taxés avec des déficits considérables sur les poids.
Somme toute, l'industrie a été abandonnée par Tintelligencc
et le capital, et est restée dans une routine préjudiciable aa
consommateur.
La liberté de la boulangerie, pour être réelle, nécessite la
* V. Notre article BOULANGERIE, dans le Dici, d'écon. polit.
2 Après une enquôLe faite en France et à l'étranger sous la direction de
Leplay, conseiller d'Etat.
' r le Blé et le Pain, in-18, par M. Barrai. 1863.
LIBERTE DO TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 20i
révision des règlements des marchés, la suppression de plu-
sieurs entraves administratives qui existent encore, et celle
de la caisse de compensation instituée pour compenser les dé-
ficits résultant des soustaxes en temps de disette par laSurtaxe
eu temps d'abondance, et qui n'a plus sa raison d'être après
la suppression de la taxe, en admettant, ce qui est dou-
teux, qu'elle ait utilement fonctionné sous ce régime.
De même, la liberté de la boucherie ne sera complète
qu'avec la liberté des marchés, qui est encore à venir '.
Le régime de la liberté est également désirable dans toutes
les autres professions organisées en corporations, ou soumises
au régime de l'autorisation préalable, dans lesquelles le gou-
vernement intervient, comme en France, en exigeant des ga-
ranties de capacité ou des garanties financières, en fixant le
nombre des producteurs ou s'en réservant la nomination, en
demandant des garanties, en imposant des conditions'.
* V. Sur les effets des deux monopoles et le régime de la réglemenla-
tion, les deux rapports de M. Rouher, ministre du commerce et des travaux
publics, qui a été le principal promoteur de ces deux réformes.
* Offices ministériels, corporations fermées, dans lesquelles le gouver-
nement nomme : — agents de change, courtiers de commerce, avoués,
agréés, notaires, commissaires-priseurs, huissiers.
Entreprises autorisées par brevet et dans un intérêt de police : — im-
primerie,-bureaux de placement, voitures publiques.
Dans l'édftion précédente, nous citions encore dans cette catégorie Tin-
dustrie des théâtres, rendue libre par décret en 1863, et qui était sou-
misp à un régime assez bizarre de privilèges, de restrictions et de bon
plaisir. V. l'enquête du premier conseil d'État sous la république (1849),
de curieux extraits et un piquant travail de M. de Molinaridans le J. des
Écon., tomes XXIV et XXYI, 1"* série, et dans les Questions d'économie po-
litique et de droit public, par le même, 2 vol. in-8».
Professions auxquelles le gouvernement demande des garanties de ca-
pacité sans limiter le nombre : — médecins ou officiers de santé, phar-
maciens, herboristes, vétérinaires, — avocats, — instituteurs.
Entreprises auxquelles on demande des garanties pécuniaires et aux-
quelles on fait une situation exceptionnelle et de privilège : — les exploi-
tations minières, — les sociétés anonymes en général.
Toutes les entreprises auxquelles on accorde des subventions ou des
faveurs sous une forme ou sous une autre.
ilOTES ET PETITS TRAITES.
Le consommatenr des services est meilleor juge que le gou-
vernement, qui ne peut agir naturellement que d'une manière
banale, en ce qui concerne la capacité, la moralité et les autres
garanties qu*il réclame. Il est guidé par json intérêt qui a des
yeux de lynx, et se renseigne soit directement, soit par la
commune renommée. L'expérience prouve que les choix du
gouvernement sont loin d'être toujours heureux. En ce qui
concerne les offices ministériels, le gouvernement a Tair de
nommer lui-même, mais en réalité c'est le titulaire qui choi-
sit son successeur.
Un très-petit nombre de ces professions peuvent donner
lieu à des objections sérieuses : celles de notaire, d'huissier,
de médecin et de pharmacien. — 11 y a dans le notaire Thomme
d'affaires, le donneur de conseils, le rédacteur de contrats,
et le conservateur de minutes : dans tout cela, la liberté du
notariat n'altérerait en rien la confiance des cUents; et il se-
rait tout au plus nécessaire d'obliger tout notaire à porter
une copie de ses actes dans un dépôt public. — L'huiâsier
fait concurrence comme homme d'affaires, comme donneur
de conseilS) au notoire, à l'avoué^ à l'avocat; sous ce rapport,
rien ne s'oppose à ce que la profession soit Ubre; mais
comme exécuteur de la loi^ il exerce une magistrature en
dehors de l'action de la concurrence. — Pour la médecine et
la pharmacie, nous ferons d'abord remarquer qUe la concur'^
rence existe. Chacun a le droit de s'établir médecin et phar-
macien après avoir subi les épreuves voulues. Mais ces épreu^
ves officielles et coûteuses sont-elles bien nécessaires et bien
équitables? sont^elles une bien solide garantie pour le public?
C'est douteux. Les écoles de médecine et de pharmacie brevé-
tent bien souvent des esprits de travers, ou aventureux , ou
tilalhonnêtes, ou même incapables (sans être ignorants, dans le
vrai sens du mot) de devenir médecins. On n'est pas méde-
cin en sortant de recelé, on ne le devient qu'en expérimen-
tant in anima vili ; et s'il en est ainsi, pourquoi n'aurait-on
droit de faire de la médecine, autrement qu'avec le
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 205
bonnet officiel? mais alors à ses risques et périls, et en de-
vant rendre compte de son imprudence devant les tribunaux,
et à payer ses bévues par des indemnités. La liberté (suivie de
la responsabilité) aurait encore moins d'inconvénients pour
le pharmacien, qui, la plupart du temps, laisse son officine
sous la conduite d'un apprenti ou même d*un simple homme
de peine.
Quoi qu'il en soit de la force de ces raisons, les amis de la
liberté du travail auraient obtenu gain de cause s'il n'y avait
plus d'autres professions réglementées que celles de notaire,
d'huissier, de médecin et de pharmacien !
Les monopoles ou charges d'avoués, de notaires, d'huis-
siers, d'agents de change, etc., ont fait naître en France une
délicate question sur la justice et l'opportunité de la suppres-
sion de la vénalité de ces charges, principale cause des scan-
dales qui ont eu Heu à diverses époques, et qui constitue
un impôt mis sur le consommateur. Le gouvernement ne peut
pas augmenter le nombre des charges, ni changer l'état ac-
tuel des choses en transformant en une profession libre ce
qu'il a laissé accaparer comme une propriété, sans nuire aux
titulaires des professions officielles, ou sans dépenser des mil*
lions pour reprendre un droit public. C'est au même point
qu'en est la question de l'abolition de l'esclavage aux États-
Unis ; c'est le point où en sont tous les monopoles, quand on
veut les faire cessera
Nous aurions un volume à faire si nous devions prendre une
â une toutes les professions dans lesquelles la liberté du tra-
vail n*est pas complète et absolue, et montrer comment il
Serait possible et profitable de l'y introduire subitement pour
les unes^ progressivement pour les autres. Constatons seu*
lement que le mouvement de la civilisation mart^he de la
réglementation j du socialisme, de l'esclavage (ce sont, à
* Voyez, sur celle question de la vénalilé des charges, deux chapitres
du l*' TOlumë du Cours de P. Rossi.
204 ROTES ET PETITS TBAITES.
divers égards, trois synonymes), vers la liberté du travail, et
que la liberté est l'étoile polaire sur laquelle les hommes
d'État doivent toujours avoir Tœil ouvert, s'ils sont jaloux
de se montrer nautoniers intelligents et habiles.
La réforme des corporations, des offices et des monopoles
fait naître de la part des détenteurs des privilèges la demande
d'indemnité. La légitimité d'une pareille indemnité est tr^s-
disculable au point de vue du droit ; car , en vertu de ce
même principe, il faudrait donner des indemnités à tous ceux
qui peuvent se trouver momentanément lésés par le progrès
obtenu par voie législative, ou administrative, ou douanière, par
les découvertes mécaniques et autres, par les perfectionne-
ments des voies de communication, par la cessation de tout
abus, etc.; et, d'autre part, ceux qui ont souffert des privilèges
pourraient revendiquer aussi des dommages et intérêts.
Tout acquéreur de monopole doit faire entrer en ligne de
compte qu'il pourra être dépossédé, et acheter en conséquence.
En tout cas, la bonification ne doit être faite que pour une
fraction correspondant au monopole, et on doit en déduire la
valeur de la clientèle commerciale et industrielle, qui n'est
point attaquée par la réforme.
Pratiquement on .n'accorde des dommages et intérêts
qu'en manière de transaction, pour aplanir les obstacles et
apaiser les privilégiés dépossédés, souvent puissants dans
l'État. C'est ainsi que lors de l'émancipation des esclaves aux
colonies, on a donné aut maîtres et pas aux esclaves ; c*esl
ainsi qu'en Russie les serfs émancipés seront obligés de payer
une redevance pour les terres qui leur ont été concédées;
c'est ainsi qu'en France on n'a rien donné aux maîtres de
poste supprimés, lorsque les chemins de fer ont commencé
à être construits sur les grandes lignes ; qu'on n'a même pas
parlé de dédommagement à propos des bouchers et des bou-
langers récemment dépossédés de leur monopole (p-, 199).
Depuis quelques anné*^.s le gouvernement français est entré
la voie des libertés ècoi\oïx\\ç\vîL^?»a^\^^tésument dansb
m
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 205
liberté du travail. Nous venons de rappeler les réformes de la
boucherie, de la boulangerie, des haras, des Ihèâlres. Nous
parlerons plus loin de la réforme des lois de douanes par le
moyen des traités de commerce. C*est une constatation que
nous ne pouvions pas faire lors de la première édition de ce
volume (1858), et que nous espérons faire plus amplement
dans une édition ultérieure, s'il nous est donné d'en faire
une. Nous puisons cet espoir dans la remarquable discussion
qui vient d'avoir lieii au Corps législatif pour l'adresse (jan-
vier 1864)*. Les libertés économiques, excellentes en elles-
mêmes, c'est-à-dire au point de vue des avantages qu'elles
procurent (une production plus féconde de la richesse, une
répartition plus équitable, une consommation plus rationnelle),
forment les citoyens au self govemment; elles habituent les
populations à se passer de la tutelle administrative, à ne pas
considérer l'État comme une providence, et à ne lui demander
que les services qu'il est dans sa nature de rendre; elles sont
enfin une excellente préparation à la pratique des libertés
puWiques.
III. DES EXCEPTIONS RATIONNELLES A LA LIBERTÉ DU TRAVAIL
AUX POINTS DE \UE
ÉCONOMIQME, FINANCIER ET POLITIQUE
(V. le Traité d'Économie polilique, chapitres indiqués dans la noie précédente *; et
Traité de Finances^ 2' éd., sur les attributions et les services de l'État, p. 265.)
La liberté dû travail peut cesser d'exister par suite de la
constitution d'une profession en Corporation fermée, en Mo-
nopole ou en Office public ; — par suite d'entreprises con-
duites par les agents de l'État ou subventionnées par le trésor
public ; — ou bien encore, par suite de prohibitions, de res-
trictions ou de prescriptions plus ou moins minutieuses de
l'autorité publique. ,
* V. dans le J. des Économistes de février 1864, notre article sur les
discussions économiques au Corps législatif à l'occasion de l'adresse.
* K.ol c comprise daiib la 1 "* édi l ion .
206 »OT£S ET PETITS TRAITÉS.
Les motifs de cette suppression de la liberté peuvent être
économiques ou financiers^ ou politiques, ou relatifs à lam-
raie et à la salubrité publique.
Au point de vue économique, il n'y a aucune bonne raison à
donner en faveur des monopoles ou des restrictions. La liberté
du travail et d'échange est le moyen d'obtenir la production
la^plus intelligente, la plus féconde et la plus avantageuse au
producteur comme au consommateur.
Cette proposition découle de l'ensemble des notions écono-
miques fortifiées par l'expérience du passé. La suppression
de cette liberté dans un but d'encouragement et de protectioD
n'a donné que de mauvais résultats.
A ce même point de vue, qu'il s'agisse de production, d'é-
change, d'association, de crédit, ou de consommation, de pro-
duits alimentaires ou de produits industriels, de matières
premières ou de produits fabriqués, l'on peut toujours s'en
rapporter à l'intérêt privé du soin de faire ce qui est oppor-
tun. L'initiative de l'État n'est utile que lorsque l'initiative des
citoyens est insuffisant^ : cas très-exceptionnel, car le profit
que présente une entreprise est un stimulant plus efficace que
l'exemple de l'État. Au surplus, cette initiative de TËtat doit
cesser quand celle des citoyens commence à se manifester,
car il est dans la nature des travaux de l'État de néceisiler
plus de frais de production, et de décourager les entreprises
privées qui craignent de se mettre en concurrence avec lui.
On peut citer dans la catégorie des attributions les plus
rulionnelles de l'État ou de la Commune : la construction et
l'entretien des routes ordinaires, de quelques lignes excep-
tionnelles de chemins de fer, des canaux ou de télégraphes
électriques; — de quelques travaux d'utilité publique pour fa-
ciliter la navigation ou l'irrigation et prévenir les inondations
(améliorations des cours d'eau, défenses contre la mer, plan-
tation des dunes, — jetées, ports, phares, bouées, eic,); —
le pavage, l'éclairage, l'approvisionnement et Técotilement des
eaux ; — le service des postes^ l'enseignement élémentaii«
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 207
dans un pays arriéré, quelques branches d'enseignement supé-
rieur ; — Tentreprise de quelques travaux ou voyages scien-
tifiques OU artistiques; — l'entretien de quelques établisse-
ments de même ordre ; — avec cette observation générale
que quand il s*agit de travaux à faire, FÉtat peut les demander
à l'industrie privée, ce qui«réduit son rôle à une simple sur-
veillance.
Les établissements de bienfaisance ou de détention où
s* exercé une industrie quelconque produisent le môme effet
que les fabriques dirigées par le gouvernement. On comprend
que le producteur ne peut offrir ses marchandises en concur-
rence avec les leurs.
Quant à Fintervention préventive de l'État, elle peut être
nécessaire dans quelques cas également exceptionnels : tels
sont, par exemple, certains défrichements, certains travaux
pourl'exploifation des mines ou des marais, certaines construc-
tions riveraines ou autres pouvant être nuisibles, certains
moyens de pêche pouvant détruire une ressource alimentaire
des populations ^
La légitimité des règlements de c^t ordre n'est pas contes-
table en principe, puisqu'ils ont pour but d'empêcher l'intérêt
des uns de porter préjudice aux droits des autres ; mais
avant de les établir, il y a lieu d'examiner si la liberté com-
plète, mais sujette à indemnités en cas de nuisance, ne suffi-
rait pas.
Une série de monopoles ou de prohibitions ont été con-
stitués dans un intérêt financier. C'est ainsi qu'en France,
par exemple, la cuUure du tabac n'est permise qu'en vertu d'une
autorisation, et que le gouvernement s'est réservé la fabrica-
tion et la vente des produits de cette plante. Ces monopoles
et ces prohibitions, contraires au droit commun et aux prin-
cipes de la science, n'ont de raison d'être que tant que l'État n'a
* Nous ne mettons pas dans cette catégorie les prêts à intérêt et les
prêts sur gage, les opérations financières dans les Bourses, les associa-
lions, les coaUtions, etc., pour lesquels le régime de la liberté ne peut
produire que des avantages.
208 HOTES ET PETITS TRAITÉS.
pas un meilleur mode pour recueillir Timpôt, et que s'il con-
sacre le revenu à des dépenses rationnelles et légitimes.
La même réflexion peut être faite au sujet de tous les im-
pôts qui gênent plus ou moins la liberté de production, de
commerce ou de consommation, et notamment au sujet des
octrois et des douanes, en ne le& considérant qu*au point de
vue fiscal.
La politique ne réclame rationnellement l'existence d'au-
cune corporation, d'aucun office vénal, d'aucun monopole,
d'aucune entreprise conduite par l'État, à moins qu'il ne s'a-
gisse, comme nous l'avons dit, de quelques routes et d'un très-
petit nombre de services publics que l'Etat peut mieux rendre,
— ou bien encore de monopoles financiers.
En prévision de la guerre ou en cas de guerre, il n'y a qu'un
petit nombre de produits (armes, munitions, chevaux), à pro-
pos desquels la prohibition à la sortie peut être plus logique-
ment, nous ne voudrions pas dire plus utilement, invoquée*
En fait cependant, la politique se subordonne plus ou moins
aux croyances et aux préjugés économiques qui ont cours
parmi les populations ; et c'est ainsi que les législateurs et
les administrateurs prennent des mesures anti-économiques,
légitimées dans l'esprit des uns par leur ignorance et moti-
vées dans l'esprit des autres par des raisons tirées des exi-
gences des préjugés populaires et des influences contre les-
quelles ils trouvent prudent de ne pas se heurter.
Les besoins collectifs de sûreté, de propreté^ de salubrité
entraînent la nécessité d'un certain nombre de prohibitions et
de prescriptions relatives aux cours d'eau ou à d'autres cir-
constances locales, à la voie publique, aux bâtiments, aux
fosses d'aisances, aux lieux ouverts au public, aux établisse:
ments dangereux et insalubres, aux poisons ou autres produits
dangereux, à la vérification des poids et mesures, etc.
La légitimilé de ces règlements de police n'est pas contes-
table non plus, s'ils ont po\iT b\il d'empêcher les intérêts des
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 209
uns de porter préjudice aux droits des autres; mais, avant de
les établir, l'autorité doit examiner si la liberté d'action suivie
d'une intelligente répression, en cas de nuisance, ne suffirait
pas. Si elle suffit, elle est préférable; car elle laisse au prin-
cipe de concurrence toute son action, tandis que le système
de prévention entraîne vers l'excès des prescriptions.
L'esprit réglementaire se manifeste à tout propos au sujet
des substances alimentaires.
Mais s'agit-il du poids et de la mesure, on ne peut vouloir
qu'il y ait un agent de l'autorité chez tous les marchands pour
surveiller les transactions : la seule chose désirable, c'est que la
justesse des poids et mesures soit contrôlée de temps en temps
par les moyens les moins gênapts pour les vendeurs.
S'agit-il de la qualité, l'expérience démontre qu'ici encore
le consommateur, agissant directement pour ses intérêts, fait
la police la plus intelligente possible des fraudes et des ruses
du producteur ou du marchand, et qu'il est beaucoup moins
facile à tromper que l'autorité forcée d'agir par des intermé-
diaires qui n'ont pas d'intérêt direct, et chez lesquels les pe-
tits calculs de vanité ou d'intérêt privé peuvent l'emporter sur
l'intérêt public qu'ils ont à défendre.
A tout prendre, le pain, la viande, les boissons, les légumes,
les fruits sont plus faciles à apprécier que la plupart des au-
tres produits ; et si la réglementation était nécessaire pour les
subsistances, elle le serait pour toutes choses. Si l'homme
et la femme ne sont pas capables de choisir eux-mêmes leiir
nourriture, de quoi seront-ils donc capables? On leur laisse
leur libre arbitre pour se marier, pour acheter ou vendre les
services personnels, diriger leurs familles, leurs biens; on en
fait des témoins, des jurés, des électeurs, et on ne voudrait pas
leur laisser leur libre arbitre comme acheteurs de leur con-
sommation quotidienne !
Leur intérêt, nous le répétons, est un contrôleur bien su-
périeur à tous ceux qu'on pourrait leur donner. La libre con-
currence entre les fournisseurs est la meilleure protection que
l'autorité publique puisse leur garantir.
VI.
210 yOTTS ET PETITS TBAIlis.
La réglemenUdon, pour être complète et efficace, nécessi-
terait la création d'an grand nombre de corps d'experts Téri-
ficatenrs, qui ne tarderaient pas à se donner des airsd'inip<v-
tance vaniteuse, qui tracasseraient le producteur sans écÛrer
le consommateur aussi expert qu'eux, qui seraient exposés à
la tentation de la vénalité, et qui, en tout cas, TÎvraient na-
turellement aux dépens du public. On recommencerait Texpé-
rience des contrôleurs aux empilements de bois, des contrô-
leurs essayeurs de beurre salé, des contrôleurs essayeurs de
beurre frais, etc. *.
L'esprit réglementaire s'est aussi manifesté et se manifeste
quand il s'agit du commerce et des transactions sur les sub-
stances alimentaires. Les populations et les gouvernements se
sont bien souvent agités pour prévenir les accaparements,
encourager les importations, prohiber les exportations, bà-
liter les approvisionnements, maintenir des greniers d'abon-
dance, opérer dès achats par l'administration, forcer les bon-
larigers à avoir des réserves. Toutes les mesures préveàtives on
restrictives; toutes les défenses, entraves ou violences, toutes
les dépenses ont été inutiles ou nuisibles et n'ont servi qu'à
décourager le commerce et la culture, à empêcher la circu-
lation des grains, à accroître la panique, à augmenter les
prix. La tliéorie et l'expérience sont d'accord pour proclamer
qu'il n'y a qu'une seule manière de faciliter les approvisionne-
ments, l'arrivage des grains et des autres substances alimentai-
res, c'est le maintien de l'ordre public, la sécurité et liberté des
transactions, la suppression de toutes entraves administra-
tives, de tous règlements, de toute prohibition, la. cessation
de toute opération commerciale par Tadministration*.
En résumé: — iln'y a pas d'exceptions rationnelles à faire à la
liberté du travail au point de vue économique; — il y en a infi-
* Charges créées sous Louis XIV. Y. Siècle de Louis XlVt chap. xxx,parToI-
plus loin les notes sur l'accaparement et rapproTisîonnemeDt. I
LIBERTÉ DU TRAVAIL, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. SI t
niment peu au point de vue financier et politique, si tant est
qu'il y en ait ; — il n'y en a qu'un très-petit nombre au point
de vue de la sûreté et de la salubrité.
IV. SÉRIE DE QUESTIONS RELATIVES AUX ATTRIBUTIONS DE L'ÉTAT
ET A SON INTERVENTION «
(V, le Traité d^ Économie politique, ch. IX, et le Traité de Finances, ch. II.)
Pour donner une idée du nombre et de Timportance des
questions engagées dans cette question générale des attribu-
tions de rÉtat et de son Intervention ou de la Réglementation
en général, nous reproduirons le relevé que nous avons sou-
mis, il y a quelques années, à la Société d'économie politique
de Paris.
Ce principe que la fonction principale de rautoritô doit
consister dans le maintien de la Sécurité et la garantie de la
Justice (propriété, liberté, égalité devant la loi), au moyen
d'appareils administratifs, judiciaires et militaires plus ou
moins rationnels, est 'admis par les économistes.
Hais beaucoup de publicistes donnent à l'État un plus ou
moins grand nombre d'autres attributions, que nous avons
essayé de comprendre dans l'énumération suivante :
L'État doit-il :
1° Administrer et solder les cultes?
2® Enseigner?
3® Rendre l'instruction primaire obligatoire?
¥ Faire la Charité : Taxe des pauvres, — Hôpitaux, —
Hospices, — Dépôts de mendicité et Workhouses, — Colonies
agricoles,^- Secours > domicile, — Monts-de-Piété, — Ou-
vrôirs. Salles d'asile, — Tours, etc.? ,
5"* Faire les Routes ordinaires?
6** Améliorer les Voies fluviales et les Ports?
7** Faire les Canaux et les Chemins de fer?
' 8** Exploiter les Canaux et les Chemins de fer?
9" Se réserver la propriété des Canaux et des Chemins de fer?
* Note comprise dans la !*• édition.
212 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
10- Porter les Dépêches et les Imprimés (Poste, Télé-
graphe)?
11" Faire des Prêts ou accorder des Subventions ou des
Primes pour stimuler l'industrie (agricole, manufacturière ou
commerciale) ; des garanties d'intérêt, pour provoquer la
construction des voies de communication, rétablissement de
paquebots transatlantiques, etc. ?
12' Id. pour lés Sciences et les Arts : Bibliothèques, Musées,
Théâtres, Ménageries, Missions scientifiques, Voyages de dé-
couvertes. Souscriptions à des ouvrages, Secours, etc. ?
13" Entretenir des Manufactures ou Exploitations modèles,
(Haras, Bergeries, Vacheries, Imprimeries, Journaux, Fabri-
ques d'Armes, de Poteries, de Tapis, etc.)?
iÂi^ Avoir des Monopoles financiers?
ih Monopoliser les Assurances?
1 6° Faire des Monuments publics ?
17" Faire les frais d'un Luxe public?
18" Stimuler le Luxe des particuliers?
19° Protéger le soi-disant Travail national par des restric-
tions douanières (Prohibitions, Droits, Visites, Primes, Traités
de commerce, Système colonial, etc.) ?
20** Protéger les inventions par des Brevets ou Monopoles
temporaires, ou simplement reconnaîlre le principe de pro-
priété intellectuelle ?
2r Entreprendre des Colonisations lointaines?
22° Diriger le Crédit et réglementer les Institutions qui y
sont relatives?
23" Diriger ou surveiller l'émission des Monnaies?
24° Réglementer les Associations? *
25° Fixer le prix des métaux précieux?
26° Fixer le prix des Capitaux ou le taux de l'intérêt?
27° Fixer le prix de certaines Substances alimentaires?
28° Fixer la durée de la journée de travail?
29° Fixer l'âge auquel on peut faire travailler les En-
fants?
50° Constituer en Monopole ou Corporation les profes-
LIBERTÉ DU TRAVAIfi, CORPORATIONS, OFFICES, ETC. 215
siens : a, de Notaire; b, d* Avoué; c, d*Huissier; d, d'Avocat
et d'Agréé; >, de Courtier; f, de Commissaire-Priseur ; gf, de
Médecin d'hommes et de bêtes; ft, de Pharmacien et d'Her-
boriste; i, de Prêtre;;, de Professeur; fc, d'Ingénieur; /,
d'Imprimeur; w, d'Éditeur; n, d'Entrepreneur de spectacles ;
Oy d'Entrepreneur de bureaux de placement; p, de Boulan-
ger; g, de Boucher; r, d'Entrepreneur de transports
(doit-il donner des Diplômes d« Bachelier et autres, etc.)?
31° Prohiber le Défrichement des montagnes, ou prescrire
leur Reboisement?
52^ Réglementer l'aménagement des Cours d'eau et des
Marais?
33° Réglementer la Pêche et la Chasse?
34° Réglementer les Établissements insalubres ?
35** Se réserver la faculté de concéder les Mines et d'en sur-
veiller l'exploitation?
36" Réglementer le Commerce en général, et en particulier
celui des grains ?
37" Faire lui-même des achats de grains et des approvision-
nements?
•
Plusieurs des questions précédentes peuvent être faites
à propos de la Commune. — Les questions suivantes sont
plus spécialement relatives à ce petit État.
38" La commune peut-elle pratiquer la libre concurrence
pour l'Éclairage et le Chauffage au gaz ?
^ 39" Pour l'approvisionnement des Eaux ?
40<» Pour les Voitures?
41" Pour les Théâtres?
42" Doit-elle vérifier les Poids et Mesures?
43" Surveiller les opérations de Pesage et de Mesurage?
44" Juger de la bonne ou mauvaise qualité des produits ali-
mentaires (Viande fraîche, Charcuterie, Poisson,<]hampignons.
Fruits, Vin, Lait, etc...)?
45** Réglementer la Prostitution?
214 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
46' Réglementer les Habitations et déterminer : — la hau-
teur des bâtiments; — la nature des matériaux; — les di-
mensions des appartements et des cours ; — la nature des
fosses ; — le mode d'écoulement des eaux ; — le degré de
salubrité des logements; — le degré de blancheur exté^
rleure, etc.?
Nous répondons à ces questions dans le TraUé d'économie
politique f chap. ix.
D'une manière générale, une de ces diverses questions étant
donnée, il s'agit de savoir si TÉtat doit faire par lui-même,
ou bien s'il doit s'en rapporter à l'initiative des citoyens et se
borner à son rôle de surveillant pour maintenir Tordre, faire
la police, proclamer le droit, rendre la justice, garantir la
propriété, la liberté et la sécurité de chacun ; — et, à propos
de ce rôle, il y a lieu de considérer encore si les mesures
qu'il a à prendre sont de l'ordre administratif ou de Tordre
judiciaire , s'il doit agir par voie de réglementation préven-
tive ou par voie de répression par les tribunaux, s'il doit
s'en rapporter plus exclusivement à la police ou plus exclu-
sivement à la justice.
N. B. Cette nomenclature est loin d'être complète. En par
courant les codes, on la doublerait probablement, si ce n'est
plus.
COMMERCE
CHANGE - AGIOTAGE
I. "Notice économique et liistorique sur le Commerce. — II. L'approvision-
nement. — m. L'accaparement. — IV. Le commerce du Change. —
Y. Les opérations de Bourse et l'Agiotage.
I. NOTICE ECONOMIQUE ET HISTORIQUE SUR LE COMMERCE'
I. Rôle du commerce dans la production et l'économie des nations. —
II. Préjugés contre le commeixe. — 111. La politique commerciale ;
Balance du commerce, Traités de commerce, Liberté du commerce. —
IV. Histoire du commerce; Compagnies du commerce. — V. Statistique
commerciale; tableaux des importations et des exportations. — VI. En-
seignement commercial.
[Traité d^ Economie politique, chap. relatifs ù h Production, à la Divisondu travail,
à la Liberté du commerce, au Système mercantile, au système protecleur.)
. % !• Rôle du eomnieree dans la produetîon et l'éeonoinle
des nations*
....11 faut ranger dans Yindustrie commerciale ou com-
merce tous les travaux qui ont pour objet de revendre ce
qu'on achète , sans faire subir aux produits d'autre transfor-
mation matérielle que la division par parties et le transport,
afin que le consommateur puisse se procurer la quantité dont
il a besoin et dans le lieu* où il lui est commode de la trou-
ver. On fait donc le commerce tout aussi bien dans de vastes
comptoirs que dans les plus petites boutiques, et Ton peut
dire, à la rigueur j que les hommes qui crient deTeau dans les
rues font le commerce. Ainsi définie, l'action de commercer,
c'est-à-dire de faire des échanges de marchandises (cww,
avec; merccj marchandise) et de valeurs, a plus d'analogie
* 2« édit. — Publié d'abord dans VEncpcldpédiedu, XIX* siècle, Ve^î^.
216 NOTES ET PETITS TRAITES.
qu'on ne pense avec les deux autres indusliies. Et d'abord,
nous devons • dire qu'il est maintenant bien démontré que
rindustrie commerciale est tout aussi productive que les
deux autres, . et qu'elle doit, par conséquent, avoir dans
l'esprit de tous, la même importance que les autres. Qu'est-ce,
en effet, que la production, à ne considérer que la création
des produits matériels? Elle se réduit à prendre la matière
que l'homme est impuissant à créer, et à séparer, transporter,
combiner, transformer les éléments dont elle se compose.
Les matières sur lesquelles s'exerce cette action prennent le
nom de matières premières; de sorte que, en définitive,
produire c'est transformer l'élal des matières premières, ce
qui leur donne une nouvelle valeur et qui crée une nouvelle
richesse.
Or suivons les travaux de l'homme, exerçant son industrie,
et constatons l'analogie qui existe entre ces divers travaux.
Que fait le cultivateur dans la plaine? Il met des semences et
des engrais dans le çhamp^ el il obtient, à la suite de certaines
opérations que l'expérience lui a enseignées, le résultat delà
combinaison de la semence, des engrais et des principes con-
tenus dans la terre et dans l'atmosphère, c'est-à-dire des végé-
taux, du fourrage, par exemple. A l'aide d'un autre instrument,
un mouton^ ce même cultivateur modifie les particules qui con-
stituent son herbe, et en fait des engrais et de la laine. Suivons
maintenant la destiné^ de cette laine devenue à son tour matière
première; nous apercevons une série de manufacturiers qui la
lavent, la dégraissent, la cardent, la peignent, la filent, la
teignent, la tissent, la foulent et l'apprêtent pour en faire une
étoffe, nouvelle matière première pour les fabricants de
meubles ou de vêtements. Mais, dans toutes ces opérations,
nous rencontrons la troisième classe des industriels, les corn- I
tnerçants, qui prennent la laine ep suint, lavée ou peignée, r
les fils écrus ou teints, tissus ou apprêtés, les choisissent, les p
classent, les transportent, les divisent pour les mettre à la '""
por^^^^ consommateurs; modifiant ainsi leur forme, leur.^^'^
^^P^^Hp^ leur valeur, el cvë^wV, ^vi^e V^cUon de leur indu- r ^
COMMERCE, CIIAKGE, AGIOTAGE, 217
trie, une nouvelle richesse que les consommateurs con-
enlenl à échanger conlre des valeurs correspondantes. Entre
e travail du cultivateur combinant des semences, des engrais
it les sucs terreux dans un champ pour avoir du grain, et le
einturier faisant réagir dans sa cuve les éléments de l'eau,
le Talun et de Tindigo, l'analogie est parfaite; tous deux, par
les procédés différents, modifient la maliére première, chan-
gent sa valeur en augmentant son utilité. Mais le filateur
le change t-il pas rutilité,la valeur de la laine, et ne produit-
l pas aussi bien que Téleveur fabricant de laine en suint?
nais le négociant qui prend les filés au sortir de Tusine et les
net à portée du tisseur n'accroit-t-il pas aussi l'utilité, la
valeur de ces filés?.... Désormais, c'est une vérité acquise à
la science, que l'industrie commerciale est aussi productive
de valeur et de richesse que les deux autres. Les progrès des
sciences naturelles et de l'analyse économique ont renversé
les fausses théories qui faisaient attribuer une productivité
exclusive par les uns au commerce extérieur, par les autres
aux manufaclures, parles économistes du dix-huitième siècle
ou physiocrates à l'agriculture.
L'analogie, l'identité môme des trois grandes branches do
l'industrie humaine est telle, en ce qui touche la production
de la richesse, la création d'utilité et de valeur, qu'il faut,
quand on veut les distinguer, porter son attention sur l'en-
semble des détails dos opérations propres à chacune de
ces branches, qui, alors seulement, apparaissent avec un
caractère propre et distinct. Il serait fort difficile de détermi-
ner le point de séparation entre les travaux agricoles et les
travaux manufacturiers ; il serait encore plu» difficile de con-
cevoir ces deux ordres de travaux sans Tintervenlion constante
du travail commercial. Les producteurs à l'aide du champ et
des troupeaux, ainsi que les producteurs à l'aide de l'atelier
ou de l'usine, vendent, achètent sans cesse ; ils spéculent, ils
::ommercent. Il estrareiiussi que les commerçants eux-mêmes'
le fassent pas subir aux produits qui font l'obiet de kwt ç,^w\-
ïierce une manutention qui rattache leur indusVxV^ «vxi^ ^<£vx^
218 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
autres. C'est là même un caractère distinctif du commerce
que de pénétrer, si Ton peut ainsi dire, dans les ramifications
de toutes les autres branches de Tindustrie humaine. A tout
prendre, les occupations de la société tout entière ne sont
qu'une série continuelle d'échanges, et tous les hommes sont
commerçants, même ceux qui travaillent et produisent dans
les beaux-arts, les sciences et toutes les professions libérales
ou soi-disant telles. C'est encore une vérité acquise à la
science que l'analogie économique des produits immatériels
du médecin, du poète, du savant, du prêtre, de Tadministra-
teur, etc., avec ceux des industries agissant directement sur
les choses. Cette analogie peut bien effaroucher encore l'es-
prit de ceux qui n'y ont pas réfléchi ; mais elle a été mise hors
de doute, surtout par les travaux de J.-B. Say, et par ceux de
MM. Rossi et Dunoyer.
En analysant avec plus de soin que ses devanciers l'acliôn
de l'industrie commerciale, ce dernier économiste a été con-
duit à séparer ce qu'on appelle le commerce en deux parties
distinctes ; il a donné un nom particulier à l'art de d^i>lacer
les choses, et il a réservé le nom de commerce à la fonction
des échanges, qui est réellement commune à toutes les indu-
stries qu'il propose de classer en ihdtistrie agricole ou agri-
culture^ en ifidustrie manufacturière , en industrie voituriire
ou voiturage, et en industrie extractive, en comprenant dans
cette dernière Ja production de richesse par la pêcfae^ Tci-
ploilation des forêts, des mines, etc., dont les travaux sont
généralement rangés dans l'industrie agricole.
En ce qui touche le commerce, il y a évidemment encore
une distinction à faire : il est clair qu'agriculteurs, manobc-
turiers, artistes ou savants, nous faisons tous l'échange de
nos produits, de notre industrie, de notre travail avec les pro-
duits dont nous avons besoin ; il est clair que nous soinnies
tous un peu commerçants et que nous avons tous besoin de
nous procurer l'instruction nécessaire pour pratiquer conre-
nablement cet art universel. U feut encore admettre comme
rationnelle la séparation de% It^^^^tV^ o^^ >lk. ^MtL^«t ^
(
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 210
pelle le voiturage ou l'industrie voiturière, qui prend de nos
jours, â Taîde des bateaux à vapeur et des chemins de fer, une
si grande importance. Mais, si Ton réserve aux échanges en
général le nom de commerce (cum merce) , comment appellera-
t-on cet ensemble de travaux qui sortent de la ligne des
échanges entre le producteur et le premier acheteur, et qui
comprennent tous les achats et ventes, toutes les spéculations
intermédiaires pour lesquelles le négociant, petit ou grand,
fait des réserves, combine, spécule, en vue de saisir les bonnes
occasions de se procurer les produits ou de s*en défaire, de
choisir le temps et le lieu, et de suivre avec le plus de profit
la manifestation de la loi économique de l'offre et de la de-
mande, loi si variable, qu'il fait, pour ainsi dire, de son ob-
servation l'occupation de toute sa vie? En y regardant de près,
il est facile de voir que l'armateur et les autres négociants en
gros, s'ils se préoccupent beaucoup. du transport des pro-
duits, font de nombreux travaux qui ne peuvent être compris
sous le nom restreint de voiturage^ bien plus propre, ce nous
semble, à désigner l'industrie spéciale du roulage, des dili-
gences et des messagers de toute sorte. Les négociants
moyens^ et même les commerçants en détail, s'ils font des
échanges aussi restreints que tous les producteurs, . les font
néanmoins plus nombreux. L'échange est pour eux une
opération habituelle, et elle ne tarde pas à devenir moins di-
recte et plus complexe. 11 est donc bien évident que cette masse
de travaux, dont l'une des branches principales est le transport,
ne peut pas cependant se contenter du nom d'industiie voitu-
rière ; elle nous semblerait préférer celui de commercCy si ce
mot n'avait pas reçu un sens trop général comprenant non*
seulement le commerce propreraient dit et le voiturage, mais
encore Tensemble des échanges que tous les hommes font
entre eux.
Nous sommes entré dans ces détails, non pour nous livrer
à une pure discussion de terminologie, mais pour bien préciser
les nuances de toutes les acceptions que le nvoV. di^i commevce
comporte et parce que c'est à la dèfimlion eWe-mtev^ ^^ ^«^j
"J20 NOTES ET PETITS TiiAITÉS.
rattachent quelques questions importantes. Nous venons de
rappeler les interprétations des économistes ; disons mainte-
nant que le public, dont la langue domine souvent celle des
savants, donne au mot commerce les trois significations que
nous avons énumérées. 11 entend, en effet, par ce mot non-
seulement l'industrie voiturière (qu*il classerait volontiers, à
part cependant), non-seulemeut Tindustrie de ceux qui font
des échanges et de Tart d'acheter et vendre leur profession
habituelle (profession que l'on a quelquefois voulu désigner
par le mot spécial de négoce)^ mais encore l'industrie de ceux
qui produisent agricolement, manufaclurièrement ou de toute
aulre manière, et échangent leurs produits contre d'autres
produits et de la monnaie , prenant ainsi la partie pour le
tout et confondant une des branches de la profession avec la
profession tout entière. Pour beaucoup de personnes, c est
embrasser la carrière du commerce en général que de pren-
dre une carrière qui se rattache à une exploitation quel-
conque.
Il est inutile de recourir aux dictionnaires : ils définissent
le commerce et le négoce « l'échange des marchandises ou
d'argent en gros ou en détail. » Or il est évident que l'indus-
trie commerciale fait entrer dans son action toutes les autres
valeurs. Une autre observation à faire, ce nous semble, c'est
que le mot commerçant, tout en ayant un sens gtoéral, est
souvent remplacé par celui de négociant, qui n'est pas tout à
fait synonyme et qui désigne un entrepreneur d'affaires plus
considérables. Mais le code de commerce lui-même s'est tenu
dans un vague sujet à bien des contestations en disant:
« Sont commerçants ceux qui font des actes de commerce et
en font leur profession habituelle. »
Il y a donc un départ à faire dans l'ensemble de toutes ces
acceptions : à réserver le nom d'échange à l'opération géné-
rale d'acheter et de vendre commune à tous les hommes, —
celui de commerce ou industrie commerciale aux diverses profes-
sions consistant à acheter pour revendre, — celui de voUurtife
^ustrie voiturière à VensewAAe ii^^XiT^ivOiv^s^ ^Nsvss^tC
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAiîR, 22i
§ II* Préjugéii eonlre le eommeree.
Le travail, eh général, était regardé comme chose vile dans
l'antiquité; mais le commerce inspirait principalement du
mépris, surtout chez les Romains; aussi était-il laissé presque
exclusivement à certaines classes, reléguées, par ce seul fait,
au dernier rang de la hiérarchie sociale. Montesquieu cite une
loi romaine qui assimile les marchandes publiques aux femmes
de mauvaise vie! Beaucoup de ces idées sont encore répandues
dans la société. Cela tient à plusieurs causes: d'abord nous re«
cevons, en général, une instruction exclusivement littéraire
qui nous familiarise de bonne heure avec les idées et les
mœurs de la civilisation grecque et romaine ; ces premières
impressions se mêlent ensuite avec les préjugés nobiliaires et
militaires du moyen âge, qui ont laissé plus, de vestiges qu'on
ne croit dans nos mœurs et qui maintiennent encore une cer-
taine interdiction contre les travaux de la paix et les occupa-
tions industrielles; enfin, les premiers économistes, les phy-
siocrafes, n'ayant pas sainement apprécié la productivité de
l'industrie manufacturière et de l'industrie commerciale, ont
jeté, dans le domaine de la philosophie, des notions vagues
sur ce qu'ils appelaient la stérilité du commerce et de l'in-
dustrie. Celte stérihlé n'était point, il est vrai, à leurs yeux
synonyme d* inutilité; mais elle les conduisit à des consé-
quences subtiles qui ont fortifié l'erreur populaire. 11 n'est
pas encore clair pour tout le monde que commercer ne soit
pas déroger. Il en résulte que les capitaux et l'intelligence ou
la renommée, qui sont aussi des capitaux, refusent souvent leur
concours à des opérations qui seraient non-seulement utiles,
mais lucratives pour le pays; et que plusieurs fils de négo-
ciants, rougissant presque du métier qui a enrichi et élevé
leur père, se hâtent de le quitter et de tarir, pour eux et pour
la société entière la source des profits que leur procurait leur
industrie. Les Anglais n'obéissent point, depuis longtemps, au
môme préjugé; aussi voit-on chez eux nu ^\\x^ ^twdàxvws^^'^
222 NOTES ET PETITS TRAITES.
de maisons fortes et puissantes traverser les générations. —
Une élvide superficielle du rôle de l'industrie commerciale
dans le mécanisme social a porté une école particulière, et
notamment les disciples de Fourier^ à considérer les com-
merçants comme des parasites qui prélèvent injustement une
partie des profits sociaux. Ce chercheur bizarre et original a
voulu faire ce qu'il appelle une économie de ressorts, en sup-
primant, dans un mode d'association de son invention et que
ses disciples travaillent à faire pénétrer dans la pratique, la
plupart des travaux de l'ordre commercial. Ce n'est pas ici le
lieu de dire en quoi consiste cette combinaison excentrique,
ni d'en faire la critique; c'est au point de départ que nous
saisissons la théorie pour attaquer ses fondements. Les fou-
rièristesn'ont pas une notion exacte de la valeur; ils n'attribuent
pas un sens net à la production et au rôle que les diverses in-
dustries y jouent; ils méconnaissent donc la productivité de
l'industrie commerciale, moins avancés encore que les physio-
crates, qui n'avaient pas fait une étude suffisante sur ce point.
S'ir se rencontre, dans le monde industriel, des professions
que le progrès et le changement dans le travail font dépérir
et disparaître, cela prouve que ces industries 'ont fait leur
temps : la vie les abandonne comme ces plantes qui ont porté
leurs fruits, et bientôt l'absence de profits en aura éloigné
tous les travailleurs qui voulaient encore s'y livrer. Hais ob-
sei*vez bien, vous verrez que ces intermédiaires se sont pro-
duits naturellement, qu'ils ont prospéré tant qu'ils ont été
nécessaires, enfin qu'ils se rencontrent tout aussi bien dans
l'industrie agricole que dans l'industrie manufacturière, que
dans l'industrie commerciale. Qu'il faille faire rentrer dans le
domaine public telle profession organisée en monopole, que
le retour au droit commun, à la Hberté d'échange, frappe de
discrédit plusieurs professions aujourd'hui lucratives, c'est ce
qu'on ne saurait méconnaître ; mais rien n'autorise à con-
* Une (le? écoles socialistes qui ont agi sur Topinîon publique de 1830
à 1848.
COMHEftCE, CHANGE, AGIOTAGE. &2S
sidérer l'ensemble des professions commerciales comme inu-
tile. Celte conclusion était déjà bien loin de l'esprit des
physiocrales, qui trouvaient pourtant le commerce stérile.
L'école de Fourier a donc reculé d'un pas, puisqu'elle trouve le
commerce nuisible^ et qu'elle conclut tout naturellement à la
suppression de cette fonction sociale. — On se fait une grande
illusion quand on adopte cette manière de voir, et l'on écarte
volontairement de son esprit les lumières qu'Adam Smith a
répandues sur la matière, en faisant cette belle analyse des
avantages de la division du travail. II faut aussi qu'on ignore
la manière dont s'opère la circulation des valeurs et des
richesses. Hais, sans faire appel à l'ensemble des connais-
sances recueillies par la science économique, voyons seulement
xe qui se passe sous nos. yeux, dans l'industrie de ceux qui
veulent trop faire par eux-mêmes, s' approvisionnant directe-
ment de ce qu'ils consomment, pour gagner les profils des
commerçants à qui ils s'adressent au fur et à mesure de leurs
besoins. Nous les voyons victimes de leur inexpérience et
faire chaque fois, à leurs dépens, l'apprentissage d'un métier
qu'ilsne connaissent pas. Ils subissent des avaries, desrisques,
des faux frais et des mécomptes de toute nature; enfin il
tombe sous le sens que, en se livrant aux nombreuses préoc-
cupations que donnent de pareils soins, on perd un temps
qu'il eût cent fois mieux valu consacrer à la profession qui
fait le but principal de nos efforts. En définitive, le bénéfice
du conunerçant se trouve réduit, par la concurrence, â n'être
juste que le prix d'une façon particulière donnée aux produits
pour les opérations de l'industrie commerciale. Or c'est un
bon calcul que de ne pas courir après les bénéfices des autres,
et de payer ce qu'ils font avec le produit de ce que nous
savons faire le mieux et le plus vite, et que nous n'obtenons à
ces conditions que parce que la pratique de notre profession
nous y donne plus de savoir et plus d'expérience.
Nous venons de constater que l'industrie commerciale est
aussi productive de valeur et de richesse que les deux au-
tres, et qu'elle joue dans l'économie nationale un rôle tout
2^4 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
aussi ulile. Quand ces vérités auront pénétré dans l'opinion
publique, toute prévention contre le commerce sera dé-
truite. Mais ce dernier progrès ne sera atteint que lorsqu'un
enseignement mieux entendu donnera aux commerçants eux-
mêmes la notion bien nette de leur position sociale, en même
temps qu*il les fortifiera dans la pratique de leur industrie.
C'est une erreur généralement répandue, que les professions
commerciales ne nécessitent aucune étude sérieuse; mais,
quand on pénètre dans le mécanisme des diverses branches que
cette industrie comporte, on demeure convaincu des services
qu'un enseignement sagement approprié peut rendre à ceux
qui le suivront et à la société tout entière. Malheureusement,
la question de l'enseignement professionnel est encore une
question neuve en France et à peu près partout. (V. p. 237.)'
I^III. De I9 politique «ommereiale. — Balanee du emumerce^
Traités de commeree. — liiberté du eommerce.
Dès la plus haute antiquité, la préférence des acheteurs
s'est portée sur. les métaux les plus précieux qui ont, au plus
haut degré, toutes les propriétés capables de les faire accepter
le plus généralement à re::clusion des autres marchandises.
Partant de ce fait mal apprécié, les gouvernements ont mis
leur soin à gêner la sortie du numéraire et à rechercher les
moyens de l'attirer : de là tout un système de politique com-
merciale, désigné sous le nom de s'^sième mercantile {exdmf,
restrictif j etc.), balance du commerce; mercantile, parce qu'il
avait pour conséquence le développement des exportations à
l'intérieur; de la balance du commerce, parce qu'il consistait
à augmenter la différence des exportations sur les importa-
tions, ou, en d'autres termes, à faire pencher la balance en
faveur du pays le pins habile. Dans le langage du temps, les
importations étaient l'élément passif du commerce extédeur;
les exportations en étaient, au contraire, l'élément actif,
L'Italie, qui, au temps de la renaissance, était sans contre-
dit le pays le plus lettré, parait avoir produit, dès le conunen*
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 225
cernent du dix-septième siècle, plusieurs Irailés où Ton éta-
blissait scientifiquement ou plutôt dogmatiquement ce sys-
tème, qui était, nous le répétons, l'expression de l'opinion
commune déjà fort ancienne, et qu'un grand nombre de per-
sonnes, a Theure^ qu'il est, ne croient môme pas susceptible
de contestation.
L'ignorance du rôle joué par la monnaie dans la circulation,
et par l'industrie commerciale dans les.rapports des peuples,
avait enfanté ce système qui, dans sa naïve simplicité, conseil-
lait à une nation de loujours^vendre plus qu'elle n'achetait et
d'accaparer le numéraire des autres. On croyait d'autre part à
l'aphorisme de Montaigne : « Le profit de l'un est le dom-
mage de l'autre. » — Telles ont été les prémisses de ces fâ-
cheuses conséquences auxquelles la diplomatie a été conduite.
Plus tard, le système protectionniste suivi en France par
Colbert, exagéré et immobilisé par la poUtique de ses succes-
seurs, vint encore ajouter à ces idées exclusives : on fit com-"
plétement abstraction de l'intérêt de la masse, de l'intérêt des
consommateurs, et on repoussa, par la prohibition ou par des
tarifs élevés^ tous, les produits étrangers qui pouvaient porter
ombrage aux producteurs de l'intérieur ; on décora ce système
du nom de protection du travail national. — Ce n'est pas ici le
lieu de montrer conlbien celte théorie a été trompeuse, même
pour les industries privilégiées, et surtout pour les travailleurs
qu'elles occupent. Nous dirons seulement que l'administration
s'est depuis trouvée tiraillée par les fabricants, qui avaient
besoin de tirer leurs matières premières de l'étranger, et par
les producteurs nationaux de substances analogues. Citons un
exemple : le fer et la houille sont indispensables dans mille
branches du travail qui en réclament la libre entrée en
France pour jouir du bas prix auquel ces produits se vendent
chez nos voisins; mais les maîtres de forges et les extracteurs
de houille soutiennent la nécessité des droits élevés dans l'in-
térêt du travail national. Or, jusqu'à ce jour, il faut le dire,
ce sont ces derniers qui ont su faire prévaloir leur opinion et
leurs intérêts.
13.
226 HOTES ET PETITS TBAIlé.
Combien d'inimitiés entre les peuples ces théories ont fait
surgir, combien de guerres elles ont provoquées, combien de
richesses elles ont fait dépenser improductivement, combien de
sang elles ont fait verser ! En lisant l'histoire, on serait presque
tenté de croire que la guerre a été Tétat normal des sociétés ;
et l'on voit assurément que Tintelligence des véritables inté-
rêts commerciaux a été la cause de la moitié de ces luttes san-
glantes qui ont usé en pure perte la vitalité des générations
qui nous ont précédés. Cependant Thorizon de Tavemrvs'est
déjà coloré d'une teinte moins sombre, et tout annonce désor-
mais une tendance progressive' dans la consolidation de la
paix du monde.
Toutefois, à l'heure qu'il est, la vieille doctrine domine
universellement les rapports des peuples : partout on retrouve
la tyrannie du travail natwnal; chaque pays continue à faire
des efforts pour acheter le moins possible à ses voisins et
pour ne pas payer de tribxU à r étranger ; presque tous les
gouvernements augmentent ou maintiennent leurs tarifs pour
se garer de {inondation des produits étrangers ^ et encoura-
gent, par le fait, la fraude et la contrebande, qui tirent, pour
ainsi dire, une certaine légitimité de ce système exclusif.
L'économie politique a combattu ces erreurs; elle a
analysé le rôle de l'argent et de la monnaie dans ses rapp<Hls
avec les besoins des nations et des particuliers ; elle a prouvé
qu'il s'établissait,. par la force des choses, entre les peuples,
un partage de numéraire conforme à leurs besoins et au mou-
vement rationnel de la circulation; en6n, que la maxime de
Quesnay : a La balance en argent est chose futile, » était com-
plètement vraie. La science a repris ensuite un à un tous les
aphorismes du système mercantilo-protecteury mis en avant
par quelques industries privilégiées, et elle en a fait complète
justice; mais la science n'est que dans les livres, et ses adep-
tes n'ont point encore pu l'en faire sortir.
Nous avons longuement établi ailleurs ^ que les tableaux des
* Éléments déconomie politique, p. 546. publié à partir de la 4« édi-
tion sous le titre de Traité.
COMIIERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 2S7
eiportations et des importations ne sont pas dressés avec assez
d'exactitude pour qu'on puisse baser sur eux une apprécia*
tien bien exacte des soldes soi-disant favorables ou défavo-
rables ; — qu'en admettant ces différences, c'est par exception
qu'elles sont soldées en espèces ; — que, fussent-elles soldées
en espèces, il n'y avait, en général, ni avantage ni inconvénient
pour une nation à recevoir ou à payer ces différences de cette
manière. ^
Par suite des erreurs dont nous venons de parler et des
luttes qu'elles ont amenées, les nations ont été conduites à
signer des traités de commerce^ comme elles ont signé des
traités politiques. On attache encore beaucoup d'importance
à de pareilles conventions; mais cette faveur ne dépassera
pas l'époque où l'opinion publique aura des notions saines sur
la circulation des richesses et la véritable théorie du com-
merce, qui conduit à la liberté la plus absolue d'entrée et de
sortie, que Gournay formulait si bien, en répondant à je ne
sais quel ministre de Louis XV, possédé de la manie de régle-
menter : a Laissez faire, laissez passer, m — Mais, en atten-
dalit, les diplomates signent très-victorieusen^ent des traités
de paix, de commerce et de navigation, aux grands applaudis-
sements de la masse , quand celle-ci croit qu'il a été fait
moins de concessions à la nation avec laquelle on traite que
cette nation n'en a fait elle-même. On entend par concessions
la diminution des droits de douane, de navigation et autres
entraves mises à la liberté du commerce. Il en résulte qu'on
se félicite d'avoir résolu ce problème absurde : vendre le plus
possible et acheter le moins possible. C'est à ce point de vue
erroné qu'ont été jugés, parles historiens, les divers traités de
commerce dont le souvenir s'est conservé, et notamment les
deux traités de commerce dont on parle le plus souvent dans les
discussions économiques : le traité de 1786 entre la France et
l'Angleterre, et le traité de Melhuen entre l'Angleterre et le Por-
tugal (1703). On a dit du premier qu'il avait ruiné la France, et
du second qu'il avait ruiné le Portugal. Rien ne prouve qu'ils
aient eu ce résultat : en achetant aux deux peuples, les Anglais
è2g NOTES ET PETITi tnAITÉS.
ont payé en valeurs équivalentes; en leur vendant, ilsn'onl retiré
d'eux que des valeurs également équivalentes, et toutes les con-
sidérations des politiques sur ces deux traités portent à faux.
Ce qui caractérisait les traités de commerce il y a cinquante
ans, c'était leur tendance à faire pencher la balance, à exporter
sans importer, à attirer le numéraire, c'est-à-dire à poursuivre
une fiction ; ce qui caractérise les traités de commerce d'au-
jourd'lmi, c'est, en outre, le but de protéger \e travail national,
c'est-à-dire de créer des privilèges au profit des uns, aux
dépens des autres. Les négociateurs modernes poursuivent
doni*., en même temps qu'une utopie, un but nuisible *. Os
considérations pourraient s'étendre sous notre plume, mais
nous avons assez dit pour montrer la nécessité de vulgariser,
par l'enseignement, de saines notions d'économie politique,
seules capables de faire bien distinguer la politique commer-
ciale de la politique proprement dite, et de proscrire, comme
dangereux et insensé, l'usage des représailles douanières,
quelles que soient les relations politiques des deux peuples.
Toutes les analyses de la science économique conduisent,
avons-nous dit, à la liberté absolue des échanges. Les données
de la statistique, c'est-à-dire roxpérionce et les faits, sont
constamment venues confirmer ce beau théorème des pliysio-
crates, pressenti eu France par Sully et Yauban. Quelques
hommes d'État, Turgot (il y a bientôt un siècle), Huskisson
(il y a vingt ans), sir Robert Peel (de nos jours), ont compris
et cherché à appliquer cette doctrine : ce qu'ils ont fait, et
les résultats qu'ils ont obtenus, donnent la mesure des grands
résultats qu'on peut prévoir dans l'avenir, quand on aura
mis en pratique la liberté absolue du commerce ; alors aussi
que les peuples auront tous simplifié leurs poids et me-
sures, perfectionné les voies de communication; qu*ilâ con-
naîtront la langue des autres et qu'ils auront fait, de leurs
besoins réciproques, une étude plus suivie. Quand on y ré-
* Nous écrivions ceci en 1845. V, plus loin d'autres observations plus ré<*
tfonicssurlesTraitt's de comiTiercf».
COMUERCP, CHANGE, AQIOTAGE. 229
fléchit, rémancipation des échanges apparaît à Tesprit comme
une entreprise grandiose et poétique ; avec elle Tindustrie
et Tagriculture recevront une impulsion vive et naturelle;
le commerce prendra tout son essor. En môme temps que
la production sera plus féconde, la distribution du capital et
de la population se fera d'une manière plus équitable, et la
paix du monde sera de plus en plus assurée.
Au moment où nou$ écrivons, ces idées passionnent nos
voisins d'outre-Manche, et, grâce aux efforts d'une association
puissante (Yanti-corn-latu-league), qui compte, dans son sein,
des hommes d'un immense talent et d'un dévouement jus-
qu'alors inconnu, elles ont pénétré dans la masse de la nation,
et le chef du gouvernement, sir Robert Peel, a compris que
le moment était venu de faire une révolution pacifique dans le
domaine du travail et de compléter ses réformes douanières
-et financières de 1842, 43, 44 et 45 en affranchissant com-
plètement plusieurs branches de commerce, et en réduisant
considérablement les droits sur les autres. L'histoire men-
tionnera cette belle institution , et tout porte à croire aujour-
d'hui que la réforme entreprise en Angleterre sera le prélude
de l'émancipation complète des échanges, constamment ré-
clamée par l'économie politique depuis cent ans ^
g lir. Hisloire du commerce. — Compasnies du commerce.
L'histoire du commerce suit en grande partie l'histoire du
monde. Quelle qu'ait été la doctrine dominante sur la produc-
tivité de l'industrie commerciale et sur les moyens d'enrichir
une nation, quelle qu'ait été la considération, accordée aux
commerçants, les échanges n'en sont pas moins aussi anciens
que l'humanité ; un grand nombre d'hommes en ont plus ou
moins fait leur profession habituelle, et, si des obstacles de
toute nature ont pu en arrêter le cours sur tous les points, la
force des choses a toujours amené une circulation quelconque
* Voîr plus loin f^otiee sur la Vherté du commerce et la Hé forme doua-
nière.
250 2fOT§S ET PETITS TRAITÉS.
de la richesse. — Il nous est tout à fait impossible de retracer
ici même les phases les plus saillantes du commerce ; à peine
pouvons-nous citer les noms des peuples trafiquant au loin,
qui ont laissé dans Thistoire les traces les plus brillantes de
leur passage.
Dans Tantiquilé, ce sont moins les répubUques de la Grèce et
de Rome qui attirent l'attention de celui qui étudie l'histoire du
commerce, que Tyr et puis Carthage assise au centre du monde
alors connu et s'éieTant, malgré un fort petit territoire, aune
puissance telle, que son génie a tenu en échec celui de Rome
la superbe. La cause première de la puissance de Carthage,
puissance dont sa rivale hérita plus tard, s'espUque par la
Méditerranée, qui fut alors, qui a été depuis et qui sera encore
un centre naturel vers lequel convergeront les efforts dès peu-
ples d'Orient et d'Occident. Outre ce commerce du Midi, l'anti-
quité avait encore le, commerce d'Asie (Inde et Chine) d'où
le monde romain tirait des soies, des pierreries, des parfums,
des vins, de l'ivoire et d'autres productions naturelles, et dans
lequel on transportait surtout des étoffes de laine et des mé-
taux (cuivre, fer et plomb), qu'on se procurait en Espagne, en
Italie, dans la Gaule et dans la Grande-Bretagne. — L'histoire
n'a pas encore dit son dernier mot sur l'antiquité, et il est fort
probable, par exemple, que nous nous méprenons sur le pré-
tendu mépris des Romains pour le commerce. Les lois des
Romains, sur les négociations maritimes, présentent un ensem-
ble remarquable ; ils faisaient usage de l'assurance pour les ris-
ques de mer ; ils avaient des consuls sur plusieurs points du
globe, etc.,11 est donc difficile d'accorder l'édit dont parle Mon-
tesquieu(Y. p. 221) avec la considération dont jouissaient Caton
et Crassus, et tant d'autres chevaliers qui s'enrichissaient par
la banque et le négoce. Peut-être n'y avait-il de mal vu que le
petit commerce et le travail manuel ; et dans ce cas, nous res-
semblerions encore sensiblement à ces fiers conquérants.
Quant à la loi Flaminia défendant le commerce aux patriciens,.
elle a bien pu être une loi de réaction, non pour protéger Thon-
iwur dupalricialf mais pour l'exclure des profits du commerce.
COMUERCR, CHARGE, AGIOTAGE. gSi
Quoi qu'il en soit, le commeFce avait prospéré avec la républi-
que et Tempire romain ; sa décadence suivit aussi une marche
parallèle avec celle de cette grande organisation politique,
et il était tombé dans un avilissement complet après l'invasion
des barbares.
Plus tard, après cette longue nuit, on le voit renaître avec
la civilisation et prendre un essort jusqu'alors inconnu. Toute-
fois, nous nous bornerons ici à une nomenclature des faits qui
expliquent avant tout ses progrès dans les temps modernes.
Ces faits sont :
La découverte et le perfectionnement de la boussole à l'en-
trée du quatorzième siècle (par Flavio Gioia, dit-on, en 1502);
L'usage généralisé de la lettre de change vers le milieu du
douzième siècle, et dont la découverte, si elle a jamais été
faite, se perd dans la nuit des temps ;
L'institution des banques de dépôt, qui se sont plus tard
converties en banques de circulation (banque de Venise, il 71;
banque de Gènes, 1407; banque d'Amsterdam, 1609; banque
de Hambourg, 1619; banque de Londres, 1694, etc.);
L'institution des postes (en France, sous Louis XI, 1464) ;
La découverte simultanée de la route du Cap par Vasco de
Gama, et de l'Amérique par Colomb, à la fm du quinzième
siècle;
Plus tard, l'émancipalion du travail par la révolution fran-
çaise^ la suppression des douanes intérieures ; puis l'établis-
sement des canaux, des chemins de fer, des bateaux à vapeur ;
plus tard, encore, l'émancipation progressive des échanges.
C'est en llaHe que le commerce renaissant trouva son ber-
ceau. Venise et Gènes brillent dès le onzième siècle : Gênes,
déjà célèbre du temps des Romains; Venise, sortie des lagunes
où s'étaient réfugiés quelques pauvres pêcheurs poursuivis
par les Huns. Ces deux peuples vendirent des vaisseaux aux
autres nations, et voiturèrent ces milliers de croisés que le
courant religieux entraînait vers la Terre sainte. Ce furent là
les deux principales causes de leur prospérité ; cependant ils
firent aussi un grand trafic de toiles, d'épiceries, de soled^^^
232 NOTES ET PETITS TRAITES.
de pierres fines et mômQ de reliques. Un morceau de la vraie
croix valut, dil-on, des millions aux actionnaires delà banque
de Saint-Marc. L'industrie eut aussi sa part dans ce développe-
ment des richesses ; de belles découvertes datent de cette
époque : les lunettes, les moulins à vent, la porcelaine et la
faïence, les miroirs, le papier, etc. — En même temps gran-
dissait la Hanse teulone qui nous a légué les villes libres
d'Allemagne. — On voyait poindre, en outre, la fortune des peu-
ples modernes : Espagnols, Français, Anglais, Hollandais, Por-
tugais et Danois. Toutefois, dans ce steeple-chase grandiose des
peuples d'Occident vers les découveites lointaines, le Portugal
devance ses concurrents. Yasco de Gama double le cap des
Tempêtes (en 1497) et porte l'inscription des colonnes d'Her-
cule vers ce monde mystérieux où abordera plus tard l'intré-
pide Colomb. Avec la découverte du cap de Bonne-Espérance
le courant commercial est divisé : Alexandrie, entrepôt de
rlîgypte et des Indes, Venise, la reine des mers, sentent re-
froidir en elles le germe de la vie. Déjà les capitaines portugais
arrivaient, malgré une immense distance, bien plus vite dans
les Indes, et il était trop tôt pour faire la section de l'isthme de
Suez, à laquelle les Vénitiens auraient, à ce qu'on pense, déjà
songé. Le chemin du Cap étant moins coûteux, les Portugais
vendirent les produits d'Orient à meilleur marché et supplan-
tèrent le commerce de Venise.
Mais, en même temps queVasco deGama trouvait la nouvelle
route de l'Inde, Christophe Colomb, en suivant une direction
opposée, rencontrait un nouveau monde. Rebuté de tous, ce
Génois inspiré dota ainsi l'Espagne, sa patrie adoptive, d'une
source de richesses et de prospérité qui élevèrent la péninsule
ibérique à un degré de prospérité inouï.
L'Amérique fournit à l'Europe de nouveaux produits : des
bois, le cacao, l'indigo, le tabac, la pomme de terre, etc.,
pui^ le sucre et d'autres productions accHmatées, et reçut
d'elle des bestiaux, des grains, du fer, de l'huile, des tissus et
des produits manufacturés de toute sorte.
L'Amérique donna surlowl eeUe masse de numépairé qui a
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 255
occasionné, dans Tindustrie et le commerce d'Europe, le
renchérissement inattendu de toutes choses et une foule de
phénomènes nouveaux qui sont longtemps restés sans expli-
cation..
En même temps que les découvertes des pays lointains dé-
veloppent la prospérité des deux peuples qui habitent la Pénin-
sule, la petite nation des Bataves se pose en puissance mari-
time : Amsterdam devient Tune des plus florissantes villes du
monde; les Hollandais disputent l'empire des mers aux Es-
pagnols et aux Portugais ; ils s'emparent du Cap et mono- *
polisent le commerce des Indes. Alors les succès des Espa-
gnols, des Portugais et des Hollandais passionnent les autres
peuples; de toutes parts les vaisseaux couvrent les mers et
jettent des aventuriers sur tous les points connus. Les Portu-
gais s'emparent du Brésil, les Espagnols s*étendentdu Mexique
à la Plata ; les Français s'établissent sur quelques points
au nord dans les Florides, au sud sur la plage moins hospi-
talière de la Guyane; enfin les Anglais préludent à leur déve-
loppement futur en prenant possession de TAmérique septen-
trionale.
Ainsi la découverte du Cap, qui permit d'aller plus facile-
ment dans rinde, la découverte de l'Amérique, qui offrit à
Tavidité des peuples un immense continent et des îles innom-
brables, excitèrent les peuples d'Europe à ce mouvement
inouï d'expansion, qui a porté leur influence sur les divers
points du globe. Tous ont voulu avoir des établissements loin-
tains, des comptoirs, des compagnies privilégiées, des colonies.
De cette grande lutte, que notre cadre ne nous permet à peine
d'esquisser, est née la puissance commerciale des nations mo-
dernes.
Aujourd'hui, bien que l'Angleterre, les États-Unis, la France
tiennent réellement le sceptre des mers et soient les premières
puissances du monde, leur personnalité ne se détache réelle-
ment pas autant que celle des Hollandais, des Portugais et
des Espagnols, et, antérieurement, que celle des républiques
italiennes. L'égalité entre les nations s.e xum^^^V^ VwiîSi X^'a.
334 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
jours davantage, et progresse parallèlement avec la diffusion
des lumières, les progrès de la science économique et les dé*
veloppements de Tindustrie moderne.
Cependant, au moment où nous parlons et depuis plus de
deux siècles, les Anglais sont considères, à juste titre, comme
le premier peuple commerçant du monde. On a beaucoup
discuté sur les causes de cette prépondérance commerciale
de TAngleterre qui coïncide depuis longtemps avec une grande
supériorité industrielle, et il est assez d usage de l'attribuer
à son système prohibitif de douanes, à ses traités de com-
merce, à son acte de navigation. Elle a longtemps pensé ainsi
elle-même et elle a mis au service de cette idée une politique
pleine de fourberies, d'exactions, de barbarie, à telle ensei-
gne qu'aujourd'hui la foi anglaise est partout synonyme de la
foi punique, et que les peuples sont portés à voir un piège
dans tout ce qui sort du cabinet Saint-James. Il y a bien peu
de gens, en effet, qui ne soient encore persuadés que la pe^
iide Albion n'a émancipé ses esclaves et qu'elle n'émancipe
son commerce que pour nuire aux autres peuples. Hais, de
nos jours, les hommes qui gouvernent les affaires de cette
nation ont bien réellement reconnu les inconvénients des
douanes, l'ineftlcacité des traités restrictifs et l'inutilité de
ce fameux acte de navigatioi) à qui on a attribué tant de
vertu, et qui n'a probablement eu d'autre mérite que de ne
pas trop empêcher le hbre développement de la' marine an-
glaise. On sait que cet acte, dirigé en partie contre la Hollande,
eut pour but d'exclure l'accès des colonies anglaises aui pa-
villons étrangers en défendant aux navires de transporter en
Angleterre d'autres marchandises que les produits de leur
propre pays. Ce sytème exclusif a marché parallèlement afec
la puissance commerciale et maritime : voilà tout ce que Ton
peut dire. Il est plus que douteux qu'il ait influé sur les
progrès, car il n'a produit chez d'autres peuples que des ré-
sultats contraires. Ce qui a fait la grandeur et la richesse de
l'Angleterre, c'est la liberté politique qui s'est établie de
bonne heure dans ce pays, c'est l'activité et l'intelligence pro*
COMMERCE, CHANGE,^ AGIOTAGE. 235
gressive de ses habilants, ce sonl les richesses minérales de
la Grande-Bretagne, c'est Tesprit à la fois hardi et solide des
marins et des émigrants britanniques. Là est tout le secret que
doivent connaître lespeuples qui veulent lui faire concurrence.
Voyez les États-Unis : si en trois quarts de siècle ils sont arri-
vés à contre-balancer Tinfluence de la mère patrie, c'est queles
citoyens de la répubUque ont les qualités de la race anglo-
saxonne. Les sauvages leur ont laissé, il est vrai, un admirable
pays; des côtes immenses, des fleuves gigantesques; mais eux,
ont adopté la liberté politique, la hberté rehgieuse, et ils ont joui
de suite des bienfaits de la civiUsation moderne. En outre, ils
ont su appUquer les découvertes récentes de l'industrie, sans
trop méconnaître les lois de l'économie politique, et en quel-
ques années ils sont devenus la seconde ou la troisième puis-
sance du monde.
La France, plus brillante dans son passé, plus grande, plus
généreuse que ses deux rivales, a eu le grand tort de vouloir
imiter, pour agrandir ses débouchés, développer son industrie
et son commerce, la politique des systèmes mercantiles, de la
protection et de la navigation exclusive qui n'ont été, pour
l'Angleterre, que des entraves dont elle a eu et dont elle aura
encore, ainsi que nous, tant de peine à se débarrasser. Colbert,
la Révolution, l'Empire et la Restauration ont établi toute une
organisation antiéconomique qu'il faut redresser maintenant.
En réfléchissant sur l'état actuel des relations que les peu-
ples ont .entre eux, il est, ce nous semble, permis d'affirmer
que le temps du monopole exclusif est passé. Désormais toutes
les nations sont conviées à se développer hbrement' selon le
progrès de leurs institutions, leur position géographique, l'in-
telligence de leur population, selon leur génie enfin. L'Angle-
terre ne cessera probablement pas d'être puissante ; mais elle
sera autrement puissante, et les navires de toutes les nations
sillonneront les mers avec cette pensée vraiment chrétienne
que la prospérité des autres aide à sa propre prospérité.
Dieu veuille que le passage de la vieille politique à cette poli-
tique nouvelle n'éprouve pas un trop long temps d'arrêt.
236 .NOTES ET PETITS TRAITÉS
§ ▼. fiftalisliqne cominereiale) Tableau des im^rteiiMUi
el de« exporCalioiM*
Lorsque la doctrine de la balance du commerce était en fa-
veur, on se préoccupait naturellement du montant annuel des
iiXiportations et des exportations; Ton tenait à constater en
Taveur de qui soldait la balance ; de là lorigine des tableaux
dressés avec plus ou moins d'exactitude, avec plus ou moins de
bonne foi par les administrations ; de là tous ces chiffres assez
généralement erronés qui sont répandus dans tous les écrits
relatifs aux progrés du commerce, et avec lesquels on a Tha-
bitude de mesurer dans le passé l'importance commerciale re-
lative des nations que Ton considère.
Pour juger du peu de portée de pareilles notions numéri-
ques, il suffit de jeter un coup d'œil sur les tableaux que les
administrations publient de nos jours, en Angleterre, en
France, aux États-Unis, en Belgique, en Hollande, en Autriche,
en Allemagne, etc., el qui, s'ils ne sont plus dressés en vue
de la balance, servent néanmoins à apprécier le commerce de
tous les peuples.
L'échange se faisant en général avec des valeurs équiva-
lentes, il est difficile d^admettre qu'une nation cède ses pro-
duits pour des produits de valeur inférieure. Si donc, on Eu-
sait des relevés exacts d'importation et d'exportation, on froo-
verait que l'entrée et la sortie forment un équiUbre parfait.
Malheureusement, et en admettant que les douanes fassent des
relevés irréprochables, on ne connaît pas tous les produits qui
entrent ou qui sortent par contrebande ; on ne connaît pas k
montant des valeurs métalliques ou en papier que les ban-
quiers ou les négociants se transmettent. Il en résulte que ta
différence entre les importations et les exportations officielles
ne prouve absolument rien, et que la somme des importations
et des exportations n'exprime qu'imparfaitement le mouve-
mcni commercial d'un peuple. — Mais ce n'est pas tont : ces
documents pèchent par \a We. ^xv^^eV^U base d'ëvaloalioD
COMMERCE, CHAKGE, AGIOTAGE. 237
des produits devrait suivre la fluctuation des produits connus ;
mais un pareil travail étant impossible, la douane française,
par exemple, calcule les valeurs, qu'elle compare sur un tarif
de prix fixé en 1826 : or, depuis, la valeur de la monnaie a
varié sensiblement, et celle des marchandises a subi des oscil-
lations considérables. En Angleterre, la mesure des valeurs de
la douane est encore bien plus factice ; elle remonte à un tarif
de 1694.
Quoi qu'il en soit de la portée de ces documents, la statisti-
que en est réduite à les consulter à peu près exclusivement.
Or, il faut dire cependant que, lorsqu'elle fait ses études avec
prudence et savoir, elle peut tirer des données de la douane
des indications toujours intéressantes et souvent utiles. Si
donc Ton ne trouve pas, avec la liberté du commerce qui
supprimera un jour la milice ruineuse des douaniers, un
moyen de constater les mouvements du commerce, la science
économique sera privée d'un renseignement important. Mais
ne nous préoccupons pas trop d'un fort petit inconvénient, en
présence d'un bien incalculable ^
8 VI. En^eisnemeiil «ommerciaP.
C*est une croyance assez générale que le commerce ne peut
point s'enseigner dans un établissement d'instruction, et qu'on
ne peut l'apprendre que dans une maison de commerce et par
la pratique des affaires.
Il y a du vrai et du faux dans cette opinion. Le faux, c'est de
penser qu'il n'y a pas un ensemble de connaissances, à la fois
théoriques et pratiques, que l'on puisse apprendre de divers
maîtres ou dans une école, et qui ne peut réellement bien
s'apprendre que là. Le vrai, c'est que le maniement des affaires
réelles complète et peut seul compléter cette instruction. En
• V. dans le Traité d'Économie politique, alinéa 632, et note finale 21 de
la 5* édition.
*. 1 iré de notre article enseignement cohmïkcul d;a\s \^ TiVcUwaaVte
wiiversel du <»mmerce ef de la tiavigation ,
238 NOtES Et PETITS TRAITAS.
fait, les jeunes gens qui se préparent à suivre une carrière
commerciale par des études intelligentes et rationnelles, ne
tardent pas à acquérir, toutes choses égales d'ailleurs, après
une courte pratique, une grande supériorité relative dans les
emplois qu'on leur confie, et à être bientôt à même, l'âge et
Texpérience aidant, de diriger une entreprise ; tandis queceui
qui commencent par la pratique des bureaux ou des magasins
ne parviennent qu*à grand peine à acquérir les connaissances
générales nécessaires, absorbés qu ils sont dans les détails
d'une besogne spéciale : c'est par hasard, et cen^est que par
bribes, pour ainsi dire, que les plus studieux et les plus dési-
reux de parvenir arrivent à acquérir des connaissances supé-
rieures à la spécialité dans laquelle on les utilise.
C'est ainsi que parmi les chefs de maison, arrivés à force de
zèle, de bonne conduite et de capacité relative, on en voit
tant qui manquent non-seulement des connaissances générales
que doit avoir tout négociant, mais encore de diverses con-
naissances spéciales indispensables pour une bonne gestion :
telles que la connaissance des calculs les plus usuels, des for-
mules des livres qui doivent le renseigner sur la situation et
les résultats de ses opérations ; des notions les plus élémen-
taires du droit civil et commercial ; des matières les pins
usuelles de l'industrie ; des principes les plus indispensables
de la chimie, de la mécanique et de Téconomie sociale. Et
c'est ainsi qu'il faut s'expliquer l'infériorité relative dans la-
quelle se trouvent les classes commerçantes dans divers pays, h
France par exemple, et le peu de considération dont elles
jouissent par rapport aux autres et à leurs propres yeux. D
n'est pas rare d'entendre dire à un père ou à une mère, môme
commerçants : « Mon fils X a des moyens, nous en ferons un
avocat ; son frère Y étudiera la médecine ou travaillera pour
le notariat, etc.; quant à ce pauvre Z, comme il ne mord p«
beaucoup au latin, nous le mettrons dans le commerce, i A
quelque temps de là, on est souvent fort étonné que le pins
jntelligenl des trois so\l ceçauwo. Z^ <\ui a trouvé la voie qui
Jul convenait et qui ferait b\eïv ç\u^ ^«LCJ^^m^oX ^wv ^cissaiNfiLi^
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 250
avait reçu une instruction adaptée à la nature de son esprit et
à la direction qu'il a prise. Une autre fois, vous entendrez
dire à un homme qui a eu le bonheur de faire ses affaires mal-
gré son ignorance, que Tinstruction est unesuperfétation, et
qu'il est, lui, une preuve vivante de la vérité de la proposition
saugrenue qu'il avance. Inutile de discuter avec ce genre
d'hommes ; car il est impossible de leur faire concevoir qu'ils
ont réussi malgré leur ignorance et non à cause de leur igno-
rance, et que repousser Tinstruction, en vue du succès,
c'est comme si Ton faisait fi d'un bon fusil quand on va à la
chasse'.
D'autres disent, non sans dédain : comment voulez-vous
enseigner le commerce? pour commercer il suffit d'acheter à
bon marché et de revendre cher ; il n'est point besoin de pâlir
sur les bancs d'une école pour apprendre cela. — Assurément
il ne s'agit que d'obtenir ce résultat. Mais si la chose est facile
à dire, elle est assez difficile à faire. Pour acheter et pour
vendre dans de bonnes conditions, il faut tenir compte d'une
foule de circonstances, se livrer à une série de nombreuses
opérations qui nécessitent précisément non-seulement des con-
naissances hors ligne, mais encore les connaissances générales
et spéciales dont nous parlons, qui donnent une grande supé-
riorité dans les affaires et qu'il faut éludier pour les savoir.
Ênumërons en peu de mots les principales de ces connais-
sances.
En première ligne se trouve la connaissance de sa langue,
de façon à pouvoir correspondre dans un style net et clair et à
faire un exposé lucide d'une affaire que l'on propose ou que
l'on refuse et dont on débat les éléments. — Plus nous allonsj
plus les voies de communication se perfectionnent, plus les
relations avec les pays étrangers s'augmentent, et plus apparaît
la nécessité d'apprendre une ou plusieurs langues étrangères^
de manière à pouvoir au moins déchiffrer une lettre.
Ne mentionnons que pour mémoire l'utilité d'une écriture
rapide et lisible en même temps, talent indvaçete%5û\ft. o^^w^
il s'agit d'un travail de bureau .
240 ^OTES ET PETITS TRAITÉS.
l^our commercer, spéculer, négocier, il faut sans cesse cal-
culer la plume à la main ou de tête, calculer vile et sûrement.
Pour cela il faut avoir étudié et s'être exercé sur les opéra-
tions usuelles de Farithmétique ; il faut connaître les détails
des systèmes monétaires et métriques des pays avec lesquels
on fait des affaires ; il faut savoir raisonner et calculer une
opération de change.
Sans vouloir suivre la modeste profession de comptable,
qui nécessite une aptitude toute particulière et des qualités
spéciales, tout négociant ou commerçant, tout entrepreneur,
tout directeur d'entreprise, tout chef de maison, tout employé
qui ne veut pas croupir dans les postes secondaires, doit savoir
inscrire une affaire sur les livres dans la forme scientifique
voulue et nécessaire pour s*y retrouver ; il doit savoir com-
prendre les inscriptions de ses employés , connaître les rap-
ports des livres enire eux, suivre les phases et les développe-
ments des affaires, dresser un compte à présenter, déctûÂrer
un compte présenté, faire un inventaire et établir une situation,
débrouiller les intérêts réciproques des créanciers, des débi-
teurs, des associés; distinguer, d'après les livres, les affaires
productives de celles qui ne le sont pas, découvrir les vices
d'administration et le coulage; sinon, les livres sont lettre
close pour lui ; le travail de ses employés est comme s'il p'exis-
tait pas ; il est à la merci de son teneur de livres, incapable
de comprendre sa situation, d'améliorer ses affaires ou d'aper-
cevoir le danger et de prévenir une catastrophe.
11 vend, il achète, il fait des transactions de toute sorte; il
reçoit et donne des effets de commerce ; il a des rappoils avec
des associés ou avec des sociétés; il a des intérêts dans des
faillites ; il est dans le cas d'être poursuivi ou d'exercer lui-
même des poursuites; il perdrix fois plus de temps ; il dépense
dix fois plus de irais ; il a dix fois plus de chance d'être trompé
par les gens d'affaires ou d'être la victime des gens de loi, s'il
n'a des connaissances un peu positives des lois et règlements
qui régissent le commerce en général et sa profession en pa^
tlculier. Nous ne menUowwous q\^ ^vi\i\ vs\^vwi\\<i VuUlilé de
COMMEnCE, CHANGE, AGIOTAGE. 241
connaissance générale des lois civiles touchant les affaires
'dinaires de la vie et de la famille.
Voilà, ce nous semble, ample matière pour occuper deux
1 trois ans d'études au début de la vie de travail. Mais ce ne
»ntpas encore là toutes les connaissances indispensables à un
une homme qui se propose de parcourir, avec chance de
iccès, la carrière commerciale ou industrielle.
Il faut qu'il apprenne les éléments de la physique et de la
écanique (avec un peu de dessin), et surtout les éléments de
chimie, sans lesquels il lui est impossible de rien com-
•endre aux procédés et aux progrés derindustrie ou de Tagri-
ilture ; il faut qu'il connaisse sommairement l'histoire natu-
lle, les usages et les provenances des diverses matières
-einières de Tindustrie, qui sont l'objet des transactions
)mmerciales, et dont il est à chaque instant question dans la
^atique des affaires ; il faut qu'il connaisse assez positive-
lent la géographie commerciale, c'est-à-dire la position,
production, le commerce des diverses places et des divers
ays, etc.
Il faut, dans un certain ordre d'idées, qu'il sache se rendre
)nipte de la manière dont la société vit par le travail en
réant la richesse, quel rôle joue le commerce dans cette
pganisation ; il faut qu'il sache Téconomie sociale et l'écono-
lie industrielle, et qu'il ne soit étranger à aucune des ques-
ons ou des intérêts qui se rattachent à sa profession, et que
appellent ces ntots de valeur , de priXy A*échange, démon-
aiCy de concurrence^ de liberté commerciale^ de tarif, de
ouanes^ de prohibition^ d!entrep6tSy de crédit, de banques,
e salaires, dHntérêtSy d'impôts, d'emprunts publics, depopu-
ition, de misère^ de socialisme, etc., que nous énonçons ici
êle-mêle, et uniquement pour montrer que l'étude de Téco-
ouiie poUtique est comme le couronnement d'un enseigne-
lent positif, et que cette science est comme la philosophie
es connaissances professionnelles en général, et en particulier
es connaissances commerciales dont ce\iic»\.\otv\\ivc^^^\\^^'-
242 NOTES ET PETITi TRAITÉS.
cyclopêdic, en fournissant par son contenu une preuve pal-
pable à Tappui de la thèse que nous soutenons de Tutilité de
l'enseignement commercial.
Chacune des études que nous venons d'énumérer peut être
poussée plus ou moins loin, selon la carrière à laquelle on se
destine et la nature des affaires dont on doit s'occuper; mais
après les avoir énoncées, il est impossible de ne pas les trouver
toutes utiles, toutes nécessaires, indispensables même à la
plupart de ceux qui se destinent à la carrière commerciale
ordinaire, (lombien plus nous aurions raison si nous parlions
des besoins des jeunes gens qui sont, dans un avenir quelcon-
que, appelés par leur position, leur fortune ou leurs capacités,
à compter parmi les notables, à diriger de grandes entre-
prises, à administrer de puissantes compagnies, à prendre
part à la magistrature consulaire, à faire partie des chanaJ^res
de commerce ou à jouer un rôle dans les affaires publiques.
Toutes ces connaissances ne peuvent point s'apprendre, si
on est commis dans un comptoir, un magasin ou un bureau;
mais on peut les acquérir dans une école spéciale organisée et
conçue de façon à fortifier renseignement théorique par des
exemples pratiques, au moyen d'exercices bien entendas,
d'opérations commerciales simulées, d'expériences chimiqaes
et autres, et à l'aide de cabjnets et de musées garnis de mo-
dèles, d'appareils et d'échantillons venant à l'appui des dé-
monstrations des professeurs.
Tout ou partie de l'enseignement dont nous venons de pré-
senter le tableau peut être enseigné, soit chez des professeurs
particuliers^ soit dans dos établissements publics dlnstnictioD.
Dans toutes les villes commerçantes, il y a des personnes (en
général ce sont des comptables) qui enseignent la tenue des
livres, les calculs, les changes et d'autres notions générales
de commerce.
Les divers étabUssements d'instruction font aussi entrer,
plus ou moins, l'enseignement commercial dans leurs pro-
granimeSy mais il est rare (\v\\\^V\exvTv^TvV^^^^W.ç.VMîz les uns,
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 243
le chef, imbu de préjugés classiques ou n'entendant rien à ces
matières, ne sait pas les faire enseigner, et se borne à suivre
la routine des collèges officiels qui donnent l'impulsion à l'en-
semble des institutions; dans les autres, ce sont les élèves qui
manquent, par suite de l'engouement des parents pour les
études classiques. Toutes les classes dites de (rançaiSs parce
qu*on n'y apprend pas le grec et le latin, et dans lesquelles on
place renseignement commercial, sont vues avec dédain par
les professeurs et par les élèves, et ne sont suivies que par les
plus mauvais élèves, par le rebut des autres classes.
En parlant ainsi, nous avons plus particulièrement en vue
les maisons d'éducation en France. Il en est de même dans
quelques autres pays ; mais les choses sont mieux entendues à
divers égards, en Angleterre, aux Étals-Unis, en Suisse, en
Allemagne, en Hollande, pays dans lesquels l'enseignement
n'est pas autant qu'ailleurs en désaccord avec les besoins
publics.
Les écoles spéciales pour le commerce sont encore fort rares ;
on les compte par unités, on devrait les compter par centaines,
à en juger par le nombre de ceux qui auraient besoin de les
fréquenter. Ce fait tient en grande partie au préjugé que nous
avons signalé et combattu ci-dessus, et qui consiste à croire
que le commerce ne peut s'enseigner et qu'on ne peut l'ap-
prendre que dans un magasin, un bureau de banque ou une
boutique*.
* La première école spéciale pour le commerce a été fondée à Lubeck.
en 1793, sous le nom d'académie pratique du commerce. Un établisse-
ment analogue fut créé en 1815, à Hambourg. Le plus connu des éta-
blissements existants, V École supMeure du commerce de Paris a été
fondée en 1822. V. d'autres détails sur ces établissent ents dans notre
article cité ci-dessus.
244 NOTES ET PKTITS TRAITÉS.
II. — NOTICE SUR L'ACCAPAREMENT».
Nature et limites naturelles de l'accaparement. — Préjugés et législation
draconienne contre les accapareurs.
Tr.:Ué décdnomie polilique^ ch. vi, sur l'Iiidustrie commerciale; — cli. tu, fvr la
Propriété; — cii. viii, sur la Libre concurrence ;— cli. it, sur les Konopoles;^
ili. XII. sur l'Absociation.
1
L'accaparemenl n'est autre que la spéculation qui consiste
à retirer de la circulation le plus possible d'une denrée, afin
que, la rareté sur le marché amenant la hausse du prix, on
puisse vendre avec un fort bénéfice.
Usuellement le mot est pris en mauvaise part et s'applique
plus spécialement aux spéculations en grains. — il s'entend
tantôt de Taccaparement partiel, tantôt de l'accaparement
total.
L'accaparement ne diffère pas au fond de la spéculation.
ot la spéculation elle-même n'est autre que l'opération com-
merciale.
En quoi consiste le commerce? — N'est-ce pas à acheter
pour revendre?
Quel motif porte les hommes à prendre celte peine, à courir
la chance de perdre, à se donner cet ennui, cette préoccupa-
lion? — N'est-ce pas l'espoir de revendre avec avantage?
Dans tout achat on spécule, c'est-à-dire qu'on risque plus
ou moins de perdre, pour couiir plus ou moins la chance de
gagner. Tout achat est donc un accaparement; car tout achat
a pour effet de retirer de la circulation une quantité plus ou
moins grande d'un produit, avec le désir de le raréfier, avec
l'espoir d'en voir hausser le prix, avec l'intention de profiter
des besoins des consommateurs.
' 2' édition. — La 1 '• édll. dans \c Dictionnaire vmveriel 4u Commerce
ef(/e/a Navigation, public par ^. G\V\\\a\xm\Tv, \%^ ..
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 243
lalyse la plus élémentaire montre donc ce qu'il y a d'il-
e, d absurde, d'erroné et de dangereux dans le préjugé
aire qui, en condamnant Taccaparement, condamne la
ation, l'opéralion coinmerciale ou l'échange, et qui, en
(nnant l'échange, viole la liberté et la propriété. Suis-je,
t, bien maître de ma propriété, suis-je bien libre, si je
s disposer de ce que je possède comme je l'entends,
e puis l'aliéner contre autre chose dont je suppose la
si on plus avantageuse ?
)i, le droit d'accaparer, c'est le droit de commercer,
\ droit de propriété ; et toute mesure faisant obstacle à
It, est la violation de ce droit, en même temps que du
>e de justice.
II.
choses ont été heureusement ainsi faites que ce droit
te de soi-même, et que plus la liberté et la possibilité
ser sont grandes et plus ses inconvénients pour le con-
itcur diminuent.
' accaparer une certaine masse de denrées, il faut des
IX qui ne se réunissent pas sans peine, et qui ne se
>ent qu'en vue d'un bénéfice ; or, pour obtenir ce béné-
faut revendre ; et le besoin de revendre, excité par
du profit, par la crainte de perdre, par la nécessité de
augmenter les frais d'intérêt et autres, est le correctif
l de l'envie d'accaparer. Ajoutez l'action de la concur-
]ui pousse d'autres capitalistes, d'autres spéculateurs,
1 même voie, et qui, en précipitant la vente, fait cesser
arement, en faisant baisser les prix,
lit de l'accaparement un peu considérable est donc des
ires, non-seulement à cause du capital qu'il nécessite,
j prix qui s'élève. Tout le monde pouvant acheter, l'ac-
Lir, s'il voulait pousser trop loin son ambition, serait
de payer très-cher pour avoir seul toute la denrée,
causes modératrices agissent d'a\\Vaul^\w% è-w«^Q^^-
246 HOTES ET PETITS TRAITES.
ment que le commerce jouit de plus de liberté, que le marché
est plus étendu. C'est ce que confirme Texpérience.
La pratique commerciale montre que l'accaparement n'est
praticable et pratiqué que sur des articles dont la quantité
est limitée et ne peut être accrue par de nouveaux arrivages»
Telles sont, par exemple, diverses denrées exotiques : les in:
digos, les épices, etc., d une provenance éloignée, dont h
consommation est relativement peu étendue, qui ne donnent
pas lieu à des arrivages incessants et dont Tachât peut être fait
par un petit nombre de détenteurs plus ou moins concentrés.
Dans le cas contraire, lorsque les approvisionnements se font
d'une manière incessante, lorsque les opérations sont fré-
quentes, lorsque le travail est divisé entre les négociants, le
concert des capitaux et des spéculateurs est impossible ou
n'est pas longtemps possible, ce qui revient au même.
m
C'est précisément dans cette catégorie que se trouvent les
Céréales, qui ont le plus souvent donné lieu à des craintes
d'accaparement et qui se prêtent le moins, à cette opération,
tant a cause des raisons que nous venons de rapporter que
par suite de leur nature propre.
Les spéculations en céréales nécessitent en général de gran-
des sommes; elles se font sur des marchés très - ètendns,
très-éloignés, et pour les monopoliser il faudrait réunir des
capitaux immenses, ce qui n est pas chose facile; car pour
cela il faut que les possesseurs aient confiance dans la bonté
de l'affaire, dans la probité et l'habileté de ceux qui les sol-
licitent, dans la durée des circonstances favorables à la spé-
culation : toutes conditions qui ne se rencontrent pa^ à la fois.
Supposez les capitaux réunis, il faudrait encore, pour mono-
poliser la spéculation, exercer une action qui dépasse les fa-
cultés des chefs d'une entreprise.
A ces difficultés viennent s'ajouter cellos qui résultent df
In nature de la denrée. Loîî cët^^W?» ç»QK\l\vn produit encorn-
COIIHERCE, CHANGE, AGlOTàGE. 247
brant et susceptible de s'avarier rapidement par l'action de
Tairlrop sec ou trop humide, et d'être dévoré par les ani-
maux ou les insectes. De là des difficultés et des frais de trans-
port, de magasinage, de manutention et de garde très-onéreux,
qui ne tarderaient pas à absorber les bénéfices de l'affaire,
ou à grossir les pertes, si on ne se hâtait de vendre. Il y a
plus, c'est qu'en général il faut vendre avant que la future ré-
colte ne vienne faire baisser les prix, et parce que Je blé ne
peut se conserver longtemps ; de sorte que l'accaparement
est sans cesse combattu par la détérioration incessante de la
denrée, par les frais de magasinage , de manutention et de
garde, par les frais d'assurance, par Tintérêt du capital, etc.,
qui poussent sans cesse à la vente, c'est-à-dire à la cessation
de l'accaparement, concurremment avec Tappel d'un béné-
fice réalisable, ou la crainte d'une perle.
Ainsi l'accaparement trouve ses limites et sa compensation
en lui-même et dans la nature des choses ; et cela s'opère de
façon à ce qu'il ne produise en général que des résultats utiles
à la société.
Que sont, en dernière analyse, les accapareurs? sinon des
spéculateurs qui profitent des époques d'abondance pour re-
cueiUir, accumuler, conserver les denrées, et pour les rendre
à la circulation aux époques de rareté ; — ou bien, des spécu-
lateurs qui prennent ces denrées dans les lieux où elles sont
en plus grande quantité et à plus bas prix, pour les fah*e
transporter dans les lieux où elles sont plus rares et plus
chères. Dans ce dernier cas, ils transportent les substances
d'un lieu dans un autre ; comme dans le premier cas ils les
transportent d'un temps à un autre. Dans les deux, ils font
une œuvre utile; ils répartissent les récoltes, ils équilibrent
les prix, arrêtant tantôt la hausse et tantôt la baisse, faisant
servir l'abondance à la diminution de la rareté, et fonction-
nant, en dernière analyse, comme autant de greniers de réserve
ou d'abondance, sans les inconvénients inhérénls à ces insti-
tutions, sur le compte desquelles les gouvernements commen-
cent à être édifiés.
248 50TES ET PETITS TRAITÉS.
Or, CCS ciïets réparateurs et sociaux résultant de Taccapa-
rement en dépit de Tesprit individuel et étroit qui Fanirae,
se produisent plus de nos jours que dans le passé ; ils se
produiront davantage dans l'avenir, ad fur et à mesure que
les obstacles matériels disparaîtront, que les voies de trans-
port se perfectionneront, que le commerce deviendra plus
libre, que les débouchés seront plus assurés et plus réguliers,
que tous les rapports matériels et moraux des peuples s'ac-
croîtront.
Si l'action du spéculateur en grains, de l'accapareur, est utile
aux consommateurs, elle ne l'est pas moins au producteur,
à qui elle facilite Técoulement de sa récolte au fur et à me-
sure qu'elle est prêle, efi lui économisant une partie du temps
qu'il consacrerait au placement de ses produits, en lui faisant
avoir de ses denrées un prix rémunérateur.
Le préjugé produit des effets inverses : tendant à la viola-
tion de la liberté et de la propriété, il arrête la spéculation et
le commerce; il produit la stagnation et la mévente; il dé-
courage le producteur et arrête l'essor de la culture. De sorte
que les maux que l'on redoute comme effets de Taccapare-
raent (la non-circulation des grains, leur rareté, leur cherté,
la misère et la souffrance), résultent précisément des entraves
que le préjugé conseille aux administrations, des violences
qu'il inspire aux populations ; et que les véritablejs accapa-
reurs nuisibles, dans l'acception usuelle du mot, sont d'une
part les émeutiers, et d'autre part les administrateurs qui
interviennent autrement que pour garantir la libre circulation
des grains.
L'accaparement, disait un économiste du xviii* siècle \
ne peut donc avoir 4ieu que dans le cas où le commerce est
gêné par les prohibitions et restreint par des privilèges eido-
sif accordés à des monopoleurs. Par exemple, quand il y a
d'une part des défenses générales à tous les producteurs d'une
denrée de la vendre ailleurs que dans les halles el marchés
* L'abbé Bonrdeau : Encyclope'die méthodique Commerce, 1785.
COMMERCE, CHAKGE, AGIOTAGE. 249
publics, et, d'autre part, des commissionnaires favorisés, qui
)nt seuls les droits d'acheter dans les maisons particulières,
!es privilégiés peuvent accaparer, surtout s'ils sont assurés
)ar avance du débit avantageux, ou même, ce qui est plus ordi-
laire, s'ils achètent ou vendent au compte du public avec une
jermîssioh de perdre une partie des fonds qui leur sont confiés.
Llors leur intérêt est de ruiner les autres commerçants en
chetant plus cher qu'eux et en vendant à meilleur marché.
Is multiphent par là le droit de commission et les autres bé-
léfîces permis et illiciles. Le moyen le plus simple et le plus
ertain d'empêcher les accaparements est donc dans la liberté
1 plus parfaite, sans prohibition, sans injonctions, surtout
ans permissions particulières, ni commissions pour le pu*
lie. »
IV
Cepréjugéacomme tantd'aulressesra'cines dans l'ignorancTe
es populations, qui» faute d'instruction économique, s'enflent
ux premières apparences, et dans les notions erronées qu'on
longtemps eues et que certains administrateurs ont encore sur
rpropriété, l'échange et la formation des prix, le rapport du
réducteur avec le consommateur, etc. Le public, par exemple,
ublie que la hausse des subsistances a pour cause première
i rareté, la disette, et s'en prend aux cultivateurs et aux agents
)mmerciaux, qu'il accuse de produire artificiellement la hausse
es prix, qui est dans leur désir, mais qui, généralement par-
ut, n*est pas dans leur pouvoir, par suite de l'ordre naturel
abli dans les choses de ce monde par l'ordonnateur suprême,
i hausse des prix peut profiter (il n'en est pas toujours
nsi) à ces mêmes producteurs ou agents commerciaux, mais
y. a précisément dans ce profit un appât à la libre concur-
ince des producteurs et des capitalistes, qui ne lardent pas
mettre fin à ce monopole transitoire, qui est le résultat d'un
îcident climatérique et des circonstances humaines ou
irticuliéres qui ne sont pas au pouvoir de ceux qui en pro-
ent.
250 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
En partant de ce faux point de vue, on conçoit que rhostOilé
de Topinion a d* autant plus d*aliments que la production agri-
cole est plus arriérée, que le commerce est moins étendu,
que la circulation des subsistances est plus empêchée par les
obstacles matériels et par les obstacles administratifs, par
le manque de voies de communication, rinsécUrité des
routes, par les douanes locales, par les règlements des mar-
chés, etc., etc.: — toutes entraves qui avaient jadis pour effet
(ou qui ont encore pour effet dans les pays arriérés) de pro-
duire la stagnation, la rareté, la hausse des prix.
Or, il est important de Remarquer ici que ces entraves ne
facilitent pas, comme on le dit souvent et comme on Ta écrit
tant de fois, l'approvisionnement, et qu'elles empêchent au
contraire que ses opérations ne se multiplient et n*afTectent,
par leur nombre, le caractère de spéculation et de commerce
rationnels des grains, et ne produisent l'abondance et le bon
marché. Lorsque les communications sont difficiles, lorsque
le commerce n'est pas organisé et incessant , la moindre opé-
ration on grains semble être la cause de la cherté, aux po-
pulations toujours prêtes à ciier à l'accaparement et à la
spoliation. Si l'approvisionnement, chose si grave et si consi-
dérable dans l'économie des villes, est devenu de nos jours
l'objet d'une préoccupation secondaire pour les administrations,
c'est uniquement parce que les spéculateurs ou accaparenrs
ont pu multiplier leurs opérations et leurs manœuvres, grâce
aux facilités matérielles et nombreuses qu'ils ont pu avw.
En France, cette hostiUté s'est accrue dans le dernier siède
par le fait, et plus tard, par le souvenir d'une association fo-
meuse qui a reçu de l'indignation pubHque la déiiominatioD
de pacte de famine. On dit que cette compagnie ^, formée vers
le commencement du siècle (1750), s'était plus tard constituée
sous les auspices de Tautorité du roi ; qu'elle se composait de
financiers, de gouverneurs et d'intendants de province, demt-
gistrats et d'administrateurs ; qu'elle agissait avec des capitaui
' Sous la raison Malifuet.
COMUEUCE, CHANGE, AGIOTAGE. 251
éuorines, et qu'elle exportait avec de grands bénéfices, à
Taide de ses entrepôts établis à Jersey et à Guernesey. 11 est
difficile d'apprécier dans quelle mesure ces assertions sont
exactes, et, en tout cas, une pareille association n'avait en
soi rien de répréhensible et rien de dangereux : rien de répré-
hensible, puisque la compagnie employait ses capitaux à
acheter pour revendre; — rien de dangereux, parce que la
libre exportation encourage l'agriculture et la production.
Ainsi que le disait Quesnay : « Tel est le débit, telle est la repro-
duction ; » et quand les produits s'écoulent et se vendent
bien, « cherté foisonne. » Nous raisonnons dans l'hypothèse
où la compagnie n'a pas été aidée par des mesures et des
influences tendant au monopole, ce qui serait assez difficile à
croire. Quoi qu'il en soit, une pareille association serait im-
possible de nos jours, parce que les pouvoirs publics sont for-
cément plus honnêtes, les transports plus faciles et la presse
généralement plus libre et mieux avertie.
Les économistes, dès leur apparition (le premier écrit de
Quesnay sur les grains, dans V'Encyclopédie^ est de 1757),
vinrent réagir contre celle tendance de l'opinion, et deman-
der la libre circulation. des grains à l'intérieur et à l'extérieur.
Les débals auxquels ils donnèrent lieu, les décrets qu'ils inspi-
rèrent à quelques administrateurs, partisans de leur doctrine»
surexcitèrent la masse de l'opinion plus qu'ils ne la convain-
quirent. Quand arriva la révolution de 89, les plaintes devinrent
plus vives ; et, pendant les années qui suivirent, le préjugé
s'accrut par l'effet de Tanimation générale produite par
l'ébfanlement social, le désordre, les déclamations et les
fausses mesures des administrations, par la haine désespérée
des partis, par les mouvements populaires dont le résultat
naturel fut la suspension de l'activité commerciale, l'interrup-
tion des communications et le ralentissement des cultures;
De même qu on avait cru à un pacte d<^tam\ive, wv w\5L\.V\i:wi.
252 ROTES ET PETITS TAAlTis.
conspiration générale du parli de. la cour ou de
orléaniste ou de toute faction, pour afTaoïer la po
De là tant de sanglantes émeutes, et ces mesures ab
draconiennes qui ont contribué à accroître la disette,
le préjugé et dont Taction s'est fait sentir sous le prei
pire et se fait encore sentir de nos jours.
Le décret des 26-28 août 1795 a rangé Taccapan
nombre des crimes capitaux, et prononcé la peine
contre les accapareurs ! Ce décret déclare accapareurs
qui dérobent, à la circulation, des marchandises ou de
première nécessité, qu'ils achètent et tiennent enfern
un lieu quelconque, sans les mettre en vente journell
publiquement ; 2* ceux qui font ou laissent périr vo
ment les denrées et marchandises de première i
(art. 2 et 3). Aux termes du même décret (art. 4),
cliandises de première nécessité sont : le pain, la v
vin, les grains, les farines, les légumes, les fruits. Je
le vinaigre, le cidre, Teau-de-vie, le charbon, le bois
le soude, le savon, le sel, les viandes et poissons sec
salés et marines, le miel, le sucre, le chanvre, le pa
laines ouvrées, les cuirs, le fer, Tacier, le cuivre, le:
la toile, et généralement tontes les étoffes, ainsi que
liéres premières qui servent à leur fabrication, les
exceptées. Un autre décret du 29 août 1795 range
sines, les brais et goudrons parmi les denrées dont l
rement est défendu. 'Un décret des 27-28 frimaire
considère pas les papiers imprimés comme objet de p
nécessité.
On juge, par ces définitions légales de Taccaparemcr
cette liste des denrées dont Taccaparemenl était déA
portée de ce décret des 26 et 28 août i 793, qui a
(art. 12), au dénonciateur de Taccaparement un tiers
duit des marchandises (le deuxième tiers aux indigen
troisième tiersàri^jtat),ou une gratification proportion
gravité de sa dénonciation, si les marchandises avaient
truites !
COMMERCE, CHâKGF, Ar.IOTAGE. 255
Avec un pareil décret toute opération commerciale sur les
nrées spécifiées pouvait être considérée comme crime capi-
, et il n'est pas étonnant qu'il y ait eu tant de victimes des
nonciations, et qu'une pareille administration ait laissé un
avenir abhorré.
Mais ce qu'il y a de curieux, c*est que cette loi d'ignorance
de colère n'a jamais été abrogée, et que l'accaparement
lisse toujours être considéré légalement comme crime capi-
1. 11 faut dire cependant que l'article 4-19 du Code pénal ne
mit plus que d'un emprisonnement (de un mois à un an) et
une amende (de 500 fr. à 10,000 fr.) tous ceux qui, « par
unions ou coalitions entre les principaux détenteurs d'une
hme marchandise ou denrée, tendant à ne pas la vendre
1 à ne la vendre qu'à un certain prix..., auraient opéré la
usse ou la baisse des prix des denrées ou marchandises au-
ssus ou au-dessous des prix qu'avait déterminés la concur-
nce naturelle et libre du commerce. »
C'est moins draconien , mais ça l'est encore , et de plus
îst peu intelligible. Qu'est-ce que la concurrence naturelle
libre du commerce sans le droit de s'entendre pour vendre
i ne pas vendre, sans le droit de faire baisser ou hausser les
ix en vendant ou en ne vendant pas, selon ses propres inspî-
tions ou celles des autres? et pourvu qu'on ne se livre pas
des manœuvres déloyales.
En d'autres pays, à part les circonstances de la révolution,
sauf exception, l'état général de l'opinion laisse encore fort .
faire sur ce point à" l'enseignement éconouiique. 11 y a dans
législation anglaise de nombreuses dispositions pénales pour
Jnir et prévenir l'accaparement. On trouve déjà dans Smith
iv. IV, chap. v), qui fait une longue digression sur* le com-
erce et la législation des grains, un aperçu historique des
^positions qui onfservi de base à la critique et à sa lumineuse
ssertation. Toutefois l'Angleterre est un des pays où la légis-
ion et l'opinion publique ont fait le plus de progrés en cette ^
itière, comme en beaucoup d'autres.
En France, c'est dans les Capitulaires deCViarVem^çcv^oî^^^
254 NOTES ET PETITS TRAnÉS.
trouve la plus ancienne loi connue contre les accaparements; elle
a été suivie depuis par une foule d'ordonnances des rois et
d'arrêts des parlements. Chez les Romains, à diverses époques,
le crime d'accaparement et d'association a été puni d'amendes,
de confiscation et d'exil.
L*opinion des masses, y compris celle des classes dites éclai-
rées, est tout aussi peu avancée au xix« siècle qu'elle Pétait
sous les Romains au commencement de notre ère *. Elle est
encore imbue des préjugés grossiers et dangereux qu'Adam
Smith comparait déjà (1775J aux soupçons et aux terreurs
inspirés par les sorciers, et qu'on ne déracinera des esprits que
par reflet prolongé d'un enseignement populaire comprenant
les notions de l'économie politique.
VI
Dans tout ce qui précède, nous avons parlé de Taccapare'
ment opéré sur les produits. Dans le Dictionnaire de Vésmiy
mie politique^ M. \mbroise Clément fait remarquer qu*il}t
un autre accaparement qui peut s'opérer sur les moyens de
production, tels que l'accaparement de mines de houille o»
autres exploitations minières ; l'accaparement de certaines
entreprises agricoles, industrielles ou commerciales : forges,
fabriques de glaces, salines, sources thermales, voitures publi-
ques, etc. Les réflexions auxquelles ces espèces d'accapareineiils
peuvent donner lieu ont trouvé leur place dans le Traité éCko-
nomie politique, en parlant de l'Association et du Monopole'.
* La loi Julia punissait l'accaparement d'une amende de vingt éo»
d'or.
* V. 5* édition, ch. ix et xn.
l'r
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 255
III. NOTICE SUR L'APPROVISIONNENEM*
I. Mécanisme naturel de Tapprovisionneraent. — II. Approvisionnements
publics en grains et farines: action du gouvernement; action du
commerce. — ïlï. Approvisionnement d'eau dans les villes. — IV.
Approvisionnements de ménage. — V. Approvisionnement d'une
armée.
{Traité d'Économie politique ^ chap. n, sur Tindaslrie commerciale; ch. vu, sur
la libre concurrence; — chap. ix, sur la réglementation.)
g I. MéeAnifliue naturel de l'approvUioniienieiit.
Il n'y a pas de sujet plus intéressant pour une population
que son alimentalion. Primo vivere^ a dit Voltaire, deinde phi-
losophari; il faut vivre d'abord, on peut philosopher ensuite.
Mais heureusement la nature a doué Thoinine d'un stimulant
énergique, Tintérêt individuel, dont Faction, s'exerçant uni-
versellement, fait naturellement et incessamment correspon-
dre Tapprovisionnement au besoin d'alimentation et aux autres
besoins. Il rie faut pour cela qu'une chose : la liberté et la sé-
curité des transactions. La nécessité de manger et de se pro»
curer de quoi satisfaire aux autres exigences de la vie pro-
voque la culture du sol ou l'exploitation des mines et car-
rières, qui occupe une partie de la population, tandis qu'une
autre partie met en œuvre les produits du sol et échsCnge son
travail et ses services avec la première. Elle est aidée dans cet
échange par une troisième partie de la population, qui sert
d'intermédiaire, s'occupant plus spécialement de répartir, par
le transport et la voie des échanges, les produits agricoles et
les produits manufacturés des lieux de production aux lieux
de consommation, des mains du producteur aux mains des
Consomtnateurs. Une autre grande catégorie de travailleurs
s^adonnent aux sciences, à l'enseignement, aUx lettres, auX
* 2* editibn, àugmeiitée du § Il relatif àui approvisionnements publics,
à l'action du gouvemetnent et du commerce. — La 1~ édit. dans le Otc-
^îonnaire universel du Commerce et de la ^am^QXx(m^ pM\A\ê ^Tix U» ^\r\-
^o.umm, i86..
256 SCOTES ET PETITS TRAITÉS.
fonctions gouvernementales (judiciaires, militaires^ adminis-
tratives), à Tart de guérir, aux voyages, aux beaux-arts,auxarts
d'agrément, etc., et fournissent plus ou moins indirectement
ou avec le secours d'arts intermédiaires leurs produits ou
leurs services aux classes que nous venons de citer et qui les
payent plus ou moins directement ou avec le secours d*inte^
médiaires par des produits agricoles ou manufacturés, parmi
lesquels les subsistances figurent en quantité notable. Ce qui
anime tout ce monde, ce qui stimule Tagriculleur, Tacheteurilc
manufacturier, le commerçant, Tartiste, le savant, Textrac-
teur ou Touvrier, c'est le Besoin, c'est l'Intérêt, c'est la libre
Concurrence. C'est ainsi que la production de toute chose, que
la séparation des. occupations, que la circulation, l'échange
et la répartition des produits se font d'elles-mêmes, et que le
Commerce, universellement répandu et reliant toutes les
branches du travail entre elles, exerce l'action incessante ie
l'approvisionnement .
L'autorité publique de l'État, ou de la Province, ou de la
Commune n'a donc pas à s'immiscer dans des rouages qui
fonctionnent bien sans eux, et qui ont été conçus par l'or-
donnateur suprême pour fonctionner sans eux. Lear missioa
est simplement de se tenir attentifs, de veiller à ce que des
obstacles et des entraves ne viennent déranger la nature des
choses, à faire que la liberté et la sécurité des transactions
soient parfaites, et ensuite à laisser faire et à laisser passer,
c'est-à-dire à laisser travailler et à laisser échanger. C'est à
cette combinaison si simple qu'a conduit l'économie politique;
mais on a longtemps cru le contraire, et l'opinion ne s'est pas
encore rangée entièrement du côté de la science. De sorte que
tous les gouvernements ont été conduits et que la plupart sont
encore conduits à se préoccuper de mesures administratives
capables, ou soi-disant telles, de faciliter les approvisionne-
ments, mais dont le résultat a toujours été contraire au but
qu'ils se proposaient.
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 257
§ II. Appro¥i»ioiinenieiiUi publie» en ipraiiM el farine».
— AelioB dn souvemenieiie; «etioB di4 eomnieree.
C'est surtout à propos des subsistances alimentaires et par-
liculièrement des grains ou farines que les gouvernements des
États ou des grandes villes ont recherché dans leur interven-
vention et la réglementation les moyens de faire ou de faci-
liter rapprovisionnement.
Ces moyens ont consisté dans le passé et consistent encore
de nos jours dans Tachât des grains et leur revente par Tauto-
rite, — dans la conservation des réserves dans des maga-
sins publics, dits greniers d'abondance^ — dans la prescription
de réserves aux boulangers, — dans la prohibition de ventes
autres que celles effectuées sur le marché, — la prohibition,
sous des peines très-fortes, de Taccaparement, — la prohibition
d'exporter les grains, — ou de les employer à la distilla-
tion, etc^
Toutes ces opérations et ces mesures ne peuvent produire
ce qu'on en attend, car elles n'ont aucune efficacité ; elles
donnent, de plus, lieu à de nombreux abus, et ont le grave
inconvénient de décourager le commerce et d'en suspendre
l'action. — Parlons d'abord des achats de grains par U autorité .
Les agents d'une administration générale ou à'une adminis-
tration urbaine sont parfaitement incapables de faire les
achats à propos et avec avantage. Ils sont toujours mal ren-
seignés sur la nature des récolles et la situation des appro-
visionnements locaux. Aussitôt qu'ils se mettent en mesure
d'agir, leur préoccupation et leurs démarches jettent l'a-
larme dans le pays et sont cause, d'une ^part, que tous les
particuliers cherchent à grossir leurs approvisionnements, et,
d'autre.part, que les détenteurs de grains et de farines devien-
nent moins empressés à vendre et plus exigeants, d'où ré-
sultent le ralentissement des échanges et de la circulation des
grains, l'augmentation de la demande, la diminution de l'offre
et finalement la hausse des prix qu'on voulait prévenir.
260 HOTES ET PETITS THAITÉS.
1 8H , les informations du gouvernement lui avaient exagéré le
déficit; en 1846, elles le lui avaient caché.
En 4846, le gouvernement rendit le commerce des céréales
plus libre en supprimant provisoirement le tarif des céréales ;
mais comme il prit cette mesure fort tard, elle ne produisit
pas lous les effets qu'on pouvait en attendre, le commerce
n'ayant pu prendre à temps les dispositions nécessaires pour
combiner ses spéculations et organiser ses relations. Or, un
des avantages du commerce libre consiste principalement dans
la permanence de cette organisation commerciale toute prête
au moment de la disette pour fonctionner en vue de Tappro-
visionnement et de Taccroissement de l'importation des cé-
réales. Le gouvernement de 1846 n'osa point proposer aux
chambres la suppression du droit sur les bestiaux, les viandes
et les autres substances alimentaires !
En 1853, au début de la disette qui s'est prorogée par suite
de la faiblesse des récoltes de 1854, 1855 et 1856, le gouver-
nement ^supprima de bonne heure les droits sur les céréales
et réduisit radicalement les droits sur les viandes et les bes-
tiaux. Il eut aussi le bon esprit de rassurer de bonne heure le
commerce en déclarant, comme celui de 1817, que l'action de
l'administration serait plus nuisible qu'utile dans les opéra-
tions relatives aux achats des substances alimentaires, et que
le commerce seul était capable de faire venir et de répandre
dans toutes les localités le plus d'aliments possibles. Toutefois,
soit par .faiblesse, soit par préjugé ou pour ne pas brusquer
l'opinion des masses, il établit des prohibitions regrettables,
telles que la prohibition de distiller les céréales et la prohibi-
tion de la sortie des pommes de terre, des légumes secs, des
châtaignes, etc.
L'exposé des expériences faites chez les autres peuples de-
puis soixante ans donne des faits analogues. En 1856-1857, le
gouvernement espagnol, commettant la faute des gouverne-
ments français de 1811 et 1817, a voulu faire des achats par
lui-même, et a dépensé en pure perte une somme assez consi-
dérable pour ne produire (\\ie dvi^ tfe^uUats fort insignifiants.
COMMERCE, CHARGE, AGIOTAGE. 261
Les greniei's d'abondance^ ou magasins publics, tenant en
réserve des grains pour les temps de disette, doivent être mis
au nombre des illusions de l'administration et du public. Ce
sont des institutions qui ont, dit-on, existé dans Tantiquité,
dans Tenfance des sociétés, mais qu'il n*a jamais été possible
de réaliser de nos jours.
L'histoire nous parle des approvisionnements de Joseph en
Egypte à la suite des songes de Pharaon. Ce ministre patriarche
amassa pendant sept ans le cinquième de la récolte et le res-
serra dans les villes, et quand vinrent les années de famine,
il le distribua*.
Les Grecs connurent aussi les greniers d'abondance ; il y avait
des dépôts publics dans Athènes, à TOdéon, au Pompéien et h
l'Arsenal maritime. Démosthéne fit partie des st/onom^, c'est-à-
dire des administrateurs de ces dépôts. À Sparte, on vivait en
communauté et on devait avoir des magasinsgénéraux. A Rome,
on cite de nombreux greniers qui renfermaient des blés ap-
portés de la Sicile, de la Sardaigne, de l'Âttiqueet de l'Egypte,
et dont on faisait des distributions mensuelles et gratuites à di-
verses catégories de prolétaires. Mais ce sont là de simples
vestiges historiques qui ne prouvent pas grand'chose dans la
question qui nous occupe. L'opération de Joseph ne semble
pas avoir été imitée ; Athènes et Sparte étaient deux cités fort
restreintes, et de plus Sparte était une espèce de caserne. A
Rome, les distributions de blé étaient une simple taxe des
pauvres, et les magasins dont on nous parle ne fonctionnaient
pas comme des greniers d'abondance.
L'expédient des greniers d'abondance, que l'on retrouve
dans l'histoire moderne de plusieurs villes, fut un de ceux aux-
quels on voulut avoir recours sous la Révolution. Un décret de
la Convention du 9 août 1793 ordonna la formation d'un gre-
* Les bâtiments qu'on appelle au vieux Caire les greniers de Joseph sont
un ensemble de cours sans voûtes ni couvertures, entourées de murs dont
la construction remonte aux Sarrasins. On y dispose le blé qu'oir paie en
tribut au grand seigneur de toutes les parlies de l'Egypte. Ce sont des
dépôts provisoires qui ne fonctionnent pas comme nos greniers d'abon-
dance proprement dits.
262 ROTES ET PETITS TRAITÉS.
nier d'abondance dans chaque district et des fours publics
dans chaque section des villes : — le Trésor devait tenir cent
millions à la disposition du conseil exécutif pour l'achat des
grains, outre ceux que les particuliers étaient autorisés à ver-
ser en payement de leurs contributions. Par un autre décret
du 10 septembre, la Convention régla le mode de distribution
des blés ; mais ce plan, qui aboutissait à des distributions gra-
tuites et à une taxe des pauvres, ne reçut qu'un faible com-
mencement d'exécution, et ne fut pas suivi.
Un semblable projet fut repris sous l'Empire et ne fut pas
poussé plus loin. Il est résulté de celte tentative l'érection de
vastes magasins sur le boulevard Bourdon, à Paris, restés
pendant un demi-siécle à l'état improductif.
En résumé, des greniers d'abondance nécessiteraient, quand
il faudrait les remplir, des achats par l'autorité, qui auraient les
inconvénients que nous avons signalés plus haut; il en serait
de même quand il s'agirait d'écouler les quantités emmagasi-
nées pour la vente; ou bien, dans la plupart des cas, cette vente
serait remplacée par un don gratuit ou à peu près, au grand
détrinient du trésor public et sans profit pour les masses.
Les entrepôts de douanes contiennent souvent des quantités
notables de céréales et de farines, et sont, par le fait, de véri-
tables greniers d'abondance ; mais ils résultent des spécula-
tions du commerce, profitant des facilités que leur offre la
douane, et ils n'ont aucun rapport avec les greniers d'abon-
dance d'organisation administrative.
Les projets avortés de greniers d'abondance ont laissé après
eux le système dit des réserves^ qui consiste dans l'obligation
imposée aux boulangers, dans plusieurs villes, de tenir en ré-
serve chacun une certaine quantité de farine, déposée dans un
magasin public. Ces réserves sont une véritable illusion : si le
commerce n'en avait pas d'autres dans ses dépôts naturels,
par suite des spéculations auxquelles il se livre , ces ré-
serves ne pourraient suffire que pour un petit nombre de
jours. Elles donnent, en outre, lieu à des frais de transport,
de manutention, de garde, d'avaries, d'intérêt du capital, à
COMIIERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 265
une perte de temps, à des démarches et des désagréments
avec la police qui se tradubent par une élévation des prix.
Toutes les prohibitions de vente, ailleurs que sur le marché;
toutes les entraves à la circulation ou à la vente; toutes les pro-
hibitions d'accaparement (V. p. 244); toutes les défenses d'ex-
portation et de distillation sont des violations de la propriété
des possesseurs des grains; toutes arrêtent Finitiative du com-
merce, soit en Teffrayant, soit en lui ôlant Tappâl d'un béné-
fice légitime, soit en lui faisant courir des chances de perte ;
toutes découragent la production agricole ; toutes, au lieu d'a-
gir pour faciliter l'approvisionnement, produisent un effet in-
verse.
En résumé, les approvisionnements sont l'affaire du com-
merce et non celle du gouvernement. Le devoir de celui-ci est
dé supprimer toutes les entraves, toutes les prohibitions, — et
de protéger l'entière liberté des transactions et des marchés,
la sécurité des routes pour toute spéculation, toute circulation,
toute exportation.
a Les règlements et les gènes ne produisent pas un grain
de plus; mais ils empêchent que le grain surabondait dans un
lieu ne soit porté dans les lieux où il est plus rare. La liberté,
quand elle n'augmenterait pas la masse des grains en encou-
rageant la produclion, a au moins l'avantage de répartir le
plus promptement et le plus également possible les grains qui
existent *. » — Que le gouvernement se garde donc de vouloir
faire des approvisionnements par lui-même, organiser des- con-
seils ou des commissions de subsistance, faire des achats et des
ventes, et se mettre à la place du commerce, ou jouer le rôle
de la Providence. — Ce sont là des fonctions en dehors de sa
nature et au-dessus de ses forces. En se les donnant, il accroît
la disette et la crise; en restant dans ses attributions, en fai-
sant respecter l'ordre, en garantissant la sécurité, en faisant
rendre la justice, en laissant faire au commerce tout ce qu'il
* TuRGOT, Lettregsur la liberté du commerce des grains, tome I, p. 198
fie se? O^^vreSy éd. Quiilaumin,
26 i NOTBS ET PETITS TRAITéS.
peut faire, il atténue les effets déjà crise et de la disette ao^
tant qu'il lui est donné de le faire.
§ III. Approvi^ioBneaieBe d'eaa ^mmm Imi Tilletf.
L'eau en abondance est un des principaux besoins des ta-
milles et aussi un des principaux besoins collectifs des grandes
agglomérations d'habitations et de population. Si on ne peut
en faire une grande consommation pour le ménage, pour Ta-
limentation des fontaines et des lavoirs, pour Tarrosage et le
nettoiement des rues et des égouts, les conditions de Vhy.
giène ne sont pas remplies et le séjour de la ville est dange-
reux et morbide ; de sorte que les municipalités ne sauraient
faire un meilleur emploi des ressources que les citoyens met-
tent en commun.
Ce genre d'approvisionnement diffère par sa nature de la
plupart des autres en général, et en particulier de celui que
nous venons d'examiner. La concurrence ne peut s*y exercer
complètement dans la véritable acception du mot. On conçoit
parfaitement la liberté complète de la profession de porteur
et de fournisseur d*eau ; mais Tautorilé est obligée d'inter-
venir pour l'établissement des fontaines et l'aménagement des
eaux de la communauté. Elle est obligée d'intervenir, dans
une certaine mesure, quand il s'agit de placer sous le sol des
rues une canalisation assez compliquée de tuyaux distribu-
leurs, côte à côte avec ceux du gaz à éclairer.
Dans ce cas, le soin des approvisionnements de l'eau peut
être complètement attribué aux municipalités qui font faire et
entretenir les travaux directement par leurs agents et par voie
de régie ; ou bien encore (et c'est le cas le plus fréquent) qui
concèdent, sous de certaines conditions, le privilège de la
fourniture des eaux à des compagnies particulières, lesquelles
s'entendent ensuite avec ceux des habitants qui consentent à
payer l'eau au prix du tarif arrêté.
Il est probable, dit un économiste qui a traité le môme sujet,
que le service confié à des compagnies est régi avec plus d'é-
COMMERCE, change; AGIOTAGE. 265
conomie et d'intelligence que lorsqu'il reste sous la direction
immédiate des municipalités; car toute la surveillance et toute
ia bonne volonté possibles ne sauraient donner aux agents
administratifs le stimulant énergique et incessant qu'apporte
dans le service des compagnies .l'intérêt personnel des entre-
preneurs ; mais cette supériorité de gestion profite principa-
lement aux compagnies; et, d'un autre côté, il parait résulter
des enquêtes publiées en Angleterre que le service de celles-ci
se concilie difficilement avec les besoins de toutes les classes
de la population, et que les classes pauvres ne peuvent être
bien pourvues d'eau que dans les villes où l'administration
accepte d'en régler la distribution ^
Sans doute la municipalité est plus libérale et se laisse plus
facilement entraîner à des dépenses ; mais il y a ici deux ob-
servations à faire: la première, que les classes pauvres payent
plus ou moins directement et plus ou moins chèrement, sur-
fout dans les villes à octrois, la libéralité des agents muni-
cipaux ; — la seconde, que l'administration de la ville peut
obtenir, en renouvelant le bail de la compagnie concession-
naire, les réductions de prix indiquées par l'expérience et le
progrès de la science hydraulique. Il est vrai que ce moyen ne
'vaudrait pas à beaucoup près celui de la libre concurrence,
s'il était matériellement possible de laisser poser des tuyaux à
tout entrepreneur de bonne volonté.
S IV. Appro¥i»ioiuienieiit» da ménage.
Une croyance assez répandue, c'est qu'il y a toujours avan-
tage pour un ménage à faire de gros approvisionnements, à
chercher à se passer de l'intermédiaire du marchand et du
détaillant, et à bénéficier son profit. Sauf pour des circon-
stances ou des cas exceptionnels, il y a une illusion dans cette
manière de voir, et voici les raisons que nous avons résumées
ailleurs.
* M. A. Clément, Diction, de VÉcon. polit., reproduisant l'opinion de
Horace Say, Étude» sur Vadministr, de la ville de Paris,
266 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
« 1° En calculant rigoureusement, on voit qu'il est rare de
retirer de semblables opérations Tavantage qu'on s'en était
promis : d'abord on est victime de son inexpérience, et l'on
paye pour les fautes que Ton fait dans un métier que Ton ne
connaît pas ; 2" on est exposé non-seulement à être trompé
sur les qualités, mais à perdre par les avaries ; 3** si les mar-
chandises ne conviennent pas tout à fait, il faut néanmoins les
garder, tandis qu'un marchand a plusieurs moyens de placer,
chez certaines pratiques, une marchandise qui ne convient
pas à d'autres ; 4-** il faut un local spécial pour une marchan-
dise qu'on a fait venir en provision, et qui ne peut être con-
sommée qu'au bout d'un certain temps ; 5° l'avance du prix
coûte, en général, un intérêt qui est une augmentation de dé-
pense ; 6" on consomme quelquefois d'une marchandise, dont
on a une provision, un peu plus qu'on n'aurait fait si l'on eût
toujours attendu que le besoin eût forcé d'acheter; 7" on ne
compte pas les faux frais et les risques, toutes choses qui, pour
n'avoir pas été rigoureusement appréciées dans le calcul éco-
nomique qu'on a cru faire, ont néanmoins une valeur qui
renchérit ce qu'on s'est imaginé acquérir à. meilleur compte ;
8^ enfin, pour faire cette opération, on a souvent négligé des
affaires bien autrement essentielles.
« Et finalement qu'a-t-on épargné? Le plus souvent on a
évité de payer à un commerçant un bénéfice réduit à n'être
tout juste que le salaire d'une façon productive qu'il a fallu
donner également et qui a coûté bien plus cher. L'attention et
les soins que l'on consacre à son affaire principale sont géné-
ralement les mieux récompensés, parce que ce sont les plus
éclairés, les nj^eux dirigés, ceux où l'on est le mieux servi par
son expérience. Lorsqu'on veut, au contraire, courir après plu-
sieurs sortes de bénéfices, on risque de les voir s'échapper
tous^»
Les publicistes, qui de nos jours ont traité le commerçant
d'inutile et de parasite, ont-ils bien réfléchi sur la vérité de
* Traité 4' écon. polit., 5« édjt., chap. vi, alinéa 153,
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 267
ces détails qui montrent à la fois i'utililê du rôle des intermé-
diaires du commerce, comme aussi les inconvénients des gros
approvisionnements?
En ce qui touche ces derniers, il esl évident qu'ils n*ont
I raison d'être dans une certaine proportion que pour tout mé-
nage éloigné d*un centre de consommation, et qu'en tous cas
ils n'ont pas pour effet de diminuer le prix des produits et de
faire bénéficier par le consommateur le profit du marchand.
c Partout où l'on peut facilement se procurer en tout temps
des choses dont on a besoin, dit J. B. Say^, il ne convient pas
de faire de gros approvisionnements : ils occupent de la place,
se détériorent et sont exposés à devenir la proie des animaux
et des voleurs ; enfin ce sont des valeurs mortes, des capitaux
oisifs qui pourraient rapporter un revenu. Les meilleures
provisions, celles qui coûtent le moins à garder, et que l'on
court le moins de risque à perdre, se trouvent chez le mar-
chand. »
§ V* Approviflioimemene d'ane armée.
C'est la tâche la moins brillante et souvent la plus dif-
ficile de ceux qui reçoivent ou se donnent la mission de con-
duire des armées en campagne. Il faut des soins infinis et un
grand talent administratif pour faire suivre les troupes de ce
qui leur est nécessaire et même indispensable, la nourriture
notamment. Les généraux en chef pourvoient aux besoins des
corps qu'ils commandent, au moyen d'agents directs ou au
moyen de fournisseurs et de munitionnaires, faisant souvent
avec eux des marchés scandaleux dont ils sont les premiers à
profiter, aux dépens des troupes et au grand détriment de la
morale publique. Dans les deux cas, le commerce intervient
toujours quand il peut, et est un puissant auxiliaire lorsqu'on
s'adresse à lui franchement, quand il est sûr que son inter-
vention sera payée, et qu'il ne sera pas vilipendé, maltraité et
rançonné par les gens d'uniforme. L'expérience a prouvé que
celles des armées qui pillent sur leur passage sont bien moins
* Cours camphtj tome II, p. 236.
9M 90TES ET RTfis i%àn€s,
appronskmiiées que celles dont les soldats ic&peilcMt h pro-
priété et payent ce dont îk ont besoin. Lwd Wellîi^tim a ra-
conté qu'il s'était partîcoiiérenient bien trooré de ce simple
procédé pendant la gnerre d'Espagne. Son année était beau-
coup mieux approTisionnée que l'année française, uniquement *
parce que le paysan et le mardiand espagnols saTaient qu'il
payait convenablement les produits et les services dont fl avait
besoin.
IT. LE COHXERCE DU CHÂHGB*
l. Signficatkm du mot Chance. — II. Commerce da diange. — in. Prix
et Pair da change. — lY. Variatkms da prix du change. — Y. Do change
ffoi^sant, lavorable oa défaTorable. — YI. Opérations de change. —
Yll. Arbitrages de banque. — YIII. Ecrits sar le change. — VL. Cootnt
de change.
I !• «icaUleatiMi dm WÊmê duuise.
Le mot de Change^ a, en dehors de Tacception littéraire,
qui n'est elle-même qu'un trope de racceplion de vénerie, plu-
sieurs significations économiques et commerciales qu'il est im-
portant de préciser tout d*abord.
II indique une des branches du commerce des banquiers,
le commerce de place en place ou d'un lieu à un autre des
monnaies et surtout des lettres de change et des autres effets
de commerce qui en sont la représentation. Il indique aussi,
par abréviation, ce que les banquiers nomment encore le prix
du change^ c est-à-dire le prix auquel se vendent et s'achètent
ces différents effets, papiers ou valeurs. C*est dans ces deux
sens que nous l'entendrons dans cet article, où nous nous pro-
posons de traiter particulièrement de la branche particulière
du commerce de la Banque que nous venons d'indiquer, et
* 2« édition; la !'• édition dans ]e Dictionnaire, de l'économie politique.
* Du latin cambium, troc, échange, change, et de l'italien cambiOj d'où on
a fait cambitte. On dit place cambiste d'une ville où on fait le commerce
du ctoOgg Bur une grande échelle. On dit cambiste d'une personne qui
I opérations et calculs du change.
COMMERCE, CHARGE, AGIOTAGE. 269
que des auteurs du dix-huitième siècle désignent sous les noms
(le change réelj change mercantile et même change mixte.
Le met de Change exprime aussi le commerce des changeurs,
qui vendent et achètent en boutique des billets de banque et
des papiers payables sur des maisons de premier ordre, des
monnaies d'or ou d'argent nationales ou étrangères, ou qui,
pour parler plus usuellement, échangent ces billets et ces
pièces contre d'autres billets ou d'autres pièces, à la conve-
nance de ceux qui s'adressent à eux. Ils tirent naturellement
un bénéfice de ce trafic, et ce bénéfice ou agio porte aussi le
nom de change.
Jadis on distinguait le Change proprement dit, le commerce
de place en place, de celui des changeurs en désignant celui-
ci sous les noms de menu change, change pur, change naturel,
change commun ou change manuel. On dit aujourd'hui plus
clairement change de monnaies.
Le niot de Change a aussi une signification judiciaire, géné-
rale, désignant la convention par laquelle on donne une chose
pour une autre, d'un lieu à un autre. Sous ce rapport il a
vieilli, et est actuellement remplacé par Contrat de change
(V. p. 287). ,
Il a eu des acceptions plus restreintes, que l'usage a peu à
peu rejelées, et que nous devons rappeler cependant, parce
qu'on les rencontre Souvent dans les écrits du dernier siècle.
Change se disait aussi, soit du lieu où s'effectuait le change
des espèces en d'autres espèces, soit encore du lieu ou de la
place où se faisait le commerce du change. Le mot anglais ex-
change sert à désigner le lieu, l'hôtel de la Bourse où on fait
des affaires de change proprement dit.
Change signifiait encore ce qu'on appelle plus particulière-
ment aujourd'hui la monnaie d'un billet ou d'une pièce, c'est-
à-dire l'ensemble des pièces fournies par les changeurs. 11 se
disait pareillement de l'agio entre l'argent de banque et l'ar-
gent courant.
Enfin il se disait quelquefois de Tlntérèt de l'argent et aussi
de l'Escompte (qui Sont tout autre chose que le prix du
270 MOTES ET PETITS TRAITÉS.
change), pour des sommes prêtées à court joui* entre co
merçanls ou pour d'autres avances. C'est dans ce sens qi
faut se rendre compte des mots change sec, adultérin, fe
ou impur, qui servaient à désigner le profit de certaines o]
rations au-dessus du taux légal et flétris comme usuraires.
Ces dernières significations ont heureusement cessé d*ê
en usage; et dans les lignes qui suivent, nous le répétons, ne
allons nous occuper seulement du commerce du change.
§ II. Da eommeree da ehaiise.
Ce . commerce du change, auquel se livrent plus particul
rement certaines maisons de banque, est utile à tous ceux (
ont des payements à effectuer en d'autres pays ou des rec(
vremenls à y faire : avec les facilités qu'il donne, celui qui a
l'argent dans une ville peut se le procurer sans se faire ej]
dier directement des espèces, et réciproquement celui qu
besoin de faire parvenir une somme dans une ville peut sa!
faire son créancier sans se donner la même peine, avoir
mêmes soucis et courir les mêmes risques ; il y a plus, c'
que souvent ce commerce permet de tirer bénéfice, soit c
recettes, soit des payements qu'on a à faire.
En effet, le commerce du change s'établit entre ceux qui (
des dettes à payer dans différents pays, et ceux qui ont c
fonds à y recevoir; il consiste pour les négociants et les b(
quiers à vendre l'argent qui leur est dû dans différentes vil
de leur pays ou des pays étrangers, à des personnes qui le
en payent la valeur. Cette vente ou transmission se fait au moj
de la vente d'une Lettre de change, c'est-à-dire d'un ordre
payer qu'ils adressent à leurs débiteurs, pour leur prescrire
payer à ces acheteurs ou à leurs délégués; et c'est ainsi que
trouve évité, pour le plus grand nombre de cas, le transp<
des monnaies, par la compensation réciproque des dettes p;
tiçuliéres entre eux, des dettes des localités et des nations c
s'achètent, se vendent, se transmettent des propriétéSy des p:
duits ou des valeurs.
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 271
n y a toujours à Paris un grand nombre de personnes qui
doivent à Harsdlle, par exemple; mais on peut dire aussi,
dune manière générale, qu'il y a toujours à Marseille un grand
nombre de personnes qui doivent à Paris. Il en résulte que si
A de Paris a un payement de i ,000 fr. à faire à B de Marseille,
il n*a pas besoin d'envoyer un sac d*écus à ce dernier; il peut
acheter à un banquier une lettre de change sur Marseille, ou
payable à Marseille, c'est-à-dire un ordre adressé par un créan-
cier G de Paris à son débiteur D de Marseille, pour que celui-ci
paye à A de Paris ou à son ordre, k de Paris transmet cette
valeur, par un endossement écrit sur la lettre, à B, son créan-
cier de Marseille. Celui-ci vend sa lettre à un autre, ou se pré-
sente chez D à l'échéance, et reçoit, d'une manière ou de
l'autre, le montant de sa créance sur A de Paris. Ainsi se
trouvent acquittées : la dette de A de Paris vis-à-vis de B de
Marseille, et la dette de D de Marseille vis-à-vis de G de Paris,
sans transport de numéraire, par l'envoi et la circulation de la
lettre de change, qui ne nécessite que quelques menus frais de
banque (intérêt, commission, courtage, ports de lettres, tim-
bre), inférieurs au coût du double transport des espèces, et
sans les risques et l'embarras qu'occasionnerait ce mouvement
de fonds.
Nous venons de décrire une opération de change intérieur.
Si à la place de Paris et de Marseille nous avions pris Paris
et Londres, nous aurions décrit une opération de change,
étranger.
Hais on n'aurait qu'une idée incomplète du mécanisme des
changes, si l'on supposait qu'il y a toujours deux courants de
lettres de change en sens contraire entre deux pays. On voit
constamment des lettres tirées d'un pays sur un autre, sans
qu'aucune traite ne soit faite de ce dernier sur le premier. Un
fabricant de Lyon, comme le fait remarquer M. H. Say dans son
Histoire des relations entre la France et le Brésil (ch. vu),
expédie des soieries à Rio de Janeiro, et devient le créancier
du correspondant de celte ville; d'autre part, un négociant du
Havre, qui a besoin de recevoir du café pour alimenter son
272 KOTES ET PETITS TRAITÉ?.
commerce avec Paris, s'adresse à un autre correspondant qui
lui expédie du café, devient ainsi son créancier, et fait sur lui
une traite payable au Havre. Cette traite est naturellement
achetée par le commissionnaire qui a vendu les soieries, et qui
la fait passer au fabricant de Lyon en remboursement de ses
tissus. Et c*est ainsi que Ton voit des lettres tirées de rAmé-
rique sur l'Europe, bien plus constamment que des lettres ti-
rées d'Europe sur l'Amérique. C'est ainsi que le Brésil ou tout
autre pays peut aussi constamment solder les marchandises
qu'il fait venir de Paris avec des traites sur Londres, par
exemple, au moyen desquelles il se rembourse de ses envois
de sucre ou de café.
Quoi qu'il en soit, on voit donc que l'origine, la source du
change se trouve dans la réciprocité des dettes ; mais il est
évident que ce commerce n'a pu prendre une certaine exten-
sion que depuis l'invenlion de la lettre de change, signe repré-
sentatif des monnaies, constituant la valeur des dettes et des
créances réciproques des parliculiers et des nations. A partir
de ce moment, le change et le crédit particulier ou public ont
été munis d'un admirable instruments dont Ja circulation est
susceptible d'un incomparable degré de rapidité.
§ Ill« Prix e( Pair dn ebanse. *
D'après ce qui précède, on peut dire qu'une opération de
change intérieur consiste à vendre ou à acheter une somme en
monnaies nationales, payable dans une autre place de l'inté-
rieur; et qu'une opération de changes étrangers consiste à
vendre ou à acheter une somme de monnaies étrangères
payable dans une place extérieure. Le prix auquel on vend
dans un lieu la somme d'argent ou d'or, qui doit être payée
dans un autre, est ce qu'on appelle, avons-nous dit, le prix
du change ou simplement le change. A Paris, le change sur
* Le change et la banque font aussi un fréquent emploi des autres effets
de commerce : le mandat, le billet à ordre, le chèque, le billet de ban-
que, etc.
COMIIBRCE, CHANiiE, AGIOTAGE. 273
Marseille, c*est le prix auquel on y vend des francs payables à
Marseille ; — à Madrid, le change sur Barcelone, c'est le prix
auquel on y vend des réaux payables à Barcelone. Le change
de Paris sur Londres est le prix à Paris des livres sterling
payables à Londres ; et réciproquement à Londres le change
sur Paris, dit de Londres .sur Paris, c'est le prix auquel on
vend à Londres les francs payables à Paris.
Le prix du change intérieur se cote dans les cours des
changes à tant pour cent de perte ou de bénéfice. Â Paris, par
exemple, on dit que le change sur Marseille est à 1/4 bénéfice
ou 100 ^|iy c'est-à-dire que 100 fr. payables à Marseille valent
iOO fr. 25 c. à Paris. A Madrid, on peut dire que le change sur
^ Barcelone est à 1 de perte ou à 99, et cela signifie que iOO
réaux payables à Barcelone se vendent â Madrid 99 réaux. Le
prix du change, comme tous les prix courants, se compose de
deux termes : l'un, le nombre 100, correspondant au montant
delà lettre de change ou de l'effet de commerce, est invariable
et s'appelle le certain; l'autre, correspondant â la valeur de
TefTct, est variable, et s'appelle V incertain.
Le prix du change étranger est aussi exprimé en raison de
deux termes. Les diverses places cambistes donnent le certain
aux unes, l'incertain aux autres, et cotent avec quelques-unes
le change à tant pour 100. Ainsi, par exemple, le change de
Paris sur Londres est coté à 25,50, plus ou moins; le change
de Paris sur Lisbonne, à 640, plus ou moins; celui de Paris
I sur Francfort, à 1/2 perte ou à 99, plus ou moins, c'est-à-dire
que Paris donne (l'incertain) ^5 fr. 50 c, plus ou moins, pour
1 livre sterling payable à Londres ; que Paris donne toujours
5 fr. (le certain) pour 640 reis, plus ou moins, payables à Lis-
bonne ; que 99 1/2 francs de Paris, plus ou moins, valent 100 fr.
payables à Francfort. On conçoit que pour faire des conver-
sions de monnaies et des calculs de change dans ce dernier
cas, il faut connaître le rapport fixé par l'usage des francs de
France aux florins d'Empire, monnaie de compte de Francfort
(640 fr. =297 florins d'Empire).
Ces prix et ces rapports deviennent de jour en jour plus sim*
274 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
pies, à mesure que les systèmes monétaires se perfectionne!
De leur nature, les calculs des opérations de change sont Ir
faqiles, mais ils sont malheureusement encore, pour beaucc
de pays, longs et compliqués, par suite de l'emploi dans V
pression des prix du change étranger, soit de la méthodi
tant pour 100, soit des monnaies intermédiaires, imaginai
ou de change, qui exigent la connaissance et l'emploi de ne
breux rapports et nécessitent une règle conjointe ou une p
portion composée difficile à poser et qui nécessite i
série de multiplications et de divisions, là où une simple d
sion ou une simple multiplication pourrait suffire, — conr
c'est le cas pour le change entre Paris et Londres, dans lec
le certain est représenté par Tunité, et dans lequel le cerl
et l'incertain sont exprimés en unités ou fractions décim;
de la monnaie de compte des deux pays.
Lorsque le poids d'or ou d'argent pur contenu dans le (
tain est égal au poids d'or ou d'argent pur contenu dans
monnaies qui forment l'incertain, on dit que les lettres
change se vendent au pair. Le pair du change n'est donc ai
chose que l'égalité parfaite entre la quantité de matière f
contenue dans les deux termes du prix du change. En ter
compte de la valeur numéraire des souverains et des pi(
de !?0 fr., comprenant la valeur intrinsèque de l'or ou de J
gent pur qu'elles contiennent, plus les frais de fabrication,
de leur titre ou degré de pureté de l'or que ces pièces c
tiennent, — de leur tailky c'est-à-dire de leur poids ou d
quantité que l'on peut faire de 'souverains avec la hvre ti
et que l*on peut faire de pièces de 20 fr. avec un kilogran
d'or^ — on trouve que la livre steriinjg correspond exacten
à 25 fr. 22 c. On dit que le pair du change entre la France
l'Angleterre est de 35 fr. 22 c*; et cela signifie que l'argent
extrait de 2b fr. 22 c. est égal au poids d'argent que cont
drait une livre st^lîngj si on fabriquait une pièce semblal
* Voici le calcul type de tous les calculs propres à donner le t)aii
autres changes :
averain anglais ;
COmiERCE, CHA^GE, AGIOTAGE. 275
en argent, qui pèserait 25 fois et 22 centièmes de fois 5 gram-
mes d'argent à neuf dixièmes de fm, ou 126,10 grammes.
S !▼. TarUiiioiis du prix du ehaiice*
[je pair du change une fois fixé ne peut évidemment va-
rier, à moins que les gouvernements, fabriquant des monnaies,
ne retranchent une partie de la matière pure des pièces en
continuant à leur donner cours pour la même valeur numé-
raire; ou bien à moins qu'ils ne décident que les monnaies au-
ront cours à un taux plus élevé, sans rien ajouter à leur va-
leur intrinsèque. C'est ainsi que dans le passé le pair variait
immanquablement avec chaque altération des pièces. C'est
ainsi que si le gouvernement français s'avisait de ne plus mettre
que deux grammes et un quart d'argent fin dans le franc, ou
s'il voulait faire du franc actuel la pièce de 2 fr., le pair entre
Londres et Paris serait de 50 fr. 44! c. Hors ces deux cas, qui
deviennent à peu près impossibles parmi les nations civilisées,
puisque la Turquie elle-même a renoncé au stupide procédé
de l'altération des monnaies, le pair du change, une fois fixé,
peut être considéré comme immuable.
Le prix du change est sujet à de constantes oscillations,
comme tous les autres prix courants. Change et vent, disait
jadis le proverbe, varient souvent. Pour que 100 fr. de Paris
valussent exactement 100 fr. de Marseille; pour que la hvre
sterling à Londres ou à Paris valût exactement 2ë fr.22 c«, il
faudrait que toutes les circonstances capables d*influer sur le
prix des lettres de change demeurassent invariables. Or, la
46 20/40 : 1 livre troy d'or ilionnayé;
. 24 : 22 livres troy d'or pur;
1 : 373,20i grammes d'ôr pur;
800 : 1,000 grammes d'or monnayé;
1,000 : 155 pièces de 20 francs;
i : 20 francs : : 1 liv. sterl. : x fr. = 25 fr. 22 c.
On tire 47 souverains et 29/40 d'une livre troy d'or; l'or monnayé est
au titre de 22 karats [22 parties pures sur 24); la livre troy vaut
573 grammes et 202 milligrammes. L'or monnayé français est au titre de
900 (000 d'or par sur 1,000); 100» grammes font 1 kilogramme.
276 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
valeur des effets de commerce ne dépend pas seulement de b
valeur intrinsèque des monnaies qu'ils représentent, mais de
leur échéance plus ou moins longue, et par conséquent de Tin-
lérêt de l'argent, — des Irais qu'occasionnerait le transport de
cet argent, — des risques qu'il aurait à courir, — et du plus ou
moins grand besoin que l'on a d'échanger des lettres contre de
l'argent, ou de l'argent pour du papier, ou, en d'autres termes,
de l'offre et de la demande. C'est ainsi que les cotes que se
communiquent les banquiers et qui contiennent les cours des
changes, portent les valeurs classées en papier à court jour et
à long jour, et indiquent des prix auxquels le papier et l'ar-
gent sont offerts ou demandés.
On conçoit que le prix du change peut comprendre l'inté-
rêt, mais qu'il n'est pas l'intérêt, composé lui-même du taux
courant du loyer des capitaux et de la prime d'assurance du
payement, et qui peut se compter à part sous les noms d'es-
compte et de commission; de sorte que nous pouvons raisonner
ici du change absolument parlant.
Le prix du change varie nécessairement avec les qualités de
la monnaie en laquelle les lettres de change sont payables.
Lorsque les monnaies étaient moins régulièrement refondues
qu'aujourd'hui, il y avait des pays où les espèces étaient plus
rognées par l'usage que dans d'autres, et le prix du change s'en
trouvait affecté. En second lieu, les dépenses du monnayage,
en tant qu'elles sont à la charge des gouvernements et des
particuliers, influent également sur le i>apport de la valeur in-
trinsèque des pièces avec la valeur nunlér^ire, et exercent une
action correspondante soit sur le certain, soit sur l'incertain
du change. Enfin, si les billets de change sont payables en
monnaies de banque ou en papier de gouvernement^, ayant
une valeur plus ou moins élevée que la monnaie courante, le
* Adam Smith dit : « Ce qu'on nomme argent de banque est toujoars
d'une valeur supérieure à la même somme nominale en espèces courantes.
A Amsterdam, par exemple, mille florins en banque valent plus de miUe
florins argent courant d'Amsterdam. t> [liv. IV,. ch. 8, p. 70, édition Guil«
laumine, 1843.)
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 277
rapport du change en est pareillement afTectè. Si ces causes
étaient permanentes, il en faudrait tenir compte dans le calcul
el la fixation du pair du change, qui n'est invariable qu'à con-
dition que rien ue changea la quantité et à la qualité de la ma-
liére contenue dans les termes du rapport.
La facilité ou les difficultés du payement en espèces influent
aussi sur le prix du change. Adam Smith (liv^ 11, ch. ii) expli-
que une variation de 4 pour cent entre le prix du change de
Londres sur Carlisle, et de Londres sur Dumfries (qui n'est
qu'à 30 milles de Carlisle), par le payement des lettres de
change à Carlisle en espèces, et à Dumfries en billets de banque
d'Ecosse dont les directeurs avaient la faculté d'ajourner le
payement à six mois, on tenant compte de l'intérêt.
Lorsque le change varie par suite de la variation de la va-
leur réelle des monnaies, il ne faut pas oublier que celte varia-
tion peut être aussi bien causée par la variation de la valeur de
la monnaie du certain que par celle de la valeur de la monnaie
de l'incertain, ou môme par les deux variations ayant heu si-
multanément. M. H. Say (toc. cit., p. 1 00) cite comme exemple,
dans ce dernier cas, le change entre le Brésil et l'Angleterre
en 181 6. Le même économiste montre, par la comparaison des
changes avec le prix de la piastre et le prix des marchandises,
que, dès les premières années du commerce entre l'Angleterre
et le Brésil, les variations des changes ont tenu à la mobilité
de la valeur de la. livre sterling par suite de l'épuisement des
Saances anglaises, des emprunts et du cours forcé des billets
ie banque^; et que plus tard ces variations ont tenu aux
changements dans la valeur de la monnaie brésilienne, par
iuite de l'abus d'émissions de la banqu'e de Rio, des emprunts
lu gouvernement brésilien, et de la suspension des paye-
nents de cette banque *.
* Sous FEmpire, pendant la guerre avec l'Angleterre, une livre sterling
ayable à Londres s'a'chetait couramment à 18 francs et même moins.
* En ia08, pour 1,000 reis du Brésil on avait 70 deniers sterling à
ondres; en iS14, 90 deniers ; en 1815, 70; en 1826, 46; en 1829, 20. —
a i815, 1 franc payable à Paris coulait 150 reis; en 1829, 475 reis. La
ileur de la monnaie du Brésil avait fléchi de plus des deux tiers.
278 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
A côté de ces cas de variations considérables dans les
changes par suite de la variation dans les monnaies, il faudrait
aussi citer le changement survenu à la suite de la grande dé-
préciation du papier-monnaie pendant la révolution française,
c'est-à-dire après les événements de 1789.
Mais les variations de cette espèce sont pour ainsi dire no-
minales, car ceux qui achètent les lettres de change ne les
payent bientôt qu'en rapport de la quantité et de la qualité ou
soit de la valeur des monnaies qu'elles représentent. Et en dé-
finitive les variations de change ne sont réelles que lorsqu'elles
dépendent des circonstances qui affectent le commerce en lui-
même, c'est-à-dire relatives au besoin des espèces ou du papier
sur une place, d'un pays à un autre, c'est-à-dire à l'offre et à la
demande de lettres de change et des autres effets de commerce;
et dans <;e cas elles ne dépassent jamais une certaine borne,
celle des frais et des risques du transport des lingots. Si 1
pour 100 suffît pour couvrir les dépenses que nécessite ce
transport et les risques qui l'accompagnent, le débiteur paye
indifféremment i pour 100 de prime, soit pour une lettre de
change, soit pour un lingot ; et c'est parce que la prime pour
se procurer la lettre est le plus souvent moindre que pour faire
porter de l'or ou de l'argent, qu'il a recours au procédé du
change. Il est à remarquer qu'au fur et à mesure que les rela*
lions commerciales s'étendent entre deux pays, et que leurs
moyens de transport se perfectionnent, le§ variations natu»
relies sur les changes deviennent moins grandes ; et d'autre
part qu'au fur et à mesure que les causes de dépréciation des
monnaies disparaissent, les causes extraordinaires de varia-
tion des changes dispai*ai8sent aussi.
Une variation dans le change nominal peut avoir de fâchetiX
effets comme tout changement brusque, et amener des mé-
comptes et des pertes pour un certain nombre de négociants ;
mais elle n'influe pas d'une manière permanente sur le com-
merce étranger. En effet, quand il y a dépréciation de mon-
naies, l'exportateur reçoit, en vendant des lettres de change
iieteurs étrangers, une plus-value ; mais cette plus-
COMIIEBCE, CnANGE, AGIOTAGE. 279
value est compensée par la hausse des prix d'achat, causée
par raltération des monnaies. Quand au contraire la prime
obtenue sur la vente d'une lettre de change payable à Tétran-
ger provient, non d une altération dans les monnaies, mais de
la rareté des lettres, alors elle agit comme stimulant à l'expor-
tation. On cherche à exporter pour avoir d'autres lettres à
tirer et à vendre à ces conditions avantageuses, et cette même
cause agit comme entrave à l'importation. En effet, on évite
d'avoir des lettres à acheter pour remettre en payement des
marchandises importées. Mais peu à peu les lettres de change
sur l'étranger deviennent plus nombreuses, leur prix baisse,
le stimulant à l'exportation et l'obstacle àr l'importation dimi-
nuent; dans le cas contraire, lorsque les lettres sur l'étranger
sont à bas prix, il s'établit un concours entre les commerçants
pour importer, afin d'avoir à payer, avec des lettres achetées
à de bonnes conditions, et pour éviter d'exporter afin de n'avoir
pas à recevoir des lettres qui ne peuvent se vendre avanta-
geusement; etpeu'à peu les lettres de change sur l'étranger
devenant plus rares, leur prix hausse, le stimulant à l'impor-
tation et l'obstacle à l'exportation diminuent, et c'est ainsi que
les oscillations du change se limitent et se régularisent natu-
rellement : le pair réel formant le centre de ces oscillations
que mille circonstances tendent à en écarter, et que mille
autres tendent à en rapprocher, pour ainsi dire, chaque jour
et à toute heure, parce que ces circonstances font varier la
quantité et les conditions des dettes réciproques des particu-
liers et des nations.
L'action des banquiers peut influer sur cette tendance na-
turelle dès cours du change à se balancer. Que Paris, par
exemple, doive plus à Amsterdam que celui-ci ne doit à la
France, les lettres sur Amsterdam seront rares; mais d'autre
part il y aura forcément un pays quelconque, Londres, par
exemple, avec lequel le contraire aura lieu, et sur lequel les
ettres seront abondantes. Que feront les banquiers? ils achè-
teront des lettres et des lingots sur les places où ils sont abon-
lants, pour les faire vendre sur les places où ils sont rares.
280 HOTES ET PETITS TRAITES.
S T. Va chABce «oi-«iMuii tmwtPtM» mm ^fii¥«mMe.
Les écrivains de Técole mercantile appelaient favœ'obles et
défavorables les cours du change qu'ils supposaient capables
d'augmenter ou de diminuer la masse de numéraire national.
Ils croyaient que le numéraire est la richesse par excellence,
et que le solde entre deux nations se fait toujours forcément
en espèces. Mais, d'une part, il a élé démontré avec évidence
par les physiocrales et par Ad. Smilh que les métaux précieux
ne sont pas la richesse par excellence, et que le solde des
importations et des exportations ne se fait en espèces que dans
des cas exceptionnels ; et d'aulre part il est de fait qu'entre
deux cours du change, si l'un est bon pour tirer, l'autre est
bon pour se faire remellre ; que si l'un est bon pour remettre,
l'autre est bon pour faire tirer sur soi. Exemple : le pair du
change entre Paris et Londres étant par hypothèse de 25,22
(25 fr. 22 c. pour 1 livre sterling), lequel e'st plus favorable à
Paris du prix de 24 ou de celui de 26? Ils sont tous deux favo-
rables et défavorables ; car il est avantageux par rapport au
pair de remettre à Londres au plus bas, et de faire tirer sur soi
au plus haut, puisque avec 24 fr. de débours on fera parvenir
une livre à Londres (1" cas), ou que, pour obtenir 1 livre à
Londres, il faut y négocier une lettre qu'on ne payera à Paris
que 24 fr. (2« cas); en outre, il est avantageux, toujours par
rapport au pair, de tirer sur Londres à 26, et de se faire re-
mettre de cette ville à ce prix, puisqu'on vendra 26 fr. à Pa-
ris une lettre de 1 livre payable à Londres, ou bien on ne payera
à Londres que 1 livre sterling une remise de 26 fr.[sur Pa-
ris. En d'autres termes : veut-on payer de Paris à Londres?
le change le plus bas est le plus avantageux pour remettre à
Londres ; mais le change le plus haut est le plus avantageux
pour faire tirer sur soi. Veut-on être payé? le change le plus
bas est le plus avantageux pour faire tirer sur soi, et le change
le plus haut est le plus avantageux pour remettre. De sorte
que les deux expressions de change favorable et défavorable
COmiERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 281
n'ont donc pas trop de sens, môme dans la théorie de la bar
lance ; et il est vraiment difQcile et dangereux de s'en servir
en dehors. — Que si on appelle change favorable ou défavorable
le change au-dessus ou au-dessous du pair sans faire les ca-
tégories que nous venons de distinguer, on tombe dans la lo-
gomachie.
Nous disons plus haut que le prix entre Londres et Paris
étant de 1 livre sterling pour 35 fr. 22 c, cela signifie que si
la livre était une pièce effective d'argent au même titre que
celui du franc, elle contiendrait 25 fois et 22 centièmes de fois
le poids de l'argent contenu dans le franc, ou 25,22 fois
5 grammes, ou 126,1 grammes, et, en d'autres termes, que
136,1 grammes d'argent à Londres valent 126,1 grammes
d'argent à Paris. Supposons maintenant le change à 25, cela
signiiSeque 126,1 grammes d'argent de Londres s'échangent
contre 125 grammes d'argent de Paris. — Voilà le change
favorable à Londres et défavorable à Paris, nous dira-t-on? —
Eh non, en vérité, car les 125 grammes transportés à Paris
valent comme 126,1 Ldndres, en vertu des circonstances du
marché et des lois de l'offre et de la demande.
Mais pourrait-on dire, il y a deux prix du change entre Pa-
ris et Londres, le change de Londres sur Paris et celui de
Paris sur Londres; et ce sont ces deux changes que l'on com-
pare pour déterminer le favorable et le défavorable. 11 est bien
vrai qu'il s'établit entre deux places cambistes deux cours du
change, une espèce de va-et-vient. Eh bien, supposons que le
change de Paris sur Londres soit de 25, et que celui de Londres
sur Paris soit de 26, cela veut dire que si on veut payer de Pa-
ris à Londres, le change de 25 est plus avantageux, car en
achetant une remise de 1 livre payable à Londres, on ne
dépense que 25 fr.; comme en faisant tirer sur soi, la traite
ne sera que de 25 fr. et produira 1 livre. Hais si on veut à
Paris recevoir \le Londres, le change de 26 sera plus avanta-
geux, car en tirant 1 livre sur Londres, on la négociera 26 fr.;
conune si on donne ordre d'acheter à Londres une remise sur
Paris, cette lettre sera de 26 fr., et ne coûtera qu'une livre. Si
16.
282 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
donc on veut s'exprimer clairement, il faut dire, à côté des
mots change favorable et défavorable, si c'est pour recevoir ou
pour payer, pour envoyer des valeurs ou en faire venir.
En résumé, les cours des changes peuvent avertir que les
lettres ou Targent sont plus ou moins abondants sur une place,
et qu'on peut avoir avantage à y faire parvenir, par voie di-
recte ou indirecte, soit des valeurs, soit des lingots, soit des
marchandises ; ils peuvent être momentanément favorables à
telle ou telle opération des particuliers, à telle ou telle opéra-
tion de banque, ou sur les métaux précieux ; mais ils ne sont
ni favorables ni défavorables à aucune des deux nations. Con-
trairement à ce que pensaient les balancistes et à ce que
croient encore les protectionnistes, il est avantageux que For et
l'argent s'exportent pour les pays où ils sont rares.
Toutes les fois que l'on veut apprécier par le cours du change
l'abondance et la rareté des valeurs ou des espèces sur un point
donné, il faut bien se rendre compte des diverses circonstances
qui peuvent amener les variations et que nous avons indiquées
ci-dessus; — et en résumé, puisque lîi théorie de la balance
du commerce a été sapée par sa base, puisque les indications
que Ton peut tirer du cours des changes sont restreintes au
cas que nous venons de spécifier, nous pouvons conclure que
l'ancien axiome de l'école mercantile * : que le change est le
véritable baromètre du commerce^ et qu'il montre journelle-
ment laquelle des deux nations doit à l'autre, ne ressemble
pas plus à la vérité que l'hyperbole à la proposition naturelle.
Le prix du change est le baromètre du commerce du change,
comme le prix du blé est le baromètre du commerce des blés
ou du commerce en général : voilà tout.
§ VI. Des opérations de ehanse.
Ce sont des combinaisons qui se résument en achats et en
ventes de lingots et de lettres de change faits à propos. Ces
opérations sont dites de changes directs, intérieurs ou étran-
^m'
, Réflexions sur le commerce et les finances j chap. 3.
COMIIERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 283
gers, suivant qu on opère avec une place de Fintèrieur ou de
l'étranger. On les appelle de changes indirects lorsqu'on fait
entrer dans la combinaison une ou plusieurs places intermé-
diaires, soit de Tinlérieur, soit de l'étranger.
Dans le change direct, on peut payer un créancier soit en
achetant et en lui faisant passer une remise qu'il vend ou en-
caisse; soit en lui disant de tirer sur soi une lettre qu'il négo-
cie et que Ton paye à l'échéance. On fait payer un débiteur
soit en tirant sur lui et en négociant une traite qu'il payera;
soit en lui donnant ordre d'acheter et d'envoyer une remise
que l'on encaisse à l'échéance ou que Ton négocie en atten-
dant.
On a recours à la voie du change indirect et on se sert d'une
place intermédiaire : 1** lorsqu'il n'y a pas de change ouvert
entre deux places ; 2<» lorsque les événements politiques ou
autres interrompent les. communications et les relations com-
merciales entre deux pays; 3° lorsque Pemploi d'une ou de plu-
sieurs places intermédiaires offre plus d'avantages quQ,celui de
la voie directe ; 4® lorsqu'on fait des spéculations en changes,
c'est-à-dire lorsque l'on trouve avantageux de se créer des
créanciers dans une place, et de les faire" payer par des débi-
teurs d'une autre place, et vice versa. Ces opérations sont
assez variées, et l'emploi judicieux qu'on peut en faire est une
partie de l'art du cambiste. Ce n'est pas ici le heu de les détail-
ler; mais il est utile, pour compléter cet article, d'exposer en
peu de mots unede ces opérations. — Supposons qu'un banquier
de Paris doive six mille francs à un de ses» correspondants de
Londres, et qu'il ait ordre de se servir pour le payer des places
intermédiaires de Francfort et de Hambourg, voici comment il
pourra procéder : il achètera une remise sur Francfort, et
l'enverra à Hambourg pour y être encaissée; avec l'argent de
cette remise, son correspondant de Francfort achètera une re-
mise sur Hambourg, laquelle sera envoyée dans cette place et
encaissée par un correspondant de cette ville. Avec l'argent de
cette seconde remise, ce correspondant achètera une troisième
remise sur FiOndres, qui y sera envoyée et encaissée par le cor»
284 ROTES ET PETITS TRAITÉS.
respondant créancier. Is calcul convenablement fait indiquera
combien on fera parvenir de livres à Londres par ce procédé,
après avoir préalablement dépensé les six mille francs dus.
Le banquier de Paris pourrait aussi agir par traites succes-
sives ou par remises et traites combinées, selon que Finspec-
tion des cours des changes indiquerait plus ou moins d'avan-
tages.
On se demande comment il se fait qu'il n'y ait de changes
ouverts qu'entre un petit nombre de places de commerce, et
que celles où une ville a un change ouvert ne soient pas tou-
jours les mêmes que celles où elle envoie ou d'où elle tire le
plus de marchandises. C'est un effet de la division du travail.
De même qu'un simple particulier fait un mandat sur sou ban-
quier ou json homme d'affaires, une ville fait payer ses achats
par une autre ville. C'est ainsi que les fabricants lyonnais re-
çoivent en lettres sur Livourne le prix des étoffes vendues à
Rome, et qu'ils payent avec les mêmes lettres les soies grèges
qui leur fournit le Piémont; c'est ainsi qu'on paye avec des
traites sur Londres ou sur Amsterdam les blés d'Odessa. C'est
ainsi, dans l'exempje cité plus haut, que les achats et les ventes
de l'Amérique se soldent avec des traites sur les principales
places d'Europe. C'est ainsi que Paris est la principale place
cambiste de la France, et que Londres, Amsterdam, Paris et
Francfort sont les principales places cambistes du monde.
g 1^11. Arbitraces de banque.
Soit que l'on ait à choisir pour une affaire déterminée la
meilleure place intermédiaire entre plusieurs places don-
nées; — soit que l'on veuille monter une spéculation en
banque, et se rendre compte des places sur lesquelles le
change est plus avantageux ou moins désavantageux pour
y faire des traites ou des remises; — soit que l'on ail
besoin de faire le même choix pour exécuter les ordres
d'un correspondant au mieux de ses intérêts, il y a Heu de
faire des calculs pour guider dans ce choix. Ces calculs ,
COmiGRCE, CHANGE, AGIOTAGE. 285
établis d'après des opérations projetées ou supposées, et que
Ton réalise si elles paraissent avantageuses, sont ce qu'on
appelle des arbitrages de banque.
Ces calculs, qui ne sont autres que des séries de calculs de
changes indirects, montrent à quel taux ressort le change di-
rect, par l'emploi de chacune des diverses places intermé-
diaires. On compare ensuite ces résultats avec le change direct
loi-même; et c'est ce qu'on appelle des parités de change. Par
une autre disposition de calcul, on obtient des résultats à tant
pour cent. Ceux au-dessus de cent indiquent que la voie inter-
médiaire est bonne p8ur tirer ou pour se faire remettre, et
les résultats au-dessous de cent indiquent que la voie est bonne
à remettre ou à faire tirer sur soi. C'est là ce qu'on appelle les
arbiu^es à tant pour cent.
Autrefois, sous le premier Empire encore, au commencement
(lecesiècle,les banquiers se livraient beaucoup à ce genre d'opé-
rations, consistant en des combinaisons de traites et de remises
ou de revirements successifs, et dans lesquelles ils se créaient
des débiteurs pour les faire payer, ou des créanciers pour les
payer ensuite, en tâchant de faire des bénéfices sur les changes.
Ce genre de spéculations, dans lequel on se contentait souvent
d'un bénéfice assez faible, est aujourd'hui ^ peu près aban-
donné par les banquiers. D'une part, la tranquillité interna-
tionale, le perfectionnement des voies de communication,
Taugmentation des relations entre les villes, l'extension de
l'usage des papiers de banque, l'augmentation des banques
elles-mêmes et la facilité qu'elles offrent aux virements de
fonds, la baisse du prix du transport des monnaies soit par la
poste, soit par les voitures publiques, ont diminué les oscilla-
tions des changes et laissé moins de marge aux spéculateurs;
et, d'autre part, ceux-ci ont trouvé dans les négociations d'em-
pruntSy dans les affaires de chemins de fer et autres grands
travaux, dans les commandites industrielles, dans le dévelop-
pement des escomptes, un emploi plus profitable ou au moins
plus heureux de leurs capitaux et de leurs facultés.
Mais si cette branche du commerce du change, qui est elle-
286 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
même mi auxiliaire de toutes les autres branches de commerce
et un des rouages de la circulation, semble disparaître entant
que spéculation courue, Tétude des opérations de changée!
des phénomènes économiques auxquels il donne lieu n en est
pas moins nécessaire aux économistes et ^ux négociants. Tou-
tefois, il est consolant de constater que les nombreux détails
des monnaies, des rapports et des cours de change, donnant
lieu à des calculs compliqués et fastidieux, diminuent avec la
simplification, avec l'uniformité des systèmes monétaires, et
que les considérations économiques ne sont plus obscurcies
par autant de chiffres et de rapports à Tâbri desquels les écoles
réglementaire et protectionniste ont souvent invoqué victorieu-
sement la hausse ou la baisse des changes à Tappui de leurs
théories : aujourd'hui il est facile de voir clair dans cet arcane
et de s'assurer que les variations des prix des changes tiennent
à des phénomènes bien connus, et qu'elles sont de nature à
diminuer précisément avec la liberté du travail la liberté des
échanges et des transactions.
§ IfËU. Ecrits sur le ehance.
La question du change était une question assez confuse au
dernier siècle ; ^Ue participait de l'ignorance où étaient les
écrivains sur la véritable notion de la monnaie que les physio-
crates seuls étaient parvenus à saisir, et de la fausse notion
qu'on avait du commerce et de la balance du commerce. On
peut avoir une idée de celte confusion en lisant: un chapitre ii
de Law dans ses Considérations sur le numéraire^ IP partie;
-— Melon, Essai apolitique sur le commerce, chap. xx, très-
court chapitre ; — Dutot, Réflexions sur le commerce et les
finances^ chap. m ; — Condillac, Du commerce et du gouver-
nement^ chap. xvii. — Adam Smith n'a parlé du change qu'en
passant, liv. II, chap. ii et m ; il cite les Observations on ex-
change de Blake, en disant : « Pour avoir une exposition plui
complète de la théorie et de la. pratique du change, on peu
consulter la célèbre brochure de M. Blake. » L'article Chakgi
%ire du commerce^ de Y Encyclopédie méthodique
COMMKnCE, CHANGE, AGIOTAGE. 287
est exclusivement consacré à de longues opérations arithmé-
tiques des changes.
J. B. Say a consacré un chapitre, le xxi« de la 1II« partie de
son Cours comjiletj à ce sujet au point de vue économique. —
On trouve de lumineuses explications et des faits récents sur
les changes, dans le chap. vn de V Histoire des relations com-
merciales entre la France et le Brésil, par M. H. Say. Paris,
Guillaumin, 1839. — De très-nombreux ouvrages sur les
changes au point de yue des opérations du banquier, du com-
merçant et du calculateur, ont été publiés à la fm du dernier
siècle et au commencement de celui-ci. Mais ils sont tous fort
pauvres en considérations économiques. Dans 1 article Change
du premier Dictionnaire du commerce et des marchandises
(publié par Guillaumin), nou» avons cherché à exposer ces
opérations avec le plus de clarté possible.
§ IX. centrai de chance.
Le contrat de change est la convention par laquelle une va-
leur fournie dans Un lieu doit être livrée dans un autre. Il dif-
fère de réchange en ce que Véchange désigne le fait ordinaire
âtgènéralqui se représente à chaque opération, tandis que le
conlrtit de change est cette variété d'échange qui a lieu par re-
. mise de place en place, par payement d'un lieu dans un autre.
Le Code de commerce français ne détermine pas bien les
conditions du contrat de change, et ce qu*est la remise de
place en place, et il en résulte plusieurs difficultés judiciaires
au sujet de cette espèce de convention.
n ne faut pas confondre la lettre de change avec le contrat
dé change. La lettre est l'acte qui constate l'obligation, et se
distingue de Tobligation elle-même, qui est antérieure à l'acte.
Toutefois dans Tapphcation, ce qui manque bien souvent à la
lettre de change, c'est le contrat de change, et c'est pour
fausser la vérité que des masses assez considérables de lettres
de change sont tirées d une ville assez voisine pour qu'il n'y
ait pas impossibilité absolue du contrat du change et de la re-
mise de place en place. Ainsi s'explique, par exemple, la
288 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
grande abondance sur la place de Paris des lettres de change'
tirées de Versailles, la ville la moins commerçante du monde.
V. NOTICE SUR LES OPÉRATIONS DE BOURSE ET L'AGIOTAGE
Caractère de ces opérations. — Avantages et inconvénients inhérents à
cette branche de commerce. — Des remèdes employés et à employer
pour obvier à ces inconvénients : la Corporation, la Prohibition, la
Réglementation, la Liberté.
I
Les Bourses sont des marchés publics, des halles spéciales,
des foires quotidiennes, où se rendent, à une heure fixe, les
banquiers, les financiers, les commerçants, les intermédiaires
du commerce, etc., pour y négocier sur les fonds publics,
c'est-à-dire sur les titres d'emprunts des États et des villes, sur
les valeurs industrielles (actions, obligations, etc.), sur les
effets de commerce (lettres de change, mandats, etc.) et sur
de certaines marchandises ; — pour constater les prix cou-
rants, savoir les nouvelles, rencontrer ceux, avec qui ils sont
en relations d'intérêts, négocier et conclure des affaires, elc.
Ces marchés ne différent des autres qu'en ce qu'on n'y apporte
point les choses qui font l'objet des transactions. Les transac-
tions se font sur des marchandises déjà examinées ou à exa-
miner, ou sur de simples échantillons ; et quant aux titres
représentatifs ou valeurs et aux espèces, ils sont livrables aux
bureaux respectifs ou caisses des contractants.
Ces établissements sont de véritables machines de Findus*
trie commerciale, simplifiant les démarches, les opérations et
les rapprochements, multipliant les rapports, facilitant Yé-
change et la mobilisation des valeurs, et par là la circulation
et la transmission des capitaux, dans l'intérêt général de la
production.
L'utililé de ces rendez-vous a dû se révéler d'elle-même aux
commerçants et aux hommes d'affaires, et l'usage s'en est éta-
bli partout où le commerce et le trafic ont pris une certaine
COmiERCB, CHANGE, AGIOTAGE. 289
ce. Toutefois, le nom français de ces rendez-vous et
où ils se donnent est récent; il vient, selon les uns,
lu propriétaire (Vander-Burse) de la maison où se
ent les marchands à Bruges, et, selon les autres, de
i*ses sulptées sur la maison servant au même usage,
ais appellent les bourses de commerce exchange,
édifice aux échanges.
)utesles villes où il y a une certaine activité d'affaires,
3es spéciaux sont affectés à cet usage. Ils consistent
al dans une salle ou cour centrale entourée de galeries
|ues. Comme à Paris, ils servent à la fois aux affaires
;es et de banque et aux affaires de marchandises, à
2S différentes; — ou bien il y a deux Heux de réu-
mme à Londres, où le Royal-Exchange est la bourse
handises, èileStock-Exchangeesilai bourse aux fond s
laûsun édifice séparé. Les adjoints de négociants et
commerciaux se groupent dans ces réunions, selon
3ins, et Ton ne tarde pas à découvrir un ordre naturel
masses agitées qui au premier abord semblent en-
èlc-mêle et possédées du vertige dans les jours de
ctivité. A Tune des extrémités de la salle centrale de la
e Paris, une enceinte entourée d'une grille à hauteur
îst réservée aux agents de change officiels, c'est le
Au centre est une grille circulaire ou corbeille sur
j'appuient les agents de change en cercle, s'offrant
s autres et se demandant, en même temps, les rentes
fonds publics qu'ils ont à vendre ou à acheter pour
înts. Ils se mettent en rapport avec ces derniers ou
s commis en venant à la balustrade. Leurs commis
pour transmettre les ordres et les observations. Les
s, les commerçants et tous ceux qui font des transac-
rleur compte ou pour le compte d'autrui se tiennent
ce habituelle. Une catégorie de ces derniers prend le
ymlissiers, que l'on donne aussi à ceux qui font en
Il parquet, et pour le compte de leurs propres clients,
actions sur les fonds publics ou litiges d'emprunts ou
S90 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
créaDces sur les États. D'autres s'occupent plus spécialement
de la négociation des Valeurs industrielles, c est-à-dire des
Actions et des Obligations des compagnies commerciales, finan-
cières, industrielles, et sont appelés cou/f^^ter^ des valeurs ^^
quand ils font le courtage pour leur propre compte, sans y
faire participer les agents de change ayant le monopole officiel
de ces opérations.
A la Bourse des marchandises, il y a également, comme in-
termédiaires entre les vendeurs et les acheteurs et les divers
spéculateurs, des courtiers officiels et des courtiers marrons
tolérés.
II
Les opérations sur les fonds publics, qui appellent plus par-
ticulièrement notre attention ici, sont de deux espèces : les
Placements ou Déplacements et les Spéculations. Les place-
ments ont pour objet des achats pour employer des économies
ou des fonds disponibles ; les déplacements ont pour objet des
ventes en vue de rentrer dans des fonds destinés à un autre
emploi; les spéculations ont pour but des achats en vue de
ventes et des ventes en vue d'achats pour faire des bénéfices
sur la hausse ou la baisse des titres de fonds publics ou des
valeurs industrielles, souvent au moyen à!un arbitrage plus ou
moins compliqué. Ces spéculations peuvent être plus ou moins
aventureuses, être faites avec ou sans les fonds nécessaires,
et dégénérer en simple pari ou jeu, dans lequel tout est livré
au hasard.
Il y a à cet égard dans Fopinion publique de nombreuses
confusions, çur lesquelles nous allons nous arrêter. Donnons
auparavant encore quelques indications sur la nature des opé-
rations. Les opérations de Bourse peuvent se faire au comp'
* D'un couloir ou coulisse existant dans Tancienne Boui*se. Là dénomi-
nation s'est d'abord appliquée aux courtiers marrons, opérant sur les
renies les seuls tiires négociés alors En 1860, les agents de change ont
traduit devant les tribunaux les coulissiers, qui ont été condamnés en
de la législation existante et qui ont cessé d'agii* ustensiblement.
COMIIEBCG, GUfUCE, AGIOTAGE. 291
st lé plus souvent le cas des placements et des spécu-
irudentes. Elles peuvent se faire à terme; c'est en
sous cette forme que se produisent les spéculations,
itions à terme se distinguent en ventes fermes ou en
primes. Dans les premières l'acheteur est engagé à
le titre contre le payement, le vendeur est tenu de
itre en échange des espèces. Dans les secondes, Ta-
l'est engagé que conditionnellement, et peut renoncer
3 livraison en abandonnant cette prime. La liquidation
^hés à terme se fait à la (in du mois pour certaines
t deux fois par mois pour certaines autres. — 11 y a
opérations de prêt ou reports : de prêt d'argent sur
prêts de titres contre espèces qui s'exécutent à Taide
inaisons de ventes et d'achats ^
n'avons point ici à entrer dans le mécanisme de ces
Dpérations, dans les combinaisons, les calculs et les
de langage auxquels elles donnent lieu : tout cela
e de métier et se trouve indiqué dans les manuels spé.
sis nous devons arrêter notre attention sur le caractère
le ces opérations, objet, comme nous venons de le
nombreuses confusions, de blâmes et de critiques qui
it souvent, de fondement.
lit
»lic confond dans la même réprobation toutes les opé*
îites à la Bourse, sous le nom « d'opérations de bourse,
;e et de jeux de bourse. » 11 fait plus encore, il con-
s là même réprobation la spéculation : pour lui, spé-
, agioteur, joueur, boursier sont synonymes. 11 y a
des distinctions à faire. D'abord la spéculation n'est
ai moins que le commerce. De quoi s'agit-il en com-
D'acheter pour revendre et de gagner une différence ;
ession de report exprime encore le prix auquel se font les prêts
•aire sur litres ; on appelle déport le taux auquel se font les
i titres contre numéraire.
292 NOTES ET PETITS TRAITES.
or, pour obtenir -ce résultat, il faut combiner, calculer des
éléments divers, apprécier les chances, c'est-à-dire «p^cttkr:
donc la spéculation n'est pas autre chose que le commerce.
Toutefois Tusage, en prenant ce terme en bonne part, lui fait
désigner le commerce supérieur, savant, nécessitant des con-
naissances, des moyens, des combinaisons plus étendues que
le commerce ordinaire et restreint. Mais l'usage le prend aussi
en mauvaise pari, et lui fait signifier des combinaisons répré-
hensibles et peu avouables; et cela, parce qu elles sont très-
aventureuses et qu'elles peuvent compromettre la fortune et la
moralité des contraclanls.
L*expression d'agiotage nous est venue de l'italien aggio
(ajouté, augmentation), d'où agioter, échanger pour ajoutera
son avoir. Échanger et agioter sont donc élymologiquement
synonymes ; mais l'usage en a décidé autrement ; il prend le
mot en mauvaise part : premièrement, en en faisant un syno-
nyme de jeu où tout est livré au hasard, ou de spéculation aven-
tureuse, ou répréhensible aux yeux de la loi; deuxièmement,
par suite de celle fausse idée que l'échange est un simple
changement de possesseur, et non productif d utilité et de va-
leui*. Cependant il y a à distinguer : jouer y c'est tout livrer au
hasard ; — spéculer, c'est calculer, combiner, tenir compte
des bonnes et mauvaises chances ; — échanger (ou agioter),
ci'cbt changer de propriété, de chose possédée au mieux de ses
inlérêts. Or, dans l'échange, chacun des deux contractants
gagnant à avoir ce qu'il préfère, il s'ensuit que l'opération est
productive d'utilité et de valeur au point de vue individuel;
— et comme delà libre action des inlérêts individuels résulte
l'intérêt social j il s'ensuit que l'échange est utile au point de
vue individuel et social. 11 y a encore lieu d'ajouter que
l'expression d'agiotage est empreinte à un certain degré du
préjugé contre les Juifs qui ont particulièrement agioté, trafi-
qué, commercé, parce qu'on leur a longtemps défendu de
travailler d'une autre manière; comme il y a de ce sentimejil,
ur bien des gens, dans les noms de spéculation, de commerce,
nqile, de capital !
pourl
ululai
COMMERCE, CHAUGE, AGIOTAGE. 295
u*il en soit, il est impossible de méconnailrc Tusage,
bien prendre le mot agiotage dans le sens de spécu-
vreuse , comme elle se produit à certaines époques
ment; c'est dans ce sens que nous l'employons
lignes qui suivent ^
, revenons aux opérations de Bourse, c'est-à-dire aux
is faites à la Bourse.
IV
ivons distingué ces opérations en opérations de com-
lyant pour objet Tachât ou la vente des titres et des
n vue de placements plus avantageux ou de réalisa-
essaires, et en opérations de spéculation. Hais c'est
stinction plus apparente que réelle. Au fond, Tesprit
lalion inspire toutes les opérations. On achète toujours
poir de vendre plus cher à un moment donné ; on
arce qu'on y trouve plus d'avantage qu'à garder,
sactions qui se font à la Bourse sont plus ou moins
lises; mais en cela elles ressemblent à toutes les trans-
à toutes les combinaisons d'entreprises agricoles,
lies, commerciales, financières, et même aux entre-
tistiques et scientifiques.
xhé à terme, qu'on a toujours en vue quand on parle
rse, est une opération de crédit ou à découvert, comme
te, comme toute autre opération qui ne se résout
édiatement en espèces ; il a pour effet de faire faire
3 de transactions avec peu d'argent; c'est un moyen
dangers, mais qui a aussi ses avantages, Faut-il re-
ux avantages pour éviter les inconvénients? D'un autre
^ a dans toute opération à terme des raisons diverses
! à la hausse ou à la baisse, qui, pour être appréciées
)elait au dernier siècle de ce nom toute opération sur papier
rce, sur matières d'or ou d'argent, et même sur denrées alimen-
epuis le Ck)nsiilat on a plus particulièrement appliqué le mot aux
I à terme.
294 NOTES ET PETitS TÔAltÉS.
et déduites, nécessitent des efforts d'intelligence et de juge-
ment. Cest la prévision la plus exacte, la mieux renseignée
qui est récompensée par le succès. Et personne ne peut dire
où doivent s'arrêter ces combinaisons et ces supputations qui
diffèrent essentiellement du jeu proprement dit.
Sans doute, il y en a parmi ceux que Tamour du gain en-
flamme, qui raisonnent mal, suivent uhe illusion et font des
spéculations ruineuses ; mais ils sont punis par Tinsuccès et
la ruine.
La facilité de mobilisation qui se produit à la Bourse attire
les capitaux et les porte à se réunir pour former de grandes
entreprises. De cette manière, moins de capitaux sont impro-
ductifs. La Bourse, avec son marché à terme, est donc un vé-
ritable établissement de crédit, économisant l'emploi du
capital, offrant un débouché assuré aux titres et leur garan-
tissant un prix plus élevé.
C'est en vain qu'on cherche à y séparer des choses qui s'y
tiennent étroitement et qui constituent le ressort de ce mar-
ché : les opérations de placement ou de réalisation et celles de
spéculation pure, soit à terme, soit au comptant. Ces éléments
se transforment et se croisent : la spéculation devient place-
ment, le placement devient spéculation ; ils se complètent et
concourent ensemble pour imprimer au marché une activité
constante.
Or cette activité, ce mouvement, cette facilité de mobilisa-
tion, soit qu'on vende, soit qu'on achète, sont d'une immense
importance, aujourd'hui que la fortune mobilière a pris un si
grand accroissement. Elle est utile à tous ceux qui, ayant des
titres, ont besoin d'argent ; à tous ceux qui ont des placements
de capitaux à faire ; à ceux qui ont des capitaux à solliciter
pour développer une industrie ancienne ou en créer une nou-
velle; à l'État enfin, dont elle contribue à maintenir le crédit.
Sans les Bourses, telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui, les
réseaux des chemins de fer ne seraient point, à beaucoup près,
aussi avancés, et la plupart des autres grandes entreprises
n'auraient pas vu le jour.
COMIIERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 205
A côté de ces grands avantages, nous ne dissimulerons pas
les inconvénients.
Les affaires de Bourse, en se développant, attirent un capital
considérable qui ne se porte pas dans Findustne et dans Ta-
griculture, ou qui même peut en avoir été retiré. Il est vrai
qu'en se mettant sous forme d'actions ou d'obligations, il vient
en aide à Tindustrie et même à l'agriculture ; mais il est encore
vrai que les branches qu'il anime et vivifie sont autres que
celles qui l'auraieot acquis ou conservé, sans les affaires do
Bourse. Il y a donc là une bonne et une mauvaise influence,
qu'il faut laisser se produire selon la nature des choses et sans
provocation aucune; •
Ces mêmes affaires donnent prise aux manœuvres et aux
intrigues de quelques calégories de spéculateurs, de gros spé-
culateurs en général, qui font des hausses et des baisses facti-
ces, par une entente entre eux, en profitant de la connaissance
qu'ils peuvent avoir des circonstances publiques ou spéciales
aux entreprises, pour faire des achats ou des ventes qui leur
permettent de bénéficier à coup sûr. — C'est assurément là un
grand inconvénient, mais un inconvénient inhérent à tous les
marchés, qui ne disparaîtra jamais, mais qui pourra être dimi-
nué parles remèdes qui vont être énuraérés. Toutefois, tant
que le monde sera monde, tant qu'on trafiquera, tant qu'on
négociera, tant qu'il y aura des marchés, il y aura de temps à
autre des intrigues, ^es manœuvres, des ventes simulées, de
fausses nouvelles, etc.
Ces manœuvres, jointes aux effets des événements inattendus
et des accidents de la politique, font la fortune des uns aux
dépens des autres, et découragent ceux qui avancent lentement
dans les industries par un ti'avail pénible et peu lucratif. Les
heureux de la fortune les scandalisent souvent encore par leur
ostentation, leur vanité et leurs débauches !
Enfin le développement des affaires de Bourse, et le succès
de ceux à qui elles réussissent, excitent l'esprit d'aventure,
296 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
d'agiotage et de jeu, inhérent à la nature humaine. Il en ré-
sulte des enrichissements et des appauvrissements subits, des
ruines et des catastrophes qui brouillent le sens moral des po-
pulations.
L*agiotage, nous venons de le dire, n'est pas le jeu, mais il
s'en rapproche en s' éloignant de la spéculation raisonnée ; il
en a tout l'attrait, il éblouit et transforme Tesprit de spécula-
tion réfléchi et calculé en une fièvre ardente qui conduit à une
fortune ou à une ruine également scandaleuses. La ruine en-
gendre le déshonneur et souvent le crime ; la fortune, immé-
ritée, subite, démoralise à la fois celui qui l'obtient et celui qui
la voit obtenir, surexcite la cupidité générale, développe l'art
de faire des dupes, et fait naîlre le mépris dô tout moyen de
recueillir une médiocre fortune par le {jf'océdé lent et pénible
du travail et de l'économie.
Tous ces mauvais effets sont malheureusement le triste
accessoire des emprunts et du crédit pubhcs, qui, à l'avantage
de fournir d'immenses ressources aux gouvernements, joignent
forcément le terrible inconvénient de développer le mauvais
côté des opérations de Bourse, de donner un aliment à l'esprit
de spéculation aventureuse, de mettre les gouvernements à
même de se faire les complices actifs ou consentants des ma-
nœuvres des gros financiers qui leur font des avances, en même
temps qu'ils contribuent à l'expansion de l'esprit de guerre et
de l'esprit de dépense collective, qui est inhérent à la nature
humaine.
11 faut enfln.ajouter qu'en dehors de toute excitation, l'agio-
tage ou fièvre des spéculations aventureuses est une maladie
épidémique qui s'empare de temps en temps de certaines clas-
ses de la société, et que ses ravages ne s'arrêtent qu'après
avoir suivi leur cours, à l'instar de toutes les maladies épidé-
miques. Les bâtisses et les spéculations en terrains, les canaux,
les chemins de fer, les mines, les fonds publics, les fonds
étrangers, les entreprises d'exportation, les spéculations sur
les sucres, sur les cotons, les alcools, etc., etc., ont été tour
à tour l'objet de cette fièvre. Cet engouement amène imman-
COUUERGE, CHANGE, AGIOTAGE. 297
quablement une crise, qui se dénonce immanquablement aussi
par des souffrances et des désastres commerciaux et indus-
triels; après quoi, les choses reprennent une allure plus calme
et la prospérité renaît.
VI
A ces maux, quels remèdes?... — Aucun remède direct,
aucune panacée administrative ou judiciaire; mais une série
de remèdes indirects consistant dans la diminution des causes
produisant les effets que nous venons d'énoncer.
Pour bien des gens, la Bourse est, en tout et pour tout,
une caverne de voleurs, ou au moins un mauvais lieu à sup-
primer; et les pouvoirs publics sont invités à opérer cette sup-
pression.
C'est là un vœu parfaitement absurde, quoique général,
auquel les gouvernements font bien de ne pas prêter-roreillc.
Les bourses sont des lieux de réunion essentiellement utiles,
comme nous le disions en commençant. Leur suppression serait
aussi barbare que celle des autres halles et marchés, que celle
des foires.
Hais ne peut-on laisser toute liberté pour ce qui est bien, et
empêcher ce qui est mal, — au moyen d'une réglementation
convenable? — Examinons.
Pour diminuer les engouements industriels et commerciaux,
pour prévenir les crises, il n'y a d'autres remèdes que Tabs^
tention des producteurs intéressés, et Tamélioration de leur
jugement par fétude des saines notions économiques.
A la surexcitation de l'agiotage par les emprunts publics,
parla multiplication des titres ou matière première à spécula-
tion fiévreuse, il y a un remède héroïque naturellement indi-
qué, mais d'une application difficile : c'est la cessation des
emprunts, le remboursement des titres, d'où ressort la né-
cessité d'une politique de désarmement suivie d'une réforme
financière et radicale dans tous les États. Il y a des personnes
qui poursuivent l'utopie de supprimer l'agiotage, de calmer la
17
298 HOTES ET PETITS TRAITÉS.
fièvre des affaires de bourse, qui font des tirades de morale
sur le temple de Plutus, et, qui d'autre part, prêchent une
politique belliqueuse, la théorie des embellissements publics
et l'augmentation des dépenses. La logique et l'esprit de ces
gens-là ne sont jamais passés par la même porte.
Il y aun autre remède dans les mesures propres à rétablir
la légitimité et le calme dans les temps d'agitation : en ces mo-
ments, les soubresauts dans les prix provoquent la spécula-
lion, surexcitent l'agiotage ^
Lesmanœuvres de Bourse étant le fait des gros spéculateurs
et des coalitions qu'ils font entre eux, il est évident que la lé-
gislation doitjprendre garde à fortifier leur action et leur puis-
sance par des monopoles et des privilèges. C'est ainsi que,
dans un État bien ordonné, il ne doit poi«t y avoir, de par la
loi, de grandes machines à crédit ou à spéculation qui combi-
nent des spéculations par masses et produisent les effets ré-
sultant des créations de fonds publics dont nous venons de
parier. De même le marché doit être libre, accessible à tout le
monde, à tous les intermédiaires qui conviendront au public
vendeur ou acheteur, afin qu'un petit nombre d'intermédiaires
officiels ne gênent pas l'essor du marché, ne manœuvrent pas
avec les grands spéculateurs, et ne viennent pas accroître
d'une manière ailificielle le monopole naturel qu'ils ont déjà
par la force des choses. On a motivé l'existence de ces corpo-
rations d'intermédiaires par le contrôle qu'ils exercent et la
garantie qu'ils offrent. En fait, trop de transactions leur pas-
* «... Est-il possible de concevoir une nature d'effets publics qui ne donne
pas prise à l'agiotage?... Qu'est ce qui produit Tagiotage? Ce sont les
chances de hausse et de baisse. Si vous ôtez ces chances, vous tuez votre
crédit (le crédit public, la facilité d'emprunter)... H n'y a qu'un moyen
de tuer l'agiotage, c'est de renoncer à votre système de crédit. Mais, tant
que vous sentiriez, comme nous, 1 indispensable nécessité de pouvoir re-
courir à des emprunts, il faut bien conserver vos moyens de crédit... Tant
que vous sentirez la nécessité de conserver cette ressource extraordi-
naire du crédit pour les circonstances extraordinaires, vous êtes soumis à
la pénible condition d'en subir les conséquences Tàcheuses, celles de l'agio,
tage. » (De Yillèle, ministre des finances, défendant la proposition du
trois pour cent. MonUeur de 1834, p. 516. Gité par M. Courtois.)
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 299
sent par les mains pour qu'ils puissent servir à autre chose qu'à
percevoir un courtage. L'expérience démontre aux Ëtats-Unis
et en Angleterre que la liberté de courtage est un moyen supé-
rieur aux vieux procédés de la corporation formée, dont Torga-
nisation, par parenthèse, date d'il y a un siècle et demi ^, alors
que certaines affaires étaient infiniment moindres, et que d'au^
très n'existaient pas. Tout porte à croire que la pratique stricte
de ce dernier système en France, après le régime de tolérance
qui avait laissé se multiplier les courtiers marrons, ne tardera
pas à convaincre le législateur que la liberté du travail est la
meilleure organisation à la Bourse comme ailleurs.
On a cherché le remède à l'agiotage et à la fièvre des spécu-
lations dans la voie de la réglementation, qu'on a expérimentée
jusqu'à ce jour et qui a fort mal réussi. On se propose de
protéger le public ; mais la meilleure protection est dans sa .
liberté d'action, dans l'application des lois pénales ordinaires,
dans la pubhcité, l'instruction et la cessation des stimulants
que nous venons d'énumérer. C'est une manie de notre temps
et de bien des pays que de vouloir incessamment prendre en
main la tutelle des niais et des écervelés et régler le pas de la
société sur le pas de ceux qui ne savent pas se conduire.
VU
La réglementation actuelle des Bourses, dans la plupart des
pays, en France notamment, est le résultat de ce système de
tutelle, combiné avec l'esprit de monopole et le besoin que les
gouvernements ont ou croient avoir d'influence sur les cours,
en vue de leurs combinaisons financières et des emprunts
qu'ils ont toujours en perspective. Le )nonopole disparaîtra le
premier; la réglementation primitive tend aussi à disparaître,
ou au moins à diminuer.
Sur ce point, il y a une question délicate qui partage les
meilleurs esprits, les esprits les plus libéraux, nous voulons
parler de la sanction judiciaire des affaires à terme.
* Le nombre des agents de change de Paris est de 60, comme en 1724.
300 NOTES ET PETITS TRAITES.
La législation et Tadministration partant de ce principe er<
roné que les marchés à terme ne sont que le jeu organisé, se
sont efforcés de les prohiber sans atteindre le but. La non-
reconnaissance de ces transactions par la loi rendant toute
réclamation par voie judiciaire impossible par le créancier,
est résultée de cette manière de voir. Les uns pensent que
cette abstention de la justice favorise la. mauvaise foi des con-
tractants, et est la cause première du sentiment de répulsion
qui induit le public en erreur contre toutes les affaires de
Bourse et les fait confondre avec le jeu. Ils demandent qu*on
assimile toutes les transactions faites à la Bourse aux autres
transactions commerciales, pour garantir positivement Fexé-
cution des conventions, et ils pensent qu'elles finiraient par
paraître ni plus morales ni moins morales que les achats et
ventes de toute espèce. Ils voient dans la responsabilité des
contractants, justiciables des tribunaux, un moyen de réfréner
Texcès des marchés à terme, de les rendre moins aventureux,
d'éviter que la spéculation ne dégénère en une loterie, en une
opération ou Ydea reste seul en dehors de tout autre élément
d'appréciation.
Les autres, sans vouloir qu'on interdise (chose impossible
du reste) les opérations à terme, et qu'on cherche à les classer
selon la proportion d'ûtea, et à les distinguer du pari pur et
simple (chose encore plus impossible), pensant que ces mar-
chés n'ont pas d'effet utile, trouvent rationnel que la loi ne
les protège pas, et que les tribunaux ne les sanctionnent pas
et ne soient pas appelés à les reconnaître plus que les paris
de jeu et autres dettes dites d'honneur.
Nous sommes d'avis que le législateur et l'administrateur
doivent laisser faire toutes opérations utiles, inutiles et même
dangereuses pour les contractants. Nous inclinerions volon-
tiers vers l'opinion de ceux qui pensent que la loi doit faire
respecter les transactions, et venir ainsi en aide à l'action des
mœurs dont l'influence seule peut réagir contre les opérations
d'agiotage ou de jeu, dangereuses pour les contractants ^
* Yoir dans ce sens une notice de M. A. Courtois fils, Défense de Vagio-
COMMERCE, CHANGE, AGIOTAGE. 301
YUI
En résumé, le remède applicable à la Bourse, comme en
bien d'autres circonstances, se traduit par celte formule de la
civilisation moderne : liberté, responsabilité, c'est-à-dire
absence d'entraves pour les opérations du travail, pour les
monopoles et les règlements, et garantie des transactions. En
marchant dans cette voie, on ne verra pas disparaître tous les
inconvénients dont la plupart sont inhérents à la nature hu-
maine ; mais ces inconvénients s'atténueront autant que cela
est possible. D'autre part, enverra se développer au maxi-
mum les avantages naturels de ces établissements, puissantes
machines du commerce ou du crédit, au sein ^desquels les
phénomènes d'échange, de transmission et de mobilisation se
produisent sur une grande échelle, avec de grands avantages
et de grands inconvénients, avec plus d'avantages que d'incon-
vénients toutefois, au sein desquels les hommes qui les fré-
quentent doivent apprendre à se mouvoir en tâchant de se
préserver du vertige et des dangers inhérents à la nature de la
chose, et pour cela le meilleur moyen est de ne pas y mettre
les pieds; car, ainsi que le disait M. de Villèle * : « Tous ceux
dont ce n'est pas le métier y laissent leur fortune, h
La Bourse forme de nos jours une des préoccupations des
hommes d'État, et entre dans les attributions des ministres
des finances, qui sont requis par leurs collègues et par l'opi-
nion publique de faire mouvoir ce grand ressort, utilement
pour la direction générale des affaires. — On éprouve le besoin
d'agir sur les cours et les grandes opérations, en vue du prix
de la rente, en prévision d'emprunts futurs pouf subvenir à
des besoins soi-disant imprévus qui renaissent sans cesse. —
On croit utile d'intervenir pour réglementer ce grand mar-
ché. — Cette préoccupation est de nature à cesser un jour,
tagâf étude aux divers points de vue philosophique, économique, de la mo-
rale, du droit et de la législation; in-18 de 68 p., 1864, chez Garnier frères
et chez GuiUaumin.
* UfC. Cit, V. p. 298, en note.
302 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
lorsque la politique du libre-échange (paix et liberté) aura
triomphé, et dès loi*s la besogne des ministres des finances sera
simpUfiée, ainsi que celle des pouvoirs publics, -r- Ce serait
en même temps se disculper vis-à-vi? de l'opinion des masses
qui, par suite de Finteryention et de la réglementation de Tau-
torité en ces affaires, la font responsable des soubresauts dans
les valeurs, des intrigues, des fièvres de spéculation et d'agio-
tage, ainsi que des ruines, des catastrophes et des scandales
qui en résultent.
YI. NOTICE SUR LES CRISES COMMERCIALES
T. Nature et effets généraux des Crises. — II . Causes des crises. — III. Qu'il
n'y a pas de remèdes directs aux crises, mais simplement des remèdes
indirects.
(V. Traité d'Économie politique^ ch. xv, sur l'Échange et les Débouchés; — ch. xx
sur le Crédit et les Banques; — note finale xxviii, sur les Crises *,)
§ I. nature et efTets sénéranx de« Crises.
Toute Crise, en général, est une perturbation de Tétat na-
turel, une situation anormale dans laquelle la nature des
choses lutte contre la cause morbide pour revenir à une situa-
tion meilleure. Les crises commerciales sont des perturbations
soudaines de Tétat économique naturel, et plus particulière-
ment des perturbations dans la fonction générale de TËchange,
aussi indispensable à la vie sociale que la circulation du sang
Test à la vie animale et individuelle. Celle-ci est compromise,
et des symptômes morbides se manifestent sur l'être vivant,
si la circulation du sang est entravée, suspendue ou simple-
ment ralentfe. Celle-là est également en danger, et les symp-
tômes morbides se manifestent dans le.s diverses branches de
la production sociale toutes les fois que l'Échange est entravéi
suspendu ou simplement ralenti.
Tous nous créons, par notre travail et notre industrie, des
* Deuxième édition. — La première dans le Dtctiotmaire du commerce
et de la navigation.
CRISES COmiERCIALES. 303
Produits et des Services destinés à Tusage d*autrui, et qui ne
deviennent profitables pour nous qu'à la condition de pouvoir
être échangés contre d'autres produits, un autre travail, d'aur
très services. — L'échange incessant de ces produits, de ces
services, se servant de débouchés les uns aux autres, c'est là
la vie sociale, impossible sans l'Échange.
Toutes les crises économiques sont des manifestations d'une
altération plus ou moins profonde de la fonction essentielle et
générale de l'échange , d'une gêne, d'une obstruction, d'un
dérangement dans la circulation, ou dans le courant des
échanges, par suite de laquelle des quantités notables de pro-
duits ou de services viennent à manquer de débouchés, c'est-
à-dire qu'ils ne peuvent en trouver qu'à des prix inférieurs aux
frais de production qu'ils ont coûtés et ruineux pour les pro-
ductions et les travailleurs.
Elles sont plus ou moins générales ou locales, c'est-à-dire
qu'elles se manifestent sur des marchés plus ou moins éten-
dus;— elles sont générales ou plus ou moins spéciales, c'est-
à-dire qu'elles se manifestent dans des industries plu90u moins
nombreuses et liées par des intérêts communs.
Elles sont toutes des crises commerciales^ parce qu'elles
sont toutes le résultat d un dérangement dans des courants
plus ou moins nombreux dés échanges ; mais on conçoit
qu'elles peuvent être plus particulièrement agricoles, indus-
trielles ou financières, selon les branches de la production
ou la nature des entreprises qu'elles atteignent. Souvent elles
sont complexes, et leur nature mixte participe de l'ensemble
de ces divers caractères.
Toujours elles sont précédées , accompagnées ou suivies
d'une perturbation spéciale dans les insh'uments d'échange,
de circulation el de crédit, instruments qui sont les monnaies
ou bien les signes représentatifs des monnaies et des valeurs,
tels que les billets de Banque et autres effets de commerce
faeUement transroissibles, — perturbation qu'il faut d'abord
s'expliquer pour pouvoir se rendre compte de la nature du
dérangement général des affaires.
504 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
La crise monétaire provient du manque et de*la pénurie des
instruments d'échange, et cette pénurie se manifeste dans des
circonstances bien différentes, qui aboutissent cependant au
même résultat.
Dans les époques de confiance, de prospérité, de développe^
ment industriel, alors que les entreprises se multiplient, que
les capitaux sont demandés pour être appliqués aux emplois
auxquels on les destine, — comme ces capitaux, pour passer
des mains de ceux qui les possèdent et les prêtent entre les
mains de ceux qui les emploient, doivent être mis la plupart
du temps sous forme d'espèces ou de billets de banque, — ils
sont plus demandés qu'offerts, et leur masse, qui servait à une
circulation ordinaire, est insuffisante, malgré une plus grande
rapidité imprimée à leur mouvement, pour une circulation
augmentée, surexcitée.
On en manque alors généralement, et il y a tous les symp-
tômes d'une crise monétaire : rareté des espèces ou des bil-
lets, retrait des dépôts des Banques, hausse des escomptes et
du taux 'de l'intérêt, souffrances et plaintes de tous ceux qui
ont besoin d'espèces ou de billets de Banque.
En sens inverse, la confiance vient-elle à diminuer, à tort
ou à raison, par une cause quelconque, par suite d*un événe-
ment politique ou par la crainte d'une crise prochaine? Chacun
cherche à loucher le plus d'espèces possible et à en remettre
le moins possible, c'est-à-dire que chacun se fait accapareur
de cette marchandise par excellence (au point -de vue indivi-
duel), qu'on est sûr de toujours vendre très-facilemenl. De
plus, la diminution de la confiance tend à suspendre ou à ra-
lentir la circulation des autres instruments d'échange, des
instruments de crédit (billets de banque et autres signes repré-
sentatifs) ; de sorte que la circulation métallique est appauvrie
en même temps que la circulation en papier, et qu il y a crise
monétaire, en sens inverse de la précédente.
On comprend que ces deux espèces de crises spéciales se
croisent avecles crises générales^ tantôt causes et tantôt effets,
et plus souvent effets de ces mêmes crises
CRISES COMMERCIALES. 305
Voilà, si nous sommes parvenu à être clair, quelle est la
nature des crises, — quelles en sont les variétés, et, si nous
pouvons ainsi dire, quel est le mécanisme de ces malaises gé-
néraux ou sociaux qui se manifestent : — par la rareté de l'ar-
gent et des instruments d'échange, — par la hausse de l'in-
térêt en général et de l'escompte en particulier, — par la
dépréciation des capitaux fixes et le ralentissement de la con-
sommation, — par la mévente des marchandises, — par la
dépréciation de tous les produits, de tous les services, de tous
les effets de crédit, — par la suspension des payements, —
par des faillites ou d'autres désastres commerciaux dans toutes
les entreprises, — par l'abandon des affaires projetées, — par
la diminution des commandes, — par le ralentissement des
travaux, la baisse des salaires, la souffrance et la misère gé-
nérale, qui gagne de proche en proche avec d'autant plus
d'intensité que la perturbation a des causes plus profondes
et plus étendues.
§ 11. C?fiase« des erises.
Les causes que l'on peut assigner aux crises sont nom-
breuses et diverses. Nous croyons pouvoir les ranger, à peu
près toutes, dans les catégories suivantes :
Les ébranlements politiques et sociaux, d'où résulte la préoc-
cupation de l'avenir, le manque de sécurité ;
La Guerre et par suite le rétablissement de la Paix;
La Disette; — le manque de la récolte d'une matière pre-
mière importante ; — une catastrophe quelconque; — l'Abon-
dance ;
Le' Ralentissement de la Consommation, réagissant sur
l'Ëchaiige et la Production ;
L'Accroissement rapide de la Production par l'excitation de
fesprit d'entreprise et la fièvre de spéculation, provoquaiit
des opérations mal conçues ;
Le détournement des Capitaux par suite du développement
des Travaux publics, — et des grandes entreprises nouvelles ;
306 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Le développement du Crédit; — le monopole des institu-
tions de crédit ;
L'accroissement rapide de la quantité des Métaux précieux,
or ou argent;
Les changements brusques des Tarifs nationaux ou étran-
gers dans le sens de la prohibition ;
Le contre-coup des Crises étrangères.
Nous allons donner de courts développements sur toutes ces
causes.
Le plus souvent il faut s'attendre à ce que les ébranlements
politiques et sociaux, les révolutions et les agitations de toute
sorte, produiront une crise générale avec les effets que nous
venons d'énumérer et qui se résument dans l'incertitude du
lendemain, dans la diminution des consommations, des échan-
ges et de la production, dans la stagnation générale synonyme
de baisse des salaires et des profits, c'est-à-dire de gêne et de
misérè.
Que ces changements politiques aient, selon les pays et les
temps, leur raison d'être et leur utilité ; que ces révolutions ou
ces agitations soient légitimes ; que le mal produit puisse être
compensé par les avantages obtenus ou espérés, c'est ce que
nous ne voulons pas contester ni examiner ici, car il y aurait
beaucoup de choses à considérer à cet égard. Nous voulons
simplement dire que, sauf exception, la crise suit l'ébranle-
ment politique et social comme un effet naturel.
Cependant cette crise peut avoir une courte durée et les
effets en être bientôt compensés et couverts, pour ainsi dire,
par l'élan donné à l'activité'nationale: si la tranquillité publique
paraît rassurée, si les esprits sont fixés, si le nouvel ordre de
choses paraît, à tort ou à raison, assis sur des bases solides.
C'est le phénomène qui a pu être observé en France après les
événements de décembre 1 851 .
Passons à la gueire! D'abord elle ébranle la confiance et
CRISES COMMERCIALES. 307
produit les préoccupations et les autres effets économiques
qui en découlent forcément. Elle détourne de la production
(par centaines de millions et par milliards) des capitaux qui
sont consommés, la plupart anéantis, dans un but plus ou
moins légitime (c'est encore une autre question), mais en pure
perte pour Tagriculture et les autres industries productives ;
— elle détourne et détruit par milliers des bras solides et des
iiltelligences d'élite qui font un grand vide et causent une
perturbation dans toutes les branches de Tactivité sociale, et
qui ont coûté d'énormes sacrifices à leurs familles et à la
société tout entière. — Elle ravage les récoltes et suspend le
commerce et l'industrie partout où s'exerce son action.
Il peut paraître paradoxal au premier abord de faire figurer
le rétablissement de la Paix au nombre des causes de crise.
Rien n'est plus exact cependant. La paix arrête toutes les pro-
ductions spéciales que la guerre avait développées ; elle fait
cesser des spéculations entamées; elle coupe court au courant
d'affaires, souvent considérable, que la guerre avait fait naître;
elle réintégre dans leurs foyers une partie des hommes que la
guerre avait déplacés, et qui ne retrouvent pas une occupation
sans peine et sans produire une certaine perturbation parmi
les salariés de leur profession. Si la guerre s'est prolongée, le
rétablissement de la paix introduit un ordre de choses tout
nouveau dans les débouchés et produit inévitablement des
changements et des déplacements qui vaudront assurément
mieux tôt ou tard que l'ordre de choses créé par la guerre,
mais qui pour le moment sont causes de déplacements et de
pertes préjudiciables. C'est ainsi que la paix de 1815 a été
suivie d'une crise qui a affecté toute l'Europe et l'Angleterre
en particulier, et que des sinistres commerciaux nombreux
ont été le résultat du nouvel ordre de choses et de l'ouver-
ture des mers.
C'est ainsi que tout retour à l'ordre régulier, que toute ré-
forme même est, dans une proportion quelconque, une cause de
malmse ou de crise. En toutes choses, les sociétés, comme les
308 KOTES ET PETITS TRÂITis.
individus, ne peuvent s*engager dans la voie de Terreur impu-
nément.
C'est ainsi que la paix de 1856, si désirable cependant et si
désirée, a été une des causes de la crise qui a suiyi, et qu'elle
a produit bien des déceptions, puisqu'on comptait sur elle
comme sur une cause de prospérité nouvelle.
La Disette est toujours, un peu plus tôt, un peu plus tard,
une cause immanquable de crise. Quand le pain est cher, les
masses consacrent à la nourriture à peu près tout leur salaire,
et cessent de faire d'autres achats en produits de l'industrie.
Cette diminution ou suppression dans la consommation ralentit
h cours des échanges et paralyse la production.
Le- manque d'une récolte d'une matière première impor-
tante agit de même sur une plus petite échelle. La branche de
l'industrie agricole qui est frappée, réduit sa consommation
au minimum possible. De plus, le prix de la matière première
s'élevant, la consommation des produits fabriqués diminue,
et les branches de Finduslriequi récoltent la matière première
ou qui s'occupent de son transport, de son placement, sont
atteintes.. C'est l'effet qu'a produit le ravage de Toïdium sur la
vigne, qui par sa durée et son étendue a affecté pendant plu-
sieurs années le caractère de la disette. C'est encore reflet qu'a
produit en France la maladie des vers à soie.
Une grande catastrophe, une inondation, une épidémie, une
épizootie, une dévastation quelconque, agissent plus ou moins
dans le même sens.
Ainsi tout ralentissement dans la consommation réagit
promptement sur l'échange et la production, et l'effet ne s'ar-
rête malheureusement pas là. L'échange et la production, en
diminuant, font disparaître une masse de travaux et d'activités,
cessent d'être les débouchés d'une masse de produits, et arrê-
tent à leur tour l'échange et la production. C'est un enchaîne-
ment de fâcheux effets.
Lorsque par une circonstance quelconque, les prix des
choses nécessaires à la vie viennent à hausser d'une manière
CRISES COMMERCIALES. 309
notable, la crise survient, par les raisons que nous venons
d*indiquer, en parlant de la disette. Ensuite, la cherté, nous
venons de le dire, agit encore d'une autre manière fâcheuse
en ralentissant les achats des matières premières et des ma-
chines, appareils et produits qui en sont faits, et en paralysant
la production.
Au retour de Vabondance^ lès prix des matières premières
diminuent ainsi que ceux des produits qui en résultent; le
fâcheux effet que nous venons de signaler disparait, mais il
8*en produit un autre souvent général et très-sensible.
Tous eeux qui se sont un peu abondamment approvisionnés,
sont obligés de subir des pertes souvent ruineuses ; de sorte
que l'abondance elle-même, si favorable au grand nombre, et
qui est le remède souverain des crises occasionnées par la
disette, devient elle-même cause de crise.
C'est ainsi qu'en 1848 et 1849 Tabondance des récoltes,
venant après la disette, amena une grande souffrance dans
l'agriculture, principalement en France et en Angleterre, souf-
france dont on voulut rendre responsable le libre échange en
Angleterre, et dont on accusa les événements politiques en
France, causes, en cela, tout à fait innocentes.
Remarquons ici que toutes les causes qui précèdent, ex*
cepté l'abondance, agissent sur la consommation pour la res-
treindre. Il en est de même de celles qui suivent, bien que ce
soit.à un moindre degré.
Un excès de production agit en sens inverse des atteintes
portées à la consommation, mais produit des effets analogues.
Lorsque la production surexcitée jette, dans le courant des
échanges, des masses inusitées de produits, — comme le mé-
canisme de la circulation habituelle n*est pas préparé à cette
augmentation, il y a d'abord engorgement et obstruction dans
les voies commerciales; mais ce n'est pas encore là le plus
fâcheux effet. Les produits s offrent en masse inaccoutumée à
la consommation; la mévente ne tarde pas à se produire, la
d^réciation des marchandises ensuite. On entend dire alors
SiO MOtES Wt PETITS TBAITBS.
que le commerce ne va pas, que rien ne se vend ; mais, entx
cas, ce n*est pas précisément la consommation ordinaire qui
fait défaut; c'est la production qui a dépassé les bornes. La
mévente et la dépréciation des produits ne tarde pas à réagir
sur le mouvement des échanges et sur la production qui se
trouve réduite à subir un temps d'arrêt, et à produire les effets
naturels de la stagnation.
Tels sont les résultats d'une fabrication surexcitée, de spé->
culations commerciales fiévreuses, d'opérations mal conçues;
par suite de l'entraînement et de l'engouement qui,s'emparant
des esprits à de certaines époques, qu'on dirait périodiques,
leur font voir toutes choses du beau côté, et poussent ainsi
toute une série de producteurs vers un développement excessif
de leurs moyens d'action.
Les annales du commerce et de l'industrie sont pleines de
ces accidents, si fréquents depuis la paix de 1814, dans tous
les pays prospères, qu'ils semblent être une suite naturelle de
la prospérité et du progrès industriel et commercial.
Les premières de ces crises ont vivement appelé l'attention
des économistes et des pubUcistes, qui ont souvent disaité
sur le problème, longtemps mal posé, de l'équilibre de la pro-
duction et de la consommation, sur la nécessité d'établir une
bsdance entre les deux, et sur les inconvénients d'une trop
grande production.
J. 6. Say a prouvé contre Sismondi qu'il ne saurait y avoir,
d'une manière générale, trop de production, puisque les pro-
duits et les services servent de débouchés les uns aux autres,
et que la consommation, c'est'à*dire la satisfaction des besoins,
est susceptible d'un accroissement pour ainsi dire indéfini
Mais, pour cela, l'augmentation de production doit être le ré-
sultat d'une progression régulière et constamment attentive
aux besoins de la consommation.
La production générale ne peut pas être trop abondante,
d'une manière permanente; mais il peut arriver des excès de
production spéciale et momentanés^ causés par l'entraînement
ou la fausse direction de l'esprit d'entreprise, de spéculation ^
GRISES GOMMËRCULES. 311
nature de vertige, nous le répétons, qui peut s'emparer et
s'empare, à de certains moments, de quelques groupes de pro-
ducteurs et de spéculateurs chez lesquels la prudence ne re-
frène pas assez Tamour du gain et qui se font illusion les uns
aux autres.
C'est ce phénomène, mal observé, qui a fait naître des récri-
minations contre les machines, les institutions de crédit et tous
les grands moyens de production, de transport et d'échange
qui caractérisent l'industrie moderne, et ont pour résultat dé-
finitif des produits à la fois meilleurs et moins chers.
L'esprit de spéculation et l'esprit d'entreprise qui se res-
semblent et différent à plusieurs égards, sont des manifesta-
tions de l'intérêt individuel, for^îe motrice de notre nature,
principe vivifiant des sociétés humaines. (Nous ne voulons, pas
en dire du mal, mais seulement constater leurs effets, lors-
qu'ils se livrent à une trop vive activité.) — Ces deux esprits,
disons^nous, puissamment aidés par l'esprit d'association, font
naître les entreprises nouvelles de plus en plus nombreuses,
établies sur une échelle de plus en plus grandiose et nécessi-
tant des capitaux de plus en plus considérables. C'est le pro-
grès; mais ce progrès ne s'obtient point sans des douleurs en
compensation. Ces capitaux proviennent des épargnes an-
nuelles, ou sont retirés des industries en activité. Dans le pre-
mier cas, ils sont simplement non avenus pour les entreprises
existantes ; dans le second cas, leur retrait peut être cause de
ralentissement, de dépérissement et même de ruine.
Donc toute entreprise nouvelle agit comme cause de crise
par le détournement des capitaux.
On aperçoit ici l'effet des Travaux publics entrepris sur une
grande échelle soit par les Etats, soit par les provinces, soit
par les communes, soit par l'industrie privée, qui tous puisent
aux mêmes sources et ne peuvent puiser qu'à ces deux sour-
ces : les épargnes annuelles, et les capitaux mobiles de l'in-
dustrie;
Ces travaux absorbent les capitaux plus ou moins en pure
312 NOTES ET PETITS TRAITÉS
perle, s'ils sont plus ou moins improductifs. Dans le cas con-
traire, comme quand il s'agit, par exemple, du perfectionne-
ment des voies de communication, les inconvénients de ce
détournement sont compensés par les facilités nouvelles don-
nées aux échanges et àla production, se traduisant par une
diminution de prix agissant elle-même comme impulsion à la
consommation et de la consommation aux échanges et à la pro-
duction. Mais pour cela, il ne faut pas que les nouvelles entre-
prises dépassent les ressources disponibles ; et même dans ce
cas, les douleurs du détournement sont inévitables, surtout
pendant la période de temps qui s'écoule entre Tappel du ca-
pital et les effets de la mise en exploitation de la nouvelle
voie.
La création de nouvelles exploitations, la construction de
nouvelles voies de communication les mieux conçues, les plus
sagement calculées, se résument en une transformation con-
sidérable de capitaux mobiles et circulants en capitaux fixes.
Or, il faut à toutes les affaires et à la société laborieuse prise en
masse une certaine proportion de l'une et Tautre espèce de
capital. Si donc cette proportion vient à être troublée d'une
manière notable, une crise doit forcément s'ensuivre. Ainsi
s'expliquent les embarras de 1845 et 1846 par suite de la con-
struction simultanée de nombreuses lignes en Augleterre, er
France, en Allemagne, en Belgique, etc. L'utilité de ces nou-
velles vaies n'était pas contestable ; mais leur construction se
faisait dans une proportion trop considérable.
Ainsi s'expliquent, en partie, les embarras de ces demiérej
années, par suite de l'impulsion donnée en France surtout, è
des travaux publics de diverse nature, dont l'utilité directe,
positive, actuelle, est très-contestable, — et qui ont absorbé
d'immenses capitaux improducteurs, au point de vue écono-
mique du moins.
Nous sentons bien qu'il y aurait ici de nombreuses distinc
tions à faire; mais nous ne nous sommes proposé, quant à pré-
sent, que d'élucider les causes de crise.
I détournement des capitaux n'est pas le seul effet de
CRISES COMUERCIALES. 313
ces grandes entreprises. Elles tendent à produire de grands
déplacements de travailleurs, à priver les travaux des champs
et les autres industries de leurs coopérateurs naturels : — elles
tendent à concentrer, dans les villes, des classes de population
instables et remuantes qui font baisser les salaires, hausser le
prix des vivres et des loyers, nécessitent un surcroît de surveil-
lance, de police et de dépenses, toutes choses qui rendent l'ad-
ministration des villes plus difficile et la population sédentaire
moins heureuse. Les fortifications de Paris, à ne les considérer
qu à ce point de vue, ont été une des grandes fautes du gouver-
nement de Juillet, une des causes de sa chute!
Le développement du Crédit^ la multiplication des Banques
et des autres institutions de crédit, l'accroissement de leurs
opérations, sont une des causes que quelques publicistes met-
tent le plus volontiers en avant pour expliquer les crises. Il y
aurait à ce sujet tant à dire qu'un volume y suffirait à peine.
Nous devons nous borner ici à quelques assertions principales.
On s'est habitué à expliquer les crises, d'abord les crises
de TAngleterre après 1815, ensuite celles des États-Unis de-
puis une quarantaine d'années, par les banques, dont on a
fait des espèces de boucs émissaires.
Sans doute les Banques, en facilitant la transmission des
capitaux et le mouvement des valeurs, aident puissamment à
l'aclivité des échanges et de la production. Elles sont un des
leviers de Tindustrie moderne, comme la division du travail,
comme l'abondance des capitaux, comme les machines, comme
les nouvelles voies de communication ; mais elles ne donnent
pas toujours l'impulsion. Elles la reçoivent et transmettent le
mouvement. A de certaines époques, lorsqu'elles ne fonction-
naient pas picore aussi régulièrement qu'aujourd'hui, elles
ont pu avoir des fautes à se reprocher ; mais c'est assurément
par suite d'une observation incomplète qu'on a tout rejeté sur
elles, parce que, d'après leur rôle, elles sont les premières sur
la brèche et les premières victimes.
Le fait est qu'on ne voit pas encore très-clair en cette ma-
014 NOTES ET PETITS TRAITES.
tière. Parmi les hommes les plus compétents, les uns font re-
monter la responsabilité des crises jusqu'aux banques, parce
quVJles ne sont point assez réglementées, point assez contrô-
lées; les autres, parce qu*elles le sont trop et qu'elles sont
constituées à Tétat de monopole. Nous sommes de ce dernier
avis.
Toujours est-il que les crises éclatent depuis quarante ans
dans tous les pays où le mouvement industriel est accélérée
dans les pays où les banques sont plus nombreuses, comme
dans ceux où elles le sont moins, et malgré la réglementation
et le monopole qui sont à peu prés universels, si Ton en ex-
cepte les petits États du nord-ouest de l'Union américaine et
VÉcosse, où les crises ne prennent pas précisément nais-
sance.
Il est certain que lorsque des établissements de crédit ont
un monopole, et qu'ils ne sont point maîtrisés et réglés par la
concurrence, ils peuvent, par la facilité donnée ou refusée ù
l'escompte, aider, — ralentir ou arrêter la marche des mai-
sons de commerce et des établissements industriels; — ils
peuvent provoquer et alimenter la fièvre des spéculations tant
qu'ils y voient leur profit, puis, à un moment donné, s'effrayer
de leur propre ouvrage, s'effrayer outre mesure, et amener,
par la suppression des crédits, la détermination de crises qui
n'auraient point eu lieu si la concurrence avait, d'une part, li-
mité leurs avances et, d'autre part, neutralisé leur cessation
de crédit. C'est ainsi que beaucoup de crises partielles ont eu
pour cause directe la manière d'opérer des banques centrales
privilégiées ^
L'abondance de l'Or que nous ont récenirnent fourni la Ca-
lifornie et l'Australie, a aussi été mise au rang des causes
* Voir: le ch. XX du Traité (féMnomie politique, 5«éd., le § VI, dàn<
lequel il est parlé de l'actioà des Banques, sur les crises ; — crises com-
merciales et de leur retour périodiques, par E. Ch. Juglar, in-8", 1862,
Guillaumin; — et dans /a monnaie de Banque, par M. Paul Coq, 2" éd..
IStMiCheEGuillaumin, une Notice sur la Banque de France àpartirde 1857.
GRISES COVMERCrALES. 315
de la crise que l'Europe et l'Amérique ont traversée en
1856-57-58, et des malaises qui l'ont caractérisée. De 1849
(lesplacers de Californie ont été découverts en 1848 et les
diggings d'Australie en 1852) à la fm de 1856, la production
aurifère, dont la majeure partie est entrée dans la circulation
européenne, s'est élevée dans le mopde entier à 4 milliards
542 millions de francs, dont plus de la moitié, 2,215 millions
provenant de la Californie, 1,494 de l'Australie et 635 millions
de Russie.
En outre, la production argentifère s'est élevée, pendant
celle période, à 2 milliards 70 millions. En 1847, M. Michel
Chevalier, continuant les calculs de M. de Humboldt, portait à
45 milliards le total de la production des métaux précieux
depuis la découverte de l'Amérique. La production des der-
nières années a donc été du dixième de ce total.
S'il est difficile de préciser au juste l'influence de cette aug-
mentation de métaux monétaires en si peu d'années, et dans
quelle proportion elle est venue satisfaire aux besoins nou-
veaux de la circulation, il est évident (et ici les faits s'accordent
avec la théorie) que l'abondance de l'or dans la circulation a
commencé à jeter une perturbation sensible dans les valeurs
et déprécié notamment les salaires, les revenus fixes et l'im-
portance des créances. De là, une certaine partie des malaises
contemporains ^
En second liçu, cette augmentation de numéraire, en arri-
vant dans la circulation, a dû agir comme stimulant au déve-
loppement de la production et être un des excitants de l'esprit
de spéculation et d'entreprise que nous avons considéré plus
haut; et, d'autre part, cette même masse de nuriiéraire fonc-
tionnant dans les échanges a pu contribuer à affaiblir un peu
la crise monétaire qui s'est naturellement produite en même
temps que la crise générale que nous venons de mentionner.
Lorsqu'un pays change plus ou moins brusquement son Tarif
* V. p. 157, une note sur la production des métaux précieux.
348 NOTES ET PETITS TBÂITÉS.
Si Tesprit d'entreprise a été surexcité; si la fièvre de spécula-
tion s'en est suivie ; si on a dépassé les bornes de la consom-
mation, ou si celle-ci vient à se ralentir; si des opérations ont
été mal conçues, il est impossible que la mévente ne s'ensuive
pas, puis le ralentissement forcé du travail, puis la liquida-
tion, plus ou moins pénible, d'affaires mal conçues. — C'est
le seul remède, en ces divers cas.
Si, par le développement donné aux travaux publics, aux
entreprises nouvelles, aux institutions de crédit, à certaines af-
faires de circonstance, l'État, les communes, ou les associa-
tions ont engagé des capitaux nécessaires à la circulation, ou
les ont détournés de leur emploi naturel, — la cessation de
celte direction artiflcielle des capitaux sera un premier remède
au mal des industries appauvries; mais ce mal ne se trouve
pas calmé par le fait même de la cessation de la cause. Toute-
fois il se produira moins facilement et cessera plus vite dans
un pays où le régime économique est basé sur la liberté, que
dans celui où ces détournements de capitaux, entraînant le
déclassement artificiel et rapide des populations, sont causés
et maintenus par le monopole.
Il faut laisser faire et laisser passer l'accroissement de la
production des métaux précieux ; elle est providentielle, et. au-
cune puissance au monde ne pourrait en arrêter les effets.
Rien n'est plus facile que d'éviter chez soi les mauvais ef-
fets de l'élévation des tarifs et des représailles. On peut les
prévenir chez les autres par une politique commerciale éclairée
et la réforme libérale des tarifs.
Le coup d'œil et la prudence des chefs de maison peuvent
seuls prévenir les catastrophes résultant du contre-coup des
crises étrangères.
Parmi les diverses causes de crises, il en est d'artificielles;
il en est qui tiennent à la nature des choses; il en est qui sonl
le résultat d'accidents climatériques ou du malheur public; il
en est même qui semblent inhérentes au progrès des sociétés.
Telles sont les causes des crises commerciales et industrielles
GÈISES COMMERCIALES. 519
proprement dites : la surexcitation de Tesprit d'entreprise par
le succès, le développement des grandes affaires, le développe-
ment du crédit, — qui altèrent quelquefois si profondément,
mais heureusement d'une manière temporaire, les échanges
et l'industrie des peuples les plus prospères, — et cela d'au-
tant plus, qu'ils sont plus prospères.
Ces espèces de crises semblent, à beaucoup d'égards, ac-
tuellement inévitables ; mais leurs inconvénients ne peuvent
à beaucoup près balancer les immenses avantages que les peu-
ples retirent des développements incessants de leurs affaires.
Les crises de celte nature sont des crises de croissance, et
mieux vaut l'activité et la richesse avec les crises commer-
ciales, celles-ci dussent-eUes être dans la nature permanente
des choses, que Tinaction et la pauvreté. Les pays riches et
prospères sont quelquefois en crise ; les pays pauvres y sont
d'une manière permanente.
Et d'autre part, les crises commerciales sont passagères de
leur nature; elles n'appauvrissent pas la société, mais dépla-
cent la richesse par le changement soudain des valeurs qui dé-
truisent la fortune des uns et augmentent celle des autres.
Les baisses soudaines dans la valeur des choses suscitent des
acheteurs, facilitent la consommation, font cesser l'engorge-
ment et provoquent la liquidation des entreprises mal enga-
gées : après quoi les affaires reprennent dans les conditions
normales.
Nous venons de dire que ces espèces de crises semblent
inévitables. Cependant il ne faudrait pas conclure à une loi de
fatalité absolue et de périodicités régulières *.
De plus en plus les producteurs et les chefs d'entreprises,
parleur expérience, leur coup d'œil, la connaissance de leur
industrie, de la situation du marché, arriveront à ne pro-
duire que ce quils petivent bien produire et vendre convena-
blement.
En tout cas, ainsi que nous le disons dans le Traité d^éco-
* V. une note finale.
S20 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
nomie politique *, « il n'y a aucune bmme assignable par Vauto-
rite, qui ne saurait agir par voie de réglementation et dont
Faction ne peut être utile qu'en faisant disparaître les en-
traves qui peuvent mettre obstacle aux échanges, aux débou<
chés, à la consommation.
« Il n'y a, au surplus, pas lieu de redouter l'excès de pro-
duction au point de vue général. Cet excès, nous le répétons,
ne peut être que momentané ; il ne se produit qu'au détri-
ment du producteur, et il se produit avec d'autant moins
d'incohvénients pour celui-ci, que les échanges sont plus
libres et les débouchés plus étendus. »
* Cliap. XV, § IV. 5« édilion.
LIBERTÉ DU COMMERCE
4NES - RÉFORMES DOCANIÈRES - TRAITÉS
DE COMMERCE - RÉGIME COLONIAL
ibinaisons et procédés de la Douane. — Traités de commerce. —
ime colonial. — IT. La Contrebande. — IIL Résultats des réformes
icières et douanières en Angleterre. — lY. Analyse du tarif fran-
avant les réformes récentes. — V. Réformes douanières en France
aité de commerce de 1860! — YI. Le Libre Échange.
L COMBINAISONS ET PROCÉDÉS DE LA DOUANE •
de douane. — Prohibitions. — Droits protecteurs. — Droits diffé-
iels. — Primes. — Drawbacks. — Entrepôts. — Ports francs. —
ésailles douanières. — Réformes douanières. — Traités de com
«. — Régime colonial,
(V. Traité d'Économie politique, ch. xxv et xxvi.)
roits de douane. — Prohibilionfl. ~ Droits proteeleam. •>
Ifl difrérentiels. — Primer. — Drawbaeks. — Entrepôts* -^
m franefl* — Représailles douanières. — Réformes doua-
is*
droits de douane sont les taxes établies à rentrée ou ù
ie des marchandises à la frontière des provinces ou
ats. La création de ce gonre de taxes remonte à une
e comprise dans la première édition des Notes et petits traités et
5 deux premières éditions des Éléments d'Économie politique, dc-
B Traité d'Économie politique à parlir de la 4" édition.
NOTES ET PETITS TRAITES.
haute antiquité ; les Grecs et les Romains avaient des lignes
de douanes pour subvenir au trésor public.
Depuis l'adoption du système mercantile dans la politique
commerciale des peuples, les douanes ont eu un but presque
opposé, celui de faciliter les exportations et de restreindre les
importations pour attirer et retenir le plus de numéraire pos-
sible dans le pays*. Plus tard on les a fait servir à des empê-
chements analogues dans l'intérêt de la production nationale,
qu'on a cru .encourager ainsi ei'protéger. Les droits de douane
ont alors pris le nom trompeur de droits 'protecteurs.
Les tarifs actuels des diverses nations sont le résultat de
ces deux systèmes économiques combinés : avec la manie régle-
mentaire qui est enracinée dans la plupart des adnftnistra-
lions, et avec de prétendues exigences de la politique.
Les douanes doivent donc être considérées, sous un double
point de vue : comme moyen de revenu pour l'Étal^ et comme
instrument de protection de certaines industries ^ U y a deu)
parties dans le surplus que payent les consommateurs sur le
prix des produits, par le fait des droits et des empêchement
douaniers : 1° la partie qui revient au fisc \ entre dans lei
coffres de l'État, sert aux dépenses publiques, fait en un mo
fonctions d'impôt; 2° la partie qui va à l'industrie protégée.—
Celle-ci est latente et on ne peut s'en rendre compte qu'i
laide d'une élude attentive.
Voici à quelles variétés de procédés ont conduit les théorieî
qui ont guidé les administrations en matières de douanes.
Certains produits sont 'prohibés à l'entrée ; d'autres soni
prohibés à la sortie. Dans ce cas, les agents-de la douane
sont autorisés à faire des perquisitions et des visites domici
* Nous démonlrons dans le Traita d'Économie politique, 5« édition
chap. XXV, l'absurdité de ce système et l'impossibilité de ce résultat.
2 Voir Traité de Finances, 2* édit., chap. xi et note finale x, et Élé-
ments de V Economie politique, p. 308. «
5 Dans le Traité d'Economie politique, chap. xxv, nous montrons lei
illusions et l'injustice de ce système.
* Fisc, trésor du souverain, du latin fiscuSt panier de jonc dans leque
on recueillait anciennement l'impôt.
LIBERTÉ DU COMMERCE. — PROCEDES DE LA DOUANE. 525
liaires, à provoquer des délations pour la découverte de la
fraude. Pour les encourager dans celte œuvre pénible, il leur
est alloué une partie des amendes et des saisies.
D'autres produits ne peuvent entrer qu'en payant des droits
plus ou moins élevés. — D'autres produits ne peuvent entrer
que par certains points ou zones de la frontière. — D'autres
payent des droits différents appelés différentiels, suivant qu'ils
pénètrent par une zone ou par l'autre, suivant le pays d'où
ils viennent, suivant l'usage auquel ils sont destinés, suivant
la quantité déjà importée, suivant leur forme ou leur dimen-
I sion, etc.
Les prohibitions et les droits à l'entrée faisant renchérir
certains produits indispensables au travail des industries
qu'on a voulu [protéger, on a imaginé de rendre les droits
d'entrée à la sortie des produits fabriqués avec la matière qui
avait payé ces droits. Cette restitution s'est appelée drawback.
On donne en outre des encouragements ou primes à la
sortie.
Pour faciliter le commerce de certaines localités, on leur a
donné la faculté de créer des entrepôts de douane et où Ton
peut déposer, durant un temps déterminé, les marchandises
soumises aux droits, pour ne payer ces droits qu'au fur et à
mesure de la consommation ou de la vente. Ces entrepôts
publics sont dits réels, par opposition à ceux que quelques
particuliers obtiennent la permission d'établir chez eux et qui
portent le nom d'entrepôts fictifs. 11 y a aussi des entrepôts
'Spéciaux pour certaines classes de marchandises. — Il y a
enfin des entrepôts d'octroi. — Des villes de commerce mari-
lime ont obtenu de ne pas payer les droits de douane à
rentrée du port, mais seulement à une certaine limite de leur
territoire. Ce sont les ports francs, dans l'enceinte desquels le
. commerce jouit d'une liberté absolue.
Dans l'apphcation, voici les faits généraux qui ont été
observés :
Les prohibitions conduisent à des manœuvres barbares a
Elles engendrent la fraude et la violation de la loi, la délation,
524 NOTES. ET PETITS TRAITÉS.
la saisie et les perquisitions domiciliaires, au sujet d'un simpi
fait d'échange très-naturel et très-innocent par lui-même.
Les droits élevés sont prohibitifs et produisent les même
résultats.
Il est rare que les drawbacks soient bien calculés et qu'il
ne deviennent Tobjet d'une fraude et d'une perte pour le tré
sor public.
Les primes sont des sacrifices en pure perte, auxquels Adan
Stnilh adresse ce dilemme, applicable d'ailleurs à tout le sys
tème de la protection : « S'il y a quelque bénéfice à tire
d une industrie, elle n'a pas besoin d'encouragement; s'il n';
a point de bénéfice à en retirer, elle ne mérite pas d'être en
couragée. » (Liv. IV, chap. n.)
Les entrepôts ont eu d'utiles effets, puisqu'ils ont pour bu
clo suspendre Faction des entraves qui gênent le commerc
et l'industrie. Il n'en a pas toujours été de même delafran
chise accordée aux ports, parce que ceux-ci retrouvent forcé
ment la douane, ses empêchements et ses rigueurs à deux pa
de leurs murs.
Pour arriver à tarifer tous les produits, pour ménager tou
les intérêts, ou plutôt pour favoriser ceux qui ont eu la forci
et le pouvoir en main ; pour satisfaire toutes les grandes e\i
gences venues du dedans ou du dehors, il a fallu faire des re
maniements iiuccessifs qui n'ont jamais donné de sécurité au:
opérations commerciales; il a fallu prendre des disposition!
innombrables, faire un code très-embrouillè, monter une ad
ministration très-compliquée, enrégimenter un nombreu:
personnel, accumuler enfin paperasses sur paperasses. Ei
dernière analyse, on a eu la prétention de concilier tous le
intérêts, et on est arrivé à les blesser à peu près tous.
Le trésor public s'est vu privé d'une parlie du revenu sui
lequel il pouvait compter, par les prohibitions et les droit
élevés qui empêchent ou limitent les importations, c'est-à-din
la matière imposable.
L'agriculture, les manufactures, les arts et métiers, les arli
libéraux ont été obligés do subir de plus dures conditions soi
LIBERTÉ DU COMMERCE. — PROCÉDÉS DE LA DOUANE. 525
ir acheter les produits dont ils ont besoin, soit pour vendre
X qu'ils créent eux-mêmes.
ja masse des consommateurs a élé sacrifiée à des intéréls
ticuliers qui ne jouissent pas tous des avantages du système
même degré et dont la plupart y perdent ea général plus
ils n'y gagnent. — C'est ce qui résulte de l'élude générale
faits ; c'est la conclusion de tous les économistes ; c'est
îonclusion de tous les producteurs intelligenls, toutes les
1 qu'on les consulte sur l'intérêt qui ne les louche pas
2Ctement.
Quelquefois des gouvernements croient devoir se venger
i de l'autre par des exhaussements de tarifs en exerçant des
résailles douanières. Dans ce cas, on dirait de deux indivi-
dont l'un casserait le bras à l'aulre en sacrifiant son pro-
bras, et dont l'autre, pour se venger, sacrifierait son
3nd bras pour casser le second du premier. C'est une ma-
ivre insensée. Un exemple mémorable de représailles es
li du blocus imaginé par Napoléon P»* contre l'Angleterre,
[ui porte le nom de système continental. Par un décret du
novembre i806 et daté de Berlin, Napoléon déclara les
Britanniques en état de blocus et défendit toute espèce
commerce et de communication avec elles. A la suite de
décret, sa politique tendit à faire exécuter la prohibition
»uis Lisbonne jusqu'à Pétersbourg. Un bill du gouverne-
nt anglais venait de soumettre toutes les nations à ses lois
ritimes et refusait de reconnaître des neutres,
^e blocm continental a considérablement nui au corn-
rce, à la marine, à l'agriculture et à Tindustrie des deux
rs et du monde entier. Les ports de mer se ressentent en-
edes dommages éprouvés. C'est de cette époque que date
déviation de plusieurs industries qui se sont lancées dans
e'voie artificielle. Au point de vue moral, le blocus a produit
grand développement dans la contrebande en Europe, des
Ireprises de corsaires, des concessions de licences, etc. Au
inl de vue politique, il a élé une des causes principales des
d!26 10TE5 ET FCrnS TBJUTBS.
hames des nations de FEurope contre la France, et des guer-
res et catastrophes qui ont suiTi^.
Les représailles doaanières nuisent à ceux qoi les exercent;
mais il y a des cas où la politiqae a pa en faire une heureuse
application. C'est a^ec leur secours que les États-Unis mit
exigé de TAngleterre et de la France la réciprocité douanière
pour les lois de naYigation.
Au point de Yue économique et ^ocial, les Droits de douane,
comme tous les impôiSy font renchérir les denrées qu'elles
frappent et appauvrissent la nation. Mais quand ils portent
sur des produits qui ont des similaires dans la production na-
tionale, ils ont rincouTénient de grossir l'impôt apparent
d*une taxe latente qui est payée par la masse des citoyens à
TaYantage (au moins d'intention sinon de fait, car il y a sur
ce point des distinctions à faire) d*une classe particulière ; ils
ont encore l'inconvénient d'engager le travail d'un pays dans
des Toies artiCcielles, et dans toutes les complications qui
ressortent d'un ordre qui n'est pas celui de la nature des
choses ; ils contribuent à maintenir la mésintelligence entre
les peuples, et sont des causes nombreuses de guerre et de
complications politiques.
Le système douanier des peuples doit subir de nos jours
une réforme radicale qui a son point de départ dans la science,
et que des hommes d'État éminents ont préparée par des ex-
périences concluantes faites en différents pays, et notamment
en Angleterre, sous le ministère de Huskisson (1822-50),
sous le ministère de Robert Peel (1842-46), et depuis, par
suite de l'enseignement répandu par la puissante Ligue de
Manchester en tête de laquelle marchaient MM. Cobdeo^
Bright, Fox, Wilson, le colonel Thompson, Villiers, etc., etc.
Cette réforme apra pour but immédiat de ramener ta
douane à ses fonctions fiscales et de lui ôter tout caractère de
Protection. Pour cela, on sera conduit à limiter les droits i
un très-petit nombre d'articles, aux plus productifs, c'est-à-
dire aux denrées qui n'ont pas de similaires dans le pays et
^ Voir notre article Blocus dans le Dtct. d^Écon, politique.
LIBERTE DU GOMMEftCE. — TRAITAS DE COMMERCE. 327
qui sont en même temps susceptibles d*une grande consom-
mation, à fixer ces droits au taujc le plus productif, qui est en
général un taux modéré ; à diminuer progressivement tous les
droits actuellement existants en vue de la protection ; ù sim-
plifier le code de la douane et les rouages de cette administra-
tion. Cette réforme sera très-féconde pour tous les pays qui
la feront. Elle fera prospérer toutes les industries : Tagricul-
ture, les manufactures, les arts, les professions libérales, les
colonies, la marine ; et il se produira à sa suite le même dé-
veloppement que celui qu'a amené la liberté du travail prépa-
rée par les discussions des économistes- et proclamée par la
première Assemblée constituante.
Le système de la Balance du commerce et celui de la Pro-
tection ont donné naissance aux Traités de commerce et au
Régime colonial.
I U* Vraitétf de eommeree. — Traité de Mélbuen)
Vrailé de 498«.
ii
On traité de commerce est un contrat stipulé entre deux
nations, qui s'accordent réciproquement des facilités de
[^ douane, de navigation et de commerce, des concessions ou
faveurs qu'elles refusent aux autres nations; c'est une excep-
tion temporaire aux restrictions qu'elles imposent à l'en-
senible de leurs relations; c'est un correctif au régime prohi-
bitif.
Ces traités avaient jadis pour but principal de faire pencher
lâ Balance du commerce et de faire affluer le numéraire chez
celle des nations qui se croyait la plus habile ou la plus heu-
reuse.— Plus tard, en poursuivant le même but, ils ont aussi
Imdu k protéger (à favoriser), par des combinaisons de tarifs
et des restrictions, certaines industries qui ont accaparé la
formule de travail national.
A de certaines époques, les négociateurs, mieux inspirés,
ont cherché à augmenter ou à faciliter les rapports cotxvvxvci.\-
ciaux AesàeuspeupJes, — en ménageant cepeïvâLaxvV\e.^^T'^>^^^'^
Su
mi
e.
k
1
528 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
commerciaux (mercantiles et protectionnistes) et les préjugés
politiques et nationaux.
Ces conventions ont beaucoup préoccupé les gouverne-
ments et les peuples cherchant à vendre plus à l'étranger et
à lui acheter moins, chose parfaitement impossible. — Elles
ont exercé le machiavélisme des diplomates. — Elles ont été
causes de complications, de réclamations, de violations, de
querelles et de guerres, — la plupart du temps sans résulUtf
utile.
A la suite d'une étude attentive des divers traités de com-
merce*, Théodore Fix est arrivé à conclure, avec les autres
économistes qui ont étudié cette question, que l'influence heu-
reuse des traités de commerce a été à peu prés insaisissable,
si elle n'a pas été négative, et que la réciprocité que l'on a cru
ainsi créer entre deux nations par les transactions commer-
ciales a en général manqué son but.
L'expérience a démontré que les exigences diplomatiques
se sont neutralisées dans ce genre de conventions. Chaque partie
a eu le secret des ruses qui ont pu, à une époque, donner des
monopoles à quelques peuples, et, comme le disait Huskis-
son aux Communes, le brevet de cette invention est expiré*.
Les traités qui se sont conclus dans ce siècle n'ont eu, sauf
exception, qu'une portée médiocre. Ils ont bien eu, en général,
pour but de stipuler des libertés réciproques de navigation, des
dégrèvements réciproques de droits et de tarifs, d étendre
enfin le régime de réciprocité exceptionnelle qui finira par
faire place à la liberté absolue pour tous les peuples sans
distinction. Mais pour peu que les négociateurs voulussent tail-
ler largement dans les entraves, les plaintes s'élevaient de toutes
parts, et les gouvernen.ents en ont été réduils à procéder,
quand ils étaient intelligents, par des améliorations tellement
insignifiantes que la négociation d'un traité n'a souvent eu
d*au(re importance qued'ètre l'indicedela possibilité de bonnes
Étude publiée dans le Journal des Économistes, novembre 4845 et fé-
vrier 1844.
' Séance du 25 mars 1825.
UBERTÉ DO COMMERCE. — TRAITÉS DE COMMERCE. 32*J
îlations entre des diplomaties qui se tenaient éloignées.
Il faut dire, toutefois, qu en attendant la diffusion des lu-
lières économiques et la possibilité, pour les gouvernements,
B procéder ouvertement par des réductions avant toute réci-
pocité, le traité de commerce est encore le moyen d'amener
opinion publique (croyant que la diplomatie a obtenu plus
e concessions qu elle n'en a fait) à être favorable à la sim-
lification et à la diminution des tarifs. Tel a été, pour la
rance, le traité de 1860 entre la France et l'Angleterre, re-
larquable en outre en ce qu'il est venu renouer les tradi-
on libérales de 1786 et formuler d'assez notables réformes et
articulièrement la suppression des prohibitions. (V. plus loin
ne note spéciale sur ce traité.)
Les résultats de deux traités de commerce ont plus spécia-
3ment été invoqués dans les appréciations économiques : ce
ont ceux des traités de 1786 entre la France et l'Angleterre, et
le 1703, entre le Portugal et l'Angleterre.
On a dit du traité de 1786 qu'il avait beaucoup nui à la
•"rance et qu'il l'aurait ruinée sans la révolution qui est heu-
eusement venue le rompre ; on a même dit qu'il avait ruiné
a France ! — En fait, le temps a manqué pour que les effets se
)roduisissent sur une échelle un peu notable. On ne cite aucun
lésastre, et on ne peut comprendre comment l'accroissement
les relations entre les peuples a pu et aurait pu produire
iutre chose que du bien. La prétendue ruine de la France ^ et
le triomphe attribué au cabinet anglais ont été et sont de
pures fictions.
En ce qui concerne celui de 1705, dit de Méthuen, du nom
lu négociateur anglais, et qui avait pour but de- faire admet-
tre exclusivement les vins du Portugal en Angleterre, et les
produits manufacturés de la Grande-Bretagne en Portugal,
'intelligente analyse de Th. Fix, que nous citions plus haut,
* Au delà du détroit, on parlait de la ruine de l'Angleterre et du triom-
)be de la diplomatie française. W. Fox, député de Voçç<»U\wv, ^tcrcîNx.
ivec Virgile : Timeo Danaos et dona ferentea.
550 HOTES ET PETITS TBAITÉS.
montre que, si Tapplication de ce traité a été parallèle à la
décadence du Portugal, il est fort douteux qu*il ait profité à
r Angleterre. « Nous savons bien, a-t-il dit, qu'il est assez
d'usage d'attribuer la fortune commerciale de l'Angleterre à
ses traités de commerce, à son acte de navigation, à son sys-
tème de douanes, et à quelques autres institutions perma-
nentes ou passagères. Il nous semble quil faudrait plutôt
attribuer sa prépondérance commerciale et industrielle à la
liberté publique qui s'est établie de bonne heure en Angle-
terre, à l'activité et à l'intelligeiice de ses habitants, aux ri-
chesses minérales et végétales que renferme le pays, à sa
position maritime et à l'esprit aventureux et ferme qui est le
propre des navigateurs et des émigrants britanniques. »
Ce qu'il y a de certain, c'est que l'Angleterre n'a jamais été,
avant ces derniers temps (depuis la transformation de l'opi-
nion publique par la Ligue de Manchester), assez difficile sur
le choix des moyens de sa politique commerciale ; et que ses
traités de commerce ont été à la fois causes et effets d'une
foule de fourberies, de violences et d'exactions, dont l'his-
toire peut faire apprécier au juste les désastres causés par la
théorie de la balance du commerce *.
Mais sous ce rapport toutes les puissances ont de pareils
reproches à se faire.
Dans un travail plus récent, M. Anisson-Dupéron, membre
de la Chambre des pairs, a prouvé que si le traité de Mé-
thuen a eu des conséquences mauvaises, c'est précisément
parce qu'il avait été fondé sur des taxes différentielles oppo-
sées aux principes de la liberté, et que sous le rapport com-
mercial l'Angleterre en éprouva aussi les plus grands dom-
mages. Le traité de 1786, fondé au contraire sur des conditions i
de Hberté relative, est, aussi aux yeux de M. Anisson, bien loin
d'avoir produit sur les intérêts généraux de la France les dé-
sastreux effets qu'on lui impute *. ,
* Voyez Adam Smith : Richesse des nations.
Essai sur les traités de Méthuen et de 1786. Broch. in-8% 1847. Inséré
Journal des économistes^ vivii 1847.
LIBERTÉ DU COMMERCE. — RÉGIME COLONIAL. 531 .
Relativement à celai de 1703, auquel on attribue la déca-
ence du Portugal, il faut aussi remarquer que TEspagne,
ir laquelle il n'a pas agi, n'en a pas moins rétrogradé, de-
uis la môme époque, que le Portugal. Ajoutons qu'il a cessé
'être en vigueur avec le premier tiers de ce siècle.
Ce qui a ruiné TEspagne et le Portugal c*estla politique
)mmerciale de Charles-Quint, basée sur le système mercan-
le et le système prohibitif; c'est Tinlolérance religieuse, le
lonachisme et le despotisme politique. Ils se relèvent dé-
nis une trentaine d'années par une évolution en sens
iverse.
§ m. Régime eolonial*
Le Régime colonial a été le fils du système douanier et de
. balance du commerce ; il est aussi un des aspects du sys-
;me protecteur. — C'est l'ensemble des mesures prohibi-
ves qui lient les colonies à la métropole et leur interdisent
lus ou moins les échanges avec les autres pays. — C'est
mjours une dérogation au principe de la liberté commer-
iale. — C'est l'exploitation intentionnelle, sinon de fait (en
lit c'est souvent le contraire), de la colonie pour la mé-
ropole*.
La question coloniale est une question complexe : le nao-
aliste peut la traiter comme une question de justice et de
ivilisation ; l'économiste doit l'envisager sous le rapport de
\ richesse et au point de vue des débouchés ; enfin elle se
résrente à l'homme d'État sous le point de vue politique.
Le droit et la morale ne peuvent se concilier avec un sys-
^me fondé sur ce principe que la métropole exploite lacolo-
ie à son profit, que les colons venus de la métropole s'enri-
[liront aux dépens des indigènes'.
* Dés 1788, au dire d'A. Young, les colonies avaient coûté à la France
iux milliards et demi.
• Nous ne faisons que mentionner l'Esclavage, pour les colonies wv^^nxs^
lieuse exploitation exisie encore.
532 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Au point de vue économique, il est facile de reconnaître
aujourd'hui que les métropoles se sont abusées sur leurs droits
et leurs propres intérêts, soit qu elles aient imposé aux colo-
nies des monopoles trop onéreux, soit qu'elles aient cherché
à atténuer les conséquences désastreuses de ces privilèges,
en se soumettant elles-mêmes à un monopole colonial. Dire
aux Français : — Vous ne consommerez que du sucre de nos
colonies, c'est leur dire : vous payerez le sucre plus cher
qno si vous pouviez consommer du sucre du Brésil ou des
Indes. — hidépendamment des droits de douanes, on lève
amsi, par le monopole, un impôt sur chaque kilogramme de
sucre, au profit du producteur colonial. — Dire au colon : Tu
achèteras à la métropole, c'est lui dire le plus souvent : tu
n'achèteras pas à ta convenance et tu achèteras plus cher, tu
payeras un tribut, tu seras exploité. — C'est l'iniquité protec-
tionniste, qui ne se discute plus.
Les possessions coloniales, si on les juge utiles, peuvent exis-
ter en dehors du vieux régime commercial. C'est vers cetle
phase que tend l'Angleterre qui, par suite des réformes du free-
trade^ a donné à ses colonies la liberté des échanges, et tend
à leur donner de plus en plus l'indépendance politique et le
gouvernement de leurs affaires. La France vient d'imiter l'An-
gleterre (loi de 1861) en rompant ce qu'on appelait le pacte
colonial en vertu duquel les colonies étaient obligées d'envoyer
tous leurs produits en France et de s'y approvisionner. Les
colonies peuvent maintenant recevoir des marchandises de
tous les pays; elles peuvent envoyer leurs productions par-
tout, mais à la condition que ce soit sous pavillon français.
Encore une entrave à faire disparaître.
Jusqu'à ce jour, les peuples d'Europe ont eu, par suite de
fausses idées économiques, entre autre préjugés, l'ardent
désir d'avoir, outre un grand territoire, des possessions loin-
taines étendues. Cette passion, jointe aux illusions du système
mercantile , a amené les trois quarts des guerres qui ont
ensanglanté le monde; et il ne serait pas difficile de retrouver
l'influence de ces causes, entre autres, dans les grandes
LIBERTÉ DU COMMERCE. — CONTREBANDE. 555
guerres du commencement du siècle, et même dans les
guerres contemporaines *.
Il n'entre pas dans notre sujet de traiter ici delà Colonisa-
tion par rÉtat, des avantages et des illusions qu'elle peut pré-
senter. Nous renvoyons à un aulre volume pour ce que nous
en avons dit au point de vue de l'émigration '.
11. SUK LA CONTREBANDE ; — SES PROCÉDÉS ; — SES EFFETS
ÉCONOMIQUES ET MORAUX -
I
Contrebande — se dit de tout commerce qui se fait contre
les prescriptions économiques et fiscales d'un État, dans le
but de frauder le trésor public des droits qu'il est chargé de
percevoir; il se dit plus particulièrement, dans le langage
économique, des contraventions aux lois qui empêchent, soit
par une prohibition absolue, soit par des droits élevés, l'en-
trée des marchandises étrangères dans un Etat.
C'est sous cette dernière face que la question se présente le
plus souvent et que nous allons la considérer, en faisant remar-
quer toutefois que la plupart des réflexions qu'elle inspire se
rapportent à beaucoup d'égards à toutes les variétés de fraude*.
Sous le rapport économique, la contrebande a souvent pour
résultat de corriger d'une manière efficace les funestes effets
des mauvaises lois de douane. Ses progrès et ses développe-
ments, lorsqu'ils ont été constatés, sont venus en aide aux
démonstrations de la science pour éclairer les pouvoirs pu-
* Guerres des États-Unis, contre le Mexique; — de la France, de TAn-
gleterre et de la Russie contre la Turquie; — de l'Angleterre dans l'Inde;
— de TAngleterre, la France et le Piémont contre la Russie; — de l'An-
gleterre contre la Chine; — de la France contre la Chine, la Cochinchino,
le Japon et le Mexique; — de l'Espagne contre le Maroc, etc., etc.
* Du principe de population, p. 41, 113, 145.
* 2* édit., a paru dans le Dictionnaire de r Économie politique,
* Fraude est nn terme générique qui s'applique à toutes les violations
des lois fiscales, et auhsi plus particulièrement à celles qui se pratiquent
à l'entrée des villes,
19.
354 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
blics et amener à composition, d'une part, le fisc inintelli-
gent, et, d'autre part, ceux qui sont favorisés ou se croient
favorisés par le régime protecteur. A ce point de vue, il
est permis de dire que la contrebande est comme une pro-
testation des intérêts généraux contre les théories arriérées
de certains financiers qui ignorent « combien est savante et
féconde la politique qui augmente le revenu public par la
réduction des taxes *■ ; » et contre les théories non moins erro-
nées de la balance du commerce et du système prohibitif et
protecteur.
C'est surtout en invoquant la perfection des procédés de la
contrebande et l'habileté et l'audace des contrebandiers, que
les administrateurs intelligents ont pu obtenir des chambres
et des pouvoirs publics (toujours surveillés de près en ces ma-
tières par d'influents intéressés) les améliorations qui ont été
introduites dans les tarifs de plusieurs nations de l'Europe.
C'est par l'intervention de la contrebande, par exemple, que
la prohibition de châles de Tlnde a été remplacée par un droit
et que les fabricants français, stimulés par la concurrence et
instruits par de nombreux modèles, ont atteint le degré de
perfection qu'on leur connaît. C'est par l'intervention de la
contrebande sur laquelle le gouvernement français était réduit
à fermer les yeux, que l'on a levé la prohibition sur les filés
fins d'Angleterre, nécessaires aux moussehniers de Tarare et
que ceux-ci demandaient en vain à la filature nationale. C'est
par l'intervention de la contrebande qu'on a réduit de moitié,
en France, le droit de 50 fr. sur les chevaux, dont la plupart
entraient sans payer les droits, le contrebandier montant sur
la marchandise et galopant avec elle. C'est après que H. de
Saint-Cricq eut exactement reçu à son domicile, et par sa pro-
pre voiture, les montres achetées, par lui, à Genève, dans l'in-
tention d'éprouver la surveillance des douaniers, que le ré-
gime des droits protecteurs remplaça celui de la prohibition
sur cet article. Si les poteries ont été longtemps prohibées en
Paroles de Huskisson au parlement, le 25 mars 1^25.
LIBERTÉ DU COMMERCE. — CONTREBANDE. 335
France, si les fers ont été repoussés par des droits exorbitants,
cela a tenu beaucoup à ce que la contrebande n'a pu intervenir
dans la question. En Espagne, c'est le développement de la
contrebande qui a ouvert les yeux au fisc et Ta amené à des
premières réformes qui, en profitant aux finances, a contribué
à ranimer l'industrie nationale. 11 en est de même pour plu-
sieurs autres pays, pour Rome, par exemple, où la contre-
bande est parvenue à éclairer même le gouvernement des
cardinaux, qui a voulu faire passer dans les caisses pontificales
les droits payés aux contrebandiers par l'importation.
Les progrés de la contrebande ont partout suivi la multipli-
cation des prohibitions et l'élévation des tarifs. En plusieurs
points, elle est devenue une industrie véritable, occupant un
grand nombre d'employés, se chargeant des opérations de
transport et de fraude, moyennant des tarifs publics, avec ses
entrepositaires , ses courtiers, ses intermédiaires de toute
sorte, parmi lesquels on a souvent compté les douaniers eux-
mêmes.
Cette singulière anomalie a été surtout remarquée en Espa-
gne, où, jusqu'à ces derniers temps, les entraves douanières
ont été démesurément exagérées.
II
Il serait difficile d'évaluer en chiffres l'importance de la
contrebande ; mais on ne doute pas que cette importance ne soit
considérable quand on a habité, pondant quelque temps, les
pays frontiéi^es, où la fraude est l'occupation d'une partie de
la population, et l'occupation souvent forcée, puisque les
lignes de douanes séparent brutalement des pays qui ne peu-
vent vivre l'un sans l'autre. M. Blanqui disait, en 1839, dans
le Dictionnaire du Commerce : « Des personnes bien placées
pour apprécier de semblables faits ont évalué à plus de trois
cent millions l'importance annuelle du commerce usurpé par
les contrebandiers européens. » Il ne nous est guère possible
de contrôler cette appréciation. Mais le fait est que la contre-
bande est le seul moyen qui reste aux industriels p
336 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
procurer des matières prohibées qui sont indispensables à
leur fabrication, et aux consommateurs, pour se procurer des
produits également prohibés ou chèrement taxés, et qui ne
sont pas fabriqués à l'intérieur ou qui ne s'y trouvent qu'à
des conditions différentes de qualité et de prix.
- Une très-grande contrebande est celle que font, pour leur
propre usage, le plus grand nombre des voyageurs qui ren-
trent dans leurs pays, soit qu'ils veuillent se soustraire au paye-
, ment des droits élevés ou simplement à la perte de temps, aux
avaries, aux relards, aux visites, aux formalités, aux ennuis ^ et
aux nombreux désagréments qu'entraîne toujours une consta-
tation douanière. Les chemins de fer en jetant, sur les bureaux
de douane, des masses de voyageurs qu il estimpossible de bien
surveiller, quoi qu'on fasse, ont notablement augmenté cette
espèce de contrebande. Mais une fraude beaucoup plus sé-
rieuse, encore, est celle à laquelle se livrent les populations
-limitrophes des frontières, sur les objets de consommation
dont ils ont besoin : vêtements, substances alimentaires, bois-
sons, tabac, denrées coloniales, etc., et qu'ils peuvent obte-
nir au-delà de la ligne de douane à meilleur compte qu'en
deçà. Cette contrebande est pratiquée par tous les habitants des
campagnes et par la plupart des ouvriers des villes qui sont à
proximité des frontières, le jour après le repas, le soir après le
travail, le dimanche pendant la promenade^ par la famille tout
entière, hommes, femmes et enfants. « iJn inspecteur des
écoles primaires dans le llaut-Rhin me disait qu'à une de ses
tournées, il avait trouvées entièrement vides plusieurs des
écoles dans lesquelles il se présentait : « Où sont donc vos
M. Villermélils raconte l'onecdote suivante :«Undcs employés supérieurs
flo Neufcliâtel, c'est lui-même qui me l'a dit. se rendait en France. Il
nvait été chargé par un de ses correspondants d'apporter une belle montre
suisse. L'un et l'autre auraient volontiers, pour régulariser celte impor-
tation, payé les droi's établis; mais alors il eût fallu, en entrant sur notre
. territoire, prendre un acquit à caution, faire plomber la montre, la lais-
ser expédier ù l'un des sept bureaux de garanties qui seuls peuvent poin-
'conner Irs montres étrangères, etc. Afin d'échapper à tous ces tracas,,.,
• le Kouft'hAtelois introduisit la montre sans la déclarer. »
[ï^ Douanes et la Contrebande, ^. \9,)
LIBER16 DU COMMERCE. — CONTREBANDE. 537
enfants? » demandait-il à l'inslituteur. — « Monsieur, ils sont
aux provisions; telle était la réponse inévitable. » (Villermé)
p. 27.)
Cette espèce de contrebande augmente, on le conçoit, dans
les temps de trouble. Mais le chiffre total de ces ftltrations
par contrebande personnelle, comme dit l'administration des
douanes, serait insignifiant selon M: Villermé fils, qui a ré-
cemment publié sur la contrebande l'étude très-intéressante
que nous venons de citer, relativement au chiffre des intro-
ductions faites par la coatrebande de spéculation, c'est-à-dire
la contrebande de ceux qui vont acheter en fraude, au-delà
des frontières, pour revenir vendre avec profit, et par la con-
trebande de ceux qui conformément aux principes de la divi-
sion du travail se chargent, pour le compte de tiers, de faire
passer la frontière à des produits en évitant les bureaux de
douanes, et en éludant les prohibitions et les tarifs. C'est là
la grande contrebande, celle dont les effets économiques se
font le plus sentir. Elle est dirigée par des entrepreneurs ou
assureurs établis sur le territoire étranger, qui font l'une ou
l'autre de ces opérations : ou ils restent simples commission-
naires, expédiant en fraude, par la voie de leurs agents, les
objets qu'on leur conOe, à des conditions différentes selon que
l'opération réussit ou qu il y a capture parla douane; ou bien,
ils se constituent à l'état de négociants, et s'engagent à livrer
au domicile des acquéreurs, lesquels courent ainsi moins
de risques que dans l'autre combinaison, mais payent plus
cher.
La contrebande commissionnaire met sur pied des bandes
nombreuses qui tiennent en échec des armées considérables de
douaniers, absorbant partout une notable partie^ du revenu du
fisc. Ces bandes ont pour intermédiaires avec les expédi-
teurs, commissionnaires ou assureurs, des chefs de bandes^
habitués au métier, connaissant les chemins, les obstacles,
les refuges et toutes les voies et moyens de la profession, et
qui fonctionnent, soit comme contre-mailres dirigeant les
camarades, soit comme marchandeurs et tâcherons, se
538 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
chargeant du transport à leurs risques et périls. Ces intermé-
diaires, ainsi que les simples contrebandiers, peuvent être
associés dans l'entreprise, et liés par un cautionnement ou
une lettre de change; ils sont en général portés au succès et
à la discrétion, dans l'intérêt de leur profession, et aussi par
une certaine bonne foi et un sentiment d'honneur spécial que
l'on retrouve dans des métiers encore plus réprêhensibles.
Parmi les porteurs ou ouvriers de la contrebande qui ont des
origines fort diverses, « plusieurs, dit M. Villermé, ne s'enrô-
lent par circonstance que pour une ou deux courses. Les mi-
litaires en congé, les conscrits avant de rejoindre leur corps,
les jeunes gens des villages à l'approche des fêtes, ne s'enga-
gent dans une expédition que pour gagner vile un peu d'ar-
gent qui sera dépensé, par les uns en route, par les autres à
la fête où ils veulent s'amuser (p. 59). »
Les procédés employés par les contrebandiers montrent
l'inépuisable ressource de l'esprit humain, et corroborent en
fait cette assertion que l'honorable M. Legentil, président de
la chambre de commerce de Paris, émettait à l'enquête de
1834^ : « La fraude se fait malgré tous les obstacles, quand
on a intérêt à la faire ; » et aussi celte autre proposition éco-
nomique qui avait, à la même époque, un tour piquant dans
la bouche de M. Mimerel, un des chefs de la ligne protec-
tioniste : « Plus vous élèverez la barrière, et plus il sera facile
de passer dessous *. »
C'est en effet aux époques où les barrières ont été le plus
élevées, que la contrebande a eu l'organisation la plus redou-
table. Il en a été ainsi en Angleterre avant les réformes de
Huskisson et celles de Robert Peel. En Espagne, les contreban-
diers ont été longtemps organisés sur un pied presque mili-
taire, à la faveur des prohibitions et des tarifs exagérés
qui ont été adoucis. Quand Napoléon eut la malheureuse
idée du blocus continental, l'Allemagne, la Russie, la Hol-
lande, l'Europe entière se couvrirent de contrebandiers,
* Enquête relative aux prohibitions, en 1834, tome III, p. 62.
» Tome III, p. 197.
LIBERTÉ DU COMMERCE. — CONTREBANDE. 559
qu'ont fait surgir de nouveau, surtout en France, les aggrava-
tions douanières de la Restauration.
Nous avons signalé à Varticle Blocus ^ comment la force
des choses avait amené l'Empereur lui-même ou ses agents à
trafiquer des licences accordées pour communiquer avec TAn-
gleterre et l'Amérique, et à faire ou à tolérer la contrebande.
On lit aussi dans les Mémoires d'Ouvrard (p. 95) : qu'à une
certaine époque une société de commerce fut conclue entre
le roi d'Kspagne et ce spéculateur, par laquelle le premier
s'engageait à fournir au second toutes les licences nécessaires
pour faire la même opération avec les colonies, a Ce qui of-
frait, dit justement J. B. Say, le fâcheux scandale d'un gou-
vernement qui portait des lois sévères contre la contrebande,
et partageait avec un contrebandier le profit qu'il y avait à
les violer. »
III
Au point de vue économique, « il semblerait, dit aussi
J. B. Say *, que la contrebande entraîne peu d'inconvénients
quant à la richesse nationale, puisqu'elle vaut toujours mieux
que la prohibition. » De son côté M. Blanqui dit, dans l'article
Contrebande du Dictionnaire du commerce : « La contre-
bande est le correctif le plus efficace des mauvaises lois de
douane qui entravent encore le commerce du monde.... C'est
à la contrebande que le commerce doit de n'avoir pas péri
sous l'influence du régime prohibitif, inventé par les nations
modernes. » Nous croyons qu'il y a lieu d'être plus affirmalif
que J. B. Say, et un peu moins positif que M. Blanqui dans
l'assertion de la puissance de l'efficacité delà contrebande.
Mais on aurait tort d'induire de ces quelques mots de J. B.
Say, précédant l'énoncé des inconvénients moraux de la con-
trebande, que J. B. Say se montrait tolérant pour le régime
prohibitif, qu'il a savamment et nidement combattu dans le
cours de tous ses ouvrages. Gomme aussi il ne faut pas se
* V. p. 325 et Notice insérée dans \eDiàtionnaire de V Économie politique.
Comrtj lY* partie, chap. xvi.
340 NOTES ET PETITS TRAITES.
laisser prendre à cette objection des protectionnistes qui,
transportant la question dans le domaine de la morale, accu-
sent les économistes de préconiser la contrebande et de pousser
aux développements des phénomènes immoraux et regretta-
bles qu'elle engendre. — Les économistes constatent que la
contrebande est en fait un correctif des mauvaises lois de
douanes; qu'elle est le seul moyen laissé par ces lois d*obte-
nir des produits injustement prohibés ou tarifés d'une ma-
nière abusive ; que ses progrès ont beaucoup contribué à
faire fléchir la sévérité des tarifs. Les économistes font plus ;
ils démonirent en quoi ces lois sont mauvaises et doivent
être amendées ; ils démontrent l'iniquité des prohibitions, des
droits élevés et de tous les droits autres que ceux dont le
trésor public a besoin; comme M. Legentil, dont nous avons
rapporté les paroles à l'enquête de 1834, ils ont appris de
l'expérience que la fraude se fait malgré les obstacles quand
on a intérêt à la faire ; ils ont proclamé bien avant M. Mimerel
que « plus on élève la barrière, et plus il est facile de passer
par dessous. » Mais, qu'on ne l'oublie pas ; s'ils concluent à la
levée des prohibitions et à la baisse des tarifs, c*est pour ôter
tout intérêt à la fraude ; c'est pour qu'elle ne passe pas sous
la barrière ; puis ce ne sont pas seulement des raisons écono-
miques ou financières, mais aussi des raisons morales qu'ils
invoquent contre le système de la balance du commerce, de
la prohibition et de la protection.
IV
Or, ces raisons morales, les voici :
La contrebande, qu'un vicieux régime douanier rend inévi-
table et au demeurant profitable au point de vue économique,
accoutume les populations à violer les lois et à déverser sur
les bonnes lois une partie de la déconsidération qu'inspirent
forcément les mauvaises. Elle constitue une inégalité dam
les frais de production, et donne à ceux qui se font l'hono-
rable scrupule de ne pas violer les règles établies un avantage
sur ceux qui les respectent. Elle habitue une classe d'bom-
LIBERTÉ DU COMMEPXE. ^ CONTREBANDE. Tiii
mes fort nombreuse à une vie d'aventures très-propice au
crime et au développement des mauvais instincts et des mau-
vaises passions. Elle est cause que les gouvernements sont obli-
gés d'entretenir un excès de douaniers doublement improduc-
tifs ; que ceux-ci, obligés de faire la guerre, révent et inspirent
constamment des sentiments de vengeance. Elle est cause du
maintien de Tusage odieux de visiter les voyageurs et de
fouiller jusque sur leurs personnes, ainsi que deloutes les ma-
nœuvres qui tracassent le commerce honnête. Elle a cela
d'affligeant, enfin, que la justice se voit obligée d'infliger des
punitions qui froissent le sentiment public à beaucoup d'égards,
et pour des infractions à des lois que condamnent à la fois la
science et Tintérêt des peuples, et que l'autorité a quelquefois
tolérées.
Que si on répond que la science a tort, que l'intérêt des
peuples est dans la prohibition et les droits élevés ; — qu'il
faut, par des prescriptions pénales plus énergiques encore et
par des entraves plus fortes, réagir contre l'opinion pubUque
et inoculer de force à la société la haine du contrebandier et
le respect absolu de la loi quelle qu'elle soit : nous nous bor-
nerons à répondre aux deux premières assertions qu'il a été
démontré qu'elles étaient l'erreur; et aux dernières, que la
peine de mort elle-même, jadis appliquée en plusieurs pays
contre certains cas de contrebande, n'a pas empêché ces cas
de se reproduire incessamment ; que la violence et la barbarie
n'ont jamais été des remèdes efficaces, et que le mal n'est
guérissable que par un régime qui rende la contrebande
moins fructueuse en rendant les transactions plus faciles sur
les frontières*.
* Voyez Hecueil raisonné de tous les moyens de fraude et de contrebande
déjoués par l'administration des douanes, par M. Egron, 1816. — l^s
douënes et la contrebande, parM.ViUcrmé fils. GuiHaumin, 1851, in-8« de
280 pages. — Enquête relative aux prohibitions établies à Ventrée des
proMls étrangers, sous la présidence de M. Ducbàtel, ministre du com-
merce. Paris, irapr. roy., 1855, 5 vol. in-4«>. On y trouve renoncé de plu-
neiirs faits relatifs à la contrebande et à la fraude sur divers arU^*^
prohibés ou très-taxes par le tarif français. — \o^ei eiveoTfeWvvÇi ^
542 JIOTES ET PETITS TRAITÉS.
III. RÉSULTATS DE LA RÉFORME DOUANIÈRE ET COMMERCIALE
Réformes de Huskisson; — de Robert Peel et de ses successeurs. — Conclu-
gions générales. — Paroles de Peel.
Les chiffres qui suivent se rapportent aux réformes provo-
quées par Huskisson en 1824 et 1825, et à celles, sur une
plus grande échelle, proposées par Robert Peel, à la suite de
la grande propagande des libres échangistes et complétées par
ses successeurs.
Les effets de cette réforme se continuent ; mais nous ne
donnerons ici que ceux constatés pour la première période
finissante 1855, époque où la guerre de Crimée est venue
suspendre la période pacifique et influer sur les phénomènes
économiques.
g I. Réformes de Huskisson.
La prohibition des Soieries fut remplacée, en 1826, par un
droit de 50 p. 100; Tindustrie, qui était dans un état de sta-
gnation, progressa ^ sous Timpulsion de la concurrence étran-
gère possible même avec des droits si élevés ; en effet, les
exportations furent :
VOTBNin AimUBLLK»
De 1820 à 1835 (avec la probibition), de 369,000 livres.
1827 à 1846.. 649,000 »
Les Cafés payaient, en 1824, 1 shelling la livre quand ils
venaient des colonies; 1 sh. 6 deniers lorsqu'ils venaient de
rinde, et 2 sh. lorsqu'ils étaient de provenance étrangère.
Les droits ayant été réduits cette année à 6 deniers, 9 deniers
et 1 sh. 5 deniers selon la catégorie, l'exportation pour la con-
sommation et le revenu du fisc augmentèrent, comme suit :
remarquables productions de Béranger : la Chanson des Contrebandiers
dans laquelle l'illustre poète traite admirablement en quelques mots It
question économique.
' Huskisson avait été pendu en efiigie à l'époque de la suppression delt
prohibition \
LIBERTE DU COMVERCE. — RÉSULTATS EN ANGLETERRE. 543
CONSOMMATION EN
MILLIONS. REVENU.
1820 à 1824 moyenne annuelle 7 à 8 millions 3 à 400,000 1. s.
1824 — 8,2 — 420,000
1825 — 11 — 315,000
1828 — 17,1 — 440,000
1830 — 22,6 — 579,000
1840 — 28,7 — 922,000
Nous pourrions citer d'autres faits; car à la même époque
les tarifs d'entrée et de sortie furent libéralement examinés,
en même temps qu'on apportait des modifications libérales à
tout le système protecteur de la navigation et au régime co-
lonial ; mais nous voulons consacrer notre espace aux réfor-
mes pratiquées depuis sur une plus grande échelle, sous le
ministère de Robert Peel et continuées après lui.
§ II. Réformes de Robert Peel.
Le Boardof trade* de Londres a publié, il y a quelques
années, un exposé statistique des résultats de la réforme
financière et économique, opérée sous le ministère de Robert
Peel (1842-1846), et depuis jusqu'en 1853.
Il avait pris dans ces rapprochements l'année 1853, parce
qu'à partir de l'année suivante le commerce a été influencé
par la guerre, et qu'il y a eu des aggravations des tarifs.
Nous allons en faire ressortir les faits saillants qui se trou-
vent dans ce document,
EFFETS DE LA RÉFORME SUR LE COMMERCE EXTÉRIEUR ET LES MANUFACTURES
La valeur officielle * des importations a été :
En 1842, avant la réforme, de 65,2 raillions de livres sterling: *
En 1853 123
Augmentation. ... 57,8
* Bureau de commerce, espèce de ministère du commerce et de bureau
de statistique.
* Prix d'évaluation permanente. Voyez sur la Valeur officielle, Traité
^tcommie politique ^ noie finale xxi. ^^
* La livre sterling vaut 25 fr. 22 c. au pair inlru\sëç\\xe. ]^
344 NOTES ET PETITS TrATTÉS.
Soit 88 p. 100 en il ans, ou 8 p. 100 par an.
La valeur réelle ou déclarée des exportations a été :
ACGMENTATIOX .
En 1842, de 47,5
1847, de 58,8 11,5
1847, de 58,8
1853, de 98.7 59,9
1812, de 47.5
1853, do. . . 08,7 51,4
Soit une augmentation :
De 24 0/0 ou 5 0/0 par an de 1842 à 1857
— 69 0/0 ou 14 0/0 1847 à 1853
— 109 0/0 ou 10 0/0 1842 à 1855
En constalant ce développement extraordinaire, il faut tenir
compte de l'impulsion donnée aux exportations pour la Cali-
fornie et TAustralie; mais ce n*est qu'en 1848 qu'on a dé-
couvert les placers de la Californie, et en 1852 les diggings
d'Australie. En 1855, les exportations pour les colonies austra-
liennes se sont élevées à 14 millions sterling, 10 millions de
plus qu'en 1852.
Quoi qu'il en soit, les résultats qui précédent sont encoro
plus frappants quand on les compare à ceux de la période de
1826-1850 à 1838-1842.
La valeur officielle des importations a été :
Moyenne de 1820 à 1830, de 43,6
— 1828 à 1842, de 64,1
Augmentation 20,5
Soit 47 p. 100 en 12 ans, ou 4 1/2 p. 100 par an, —
au lieu de 8 1/2 p. 100 dans la période 1842 à 1853.
La valeur véelle ou déclarée pour les importations a été :
Moyenne de 1826 à 1830, de 35,9
— 1838 à 1842, de 50,7
Augmentation 14,8
Soit 41 p. 100 en 12 ans, ou 3 et demi p. 100 par an, -^
au lieu de 10 p. 100 par an, comme dans la période de 1842
1855.
185Î
1842
10 0/0 ad
valorem.
libres
15 0/0
Id.
^5 0/0
Id.
20 0/0
10 0/0
40 0/0
20 0/0
40 0/0
10 0/0
LIBERTÉ DU COMUËUCE. — RÉSULTATS EHi ANGLETERRE. 545
11 y a eu des réductions de taxes dans la période de 1850 à
842 ; mais elles ont été moins importantes que dans la pé-
iode de 1842 à 1855.
Les droits d'importation sur les Cotons^ les Laines^ les
]hanvres et les Lins furent réduits, en 1854 et en 1842,
omme suit : *
Colons non travaillés, de 50 0/0
Laines d» de 50 0/0
Chanvres, lins de 50 0/0
Cotons travaillés de 50 0/0
Laines &> de 50 0/0
Fils de lin et chanvre, de 50 0/0
En 1855, ces derniers droits de 10 p. 100 ont été réduits à
)p. 100.
Voici les résultats sur Texportation des manu raclures, en
moyenne triennales :
Périodes triennales cotonnades toiles lainages
1831-53 15,2 2 .... 5.5
1839«41. ..... 10,8 3,2 .. . 5,7
1851-53 24,7 4,1 .... 0
La prohibition des Soieries étrangères fut remplacée, en
i826 (nous Tavons dit plus haut, p. 542), par un droit de 50
p. 100; et ce droit fut réduit, en 1846, par Robert Peel à
15 p. 100.
Les exportations ont élé :
Moyenne annuelle
De 1820 à 182t) avec la prohibition " 369,000 livres
1827 à 1840 avec des droits élevés 649,000
1847 à 1853 avec des droits modérés 1,372,000
Les progrès de la Navigation, tant nationale qu'étrangère,
donnent une autre mesure de l'heureuse influence des ré-
formes.
Yoici les chiffres en millions de tonnes :
TONNAGE DES NAVinES TO!(?(AGE DES NAVIRES TONNAGE
BniTAKNIQUCS. ÉTRANOEnS. TOTAL.
1845 5,0 2 7,6
1846 6,7 2,7 9,4
1850 H 5,9 12—
1853 ..... 9 ..... 6,3 ... . . V^,^
346 NOTES ET PETITS TKAITÉS.
En iO ans le tonnage a doublé; le tonnage étranger a triplé,
et le tonnage britannique s'est élevé de 5, 6 à 9.
A partir de janvier 1850, les lois de navigation, autres que
pour le cabotage, ont été supprimées ; et le tonnage étranger
a presque immédiatement doublé, sans arrêter les progrés de
la navigation nationale.
EFFETS DE LA BÉFOUME SDR LA CONèoUMATIOX
Les droils sur le Sitcr(3 étranger étaient, avant 1844, de
66 shellings par quintal et absolument prohibitifs, et de 25 sh.
2 d. sur le sucre colonial. En i844, les droits sur le sucre
étranger (produit par le travail libre) furent abaissés à 35 sh.
8 demi d., et Tan d'après, en 1845, à 23 sh. 4 d. ; et celui sur
les colonies à 14 sh. En 1848, tous les sucres furent assimilés
à une même taxe de droits décroissants.
Voici quelle a été la consommation en tonnes :
SCCHE COLONIAL. SDCttB ÉtltARGkl.
4843-44 (anciens droits) 207,000 T.* 44
1845-46 249,000 3,000
1846-47 236,000 62.000
1848-49 261,000 51,000
1849-50 278,000 37,000
1853-54 . ^ 318,000 74,000
Les droits sur le Café (V. p. 542) étaient de 3 deniers par
livre sur le café des Indes orientales britanniques, et de 9 d.
sur le café étranger. En 1842, ces droits furent réduits à 4d.
sur tous les cafés britanniques, et à 8 d. sur le café étranger.
En 1851, ces droits furent réduits à 3 d., droits uniformes
pour tous les cafés.
L*importation pour la consommation a été comime suit :
De 1835 à 1859 25 milliers de livres par an.
1849 à 1853 34 Id.
1853 37 M
Dont 27,7 des plantations britanniques, et 9,3 des planta-
tions étrangères.
L^^l^^es coloniales ont progressé en proportion.
LIBERTÉ DU COMMERCE. — RESULTATS EN ANGLETERRE. 347
Les droils sur Yeau-de-vie ont été réduits, en 1846, de
22 shellings 10 d. à 15 shellings.
La consommation a été :
En 1845 1,058,000 gallons.
1846 1,514,000 Id,
1852 1,925,000 M.
1855 1,870,000 Id.
Il y a cela de remarquable, que la réduction des droits sur
le sucre et le café ont non-seulement augmenté la consomma-
tion de ces articles, mais encore celle du thé et du tabac,aux-
quels on n'a pas touché.
Le même effet a été produit par les réductions sur les ma-
tières textiles non-seulement en diminuant les prix des vête-
ments, mais en augmentant l'usage.
Les Laines étrangères payaient, jusqu'en 1844, un droit de
1 denier par livre, si elles valaient 1 shelling par livre, et un
demi-denier par livre, si elles étaient de valeur moindre. En
1844 ces droits furent supprimés, et la consommation (diffé-
rence des importations sur les exportations) a progressé
comme suit :
En 1843, de 46 milliers de livres.
1844, de 74 Id,
1852, de 84 Id.
1853, de 97 Id.
Bien que les importations des laines coloniales se soient
énormément accrues, la demande des manufactures a été
telle, que, malgré cet accroissement d'importation et de pro-
ductions intérieure, les prix se sont élevés de 11 deniers par
livres (1842) à 1 shelling 6 deniers en 1853, et que l'expor-
tation est restée slationnaire entre 14 et U millions de livres,
de 1849 à 1853.
E^^ETS DE LÀ RÉFOttUE SUR LE DEVENU DU TRÉSOR DE L4 DOUANE
ET DES IMPÔTS INDIRECTS.
(Nous avons donné les résultats dans la 2' édition du Timté
de Financés^ X" note finale, p. 376).
548 KOTES ET PETITS TBAnÉS.
S III. €=•■€!■•■•■ sésénile. — P«r#lc» «e Robert Peel.
En résumé, les adversaires de ces réformes, les partisans
de la vieille législation commerciale avaient prédit que TAngle-
terre marchait à sa ruine en abondonnant le système protec-
teur, en réformant les droits de douane et les impôts, les
lois de navigation, le système colonial.— Selon eux, Fagricul-
ture, lindustrie et le commerce anglais devaient être anéantis
par le {ree trade (commerce libre; libre échange) ; les Colo-
nies devaient être ruinées, la Navigation perdue et le Déficit dam
le revenu public singulièrement augmenté.
Or, il s*est trouvé * :-
Que l'Agriculture ', Tlnduslrie et le Commerce ne furent
jamais si prospères ;
Qu*en dix ans, les importations en Angleterre cl les expor-
tations ont doublé ;
Qu'on a construit deux fois plus de navires ;
Que les colonies ont importé et exporté bien davantage ;
Que le travail a augmenté partout, ainsi que les salaires;
Que le paupérisme, si menaçant avant la réforme, a pres-
que disparu ;
Que la criminalité a diminué d'une manière notable ;
Que le déficit du budget a été comblé, et que malgré des
réductions considérables de droits, le revenu de la douane et
des contributions indirectes a augmenté ;
Que Ton a supprimé ou allégé les charges pesant sur la
production et les échanges ; et que Ton a diminué les taxes
indirectes pour accroître les taxes directes, au profit des
classes les plus nombreuses s, dont le sort s*est notablement
amélioré.
* Voir au commencement de la note pour la dale de ces constatationt.
' La suppression des droits sur les. céréales et les produits agricoles a
donné un grand élan aux améliorations du sol et de la culture par les
propriétaires et les fermiers. Le drainage a été pratiqué sur une grande
échelle. Et il en est résulte que l'agriculture, dont on annonçait particu-
lièrement la ruine, est devenue plus prospère que jamais, et que les '
mages n'ont pas môme baissé.
* Voyez cliap. xx, g 5.
[es a
ries ,
inde le
;icu- r
i
LIBERTÉ DU COMMERCE. — RÉSULTATS EU ANGLETERRE. 349
Jamais expérience économique et financière ne fut faite sur
une plus grande échelle, ni plus concluante.
C'est avec un juste orgueil que Robert Peel a pu dire en
quittant le pouvoir, peu de temps avant de quitter ce monde :
« Je quitterai le pouvoir sévèrement censuré par beaucoup
d'hommes honorables qui croient que le principe de protec-
lion était essentiellement nécessaire aux intérêts du pays.
« Je laisserai, je le sais, un nom exécré par tous les mono-
poleurs, qui, sous prétexte d'intérêt public, ne cherchent que
leur gain particulier.
u Mais peut-être ce nom sera-t-il prononcé quelquefois
avec gratitude dans la demeure des hommes dont la destinée
est de gagner leur pain de chaque jour à la sueur de leur
front. Dans ces demeures peut-être on se souviendra de moi
avec bienveillance, quand ceux qui les habitent répareront
leurs forces avec une nourriture abondante et libre d'impôts,
d autant plus douce qu'elle n'aura plus pour levain le senti-
ment de l'injustice. »
Nous avons indiqué, dans le Traité d'Éco7iomie politique^
5" éd., p. 467, la marche suivie par sir Robert Peel pour opé-
rer la grande réforme qui aura illustré son nom, et qui avait
été préparée dans l'opinion par les efforts de la Ligue de Man-
^ chester , à la tête desquels ont brillé MM. Richard Cobden,
[ John Bright, W. Fox, James Wilson, le colonel Thompson,
Yillers, W. Thompson, A. Prenlice, etc., John Bowring, Mil-
ner-Gibson, Mac Gregor, etc.. etc.
Voir, pour l'histoire de cette remarquable réforme : quel,
ques indications dans le Traité (T Économie politique ^ 5«éd.,
chap, XXVI, § 6, p. 475 ; — noire article ligue, dans le Dict» de
ÏÉcon. politique, ou notre écrit : Richard Cobden, les Li-
gueurs et la Ligue, précis de Vhistoire de la dernière révolu-
tion économique et financière en Angleterre, \ vol. in-16 ; —
ou une intéressante notice de Fonteyraud, publiée dans la /f^-
vueBintannique, de janvier 1846, que nous avons reproduite
**| dans ses Mélanges, l vol. in-8*»; — Cobden et la Ligue, par
Frédéric Bastiat, 1 vol. in-8°, recueil de discours précédé
t9-
350 NOTES ET PETITS TRAITES.
d'une remarquable introduction ; — Histoire de la réforme
en Angleterre, par M. Henri Richelot, 2 vol. in-8*». L'auteur
de cet ouvrage expose d* abord les réformes de Huskisson
dans la période de 1822 à 1830. — Une Histoire de la Ligue
a récemment été publiée en anglais par feu Arcliibald Pren-
tice, rédacteur en chef du Manchester Times, et un des zélés
fondateurs de la Ligue.
Voir sur la théorie de la liberté commerciale et les théories
opposées de la Balance du commerce (ou système mercantile)
et de la protection, le Traité d'économie politique, chap. XXIV,
XXVetXXVL
IV. ANALYSE DU TARIF FRANÇAIS » AYANT LA RÉFORME
DOUANIÈRE RÉCENTE.
§ lé C^nfaflion du tarif*
Il nous a paru curieux de faire le relevé de toutes les lois
que nos douaniers sont obligés d'invoquer, tant au nom du tré-
sor que du système protecteur. Nous en avons compté jusqu à
dix-huit, sauf omission : ce sont celles du 15 mars 1791,
22 août 1791, du 19 thermidor an IV, du 10 brumaire an V,
du 3 frimaire an V, du 9 floréal an VI, du 8 floréal an XI, du
22 ventôse an XII, du 50 avril 1806; puis les décrets du 11
juillet 1810, du 25 octobre 1811 ; puis les lois du 21 décem-
bre 1814, du 28 avril 1816, du 27 mars 181 7, du 7 juin 1820,
du 27 juillet 1822, du 17 mai 1826, des 2 et 5 juillet 1856,
du 6 mai 1841, du 26 juin 1842, etflnalement la loi du 9 juin
1845, votée dans la dernière session; le tout sans compter
des ordonnances, lois ou décrets spéciaux concernant cha-
cune de nos colonies, Tîle de Corse et TAlgérie, sans compter
* Ce travail date de l'époque où l'association pour la liberté des échan-
ges luttait pour obtenir une Réforme douanière du gouYernement de
Juillet disparu peu de mois après dans la tempête de 1848. Il a été
publié dans V Annuaire de r Economie politique pour 1847, et résume
une série d'articles publiés dans un journal quotidien la Patrie. Le
lecteur trouvera l'indication des réformes opérées sous le gouvernement
actuel dans la note suivante.
LIBERTÉ DU COMMERCE. — TARIF FRANÇAIS. 351
plusieurs lois de finances qui ont aussi prescrit des disposi-
tions douanières, sans compter les traités exceptionnels passés
avec diverses puissances étrangères.
Ces nombreuses lois ont été expliquées, commentées, in-
terprétées, complétées, aggravées par d'interminables circu-
laires imprimées, lithographiées ou manuscrites dont le nom-
bre dépasse, rien que pour celles en vigueur et qui sont
imprimées, plus de 2,000 ! Ces circulaires ne font pas. double
emploi avec 850 notes explicatives formant 280 pages d'un
fort in-4° petit-texte.
La première réflexion qui surgit à la vue de tous ces ordres
et contre-ordres, de toutes ces explications, et réexplications,
c'est que la science du douanier est Irès-embrouillée. Or, il
est bien rare qu'une législation confuse n'ouvre pas la porte à
l'arbitraire. Toute machine dans laquelle les organes sont
multipliés, où Ton remarque des réparations faites selon dif-
férents systèmes, où les attaches, les tampons et les chevilles
abondent, est une machine qui fonctionne mal : elle a fait
son temps, il faut la changer. Il suffit donc d'articuler que
nos douaniers ont besoin de se pénétrer de Tesprit de vingt
lois, de huit conventions commerciales, de deux mille circu-
laires et de huit cents notes explicatives, pour qu'il devienne
presque inutile de démontrer l'absolue nécessité d'une sim-
plification.
Un autre dédale dans lequel la douane se perd et est obligée
de se perdre, c'est la nomenclature et la classification des
produits naturels ou fabriqués indigènes ou exotiques. Les
lois ont bien nommé les variétés et les espèces, mais les noms
ont changé avec le perfectionnement des études; mais les
qualités se sont modifiées avec les progrès obtenus dans l'ex-
traction, la préparation ou la fabrication des produits; mais
le législateur a oublié plusieurs articles, ce qui a par conséquent
nécessité les catégories abusives des substances non dénom-
mées. Or, la douane tranche toutes les difficultés qui font l'ob-
jet des réclamations en ce genre, et elle se pose en botaniste.
352 NOTES ET PETITS TRAITES.
en cbimiste, en minéralogiste, en pharmacien et même en
alchimiste, etc., etc.; elle part de ce principe qu'elle est initiée
à toutes les branches de la fabrication et de Ja technologie, à
toutes les spécialités du commerce, aux milliers de secrets que
comportent les innombrables travaux des hommes.
Et pourtant il faut toute une vie d'observations et de prati-
que pour former un bon appréciateur de toutes les espèces
d'une seule marchandise. Les diverses variétés de cafés, d'in-
digos, ne sont bien connues que d*un petit nombre d'hommes
qui en ont fait leur spécialité toute leur vie. Il en est de même
des soies, des cotons, des sucres et delà plupart des produits
que le législateur a nommés d'une manière sommaire, et que
la douane est souvent obligée de mieux préciser pour perce-
voir les droits du tarif tels qu'ils sont formulés.
Ces droits varient selon les provenances de chaque produit,
selon ses qualités, selon les nuances de son aspect, de sa cou-
leur, ou conformément à dix autres circonstances dont la
constatation est prescrite. Tantôt le négociant a intérêt à con-
fondre, tantôt c'est par ignorance ou par mégarde qu'il éti-
quette ses colis sans exactitude. Alors le douanier intervient
avec son code inextricable : il juge et commente ici justement,
là-bas légèrement, et plus loin complètement à rebours. Au-
jourd'hui, dans tel bureau, sous telle inspiration, les mots ont
tel sens; demain, dans le bureau voisin, sous une autre inspi-
ration, la même langue a une tout autre signification. Le
commerçant est obligé de faire une étude de toutes ces ten- j
dances ; il est obligé de savoir les tolérances et les rigueurs
du Havre, les tolérances et les rigueurs de Bordeaux, les
tolérances et les rigueurs de Marseille. Finalement, il est
obligé de savoir tant de choses qu'il renonce à acquérir cette
science, et qu'il circonscrit son activité sur un petit nombre
de produits, perdant ainsi les occasions nouvelles qu'amène le
progrès de la civilisation. On va chercher bien loin les causes
de notre infériorité commerciale, de notre peu d'aptitude aux
spéculations, de la langueur des affaires et de la pauvreté de
notre marine; et on ne s'aperçoit pas qu'à force de jeter des
1
LIBERTÉ DU COMIIERCE. —TARIF FRANÇAIS. 355
pierres et des entraves dans la route, on a fini par décourager
les voyageurs; et que pour ramener la circulation dans la voie
obstruée, il n'y a d'autre moyen que celui de la débarrasser
des obstacles qu'on y a amoncelés.
Les populations qui n'habitent pas les ports de mer ou les
frontières ne savent pas combien de temps il faut perdre
dans les bureaux de la douane, combien d'allées et de venues
il faut faire, combien de papiers il faut montrer, combien de
discussions il faut soutenir, combien d'enquêtes et de contre-
enquêtes il faut subir pour importer ou exporter le produit le
plus vulgaire.
Rien de plus simple, au premier abord, que l'importation
des bestiatLX, C'est en effet chose facile que de constater le
passage d'une troupe de bœufs ou de moutons. Mais trans-
portez-vous par la pensée vers la frontière sarde, et voyez ce
qui se passe lorsqu'on présente des animaux au bureau de la
douane : l'agent est obligé de constater, en leur tirant la
queue autant de fois que cela est nécessaire, si ce sont des
ânes ou des ânesses, des mulets ou des mules; si ce sont des
chevaux entiers, hongres, juments ou poulains; si ce sont
des bœufs ou des taureaux, des bouvillons, des taurillons, des
vaches, des génisses ou des veaux ; si ce sont des béliers, des
brebis, des moutons ou des agneaux ; si ce sont des boucs,
des chèvres ou des chevreaux, etc. Il lui est facile de distin-
guer le taureau de la vache , mais la difficulté commence
quand il est obligé de préciser si l'animal qu il a devant lui
est une vache ou une génisse, un taureau ou un taurillon. Il
n'interroge pas le montagnard rusé qui conduit le troupeau,
car il sait bien que celui-ci est porté à faire passer le taureau
pour taurillon, puisque le taureau paye davantage. Alors il
fait un appel à la science de vétérinaire et d'agriculteur (notez
que, sur la demande d'un député, ami de sa famille, Tadmi-
nistration l'a peut-être récemment tiré d'un bureau où il
inspectait le passage des chanvres.) 11 ouvre la gueule de cha-
que animal et examine si la pauvre bête a ses deux a pinces
9Cii
b
354 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
de lait, » ou bien si « ses dents sont usées et décolletées. » Il
faut qu'il constate si les génisses sont en état de gestation,
auquel cas il déclare que ce sont des vaches.
Mais les veaux lui présentent un bien autre problème. 11 faut
qu'il s'assure « si les cornes plient, si le toupillon est nu, si
le maintien du jeune quadrupède n'est pas trop assuré, si sa
marche n est pas trop sûre et trop tranquille, » parce que,
dans ce cas-là, le prétendu veau serait un taurillon ou une
génisse.
Admettons, ce qui est difficile à établir, qu'il soit juste et
raisonnable de taxer les bestiaux et de faire renchérir artifi-
ciellement le prix de la viande ; il y a un moyen bien simple
d'éviter ces comphcations qui multiplient les agenis inutile-
ment et font perdre un temps précieux aux propriétaires de
bestiaux et leur occasionnent des frais ; ce moyen consisterait
à faire passer tout simplement les animaux sur une plate-
forme et à les peser. Ce serait l'impôt progressif, c'est-à-dire
rimpôt proportionnel à la valeur, l'impôt juste et équitable;
il y a longtemps qu'on le demande, mais nos protectionnistes
n'ont rien voulu accorder.
J'ai pris les bestiaux pour exemple, parce qu'ils commen-
cent le tarif. Mais il n'y a aucun article qui ne puisse donner
lieu à des observations analogues. — Franchissons un long
espace et arrivons aux huiles. Le tarif fait quatre catégories :
leshuiles d'olive ; celles de palme, de coco et de touloucouna;
les huiles de graines grasses; enfin, les autres. Les premières
paient 28 francs les 100 kilogrammes à l'entrée ; les deuxiè-
mes, 4 francs ou 14 francs, selon leur provenance, et les deux
classes qui suivent, 25 francs.
Nous ne demandons pas la raison de ces distinctions, f/est
souvent chose complètement oubliée que les pourquoi de ces
variantes, et c'est d'ailleurs une question à part que celle des
droits différentiels. Mais nous voulons signalera combien d'abus
et d'arbitraire une pareille nomenclature ouvre la porte. En
quoi l'huile d'olive diffère-t-elle bien toujours des huiles de
graines grasses et surtout des an^rf 5? La solution n'est pas
LIBERTÉ DU COMMEBCE. — 'TARIF FRANÇAIS. 555
cile. Dans les huiles essentielles, celles de rose et de bois de
hodes sont taxées à 40 fr. le kilogramme; celles de girofle
; de onze autres substances à 5 fr. ; celles d'orange et de
tron et toittes autres à 75 c. Mais pour cela il faut que ces
isences soient pitres; car si elles étaient mélangées, dit Tin-
ruclion, avec d'autres substances, avec de Téther par exem-
le, elles rentreraient dans la classe des produits chimiques
1 des médicaments composés non dénommés^ lesquels sont
rohibés. Or, il faut savoir, pour comprendre tout ce qu'il y a
3 vague dans de pareilles dispositions, que les essences dites
utes autres sont certainement au nombre de plus de huit
mts ; que le nez le plus fin et l'œil le plus exercé se perdent
ïns toutes ces drogues pures, et que le douanier le plus re-
rs est parfaitement incapable, fût-il le roi des pharmaciens
1 des parfumeurs, de constater si une essence est pure ou
élangée. Il agit donc en aveugle, soit qu'il prohibe ou ne
'ohibe pas.
Mais veut-on avoir une idée des mille et un détails qui ren-
;nt notre tarif vraiment absurde par ses minuties? 11 se
ouve quelques articles plus bas dans la catégorie des racines,
y a un droit déterminé sur le ginseng, espèce d'épice incon«
le, qu'on n'a pas voulu confondre avec d'autres. Je me suis
îmandé la cause de cette distinction (il n'y a que huit ra-
nes dénommées), et j'ai consulté le dictionnaire d'histoire
iturelle pour avoir une idée de la vertu de ce produit, et le
bleau des importations de la douane pour apprécier son
iporlance commerciale. Le premier livre m'a appris qu'en
line on se servait jadis du ginseng pour prolonger la vie des
iillards ; le second, qu'on n'importait pas en France cette
cine exotique, mais qu'on en a exporté cependant 21 kilo-
ammes en 1844!... 11 y a évidemment erreur quant à la
ïtislique; mais, d'ailleurs, à quoi bon compliquer le tarif de
tte substance taxée à 184 francs et à 195 fr. 50 c. les 100
iogrammes, suivant qu'elle vient par navire français ou par
ivires étrangers? A quoi bon imprimer une instruction pour
te le douanier ne confonde pas le vrai ginseng avec l^ ^«sn.
356 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
ginseng ou mandragore, qui ne paye que 22 francs les iOO ki-
logrammes? Ce chiffre explique comment les exportateurs de
cette drogue, s*il y en a, se gardent bien de déclarer qu'elle est
vraie à l'entrée; et cest ainsi que les statisticiens de Fadmi-
nistration portent quelquefois la bienheureuse racine à la
sortie, mais ne la voient jamais à 1 enlrée.
Nous ne citerons pas d'autre exemple; mais il y a, dans le
tarif actuel, des centaines d'articles de cette nature, parfaite-
ment inutiles, dans les diverses catégories des plantes, des
feuilles, des graines, des couleurs, des liqueurs, des résines,
des bois tinctoriaux, etc.
Les difficultés augmentent avec les produits fabriqués. —
C'est tout une encyclopédie que la volumineuse instruction
qni accompagne le long tarif des tissus. La matière première
est-elle pure ou mélangée? Comment est la cbaîne, comment
est la trame ? Le tissu est-il destiné à être tapis, couverture,
meuble, tenture, literie, vêtement ou autre chose? Vient-il
de Belgique ou d'ailleurs, par terre ou par mer? En est-il
déjà entré la quantité fixée par la loi ? Où finit la qualité du
tissu écru? où commence celle du tissu mi-blanc et celle du
tissu blanc? Le compte-fils indique-t-il huit fils, douze fils ou
seize fils? Et les toies cirées, imprimées ou teintes, qu'il faut
soigneusement classer; et les toiles croisées, et les toiles ou-
vragées, et les toiles damassées ; et cent autres distinctions
qu'il faut faire pour appliquer le tarif et obéir aux circulaires
de l'administration centrale !
Dans le tableau des droits de douane il n'est question que
de la mercerie fine et de la mercerie commune, taxées à des
taux différents. Mais quand une boîte pleine d'objets se pré-
sente, il faut que le douanier apprécie si elle contient de la
mercerie Une ou de la mercerie commune. Pour le guider,
l'administration a dressé une liste des articles regardés comme
communs, et une seconde liste des articles regardés comme
plus fins. La plus humble mercière trouverait cette liste très-
incomplète et même assez grotesque. On a mis, par exemple,
dans la mercerie commune : les baguettes de fusil, les allu-
LIBERTÉ DU COMMERCE. — TARIF FRANÇAIS. • 357
mettes chimiques, les cages d'oiseaux, les casse-noisettes, les
chapelets, les couvercles de pipe, les crucifix, etc., etc., et
ainsi de suite jusqu'à la vingt-quatrième lettre de Talphabet»
Arrêtons-nous. Aussi bien ces détails pourraient fournir
matière à un volume. Mais nous en avons assez dit pour dé-
montrer encore, sous ce point de vue, la nécessité d'une sim-
plification. 11 y a vraiment urgence de supprimer toutes ces
absurdités que le temps, les préjugés économiques et les petites
influences intéressées y ont introduites. Il est impossible que
de pareilles vieilleries trouvent des défenseurs à la tribune.
S*il en était autrement, les partisans de la réforme se borne-
raient à ouvrir le tarif au hasard, et Tesprit français ferait au
moins justice des articles niais et ridicules, surtout lorsqu'il
lui serait prouvé qu'ils ne produisent qu'un déficit au trésor.
Si ce n'était pas un véritable volume à publier, il serait facile
de tirer des écrits émanés des directeurs de la douane, des
exposés des motifs des lois que nous avons citées et des dis-
cussions sans fin dont le tarif a été l'objet au sein de nos
assemblées politiques, l'origine et la cause de celte innombra-
ble quantité de droits qui ne laissent échapper aucune des pro-
ductions de la nature, aucune des choses qui sortent des
mains de l'homme. Nous nous bornerons à indiquer les causes
premières, qui sont au nombre de cinq : la théorie mercan-
tile, le génie fiscal, le sytème protecteur, l'esprit de régle-
mentation et l'esprit bureaucratique.
Sous i'empire des idées mercantiles encore si généralement
empreintes dans la majorité des esprits, on a taxé le plus de
produits possibles à l'entrée, afin de diminuer les importa-
tions, c'est-à-dire la sortie du numéraire. Ceux qui partagent
encore les erreurs de ce système ne connaissent rien à la cir-
culation monétaire ; ils ignorent que plus on importe et plus
on exporte.
Le fisc comnience à peine à se persuader que le droit le plus
productif est celui qui est assez bas pour né pas nuire à la
consommation et qui porte d'ailleurs sur des articles ^ç.ç.^^%\-
558 • NOTES ET PETITS TRAITES.
bles aux masses : il a, lui aussi, beaucoup contribué à Taggra-
vaiion et à la multiplicité des taxes.
Le système protecteur n'est pas précisément intéressé à
tout repousser, à tout prohiber, soit par des prohibitions
absolues, so.t par de hauts tarifs : c'est ainsi que les manu-
facturiers de laines, protégés par des droits sur les fils et les
tissus étrangers, ont quelquefois demandé la hbre entrée des
laines étrangères; mais alors, on les battait par cette variété
d'arguments que les rhétoriciens appellent ad hominem. Les
grandes manufactures sont môme intéressées à ce qu'on
donne la liberté à des milliers de produits que créent toutes
les branches de travail ; mais il y a toujours eu, dans chacune
de ces branches, des producteurs qui ont voulu avoir part a»
gâteau et qu'on n'a pas pu éconduire, puisqu'ils invoquaient
logiquement le même principe qui triomphait ailleurs, lien
est résulté que, d'année en année, le réseau de la protection
a tout envahi.
Depuis Golbert, la manie delà réglementation est une ma-
ladie générale de l'esprit français. Cette maladie a ses princi-
paux foyers au sein des administrations. De toutes parts et à
propos de tout vous entendez dire : L'État devrait faire ceci,
l'État devrait faire cela. Or, tout administrateur, se persua-
dant volontiers qu'il est l'État fait homme, se creuse l'esprit
pour réglementer et organiser tout ce dont on le rend res-
ponsable. Et c'est ainsi que la manie de la réglementation,
poussée d'ailleurs par l'ambition envahissante de la bureau-
cratie, a contribué à insérer dans le tarif toutes les inutilités,
toutes les facéties qui nous servent aujourd'hui d'argument,
et dont l'abus a fatalement provoqué une réaction à laquelle
les libres échangistes travaillent avec tant d'ardeur.
§ II. lies Prohibilions.
Avant d'entrer dans les détails, constatons que le tarif d'au-
jourd'hui contient deux espèces de prohibitions : les prohfti-
tions avouées et nettement spécifiées dans la Hste des droits
par ce mot barbare, prohibé^ et les prohibitions honteuses dé-
LIBERTÉ DU COMMERCE. — TARIF FRANÇAIS. 359
guisées sous les droits élevés qui repoussent à peu près toute
importation régulière.
Nous nous occuperons d*abord des premières, des prohi-
bitions dénommées. Ces prohibitions portent sur les articles
suivants :
La mélasse étrangère, depuis l'an II.
Le tabac, importé pour le compte des particuliers.
Le curcuma en poudre. Cette racine -vient de l'Inde, et sert à la tein-
ture en jaune. La prohibition ne date que de 1826.
Le cristal de roche ouvré. Cette prohibition date de l'an V. Le cristal
non ouvré paye 62 fr. les 100 kilogr.
La fonte. Le tarif ne comprend sous ce nom que la fonte non ouvrée ;
il n'admet avec des droits protecteurs, depuis la loi du 6 mai 1841, que
la fonte brute en masses pesant au moins 25 kilog., et la fonte épurée si
les masses pèsent au moins 35 kilogr. Toutes les autres fontes sont pro-
hibées, conformément à la loi du 21 décembre 1814.
Les massiaux de fer forgé. Ce sont des prismes de fer afliné pesant au
moins 35 kilogr. Toutes les autres qualités de fer sont soumises à des
droits proteclo-proliibitifs.
La ferraille et mitraille. Toujours depuis 1814, et pour les mêmes
raisons que la fonte.
Le fil de laiton poli. Cette prohibition date de 1811. On a bien voulu
excepter les cordes d'instruments et les fils propres à la broderie (que
les protégés de 1811 ne voulaient sans doute pas faire], toutefois en
chargeant ces produits, pour l'honneur des principes, d'un droit de 1 fr.
et de 2 fr. 86 c. le kilogr.
Le sel marin, de marais ou de salines.
Les produits chimiques non dénommés (1826). Dans le doute, le système
. actuel prohibe toujours.
Les extraits de bois de teinture (1820).
Vextrait de quinquina (1826-36), concret ou pulvérulent.
Tous/^« médicaments (1817), à moins que l'École de pharmacie en ait
reconnu la nécessité, ce qui ne s'est vu jusqu'à présent que pour l'flw^t-
goutte deia Martinique, l'esprit de genièvre, l'esprit de succin et les
tablettes de bouillon venant d'Orient et dites d'Hockiac. La douane a la
générosité de recevoir ces divers articles au droit de 20 pour 100 de la
valeur. La prohibition des médicaments est de 1817 et de 1820.
Les savonSy autres que ceux de la parfumerie. Cette prohibition date
de 1810; elle est accompagnée d'une prime à la sortie. Marseille ne veut
plus ni de l'une ni.de l'autre.
La chicorée moulue (1820), pour protéger les pulvérisateurs nationaux
comme pour le curcuma en poudre.
Les cigares (1816), pour le compte des particuliers.
Les sucres raffinés (1816), qu'ils soient en pain, en poudre ou soui?
forme de candi, aihi de protéger les raffineurs nationaux^ même contre
les raffineurs des eolonies.
d
ie
560 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Les eaux-de-vie (1816), autres que celles de vin, le kirsch, le rhum, 1
tafia et le rack Ceau-de-vie de riz), soumises d'ailleurs à des droits trè f
sensiblement prohibitifs, de 50 el 200 fr. l'hectolitre.
La poterie degrés fin ou de terre de pipe (an V).
Les bouteilles vides (an V) ; quand elles sont pleines, le droit estd ',*
15 cent. ^
Les verreries autres que les miroirs, les verres à lunettes et le veri
cassé (an \).
Les fils de coton (1806 et 1899) autres que ceux du n« 143 et au-
que nos hlateurs ne savent pas faire ou font mal, et que Ton protège
des droits de 8 fr. le kilogr.
Le fils de laine (an V), excepté ceux de longue laine peignée que non t
ne produisons pas et que l'on taxe à 7 fr. le kilogr. 1^
Les fils de poils (an Y), autres que ceux de poils de chèvre, de vache 4(1
de chien.
Le nankin (1820), à moins qu'il ne vienne en droiture de l'Inde et p
navire français, auquel cas il n'est reçu en concurrence du nankin n
tional que moyennant 5 fr. le kilogr.
Le tulle de colon (1809), à moins qu'il n'ait des applications endeiH
telles de fil.
Tous les autres tissus de coton (an V, 1806, 1816) ; on n'en excepte que te
dentelle de coton depuis 1836.
Les tissus de crin (an V, 1806, 1816), excepté la toile à tamis, la
menterie et les chapeaux.
Les tissus d'écorce (1791-1820), qu'ils .soient purs ou mélangés,
l'exception seulement de ceux en palmier dits pagnes ou rabanes.
Les tissus de laine (an V, 1816-1820), à l'exception des couvertures,
des tapis, du crépon de Zurich, de la toile à blutoir et de la passeniente-i
rie, tous articles repoussés par des tarifs prohibitifs. Les couvertures
payent 2 fr. le kilogr., les tapis 2 fr. 50 à 3 fr. le kilogr., etc.
Le tulle de lin (1809).
l^s tissus de cachemire (1841), à l'exception des châles de l'Inde, laxësl
è 50 et 100 fr., grâce à la contrebande. I
Les tissus de poils (anV), à l'exception des tapis et de la bonneterie,
qui payent des droits élevés.
Les tissus de soie et d'argent ou d'or faux (1791). C'est l'application de^
l'idée mercantile, craignant la sortie du numéraire. \
Les tissus bourre de soie façon cachemire (1820). {
Les contrefaçons d'ouvrage (1817). La liberté du commerce anéantira
ce brigandage bien mieux que la prohibition.
Les cartes à jouer (1791), sur lesquelles le gouvernement prélève un j
impôt. à
les peaux préparées (an V), à l'exception de celles d'agneau el de che- i
vreau en poil, du parchemin ou vélin, des peaux de cygne ou d'oie pour •
éventails, du cuir de Russie et des grandes peaux tannées pour senjelles.
La sellerie (an V). La douane ne permet que limportation des bâts. ^
LIBEUTÉ DU COMSiEIlCE. ^ TARIF FRANÇAIS. 301
Ijes ouvrages en peaux (an Y), quels qu'ils soient. On en excepta ce-
(ndant les ou 1res vides 1
Le plaqué { an V).
La coutellerie (an V).
Les armes blanches et à feù (1816-18). La fabrication et le dépôt dfis
rmes doivent être autorisés. La douane excepte de la prohibition les ar-
^3 dites de commerce, c'est-à-dire les armes de chasse, les armes de
bie, les armes de traite^ qui sont de qualité inférieure et destinées à
kiporlation.
^ Les muniliom de guerre (an IY-1841), poudre, capsules, balles et autres
Les ouvrages en métaux, fonte, fer, tôle, fer-blanc, acier, cuivre (pur
u allié et à l'exception de ceux qui sont simplement tournés), en zinc,
ïétain (autre que la poterie] (au Y).
Les voitures (an Y), autres que les tombereaux, wagons de terrasseoi^t
l gros chariots.
Les bâtiments de mer en état de servir (1795).
U tabletterie (1816), à l'exception seulement des billes de billard en
Foire et des peignes d'ivoire ou d'écaillé, articles auxquels i'auti^ n'est
emiise que moyennant 4 et 5 fr. le kilogr.
Telle est la liste des articles que la prohibition repousse
Tune manière absolue. C'est, je crois, la plus longue qu'il y
jt après celle du tarif autrichien, qui prohibe presque tous
is articles. Quand on feuillette la nomenclature sans fin des
bits, ou n'aperçoit le mot pfiouisÉ que çà et là, et l'on iest
imposé à se faire illusion sur le Qombre et l'ijuporiance de
es monstruosiiés économiques. Mais quand la liste des pro-
ibitions est dressée sans interrupiiou, comme dans les lignes
ui précède^itf tout le monde peut apprécier jusqu'où va la
uimnce (comme disent les Anglais) dune pareille insUtutiou.
Cependant toutes les prohibitions proprement dites de
Dire tarif ne sont pas là : il y a encore les prohibitions à
sortie, qu'il ne faut pas confondre non plus avec les droits
robibitifs.
Sont prohibés à la sortie :
Les bûches, rondins et fagots!! Ainsi le veulent deux lois, une deiK et
le de Tan XII; et tout douanier qui arrive au port de Saint-Jean-d6>-Lu;£
it savoir qu un décret du 31 mai 180)$ fait exception pour quatre
[lie stères qui peuvent être exportés pour l'Espagne tous les ans!
Le ekarbon de bois et les chenevottes, sauf les exceptions nombreuse
le la toi permet à l'administration. Trois lois, une ordonniMice royale et
s circulaires forment la législation sur ce point.
362 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Le tan (1816), afin que les tanneurs n'aient pas le souci d'en, manquer,
Les drilles ou clùffons (an IV, an VIII), pour éviter- le même souci aux
fabricants de papier.
Le minerai de fer (an IV, 1841). On voit que dans cette industrie on:
n'a rien négligé.
Faul-il démontrer encore que la prohibition est une houlej
en général pour le pays tout entier qui la tolère, et ensuitfl
pour rindustrie qui la réclame? Non, assurément ; car c'es^
là une question vidée. Mais on abandonne maintenant ce mot
brutal, et l'on se réfugie dans l'idée très complexe de protec^
lion, A l'aide de ce mot, on voudrait obtenir les mêmes ré-j
sultats, grâce à une série de propositions plus ou moia
jésuitiques qui se reproduisent sous mille faces différentes,
mais qui ont toutes un point très-visible de suture avec II
prohibition^ but et moyen du système.
Prohibition et protection sont au fond la même chose;
mais, en principe, c'est bien différent. La prohibition est m
muable; l'idée de protection admet au contraire le progrè
des réductions décroissantes, et même l'exemption de droits
La prohibition est un roc qui ne remue pas ; la protection eil
un obstacle mobile. La prohibition est un principe plus absolu;!
la protection est un principe plus relatif, si tant est cependant
que ce soit un principe.
Nous pouvons donc conclure qu'il est plus probable que la
nouvelle loi de douanes ne contiendra aucune prohibition^d
qu'avec les prohibitions disparaîtra de nos lois et de nos mœur
cette^ abominable coutume de saisie intérieure qui force L
douane à faire une police inquisitoriale, qui habitue les ci
toyens à résister à la loi (dura lex sed lex), et qui contribue
plus qu'on ne pense, à ajourner indéfiniment le progrès de
mœurs capable de fonder la véritable liberté.
Enfin nous répéterons, pour l'acquit de notre conscience
l'argument tant de fois employé contre les prohibitions , i
savoir : qu'avec elles (la raison le dit et l'expérience le prouve)
rindustrie nationale suW. V otmeve, ^^ Va. tcsuline^ autant du
* La prohibition n'a disparu qu'^iNecX^ VviîXà ^'i V^^^.
LIBERTÉ DO COMMERCE. — TAltlF FRANÇAIS. 365
moins que It lui permettent les agents actifs de la contre-
bande (V. p. 335). Car, Béranger nous le dit :
Château, maison, cabane^
Leur sont ouverts partout.
Si la loi les condamne,
Le peuple les absout.
Mais cet argument s'adresse aussi aux tarifs élevés.
f § III. Droito prohibilirs. — Droite à la sortie.
L'administration de la douane pouvant, en vertu de la loi
du 28 avril i816, saisir à l'intérieur les objets prohibés, est
forcée, avons-nous dit, de faire une police inquisitoriale ayant,
comme toutes les polices, une mauvaise influence sur les
mœurs, sans compensation aucune. Si les manœuvres d*une
police ordinaire ont pour effet Tarreslation de malfaiteurs, on
peut tolérer le moyen en vue du but ; mais, en matière de
commerce, on a tous les inconvénients d'un mauvais moyen
pour arriver à un très-mauvais but. En morale absolue, rien
n'est plus innocent que le transport d une marchandise du
lieu où elle se vend moins au lieu où elle se vend plus ; et en
économie politique, il est démontré qu'une importation lu-
crative est toujours utile au pays. Or, la police de la douane
traque les importateurs du prohibé absolument comme s'ils
étaient des malfaiteurs.
A part cette différence, qui a son importance, les prohibi-
tions et les droits élevés produisent les mêmes résultats; notre
système douanier serait encore prohibitif, même après la sup-
pression des prohibitions actuelles et leur remplacement par
des droits protecteurs élevés. En 1854, avant la levée de bou-
cliers provoquée par l'enquête, la loi de finances du 24 mai
put supprimer la prohibition sur 31 articles, mais elle la rem-
plaça par des droits à peu près équivalents. C'est ainsi, par
exemple, que les câbles en fer pour la marine, prohibés jus-
que-là, furent admis moyennant un droit de 41 fr. 20 c. les
lOO kilogrammes; ce qui veut dii e que la marine a la permis-
ri64 SOTES I^T IKTITS TRAITES.
sion d*iiii:>orter des càblos ctra'igen» moyennant une taxe
d*un peu plus de quatre sous par livre. C'est avec des facîlUès
semblables qu'elle est obligi'e d* élever son fret, et qu'elle se
voit dans riinpossibilitê de prendre la part qui lui revient sur
la masse des transports généraux du globe. Depuis la même
époque, les tapis en laine ne sont plus prohibés, mais ib
payent un droit d'entrée de 5 fr. 50 c. et de 5 fr. 50 c. le kilo-
gramme, à peu près équivalente à la prohibition.
Actuellement, l 'immense majorité des articles du tarif au-
quel notre commerce est soumis appartient à la même caté-
gorie des articles prohibés de fait, ou au moins aux- trois
quarts repoussés par des droits excessifs dont le pernicieux
eflet saute a tous les yeux. D'abord, ces droits gênent ou em-
pêchent l'importation des produits qu'il serait plus naturel àe
demander à nos voisins ; ensuite, ils gênent ou empêchent
l'exporlation des produits que les étrangers ont envie ou be-
soin de nous demander ; enfin, ils ont fait renchérir tous les
produits fabriqués à Tintérieur, au grand désavantage de tous
les consommateurs, au profil d*un très-petit nombre de pro-
ducteurs. Il nous a été |>ossible de faire le relevé des prohibi*
tions proprement dites et d'en donnei* la liste; mais un volume
ne nous suffirait pas si nous voulions reproduire la nomencla-
ture des articles soumis à des droits prohibitifs : il faudrait
repro luire purement et simplement les neuf dixièmes de If /^
liste dressée par la douane, qui n'a pas moins de 76 pactes l^
in-4*. Nous nous bornerons donc à rappeler ici quelques droits 1^
qui peuvent frapper plus que d autres à la première vue, mais l ^
en faisant remarquer qu'il y a tel droit qui parait bien mo-
deste et qui n'en est pas moins très prohibitif quand on le 1^
rapproche des autres circonstances avec lesquelles son action i ^
s'exj'fce.
Voici la li<te de quelques droits que nous prenons en sui-
vant le tarifa et en y comprenant le décime payé en sus, e»
vertu de la loi de 1816 :
bœuCs, 55 fr; par tête; vaches, 27-50; mouton, 5-^; viande de poRi
36-30168 100 kilog.; laine, 22 fr. pour 160 de la valenr; faines pdgotai
i>.
I
D
LIBERTÉ DU COMMEnCE. — TARIP FRANÇAIS. 365
3') fr. les 100 kiloff. ; laines teintes, 350 fr. les lOOkilog. ; cire blnncbe,
66 fr ; déprras, 44 fr. ; graisse de poisson. 44 fr. ; légumes secs, 10 fr. ;
fruits confits à r< au-dc-vie, 107 fi\; graine de sésame, li fr. ; sucre
étranger. 66 fr. à 95-Ô0; sucre colonial. 42 à 58 Ir. ; café, 55 fr. à 104-50;
huiles d'olvo et de graines grasses. 27-50; clianvreet In, 8-80 à 16-50;
coton, 1 1 à 12 fr. ; fers, suivant la forme, de 20 à 40 ; lacier de 66 à 154;
l'acide nitrique 100 fr. ; l'alun, 97-40 ; rirage, 123 fr. ; chandelles, 25 fr. ;
fîafence, 54 fr.; porcelaine fine, 360 fr. ; bouteilles, 15 centimes la prèce;
flls de lin et de chanvre, 137-50 à 286 ir les 1 0 kilog. ; tissus, 66 à
1-075 fr. ; papier blanc, 165 fr. ; cordages de ciianvre, 25 fr. ; machines,
environ 50 à 40 pour 100 de la valeur; lim s fines, 275 fr. les 100 kilog.;
mercerie commune, 1U0 fr.; vêtements, 33 pour lOU de la valeur, etc.,
etc., etc.
Le système protecteur, nous Tavons déjà vu pour les pro-
hibitions, a aussi porté son aciion sur la sortie des produits,
soit pour l'encourager par dos primes, soit pour l'entraver.
Hais la liste des droits à la sortie ne peut être comparée, ni
par son étendue ni par Téiévation des chiffres, à la liste dfs
droits d'entrée. La régie générale est que les produits payent
simplement un droit de 25 c. , el quelquefois moins, les 100 ki-
logrammes. C'est ce droit d'inscription qu'on appelle un droit
de balance. — Les droits au-dessus forment l'exception, et ils
sont autant fi eaux que protecteurs ; plusieurs sont fixés à
1/4 p. 100 de la valeur :
Tels sont les droits sur le gibier et la volaille, les cornes en feuillets,
Talbâtre travaillé, les pienes, les grands miroirs, les outres vides, les
horloges en bois, les montres, les machines, les insiruments d'optique et
de chirurgie, les agrès, les parapluies, les instruments d- musique, etc.
Les soies grèges payent à la sortie un droit assez important de 5 fr. le
kilogr. si elles sont grèges, et de 2 fr. si elles sont moulinées. Le droit
des boies teintes est encore plus élevé, il es' de 6 fr le kilog. La bourre
de soie est taxée à 2 fr. Cesdr itssont d'autant plus difficiles à légitimer
que nous en importons en France pour 56 millions de Irancs (1844) de
l'Orient, du Piémont et d'ailleurs. On nous accordera qu'avec la liberté
du commerce, l'agriculture sera au moins dégrevée sur ce point Le bois
de noyer paye à la sortie le droit exhorbitant de 50 fr. les 100 k log.
Dans rintérêt de notre marine on a également mis des droits prohibitifs
sur les bois de la marine. Tous les bois autres que le pin, l'orme et le
noyer sont taxés à 27 fr. 50 c. le stère; les mâts de 40 centimètres do
diamètre à 41 fr., et les plus petits à 16 fr. 50 cent.
Donc, sauf quelques exceptions, c'est dans les droits d'en-
trée que la prohibition, déguisée sous les hauts tarifs, s'est
568 HOTES ET PETITS TRAITÉE.
C'est fonte une science que Tart de calculer ces primest de
distinguer les catégories, de faire les exceptions et les reiffic-
lions que les lois exigent. Autant de produits, autant de syr
tèmes différents.
Pour les sucres la prime se base sur le rendement, les typésde
sucres bruts, la provenance et là nature des navires qui impôt"
tent. Les viandes et les beurres salés sont divisés en deui classes.
La prime est accordée aux peaux apprêtées sur un certain
nombre de peaux brutes correspondantes, nombre qui varie
avec les qualités. Pour les métaux, la prime est basée sur un
poids moindre ou plus grand que la quadiitc importée; pour
les savons, elle est basée sur la quaniitô d'huile et de natron
que Ton suppose employés dans la fabrication; pour les fils
et tissus de colon, elle est de 55 p. 100 de la valeiir; pour
les machinet, elle est évaluée à raison de 6 fr. 40 c les 100
kilog. de fonte par chaque force de cheval. On la payé sur
les fils et (issus de laine au quintal; mais il y a vingt catégo-
ries pour les fils, et environ soixante-dix catégories pour les
tissus, sans compter les iism^non classés, du poids desquels
dn déduit, pour calculer la prime, lea substances autres que
la laine. Tout cela est si compliqué qu'on ne peut le faire que
dans un certain nombre de bureaux. I es savons ne doivent
même sortir, avec le droit à la prime, que par six points dif-
férents : Dunkerque, Marseille, Bordeaux, Nantes, le Havre et
Calais.
Voici maintenant combien le commerce touche de pri-
mes ou de restitutions de droits. Nous prenons les chiiïres
de 1815:
Fils et tissus de laine. . . 5,134.000 fi\
Sucres 13,198,000
Savons 90*2,000
Fils et tissus de coton. . 1,5*24,000
Macbines 5,000
Autres {)roduits primés.. . 291,(00
Total. 21,054,100 fr.
sur lesquels rien ne va au trésor, et dont une bonne partie
LIBERTÉ DU COXMCilGE. — TARfP FRANÇAIS. 369
sort néanmoins de la poche des contribuables, sans compter
les salaires des douaniers et les frais d*administration que
nécessite cette branche du système protecteur.
Il n'est pas inutile de faire remarquer que, sur les 4 ou
5 millions palpés par l'industrie lainière, les draps émargent
pour près de 2 mdiions, et les flanelles et tissus analogues
(croisés, ou lissés, ou légèrement foulés) pour plus de 1 mil-
lion et demi.
11 faut encore dire que ces chiffres de 14 ou 21 millions ne
comprennent pas les primes dontié<*s par M. le ministre du
commerce pour l'encouragement de la pêche à la morue.
g ▼. Contrebande» fraude* et «atoiefl.
(Ce que nous disions à ce sujet se trouve rejproduit dans
une note précédente, V. p. 333.)
§ Vf. Revenu produit par la douane.
Le trésor est un des principaux intéressés dans la réforme
commerciale : énumérons les ressources qu'il trouve dans les
droits perçus par Tadministration des douanes. Nous prenons
nos chiffres dans les tableaux publiés pour 1844 et dans ceux
publiés pour 1845.
Les droits touchés par les douanes se sont élevés, en 1^844,
à la somme totale de 215 millions 8 dixièmes, et en 184 > à
217 millions 4 dixièmes. Nous arrondissons les chiffres. Celte
somme se compose comme suit :
1844 1845
Droits d'entrée sur les importations. . . . 152,1 151,8 millions.
Droits de sortie, de navigation, et droits ac-
cessoires. 7,0 7,4 —
Taxe de consommation sur les sels 56.7 58,1 —
Total 217,5 215,8 millions.
Écartons la taxe des sels, qui forme une question & part,
et décomposons les 152 millions de droits d'entrée perçus
en 1844.
21.
370 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Le tableau suivant nous apprend que celle somme est obte-
nue en grande partie avec une vingtaine d'articles. En effet.
Les sucres des colonies ont pavé en 1841. 41,4 raillions.
Cafés. ' 14,8 —
Cotons en laine 12,7 —
Laines 10,8 —
Céréales 10,1 —
Huiles d'olive 8,0 —
Sucres étrangers 7,6 —
Fils de lin et de chanvre ., 5,1 —
Houille 3,7 —
Fontes. 5.0 —
Tissus de lin et de chanvre 2,7 —
Bestiaux 2,2 —
Fruits de table 1,6 —
Suifs et saindoux 1,6 —
Fers. 1,5 —
Graines oléagineuses. ...' 1,1 —
Plomb brut 1,1 —
Cacaos 1,1 —
Bois de teinture et d'ébénisterie 1,0 —
Poivres 1,0 —
Total 151,0 millions.
c'est-à-dire environ 152 millions sur 152, c'est-à-dire encore
plus de 7 huitièmes des droits d'entrée et plus des 8
dixièmes de la somme (159 millions) qui forment ensemble
les droits d'ejitrèe, les droits de sortie, les droits de naviga-
tion, de transit, et autres droits de moindre importance.
C'est là une première série défaits sur lesquels nous pour-
rons asseoir dans un instant une partie de nos conclusions.
En voici une seconde d'un tout autre ordre. Un relevé pour
Tannée 1844 montre quo
29 Articles n'avaient produit que dix à vingt mille fr.
chacun, ou 408,000 fr,
29 Articles n'avaient produit que cinq à dix mille fr.
chacun, ou 215,000
17 Articles n'avaient produit que deux à trois mille fr.
chacun, ou. ....... 57,000
55 Articles n'avaient produit que mille à deux mille fr.
chacun, ou. ... 49,000
54 Articles n'avaient produit que cinq cents à mille fr.
chacun, on 24,000
LIBEUTK DU COMMERCE. — TARIF FRANÇAIS. 57i
54 Articles n'avaient produit que cent à cinq cents fr.
chacun, ou 15,000
56 Articles avaient produit moins de cent francs, ou. . 1,300
254 Articles n'avaient produit que 767,000 fr.
§ Vif. Rérorme possible.
De ce court aperçu nous sautons brusquement à la conclu-
ion, et nous disons que la chambre peut, dès cette année, en-
amer la réforme douanière que demandent non-seulement les
bres échangistes, mais encore Tintérêt des diverses indus-
ries protégées, nonobstant la coalition qu'elles cherchent à
tablir entre elles.
Dès cette session (184647), la chambre peut être saisie, soit
lar l'initiative ministérielle, soit par l'initiative parlementaire,
l'un projet de loi qui
1" Supprimerait toutes le prohibitions à l'entrée et à la
ortie, et les remplacerait par des droits progressivement dé-
poissants et qui seraient, pour commencer, basés sur la prime
e la contrebande ;
2° Supprimerait tous les droits de sortie, et les réduirait à
éro ou au droit minime de balance;
5° Supprimerait tous les droits de navigation, de transit et
utres;
¥ Supprimerait complètement les droits sur les 300 articles
ui produisent le moins ;
5<» Partagerait les articles qui donnent un produit au trésor
1 deux catégories : — la première, comprenant ceux qui
ont pas de similaires en France, sur lesquels les droits sont
jrement fiscaux, et pour lesquels une commission étudierait
jel est le taux des droits qui peut le moins gêner la consom-
ation et amener le plus grand revenu au trésor; la seconde,
jmprenant les articles qui ont en France des similaires, sur
squelsles droits sont à la fois protecteurs et fiscaux, et pour
squels il serait fixé une première diminution immédiate
ai les rapprocherait de la prime de la contrebande et leur
Tait perdre le caractère prohibitif; puis après, une seconde
S73 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
diminution de iijl diliérfié pàv ati, jusqu'à complet affran-
chissement ou jusqu'à un taux aussi fiscal et aussi peu protec-
teur que possible, suivant les exigences du trésor;
6" Supprimerait toutes les primes à la sortie et réduirait, au
fur et à mesure de la diminution des droits d'entrée, les resti-
tutions de droits on drawbacks.
D'après les faits que nous avons signalés dans les articles
précédents, peu de mots, ce nous semble, suffisent pour légi-
tîrtier ces conclusions.
D*abord^ les prohibitions sont jugées : elles sont injustes
et barbares; elles engendrent la contrebande et la fraude et
l'ignoble saisie à l'intérieur. Il s'est trouvé tout récemment
encore des défenseurs de ce système dans le comité des in-
dustriels de l'Est, à Mulhouse; ils ont immédiatement consti-
tué vis-à^vis de la protection éclairée, eux-mêmes, les in*
troûvables du parti protecteur.
Un très-petit nombre de droits de sortie ont quelque im-
portance ; ils produisent moins qu'ils ne coûtent à percevoir<
Sauf deux ou trois exceptions qu'on rendrait temporaires et
à échéance flxe^ rieii n'empêche de les supprimer complète-
ment ou de les convertir tous en un droit de balance de
25 centimes les 100 kilogrammes.
Personne ne réclamera sur la suppression des droits de
navigalidlt de transit et autres droits qui équivaudront à un
perfectionnement des voies de comnmnication ; personne» pas
même le trésor, qui multiplie ses frais pour une recette rela-
tivement insignifiante.
Personne non plus n'élèvera la voix en faveur des article»
qui ne produisent rien ou à peu près, et ne servent qu'i
compliquer le service et grossir les paperasses administra*
tiVes.
Les droits prohibitifs, les droits ultrà-^protecteurs, qui
haussent la barrière pour que la contrebande passe dessous à
son àise, sont condamnés par les mêmes raisons que les pre-
liibitions. I es fabricants habiles, les manufacturiers de bonne
foi, ne le» défendent réellement pas; et la première partie de
LIFERTÉ DO ti01lllEIM:E. — TAftlF FRANÇ.US. 575
notre cinquième conclasion est plus facile â appliquer qu'on
ne pense.
Les primes proprement dites, ne peuvent être défendues,
(i'est bien le moins que ceux qui ne savent pas lutter avec les
étrangers s'abstiennent et ne fassent pas payer à leurs conci-
toyens le bon marché qu'ils veulent offrir aux étrangers. Que
les drawbacks (légitimes avec des droits à l'entrée, quand ils
8ontt bien calculés, chose rare et presque impossibl»*) dimi-
nuent avec ces droits, c'eçt encore ce qui est on ne peut plus
naturel et on ne peut plus juste.
Reste le nœud de la difflculté : la réforme et le maintien
dés droits (iscaux product fs au trésor jusqu'à ce que l'on ait
amélicifé l'assiette de l'impôt, au point de s'en passer; puis
l'exclusion progn^ssive du principe protecteur et Taffrancliis-
sement graduel du plus grand nombre possible des impor-
tations.
Le système protecteur, qui a hérité des entraves du sys-
tème mercantile et qui s'êtaye de la manie réglementaire,
laquelle s'est implantée dans les mœurs' adminislmtives, n'a
ptys eu de défenseurs en principe absolu. On s'est boiné à dire
en sa faveur; premièrement, qu'il pouvait exciter et dévelop-
per les branches du travail na'ssant; secondement, qu'il exis-
tait en fait,. et qu'il y aurait danger à le changer.
Indépendamment de l'expéiience qui a démontré que cette
influence était plus que douteuse, et (jue loin d'exciter la pro-
duction elle l'engourdissait, nous répondons à la première
observation, qu'en ce qui touche la France, la protection dure
depuis asèez longtemps pour qu'elle ait produit son effet utile
(ri tant est qu'il soit dans sa nature d'en produire un de ce
genre), et qu'il y a lieu de diminuer son intensité. C'est ce
que le gouvernement sarde, par exemple, a fait il y a quelques
années, notamment au sujet de l'industrie cotonnière qui
avait obtenu une protection élevée, mais temporaire ; c'est ce
queprotnettaient de laisser faire les industriels français, qui
ont proclamé à diverses reprises qu'apvèA di\c^«îv^^4.vk^xN^
574 KOTES ET PETITS TRAITÉS.
OU quinze ans, ils n'auraient plus besoin de la protection.
Or, la lettre de change qu'ils ont souscrite est échue depuis
longtemps. Et voyez où no\\s en sommes arrivés par leur
refus : de 1815 à 1820, époque où le système protecteur a été
généralisé, comme l'industrie française était peu avancée, la
protection qu'on lui accordait la protégeait bien moins qu'au-
jourd'hui ; de sorte que plus les branches de travail se sont
développées, et plus elles ont été protégées. Le statu quo est
donc illogique.
Cette remarque, que nous croyons jusie, répond à la se-
conde observation des partisans du système que nous com-
battons, et prouve le peu de danger qu'il y a à se mettre en
marche graduellement vers le régime de la liberté : même
avec des tarifs décroissants, la protection serait pour quel-
que temps encore aussi intense que dans les premières années.
' Tenez maintenant compte de ceci, que la majorité des in-
dustries n'est réellement pas protégée et qu'elle est simple-
ment dupe d'une illusion, puisqu'elle donne d'une main cl
qu'elle reçoit de l'autre. Tenez comple de l'élan qu'une réforme
va donner à toutes les branches du travail : rappelez-vous
enfin qu'il est de fait avoué que nos grandes industries savent
et peuvent produire aussi bien que les industries étrangères,
et vous verrez que le danger signalé par les associations pro-
tectionnistes n'est qu'une manœuvre de guerre.
Dans cet élan de l'industrie et des importations provoquant
les exportations, dans cet accroissement de travail national,
le fisc verrait augmenter ses recettes et môme celles de la
douane.
Certes, il ne faut pas abuser do ce principe, que la dimimi-
tion des taxes augmente la recelte ; mais on doit avouer qu'en
France il y a de la marge, puisqu'on n'a encore rien fait.
Les prohibitions qui ne produisent que des frais de surveil-
ance et de saisie faisant place à des droits modérés, il y au-
rait des importations en articles prohibés, et celles-ci donne-
raient un revenu au trésor. Les milHons de primes et de
UnERTÉ 00 COMMERCE. — RÉFORMES DODAKIÈRES. 575
ivbacks disparaîtraient des dépenses de la douane. Enfin,
ministration ayant moins à saisir, moins à surveiller,
ns à examiner, moins de lois et de documents à compul-
moins de paperasses et de choses inutiles à faire, emploie-
moins d'hommes, et M. le ministre des finances récla-
mait moins pour elle au budget.
st-il bien difficile, après ces explications, de concevoir
le revenu public trouverait dans la réforme de quoi com-
ser, dès la première année, les sept à huit millions de
its de sortie, de navigation et autres auxquels le fisc peut
oncer tout d'abord?
îous avons assez prouvé que la suppression des prohibi-
is et le premier abaissement des droits prohibitifs ne pro-
raient aucun déficit au trésor, aucune inquiétude même
ir les industries protégées. Les conditions de transition ne
raient être plus douces par ce temps de paix : c'est donc
moment de commencer, et Ton peut mener de front avec
réforme de nos tarifs quelques autres réformes ^conomi-
îs et financières qui sont arrivées à un point de maturité
fisante (écrit en 1846).
V. SUR LES RÉFORMES DOUANIÈRES RÉCENTES EN FRANCE,
LE TRAITÉ DE 1860
ET LES MESURES QUI S'Y RATTACHENT.
torique. — Lettre de l'Empereur du 5 jan-vier 1860. — Mesures qui
ont suivie. — Analyse du traité de commerce entre la France et
Angleterre. — Conséquences de ce traité. — Les promoteurs de ce
'aité. — Paroles de Robert Peel.
§ f. Historique.
iC tarif de 1791, dressé sous.Tinfluence dos idées écono-
jtes, était très-libéral. Les droits furent successivement aug-
ntés, dans un esprit de représailles et d hostilité contre
agleterre, sous la Convention, le Directoire et l'Empire, par
ifluence des intérêts agricoles et manufacturiers mal iusi^v-
576
KOTE» ET PETlTa TRAITES.
rés et coalisés sous les gouverneinents de la Restauration et
de Juillet (1815-1848). La seconde Hépublique (1848-1851)
fut tout à fait inintelligente à cet éirarâ et ne songea à aucune
réforme. Les publidstes économistes n*ont cessé de lutter
pour arrêter les progrès de ce système fatal à 1 industrie et
aux finances publiques et pour éclairer l'opinion des hommes
d'État et des masses. En 1 846, après les succès de la réformeen
Angleterre, ils formèrent à Paris et dans les principales villes
de France^ une association militante dont la propagande fut
arrêtée par l'ayitation politique survenue après les événements
de février 1848, mais qui n'a pas été sans porter quelques
fruits*.
En 1851, une proposition de réforme douanière, due à
l'initiative d'un jeune député libre échangiste (feu Sainte*
Beuve), et d'ailleurs peu opportune à cetle époque i*inxiélé
politique, fut rejelée par l'Assemblée législative après un
discours de M. Thiers, organe di s protectionnistes, et une dé-
claration* formelle du goùvernenjenl contre la proposition,
par l'organe de M. Fould, minisire des finances.
Cependant, deux ans après, en 1853, l'Empereur suspen-
dait 1 échelle mobile des droits sur les céréales, faisait une
réduction radicale des droits prohibitifs sur les bestiaux (55 fr.
à 5,30 pour la race bovine), et une réductioii notable, quoi-
que insuffisante, des droits sur les fers, les tôles, les aciers et
les houilles. Le régime des laines et de quelques autres ar-
ticles moins importants fut aussi amélioré ; mais un projet
de loi pour la levée des prohibitions, présenté au Corps légis-
latif, en 1856, ayant été repoussé par cette assemblée, il fut
* Bordeaux, MarseiUe, Lyon, le Havre. Il se forma également des asso-
ciations à Bruxelles et à Berlin, qui durent céder le pas à l'agitation
politique. Celle de Bruxelles, qui avaitCh.de Brouckère à sa tête, convo-
qua le Congrès des économistes de 1847, pour discuter la question de
la réforme douanière.
* V., pour la comfAsition et les travaux de cetle association, Twliele
mERTt DES ÉCHANGES (Associatlon pour la), dans le Dictiwnnaire 4e l^é^onoÊ^
politique j par M G. de Holinari, une des plus brillantes plumes de raaso-
dation et plus tard principal promoteur de la réforme en Belgique. T
LIBERTÉ DU COHIIERCE. — RÉFORHRS DOUANIÈRES. 577
èelarè par le gouvernement que la proposition ne serait pas
spriae avant cinq ans; et, au commencennent de 1859, avant
i départ de l'armée pour Tltalie, Téchelle mobile fut remise
n vigueur.
I II. lieCtre ûe rEnperear «a ft JmiTier !••#«
Après la campiigne dMtalie, utic leltre de l'Empereur, adres-
se à M. Fould, ministre d État, datée du 5 janvier, mais pu-
liée seulement dans le Moniteur du i5 janvier, annonçait le
lan bien, arrêté d'une politique commerciale nouvelle dans
ivoie des réformes douanières et fiscales.
« ... Je vous donne, disait TKmpereur, les bases d'un pro-
ramme dont plusieurs devront recevoir 1 approbation des
hambres et sur lequel vous vous concerterez avec vos collé-
Ties, afin de préparer les mesures les plus propres à donner
ne vive impulsion à l'agriculture, à l'industrie et au com-
nerce. t
Ce programme était ainsi formulé à la fin de la lettre :
. « Ainsi en résumé :
(( Suppression des droits sur la laine et les cotons ;
« Réductions successives sur les sucres et les cafés;
« Amélioration énergiquement poursuivie des voies de com-
nunicntion ;
« lléduction d^'s droits sur les canaux, et, par suite, abais-
ement général des frais de transport;
« Piôlsà l'agriculture et à l'industrie;
« Travaux considérables d'utilité publique ;
« Suppression des probibitions;
« Traités de commerce avec les puissances étrangères.
« Telles sont les bases générales du programme sur lequel
e vous prie datlirer l'attention de vos collègues, qui devront
^réparer sans retard les projets de lois destinées à les réaliser.
I obtiendra, j'en ai la ferme conviction, l'appui patriotique
la Sénat et du Corps législatif^ jaloux d'inaugurer avec moi une
louvelle ère de paix, et d'en as'surcr les bienfaits à la France. »
L'intérêt de ce programme inattendu se \to\x^;v\V ài«x\^ Vs.
i
378 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
deux derniers articles indiquant la fin du système barbare
des prohibitions, et l'inauguration d'un système de réduc-
tions successives des droits protecteurs et de progrès dans la
voie du libre échange; car il n'est plus possible de faire des
traités de commerce sans marcher dans cette voie. C'est la
partie qui a le plus vivement impressionné l'opinion publique
amie du progrès, mais qui était en général, en matière éco-
nomique, sous l'influence des sophismes dont l'ensemble con-
stitue la doctrine de la protection, et redoutait les importations
de Tétranger.
Les autres parties, qui ont une importance réelle pour les
intérêts et les finances du pays, n'ont cependant qu'une im-
portance secondaire relativement à cette dernière. L'affran-
chissement des laines élait presque un fait accompH par les
réductions déjà faites. L'affranchissement des cotons, la dimi-
nution des tarifs sur les sucres et les cafés, la diminution des
droits sur les canaux ne soulevaient que des difficultés fiscales;
le développement des voies de communication pour les com-
pagnies ne soulevait aucune difficulté. Quant à un prêt à
l'agriculture et à Tinduslriepar l'État, et au déve'oppementdes
travaux publics par l'État, qui, par spécialité, consomme des
capitaux le plus souvent improductivoment, rien déplus popu-
laire en général, eten France particulièrement. Des économistes
théoriciens seuls pourraient y trouver à redire; car, au point
de vue pratique ou politique, il faut avouer qu*elle a servi de
dorure à la pilule amère de la levée des prohibitions et de la
réduction des tarifs.
§ Iff . Mesures qui onl suivi la lettre impériale.
Par suite de ce programme, les droits sur les laines et les
cotons ont été supprimés (à l'importalion par navires français),
ainsi que ceux sur quelques autres matières premières : la
potasse, les nitrates, les gommes, l'indigo, la cochenille, etc.
(loi du 5 mai 1860), et ceux sur les peaux, les graisses, les
graines oléagineuses, le caoutchouc, la gulta-percha, les bois
odorants, les chanvres et autres textiles non-dénommés, l«i
LIBERTÉ DU COMMERCE. — RÉFORMES DOUANIERES. 579
garance en racines, les minerais de toutes sortes, les os et
noir d'os, etc. (décret du 5 janvier 4861). — Les tarifs sur
les sucres, les cafés et les cacaos ont èlé remaniés et diminués
d'environ 50 p. 100 (loi du 25 mai 1860 applicable le lende-
main). La surtaxe sur les sucres étrangers a été supprimée
(décret du 16 janvier 1860). Les droits de navigation à Tem-
bouchure des fleuves ont été supprimés (loi du 22 mars 1860);
et le rachat des canaux a été autorisé (loi des 28 juillet et
l"août 1860), pour pouvoir diminuer les tarifs du péage et les
frais de transport des matières nécessaires à l'industrie. —
Des lignes nouvelles de chemins de fer ont été concédées.
oO millions ont été consacrés à l'amélioration des chemins vi-
cinaux (1861),— aux travaux pour le dessèchement des marais,
la mise en culture des terrains communaux, le reboisement,
etc. On a destiné (loi du l*"^ août 1860) un prêt de 40 mil-
lions à l'industrie pour le renouvellement et Tamélioralion de
son matériel ; — enfin il a été conclu avec l'Angleterre (le 23
janvier 1860) un traité de commerce, adopté par le Parle-
ment en mai 1860, mis en vijçueur en 186(1 et 1861 , qui a été
suivi d'un nouveau traité avec la Belgique et avec l'Italie, et
qui doit être suivi d'une série d'aulres traités.
Le traité de commerce avec l'Angleterre, voilà le point ca-
pital; car il a naturellement entraîné la levée des prohibitions,
etla réduction d'une série de droits sur les produits manufac-
turés de l'Angleterre, en môme temps qu'une forte réduc-
tion à l'entrée dans la Grande-Bretagne des droits sur les vins
et alcools français, et l'affranchissement de divers autres
produits- De là bien des criailleries des deux côtés du dé-
troit contre les promoteurs de ce traité : ceux-ci trahissant
les intérêts de la France ; ceux-là trahissant les intérêts de
l'Angleterre.
La conclusion d'un traité était dans les attributions du chef
de l'État étendues par la constitution de 1852; mais il a dû être
soumis à l'approbation du Parlement anglais, qui l'a adopté
fin mars 1860 après une assez vive discussion (V. p. 386).
380 NOTES ET PETITS TBAITÉS.
§ VW, Analyse du traité de eommeree entre la Franee
et l'Angleterre.
Par ce traité, la France s^engage à admettre, moyennant un
droit ne dépassant pas 30 p. 100, les produits anglais soumis
à la prohibition, entre autres : sucres raifinés, — fer forgé,—
produits chimiques, — savons, — poteries et verreries, —
fils de coton, de laine, de chanvre, de lin, de poil, — tissus
de coton, de crins, de laine, de soie, de lin, de chanvre, de
tous autres filaments, de caoutchouc, de gutta percha, --
bonneterie, — pa^sementerie,---mercerie5 — peaux préparées
et cuirs, — plaqué,— coutnllerie, ouvrages en métaux,—
fers et aciers, — machines et outils, — tabletterie, — voi-
tures, — bâiiments, etc.
En outre, les droits sur les houilles et cokes ont été abaissés
à 15 centimes les 100 kilogrammes, plus de deux dixièmes; et
il a été stipulé que dans quatre ans il n*y aurait plus de droits
diiTérentiels pour ces produits.
Les droits à percevoir bur les divers produits jusqu*ici pro-
hibés ont été fixés après une enquête à laquelle ont été enten-
dus les producteurs français, anglais et auires. Le nouveau
tarif, encore très-protecteur, a été niis en vigueur pourla
houille et le coke, à partir du 1*' juillet 1860; — pour les
fers, fontes et aciers non frappés de prohibition, les ou-
vrages en métaux, les machines, ouiils et mécaniques, etc.,
le 1" octobre et le 31 décembre 1860; — pour les fils et
tissus de lin et de chanvre, à partir du 1" janvier 1861, et
pour tous les autres articles, à partir du i<^'' octobre 1861.
L'Angleterre s'est engagée : — à recevoir les vins français
aux droits de 3 schellings par gallon, à partir du 1*^' avril 1861,
et aux droits de 1 schelliiig,! schellingO pences, 2 schellings,
selon le degré d'esprit, et au droit de 2 schellings pour les
vins en bouteille;. — à recevoir les eaux-de-vie au droit de
8 schellings 2 pences, équivalant au droit d'accise sur te
esprits en Angleterre : — à recevoir les papiers de tenture et
les cotons à des droits de 1-4 et 15 schellings le quintal; —
LIBERTÉ DU COMMERCE. — RÉFORMES DODANIÈRES. 381
à recevoir franc de droits un grand nombre de produits fran-
çais, les uns agricoles (rruits frais, raisins, huiles), les autres
manufactui es et embrassant les articles si variés connus sous
le nom d'articles de Paris.
Il a été convenu que les droits sur la valeur seraient convertis
en droits spécifiques ; que l'orfèvrerie payerait en Angleterre
le droit de marque et d'accise ; que les nationaux des deux
pays jouiraient delà même protection pour tout ce qui concerne
la propriété des marques de commerce et des dessins de fa«
brique de toute espèce.
% V* Coiu»éqaenee« du traité.
Il n'y est pas question des céréales; mais une loi de 1801
a supprimé dénnitivement Tabsurde et fallacieux système de
l'échelle mobile, et remplacé les droits variables et prohibitifs
par un petit droit fixe qui permet au commerce de spéculer
en toute sécurité. Par une clause spéciale *, le gouvernement
n'aura plus la faculté de suspendre lexportation, mesure à
laquelle il se voyait souvent forcé pour complaire aux préju-
gés populaires.
Le traité a déjà élé complété par des simplifications, des
facilités, des inlerpré!ations libérales de la pari de l'adminis-
tration des douanes et de la part des agents politiques. L*abo-
liiion du passe-port entre la France et TAnglelcrre, qui est
désirable pour tous pays, entrave qui dale de 179^, a élé le
résultat de cet esprit de rapf»rocliement.
U [sera complété^ dans un autre sens, par tous les nouveaux
traités que la France sera amenée à faire avec les autres puis-
«ances, pour mettre tous ses rapports internationaux en har*
tnonie: chaque facilité nouvelle devant être accordée à l'An-
gleterre et aux autres pays avec lesquels la France aura
contracté. Déjà deux nouveaux traités ont été passés, l'un avec
• Par suile d'un heureux alnondenicnt de M. Léopold Ja\^\, dé^\i\«, vXr.
) Yonne, ^
582 iNOTES ET PETITS TRAITÉS.
la Belgique, l'autre aviic l'Italie. Celui avec la Belgique, du
!•' mai 1861, a été exécutoire à partir du l®*" octobre de la
même amiée. Un traité avec le Zollverein a été conclu le 2 août
1860, mais la mise à exécution a été depuis arrêlée par l'in-
tluence des intérêts proteclionistes et des idées de politique
exclusive; un traité avec l'Italie du 17 janvier 1863, et exé-
cutoire à partir du 19 janvier 1864 ; un traité avec la Suéde
et la Norwége, un autre avec la Suisse sont en préparation
au moment où nous écrivons. C'est une révolution géné-
rale dans la politique commerciale de l'Kurope , bien que
nous soyons encore loin du libre échange, quoiqu*en aient
pu dire et penser les enthousiastes et les détracteurs de la
mesure.
Les résultats politiques et moraux de ce grand acte seront
considérables quoi qu'il arrive. Il consolidera la paix euro-
péenne, et si la guerre vient à se rallumer, il contribuera à
en faire abréger la durée. — Les résultats économiques sont
également considérables : la théorie et Texpérience nous en
donnent rassurance positive, si la paix se maintient et même
dans le cas contraire; mais dans le cas d*une crise, le traité
Reviendrait le bouc émissaire des malheurs du temps, comme
en Angleterre les réformes de 1846 ont été successivement
accusées d'avoir produit la crise causée par l'excès des entre-
prises de chemins de fer, par le contre-coup des révolutions
du continent, et par l'abondance des récoltes qui firent baisser,
en 1849, Iqs prix des denrées agricoles.
Les résultats financiers ne seront pas moins certains dans
quelques années, si la paix se maintient, et si les mesures
économiques prises peuvent produire tout leur elîet. Les 90
millions de déficit prévu par suite des suppressions ou dimi-
nutions des droits, ne tarderont pas à être comblés et au delà,
soit par le revenu des produits prohibés qui sont entrés en
payant des droits soit par Taugmentation des importations
causée par la diminution ou \a ^uç^te^À^xv «ii^^ A.mt&^les-
LIBERTÉ BD COMMERCE. «— RÉFOllUES DOUANIÈRES. 585
quelles provoqueront de plus eu plus un accroissement de
production, de transactions, et la fécondilé de toutes les bran-
ches des contributions.
Mais en attendant que ces effets se produisissent, le fisc, qui
n'a pas, comme le fisc anglais, l'impôt sur lé revenu à sa
disposition, a voulu, dès le début, se faire autoriser à de-
mander quelque chose de plus aux impôts existants, et c'est
uiiisi que le prix du tabac a été porté de 8 à 1 0 francs le kilo-
gramme, en même temps qu'on a baissé le prix des cigares
pour en provoquer la consommation sans doute (décret du
19 octobre 1860). C'est ainsi que les droits sur les alcools ont
été relevés au budget de 1861.
Les premiers résultats industriels et commerciaux ont été
des plus satisfaisants.
Depuis que le traité existe, les protectionnistes ont en vain
cherché à trouver, dans les faits qui se sont produits, des ar-
guments en leur faveur; leurs orateurs ont en vain voulu,
à l'occasion de l'adresse, faire ressortir les pertes éprouvées
par la France.
Dans la dernière session (1864), la discussion s'est réenga-
gée à propos d'un passage répondant à l'Empereur : « Votre
Majesté a eu raison de devancer l'opinion publique dans la
voie de la liberté induslrielle et commerciale... »
Le fond de l'argumentation des adversaires du traité de
commerce et des réformes opérées consistait à dire qu'ils ne
voulaient pas formuler de blâme; mais qu'il fallait, avant de
louer, attendre les résultats ultérieurs du traité qui n'avait
pas produit les bons effets qu'on avait promis, et qui en avait,
au contraire, produit de mauvais ; car la marine, l'agricul-
ture, l'industrie pouvaient se plaindre justement de cet acte.
Les manœuvres, celles de M. Touyer-Quertier surtout, ont
consisté à confondre les effets de la crise américaine et de la
disette de coîon avec ceux du Irailé ; et à faire sur les chilfres,
qui sont ceux des tableaux des douanes, des groupements et
des décoinposhions que nous appellerons çe\x meoMv^vij^*
584 kÔtes et petits traites.
pour refiler parlementaires. C'esl à ce genre d'éclaircisse-
ments et de réfutation qu'ont dû s'attacher MM. de Forcnde
la Roquette, Aug. Chevalier, L. Javal, etc.
Il a été prouvé : que le commercé extérieur avait prospéré
d'une manière notable depuis trois ans, malgré la guerre
civile des Etats-Unis et la crise colonniére ; que la navigation
elles constructions maritimes étaient également on progrès;
que ragricuUure n'a ressenti que de bons effets delà réforme,
et que l'industrie viticole elles soieries n'ont qu'à s'en louer;
qu'il en est de même des ports, et que les diminutions dont
s'est plaint le Havre sont le fait, non du traité, mais de la guerre
civile en Amérique ; que toutes les industries qui redoutaient
la concurrence anglaise sont en prospérité, celle des laines
notamment, et que la ruine annoncée de Roubaix, Elbeuf et
Turcoing s'est transformée en prospérité éclatante; que les
industries du chanvre et du lin, qui devaient aussi succomber,
expoKent en Angleterre au point d'inquiéter les fabricants
de ce pays; que l'industrie du fer a vu s'éteindre un certain'
nombre de iourneaux, ce qui était inévitable, et ce qui serait
arrivé sans le traité, car plusieurs entreprises n'étaient pas
dans des conditions normales ; mais que l'outillage a été re-
nouvelé, et que la production du fer, dans son ensemble,
a augmenté de 40 pour 100, etc., etc.
Ces résultats sont plus que satisfaisants si on considère
qu'ils se sont produits concurremment avec la crise des États-
Unis, la crise de l'industrie colonniére, hs guerres, les em-
prunte et la préoccupation constante des luttes internationales.
En vériiè, les progrés auraient été moindres ei les pertes
individuelles de quelques entreprises dans les industries trop
priviiégiées — plus grandes, qu'il n'y aurait pas encore eu
lieu à s'étonner et à se plaindre.
Sans doute on ne peut attribuer la prospérité des villes
industrielles que nou» venons de nommer au traité de com-
inelYse, puisque ces villes ont profité de la disette du coton
qiii â fait rechercher les lainages ; mais on n'a toujours pas
à déplorer les désastres de ce« cU.^ ^ ^wic«i& oQuime consé-
LIBERTÉ DU. COMMERCE. — RÉFORMES DOUANIÈRES. 385
[uences fatales du trarté de comuîerce. — De même le Iraîlé
le peut être responsable de la souffrance momentanée de
[uelques intérêts du Havre, qui est le fait de la guerre
ivile aux États-Unis ; — ni de la décadence relative du cabo-
age, résultat naturel du développement des autres voies de
ommunication ; — ni de la crise que Jraverse l'industrie
aétallurgique, et qui est le fruit naturel immédiat de la pro- .
sction. — Que 8*est-il passé, en effet? Après les événements
le 1851, les chemins de fer et les constructions urbaines
yani pris un grand développement, les forges françaises ont
Mii du monopole des fournitures. lia production a été solli-
i(ée; les prix ont haussé; les usines se sont agrandies ou
onstruites à nouveau sur ces données de prospérité excep*
onnelle. Puis sont survenues la période inévitable du ralen-
ssement, la diminution des prix, par le fait de la concur-
ence intérieure surexcitée par la protection (au point que
!s prix anglais sont plus élevés et que quelques usines ex-
»rtent en Angleterre!), et finalement la nécessité d'éteindre
es feuif inutiles, allumés imprudemment et dans des con-
itions anormales.
U est à re-marquer que la discussion ^ a presque entièrement
>rté sur les faits, et que la question de principes n a pas
* 6m* Î31 v«lpiits, 4SI se sont prononcés pour et 50 contre ; mais on
l^t dire que U Chambre compte 181 libres écliaa^'istee décidés»
Btre 50 protectionnistes Le conti aire serait tout au plus vrai ! On ne
ut pas dire non plus que 181 membres approuvent franobement la
uvelte politîfl[ue commerciale, le traité de \tS^\i et le commencement
la réforme douanière, parce qu'il y en a beaucoup qui ont voté
litiqnement} tioimiie cela a lieu dans toutes les assemblées politiques,
cijours est-il que 50 voix seulement (bien que ce soit lit un gros
ilire dans Une a^isemblée aussi di:«ci|Jlinée) se sont prononcées contre
te réfortneî qu^en d'autres temps les pt^tectionnistes auraient rallié
is d'adhérents, et que nous pensions que la minorité serait plus consi-
rable. 11 «st enodre à remarquer qiie M. Tiiiers, le plus notable des
ilectioBiiieles, 4|ut en 1850 prononçait contre la pro^ttion Sainte^
ive un dbicourstrès-applaudi, et ratUait les èconom stes avec la désin-
Uire que dumient le talent et l'appui de la nisjonté, quoique signa^
« et proliaUemeAt auteur de l'amendement, n'a pas jugé à prdpM
prendre la parole.
586 MÛTES ET PETITS TRAITES,
été engagée. G*est un symptôme qui témoigne de la fai-
blesse des arguments des adversaires de la liberté com-
merciale.
§ Wl, lies promoteurs du traité.
Ce traité de commerce avec l'Angleterre est une des plus
heureuses et fécondes mesures qui auront été prises dans ce
siècle. Inspirée par la propagande des économistes en An-
gleterre et en France, elle est un vrai titre de gloire pour les
gouvernements des deux pays et pour les hommes d'État
qui en sont les promoteurs : en France, le chef de FÉtat,
M. Rouher, ministre du commerce, et M. Michel Chevalier;—
ne Angleterre,MM. Cobden, Bright et Gladstone chancelier de
FÉchiquier.
M. Michel Chevalier et M. Cobden ont justement compris que,
malgré les complications de la politique contemporaine, mal-
gré la surexcitation des susceptibilités nationales, à la suite de
changements en Italie et de l'adjonction de la Savoie et de
Nice à la France, malgré l'accroissement des armements en
France et en Angleterre, il y avait possibiUté d'accroître entre
les deux pays riverains de la Manche, (« ces ennemis natu:
rels,)) selon la vieille politique traditionnelle), les transactions
commerciales, de multiplier les relations des personnes, et
de cimenter la bonne harmonie par un intérêt progressif, eu
dépit des canons rayés et des navires blindés ou cuirassés,
au grand avantage des producteurs et des consommateurs des
deux pays. Us ont été les deux premiers promoteurs du traité^
* Voir d'intéressants détails sur les premières démarches et les pre
raières négociations dans Traités de Commerce par M. Paul Boileau,
in-S"*, 1863, chez Guillaumin.
Lorsque M. Michel Chevalier fit les premières ouvertures à M. Cobden,
celui-ci n'était pas d'avis de procéder par voie de traité ; il préférait tra-
vailler à obtenir des réductions de tarifs des deux gouvernements sans
acte diplomatique. Mais le procédé du traité parut plus opportun tant à
cause de la constitution de 1852 donnant à l'empereur le droit de con-
clure des traités de commerce qu'à cause de Topinion qui aurait mal com-
pris la réiorme sans un engagement réciproque et solennel des deui
S'ouvemements {V. ce qui cal à\l dcs'XmVfe?» d^i tomvsvevce, ç. 527.)
:\
LIBERTÉ DD COMMERCE. RÉFORMES D^UAKIÈRES. 587
i auprès des deux gouvernements, et ils ont travaillé sans relâ-
\ che à aplanir les difficultés des négociations, de Tenquête et
• de rétablissement des nouveaux tarifs.
\ L'Empereur, protectionniste dans ses premiers écrits, selon
\ \iè% Idées napoléonniennes, mais qui, dès 1852, souslëpre-
i> mier ministère de M. de Persigny vivement sympathique à la
cause de la liberté commerciale, avait diminué les droits sur
les fers, les fontes, les aciers, les houilles, et suspendu
ici l'échelle mobile, — qui, dès 1 856, avait voulu supprimer le ré-
:u; gime barbare de la prohibition, — a compris que le moment
lai était venu de changer la pohtique commerciale de la France,
r;- fille des systèmes mercantile et ultra-protectionniste, et d'en-
ril- trer dans les voies de dégrèvements douaniers, tant pour
exciter rindusl rie nationale, lui permettre de s'approvision-
ner de matières et d'outils, et lui ouvrir des débouchés,
ina;| que pour faire participer les classes populaires aux avan-
ie d tages qu'elles ont retirés, en Angleterre, des diminutions et
eU entravis commerciales. Il a utilisé l'immense prérogative
ts a que lui donne la constitution de i 852 pour inaugurer en France
en!i les réformes analogues à celles qui ont tant profilé au peuple
nat: anglais ; et ce sera peut-être là le plus glorieux acte de son
:ti« ;ègne aux yeux de la postérité, — acte qui. n'aura cotJté
de larmes à personne, qui aura contribué positivement à la
prospérité générale et foitifié la Fiance, plus que des cen-
tainesde vaisseaux et des milliers de canons.
if,
S ci
aii'
H. Rouher a eu bientôt saisi les grands avantages de la li-
berté commerciale et la force des raisons invoquées en sa fa-
veur, et il a puissamment contribué à amener à bonne fm
celte grosse affaire, difficile à cause des complications nom-
breuses qui ont surgi des inlérêts privés, effrayés ou faisant
semblant de Têtre. Tout le monde s'accorde à dire qu'il a pré-
sidé l'enquête avec une merveilleuse entente de toutes les
questions.
En Angleterre , M. Gladstone , au sein du gouvernement
et du parlement, M. Bright, dans les meetings, ont montré les
avantages de l'œuvre de M. Cobden, etrèçoTvàvx kç>^\vkV5^\
388 HOTES ET PETITS TRAÎTÉi?.
accusaient l'illustre apôtre du Fre treade d'avoir sacrifié 1(
intérêts de l'Angleterre, en même temps que des recrimin;
tions inverses se produisirent en France, dont les intérêli
disent encore bien des gens, ont été sacrifiés à l'Angleterre.
YI LE LIBRE ËGHANGEi
Évidence du principe du Libre Échange. — La Protection vaincue e
Théorie. — obstacles que recontre la Réforme, en pratique. —■ L
Libre Échange au point de vue économique et au point de vu
politique. — EfTets économiques, politiques et moraux de la Réforme
— Le Libre Échange absolu et le Fisc.
I
Cette formule Libre échange est nouvelle dans notre lan
gue*. Elle est le synonyme récent de liberté du commerce, di
fameux laisse7,-passer ^ des économisâtes du dix-liuilièin(
siècle, tant calonmié et si peu compris, le synonyme de liberti
des échanges et de liberté des transactions^ qui sont aussi dfô
formules contemporaines.
Elle signifie rechange, la transaction entre acheteurs el
vendeurs entièrement libre, c'est-à-dire sans entraves adini-
nis'ratives ou fiscales d'aucune espèce qu'il s'ajrisse d'indi-
vidus isolés, de localités, de provinces ou de nations. Maison
l'entend plus particulièrement de la libeité du comm»*rce
international par opposition aux prohibitions à la frontière.
* Extrait du Dictionnnaire de politique, i86t, sous la direction de
M. Maurice Block, publié par M. Otto Lorentz, Paris, 3 vol. grand io-8*.
^ Elle ne date que de 1846, et nous avons peut-être été le premier à
l'employer. Elle est la traduction de free tradCj mis en honneur en An-
gleterre par la célèbre Ligue de Manchester, créée pour combattre 1»
lois dites lois-céréales empêchant l'entrée des blés étrangers, et amenée
à réclamer la liberté entière du commerce. Elle a été vulgarisée par
l'Association pour la liberté des échanges formée en France à celle épo-
que, et qui a publié un journal hebdomadaire sous ce nom, le fÀbre
Échange, jusqu'au milieu de 1848.
'• Laissez circuler d'un pays à l'autre. Us disaient aussi : « Laissez faire,»
pour ff laissez travailler, laissez produire, sans privilèges, en dehors des
tions, sans règlements ^
URERTÉ DU COBIMERCE. — LIBRE ÉCHANGE. 389
aux tarifs et autres entraves constituant le régime douanier.
On Tui a fait signifier quelque chose de filus ab>olu, de plus
radical, de plus compromettant que liberté du commerce, au-
quel la langue usuelle attribue soit le sens de liberté de pro-
fession, Suit celui d'une liberté commerciale relative ou mo-
dérée, de sorte qu'il n'est pas nue d'entendre des gens se
proclamer partisans de la liberté du commerce, mais adver-
saires du libre échange !
Le princip»» de la liberté du commerce, de la liberté des
échang. s, du libre échange est un des principes fondamen-
taux de la science économique, qui la démontré au>si victo-
rieusement par les déductions théoriques que par Tétude
desTaitsacc mplis.
Ce principe e^t uii corolla're de celui de propriété et de
libre conçut rence, basé comme ces prin«ipes, snr la justice
et l'utilité, générateur de Tordre ^onal, stimulant du progrès.
La propriété et la liberté du producteur et du consomma-
teur sont violées toutes les fois que !e premier ne peut point
échanger son produit et son travail à sa convenance; s'il
n'^sl pas libre de rechercher l'acheteur qui peut lui (onvenir,
pour obtenir le plus haut prix possible; si, d'autre part, le
consommateur ne peut obtenir en échange de son avoir ce
dont il a besoin, aux meilleures conditions possibles. La li-
lH»rté de l'échange ressort de la nature de rechange, dont
elle est fâme. Sans elle, rechange est incomplet, l'influence
de Toffre et de ia demande contrariée, la valeur et le prix
altérés et injustes; c^r la valeur n*esl légitime, le prix n'est
naturel et exact que lorsqu'ils sont le résultat du libre cun-
couis entre les acheteurs et les vendeurs, des concessions
mutuelles qu'ils se font librement par suite des circonstances
de la production et du marché, ainsi que de leurs besoins et
de leurs devoirs i éciproques.
En théorie, et pour ceux qui raisonnent d'après la nature
des choses, le libre échange est un principe» évident, de sim-
ple Ion sens. L'expérience, de son c<ilé, a partout et toujours
montra la prospérité marchant parallèleme\Al ^n^ç. WK^^^Vè.
390 50TES ET PETITS TRAITAS.
des transactions, s'accroissant à mesure que les entraves di-
minuaient ou disparaissaient, diminuant à mesure que les
obstacles se produisaient ou se multipliaient.
Scientifiquement il nVa plus de question. La plus entière
liberté du commerce est le corollaire de toute étude, de
toute analyse économique, c'est-à-dire qu1l est démontré
jusqu'à l'évidence : que l'absence de toute entrave en général,
de toute entrave douanière en particulier, est la meilleure
condition d'une industrie, d'une localité, d'un peuple, de
tous les peuples, de l'humanité entière, pour l'accroissement
de la richesse, le maintien de la paix, le progrès de la civi-
lisation. Le jour n'est pas loin où les traités d'économie poli-
tique ne s'arrêteront plus pour démontrer la légitimité de ce
principe passé à l'état d'axiome, ni pour réfuter les objections
ou plutôt les sophismes émanant de théories erronées, d'in-
térêts inintelligents ou prétendant au monopole.
Il
Pratiquement, c'est-à-dire dans l'opinion publique ou dans
l'esprit des administrations et des gouvernements, l'utilité.et
la nécessité de la réglementation et de l'entrave ont encore la
majorité, qu'il s'agisse du commerce individuel ou du com-
merce interprovincial ou du commerce international . Pour les
deux premiers points, toutefois, on invoque des motifs tirés
de l'intérêt du consommateur surtout à propos de substances
alimentaires; tandis que pour le troisième on invoque Tinlé-
rêt du producteur qu'on veut protéger, c'est-à-dire l'intérêt
du producteur nation d qu'on veut préserver contre la con-
currence des producteurs étrangers, en donnant, entre au-
tres m luvaises raisons, celle-ci, que cette répulsion des
produits étrangers, par voie de prohibitions ou de tarifs, est
également favorable aux consommateurs, tandis qu'en réalité
ce mode de protection, loin d'être favorable aux producteurs
et aux consommateurs, nuit à la masse des uns et des autres
et ne constitue un avantage réel que pour un petit nombre de
détenteurs des monopoles naturels : terres, mines ou exploi-
LIBERTÉ DU COMMERCE. — LIBRE ÉCHANGE. 591
talions exceptionnelles par leur nature et leur situation. C'est
ce qu*il nous serait facile de démontrer, si nous avions à par-
ler ici du système prolecteur par la douane, que par méta-
phore on a appelé la protection.
Le principe du libre échange a donc eu et a encore contre
lui les arguments tirés du système prolecteur, qui s'est ap-
puyé— sur les arguments tirés du vieux système mercantile ou
de la balance du commerce basé sur une fausse notion de la
richesse, de la monnaie et du commerce, — plus, sur les
arguments tirés des non moins vieux et non moins erronés
systèmes de la réglementation el du privilège, lesquels ont
groupé une série de sophismos coiilraires aux saines notions
de propriété, de travail, de production, d'échange, de valeur,
de monnaie, de sécurité, de justice, de nationalité et de pa-
triotisme. Signaler ces sophismes, les classer, les réfuter ; éta-
blir pour cela les principes ou véritables notions à l'aide
desquels on peut les combattre ; faire les observations, les
analyses, les découvertes, à l'aide desquelles on peut établir
ces principes ; se reconnaître dans toutes ces discussions, dans
toutes ces luttes, dans toutes ces explications au milieu des
difficultés soulevies par les avocats des intérêts, les partisans
des systèmes, les défenseurs des théories ; modifier, pour s'en-
tendre, les sens d'une série de mots les plus usités de la langue
usuelle : telle aura été la tâche des fondateurs de la science
économique, à la fm du dernier siècle el dans la plus grande
partie de celui-ci,
m » 4
De tous ces efforts, de toutes ces veilles, de toutes ces dis-
cussions, comme aussi de toutes les expériences des gouver-
nements et des peuples par prohibitions, tarifs, entraves,
traités plus ou moins violés, posst^ssions lointaines, esclavage ;
de toutes ces guerres et représailles, de ces myriades de ri-
chesses el de labeurs perdus, de ces fleuves de sang et de
larmes, étudiés, analysés, appréciés, sont résultées ces vérités
fondamentales :
5Ô2 NOTES ET PETITS TRAITES.
Que le travail libre est le plus productif et le plus fécond;
— que le travail est d'autant plus libre que la propriéfé du
travailleur est plus garantie ; — que le travail est d*autant
plub libre, et la propriété est d'autant mieux garantie, que
Téf-hange est plus libre.
En d'autres termes, le libre échange est la condition par
excellence: pour ti'^cr le meilleur parti du travail et du capi»
lai, des avantages du sol, des aptitudes des habitants ; pour
arriver au maximum de production et au plus grand déve-
loppement agricole, industriel, commercial, intellectuel des
peuples, — à la circulation la plus active des richesses natu-
relles et immatérielles, — à la répartition la plus équitable
entre les producteurs, et à l'emploi le plus rationnel dans
Tintérêt des individus et dos sociétés.
IV
Ici, comme en beaucoup de sujets, parler du point de vue
éeonomique, c'est parler aussi du point de vue politique. La
politique se propose pour but les résultats que donne le libre
échange; donc le libre échange est l'idéal vers lequel doivent
tendre les gouvernements et les législateurs de tous les peu-
ples en réformant, dans l'arsenal des lois, des règlements et
traités internitionaux du passé, ce qui est contraire à la li*
berté des transactions entre individus dans la môme localité,
dans des localités différentes, dans les diverses provinces,
dans les diverses nations. C'est pour chacun d'eux une forte
^ tâche, tant pour s'éclairer eux-mêmes que pour persuader l'o-
pinion, vaincre les résistances, fornmler les réformes et s'en-
tendre les uns avec les autres; tâche qui semble devoir et pou-
voir être remplie dans ce siècle : — et ce sera dans les siècles
futurs l'hoimeur de l'économie politique d'avoir prèf»arè cette
heureuse et féconde transformation des esprits et des choses,
par des efforts commencés vers le milieu du dix-huitièuie
siècle et continués avec uiie persévérance et un désintéresse-
ment qu'il est bon de constater, au milieu des récriminations
qui retentissent encore à nos oreilles.
LIRERTÉ DV COMMERCE. — LIBRE ÉCHANGE. 393
La plupart des complications internationales du pa'^sé sont
provenues des fnusses idtM's des peuples et des gouvernements
sur les intéi-êts commiTciaux et réciproques des nations,
fausses idées qui ont produit les trois qu irts (U's guerres et
des spoliations que nous raconte l'histoire, les infamies de
la diplomatie, les haines nè«tiona!es aussi stupides que bar-
bares, l'appauvrissement, la démoralisation, l'asservissement
des peuples. Car (|ui pourrait dire à quel degré le niveau éco-
nomique et moral des peuples les plus civil[>és serait aujour-
d'hui, si Charles-ijuint et ses imitateurs eussent été inspirés
par lidëe libre échangiste,au lieu de Tavoir été par I idée in-
°"- verse? On ne rignore pas, les intérêts de religion, ceux des
■'^ dynasties, les prétendus intérêts d'honneur des peuples, les
~ questions de dignité, d'influence, de sécurité, n'ont été, à
: beaucoup d'é^rards, que des intérêts matériels des castes
influentes, que des intérêts commerciaux mal entendus au
^: point de vue général des peuples et des nationalités.
ibi-' V
ts-l
Donc toute mesure, toute réforme, toute tentative des gou-
vernements qui a pour effet, à un degré quel on(|ue, de rap-
procher les rapports internat onaux veis la liheité com-
merciale, ou simplement même la diminution des erreurs
économiques dans l'esprit des masses et de leurs représen-
tants, est un notable progrés. C'est même à ce critérium
((u'on pourra apprécier déi^ormais le degré d'intelligence et de
moralité des gouvernements.
De tout temps le commerce a été considéré comme le lien
des nations, comme un instrument de civilisation, en opérant
le rapprochement des hommes et des choses, des hommes par
les choses, des idées par les hommes. Le moyen de provotjuer
les développements du commerce, qu*on a tant cherché dans
les moyens à rebours qui consistent en combinaisons d'en-
traves et de tarifs, de prohibitions et de primes, en traités et
en fl.iesses diplomatiques, ce moyen est le laissez-passer à la
frontière, la liberté des transactions, la suç^tes^voïv ôi^VwxVft.
394 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
entrave, de tout obstacle, de tout tarif, de tout encourage-
ment ou découragement; c'est le laissez-faire à l'acheteur etaii
vendeur, au producteur et au consommateur, à ceux qui ont
besoin de vendre et à ceux qui ont besoin d'acheter, — procédé
simple et efficace comme ceux que la Providence a mis à
la disposition des hommes, qui ont été en tout et partout
chercher bien loin ce qu'ils avaient sous la main.
La levée des obstacles matériels, le pont qui franchit le
fleuve ou le torrent, le viaduc qui franchit la vallée, le tunnel
qui traverse la montagne, la route, le railway, la diligence, la
locomotive, le fleuve, le canal, la mer, la vapeur, qui rappro-
chent les distances, tous ces perfectionnements développent
les échanges locaux, provinciaux, nationaux, continentaux.
On l'a toujours compris, mais on n'en a si bien senti l'impor-
tance que depuis ce siècle. Eh bien, la levée de l'obstacle
administratif, de l'obstacle douanier, agissant dans Iç même
sens, avec la même énergie, la même impulsion, nos neveux
auront de la peine à comprendre linconséquencede ceux qui,
d'une part, réclament le perfectionnement des voies de com-
munication, et, d'autre part, le maintien des barrières commer-
ciales et politiques.
Quoi qu'il en soit, la lumière s'est faite et se fera de plus en
plus; l'aube blanchit pour les peuples arriérés, le soleil est à
l'horizon pour quelques-uns; Tidéede libre échange pénétrera
de proche en proche, et, se substituant aux vieilles idées d'iso-
lement, de haine, de répulsion, de prohibition et d'enrichisse-
ment par spoliation et fourberie, produira de plus en plus les
heureux résultats qui sont dans son essence. Les gouvernements
et les peuples renonceront de plus en plus à la vieille politi-
que d'accaparement des territoires, de domination et d'op-
pression des races, de possessions lointaines et d'exploitation
coloniale, aux artificielles combinaisons de la diplomatie. Delà
l'apaisement des haines et des vengeances internationales, la
disparition du danger des invasions, et, par contre, la diminu-
tion des armements terrestres et maritimes qui foulent tant
les penpleSy comme disait Vauban, — \ïar la conscription et
UBERTÉ DE COHMERCË. — LIBRE ECHANGE. 595
I inscription maritime, par les impôts et les emprunts qu'elles
nécessitent : impôts et emprunts qui se traduisent parla hausse
les prix, par un surcroît de labeurs quotidiens, par les pri-
vations et la misère ; — d'où Tinquiétude des masses, dont la
lurveillance nécessite une plus grande force militaire; de là
ncore une plus grande compression, qui s'oppose à Texpan-
ion des libertés publiques.
Voilà comment tout s'enchaîne et comment la politique du
ibre échange est non-seulement une excellente politique
:ommerciale, mais la politique de la paix et de la liberté,
m dehors de toutes raisons tirées de la religion, de la mo-
rale, de la philosophie, dont à tort ou à raison les hommes
l'État et les mécaniciens politiques font peu de cas, au grand
applaudissement des peuples qui se croient pourtant rehgieux
et civilisés.
Yl
Le Ubre échange n'est point une panacée qui opérera du
soir au matin pour produire instantanément les résultats que
nous venons d'énoncer. Mais son action progressive, quoique
lente, sera d'une efficacité éclatante. On en peut juger par
les nombreux symptômes qui se manifestent aux yeux de tous
par suite de toute facilité nouvelle donnée au commerce et à
l'industrie, de toute extension du marché, de toute ouverture
de débouchés. N'est-ce pas à une plus grande Hberté com-
merciale et industrielle depuis la révolution de 1789 qu'il
but attribuer le développement inouï jusque-là de toutes les
branches de l'activité humaine? n'est-ce pas à l'accroissement
des intérêts et des rapports internationaux qu'il faut attribuer
en grande partie la cessation des luttes militaires du com-
mencement du siècle, et les quarante ans de paix qui ont
suivi, et le peu d'empressement des peuples à prolonger les
luttes contemporaines, malgré les nombreuses causes de
guerre et l'existence de masses armées dont les chefs ne rô-
dent que complications et querelles pour avoir de Tavancf*-
menl, — ce qui est naturel, puisque telle eal \e\XT ^\Q\'^'Ssi\^w,
596 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
Si les effets politiques et ceux des effets moraux concomi-
tants du iibie échange ne s'accomplissent que peu à peu, à la
longue et à une certaine distance dans le temps, il est juste
de dire que ces effets économiques et financiers se produisent
pour ainsi dire immédiatement. On a pu en juger aux épo-
ques de disette en 1846 1847 en Angleterre, depuis 1853 en
France et ailleurs. On a pu en juger en Angletere lors des
réformes de Huskisson en 1825, et tout récemment par suite
des réformes de Robert Peel préparées par cette vigoureuse
Ligue de Manchester à la tête de laquelle ont commencé à
briller MM. Cobden et Bright, et dans laquelle ont admirable-
ment lutté des hommes d'élite trop nombreux pour que nm%
puissions mentionner leurs- noms K La réforme était à peine
volée que déjà le pays ressentait les effets de la libellé : l'agri-
culture, qu'on avait tant effrayée, voyait croître sa prospérité
d'une manière surprenante ; les manufactures, le commerce
intérieur, le couimerce extérieur, la navigation, le mouvement
des ports, toutes les branches de 1 industrie britannique
voyaient doubler leur activité. Les finances samélioraient
par toutes les voies, le déiicit était comblé. La richesse puUi*
que s'élevait comme la richesse privée, comme l'aisance et
le bien-être des citoyens produisant plus et consommaut da-
vantage de toutes choses indigènes et étrangères, et) à côté
de ces résultats économiques, les résultats moraux de premier
ordre : la satisfaction, la tranquillité, la moralité des masses,
la diiuhiution du paupérisme insci it et de la criminalité^ av
point que l'on a ^u des villes ayant deux prisons et pouvantes
supprimer une. Or celte satisfaction des masses a étèlelle que
la crise révolutionnaire de 1848, qui a ébranlé pludeurs Etats
d'Europe, n'a, uaalgré l'effioyable disette de 1846-1847, es
aucun feteutissement en Angleterre, que l'on nous représen-
tait cependant comme assise sur un volcan populaire ! Le
diûHisnie a dit^paru devant les réformes obtenues par la Ligue
et la suppression du monopole des landlards. Il y a plus, kl
'Vi830â 18i6, \oy.p.S40.
LIBERTÉ on COMMERCE. — LIBUE ECHANGE. 597
'ansformations de Topiniou publique par les efforts de la
igue d'abord, par ceux de Robert Peel ensuite, ont amené
évanouissement des anciens partis (tories, wbigs et radi-
lux) ; les hommes politiques se sont classés d'une manière
loins étroite et plus rationnelle; les hommes de Manchester
mt intervenus dans la direction de l'opinion; et si aujourd'hui
y a encore des partisans de la vieille politique, de la vieille
iplomatie, de la protection, de la prépondérance et des gros
rmements, ils n'obtiennent plus la majorité qu'accidentelle-
lent, car ils ont en face d'eux des hommes de free trade, de
on-intervention, de travail et de liberté qui ont l'oreille des
lasses moyennes sympathiques à toute mesure favorable à
1 paix internationale.
Notons que ces résultats ont été obtenus par une réforme
elalivement mémorable et relativement considérable, mais
|ui est encore bien loin d'être le libre échange; car si Ton a
iftranchi les substances alimentaires, les matières premières
ittous les articles de moindre importance au point de vue du
isc, on a conservé sur un grand nombre de produits des
Iroits de S, 10 et 15 pour 100, selon leurs qualités et selon
eur valeur, droits produisant plus de cinq cents millions de
fanes, de sorte que l'Angleterre est encore bien loin du libre
échange absolu.
On a de même parlé du libre échange à propos du traité
le 1860 entre la France et l'Angleterre, qui doit être suivi
l'autres traités analogues entre la France et d'autres pays, — ^
)t par suite duquel les prohibitions ont été supprimées en
France et remplacées par des droits élevés, divers droits ont
Jlé abaissés, et quelques articles complètement affranchis,
ians doute, c'est là une réforme très-importante, vu l'état des
îsprits et l'inlluence des intérêts protectionnistes dans ce
[Wiys, vu les nouvelles facilités accordées aux produits fran-'
jais à leur entrée en Angleterre, notamment aux vins et à
livers articles de l'industrie française en général et à Tin-
duslrie parisienne en particulier, vu les facilités accordées
au commerce des autres pays (Italie, Belgique) aNe^Y^^q^^Vi,
398 NOTES ET PETITS TRAITÉS.
on a passé des traités, avec lesquels on en passera, lesquels, à
leur tour, ont accordé ou accorderont des facilités analogues.
C*est encore un acte très-important en ce qu*il est le point de
départ d une politique nouvelle, d'une politique de paix, de
progrès et de liberté. Mais cependant ce n'est qu'un commen-
cement de réforme qui ne peut avoir que des résultats relati-
vement restreints, lesquels ne peuvent, à deux ans de distance,
être ce qu'ils seront après une plus longue période de temps.
Nous pouvons dire cependant que les ruines annoncées par
les partisans des prohibitions ne se sont point réalisées, que
les industries protégées par la prohibition se sont mises dans
de meilleures conditions et sont dans une situation plus pros-
père, enfm que les tableaux de la douane accusent le fait d'an
développement des échanges de la France non-seulement avec
l'Angleterre, mais avec le monde entier; et ce, malgré la
guerre civile des Étals-Unis, qui a privé de matière première
les manufactures de coton et fermé un grand débouché à l'ex-
portation française, malgré Tinsécurité des affaires politiques
m Europe.
Vil
Mais dans tout ce qui précède nous n'avons fait nullement
mention d'un personnage important qui a une forte voix au
chapitre, monseigneur le Fisc. Ajoutons un mot à son adresse.
Le fisc, rapace par nature et par fonction, a été jusqu'à ces
derniers temps peu intelligent, et il faisait chorus avec la pro-
tection pour établir des droits élevés. On a fini par lui faire
comprendre, non sans peine, que les prohibitions ne lui don-
naientrien, que les droits élevés ou prohibitifs ne lui donnaient
guère plus ; mais que les tarifs bas, sur un petit nombre
d'articles à grand commerce, feraient bien mieux son affaire.
Alors il est devenu réformateur ; et bien lui en a pris en An- !a
gleterre, par exemple, où la douane est bien plus productive ^
qu'avant la réforme. Mais s'il veut bien qu'on réduise jusqu'au ^
i&ux minimum qui produit \a receW^ \w^'im\3jav^ il se lamente ;
\
LIBEUTË DU COUMERCE. — LIBRE ÉCHANGE. 599
si Ton prétend aller au delà, et il argumente victorieusement
de ses besoins.
Sur quoi Von a trois manières de lui fermer la bouche :
1" en supprimant ces besoins, c'est-à-dire les dépenses pour
une somnnc correspondante; c'est un remède héroïque peu
usité; 2^ en trouvant un meilleur impôt plus facile à asseoir,
chose rare ; 3° en lui démontrant que la suppression de tous
les tarifs faisant prospérer toutes les branches du travail,
reudra les autres impôts plus productifs en proportion ; ¥ en
employant ces quatre moyens concurremment. De sorte que
le libre échange absolu, pour exister, doit non-seulement faire
disparaître les obslacles suscités par la théorie mercantile,
par l'esprit de privilège et de réglementation, mais encore dés-
intéresser le fisc : chose difficile, mais pas impossible.
En attendant cet idéal du libre échange absolu, il est par-
faitement pra^iqt^ de songer à rétablissement du Ubre échange
relatif avec tarifs purement fiscaux, en dehors de toute idée
de protection.
11 y aura bientôt cent ans que Adam Smilh disait, après
avoir démontré les avantages de la Hberté et signalé les in-
convénients de la restriction : « A la vérité, s'attendre que la
liberté du commerce puisse jamais être rendue à la Grande-
Bretagne, ce serait une aussi grande folie que de s'attendre à
y voir jamais se réaliser la rèpubhque d'Utopie et celle d'O-
eéana. » Tant lui paraissait épaisse la couche des préjugés
de Topinion et des gouvernements. A la même époque, et
même il y a trente ans à peine, il y aurait eu fohe à vouloir
percer le mont Cenis^ et pourtant on le perce!
Vlll
P. S: La question de la suppression de la douane n*est plus
une utopie. Elle est entrée dans le phase de discussion rela-
tive aux moyens d'application. Elle est aujourd'hui réclamée
par plusieurs Chambres de commerce belges sur rinitialivcs
partie de la Chambre de commerce d'Anvers, sm\ft ^wc wwfe
400 NOTES ET PETITS TRAITES.
proposition de M. Joffroy, l'un de ses membres*. Les par-
tisans de la réforme douanière en Belgique se sont reconsti-
tuées en association par la suppression des douanes,